La modernisation du continent africain, avec l’avènement de nouvelles religions dites révélées, a fait perdre à beaucoup d’Africains leurs repères. Véritable chef-d’œuvre du riche patrimoine culturel africain, le masque est aujourd’hui délaissé, pour ne pas dire abandonné par les Africains eux-mêmes. C’est à peine si ceux qui ont encore foi en la culture africaine et qui espèrent pérenniser cet art, sont considérés comme des lucifériens. Mais combien de gens aujourd’hui connaissent réellement le processus de fabrication d’un masque, qu’ils considèrent, à tort ou à raison, comme une activité diabolique ? L’I.A est allé à la découverte des fabricants de masques, mais cette fois ci, ceux de Yopougon-Gesco. Découverte.
Un métier comme tous les autres
L’air est presque frais, ce jeudi matin dans l’atelier de Doh Bi T., situé sur l’autoroute du Nord, à quelques encablures du corridor de Gesco et non loin de la fourrière. L’atelier de ce sculpteur est une construction de fortune en bois, recouverte d’une bâche noire faisant office de toiture, négligemment posée et soutenue par de vielles planches que le vent n’arrête pas de tordre à sa guise. Et quand il pleut, c’est à peine si ses collègues et lui arrivent à travailler. L’eau de ruissellement devient maîtresse de cet espace. Lorsque nous arrivons dans son atelier, Doh Bi, qui ne s’attendait apparemment pas à notre visite, est un peu réservé. Assis sur un morceau de bois, le jeune sculpteur, la trentaine révolue, s’adonne à son activité quotidienne : la sculpture des masques. Impressionné par notre démarche, après quelques minutes d’échanges, il se décide finalement à tout lâcher : « Nous fabriquons toutes sortes de masques : baoulé, gouro, sénoufo, burkinabé, malien, nigérien, etc. Si tu connais parfaitement le travail des masques, tu peux à partir d’un modèle quelconque, produire n’importe quel masque. Tout se passe dans la tête », explique-t-il. Pour apprendre ce métier, il a dû offrir à son patron un poulet et 4 litres de vin de palme, communément appelé Bandji. « C’est de l’art africain. J’ai commencé en 1993 au village, où j’ai vendu mon premier masque à 800 FCFA », se souvient-il encore. Avant de s’indigner: « Quand les gens nous voient, ils pensent que c’est la sorcellerie que nous pratiquons. Pourtant, c’est avec l’intelligence que nous travaillons ». Selon le sculpteur, tout le monde peut pratiquer le travail des masques. Il suffit seulement de le vouloir. « Il n’y a pas de don ni de mesures particulières à prendre. Si tu es intelligent, un mois suffit pour que tu apprennes la sculpture des masques. C’est un travail comme tout autre », rassure-t-il. Les objets qu’il fabrique sont généralement destinés à la décoration. Masques gouro, sénoufo, baoulé et même burkinabé, malien, nigérien, etc., de petite taille, moyenne ou grande. Chacun y trouve pour son goût. Petite précision. Il ne s’agit pas des masques sacrés que l’on utilise pour des cérémonies d’initiation ou d’adoration. Mais des masques profanes. Cependant, confie Doh Bi, pour ceux qui désireraient des masques sacrés, il y a un minimum de recommandations auxquelles il faut se conformer. Boisson et poulet en offrande à l’artisan et c’est parti ! Mais uniquement sur commande. « Sinon, on ne les fabrique pas comme ça », prévient-il.
Le processus de fabrication d’un masque
La fabrication des masques se fait en plusieurs étapes et les rôles y sont bien définis. Il y a le sculpteur, le ponceur et celui qu’ils appellent dans leur jargon le ‘’vieillisseur’’. C’est par la sculpture que tout commence. Le sculpteur taille la pièce, lui donne une forme, avant de la remettre au ponceur qui procède au ponçage. Dans sa tâche, il veille à enlever toutes les traces indésirables ou laissées par les objets utilisés (couteau, faucille, perçoir) sur la pièce. Avec le papier grattoir dont il se sert, le ponceur rend la pièce lisse. C’est après son passage qu’intervient le vieillisseur. Le vieillissement est le fait de rendre la pièce ancienne. C’est-à-dire à lui donner une allure de vieux pour capter davantage l’attention du visiteur qui arrive pour l’observer ou pour l’acheter. Avec des produits, dont-il a lui seul le secret, le « vieillisseur » achève la fabrication de la pièce en lui donnant une couleur. Dans l’atelier de Doh Bi, ce sont les racines du ‘’Béhiri’’ (un arbre de la savane en langue Gouro), qui servent parfois de teinture rouge au bois taillé. Le vieillisseur peut à présent enfouir la pièce dans la boue. Cette période dure juste quelques minutes. Après quoi, l’objet est retiré de la boue, puis lavé avec de l’eau propre. Il prend alors la couleur noir, un noir brillant. Cependant, indique notre interlocuteur, à défaut des racines du Béhiri, la poudre noire de l’intérieur de la pile, peut être utilisée comme teinture. Pour donner plus d’éclat à la pièce, le vieillisseur se sert également d’un morceau de miroir qu’il frotte habilement sur l’objet. « Le miroir permet de rendre la pièce attrayante, en la faisant briller », dit-il. La phase du vieillissement est la dernière du processus de fabrication du masque. Après cette étape, la pièce, désormais prête à la vente, n’attend plus que le client ou le visiteur. L’hévéa sauvage et un autre bois, appelé en langue Gouro ‘’ Djakouasso gniri’’ dont les feuilles servent à traiter de façon traditionnelle le paludisme, sont les plus utilisés par ces artisans dans leurs différentes confections. D’autres bois, mais des bois durs comme le Teck, sont aussi utilisés. Et le délai de fabrication d’un masque dépend de l’habileté du sculpteur. « S’il est rapide, la fabrication peut durer seulement un seul jour, sinon deux ou trois», affirme le sculpteur.
Un secteur rentable, mais…
Ce qui fait la particularité dans ce secteur, ce sont les différents prix des masques. Selon Doh Bi T., il n’y a pas de prix fixe. Le masque se vend selon les besoins financiers de son fabricant. « S’il a besoin d’argent, il peut le vendre à 2. 000 ou 5. 000 FCFA », raconte-t-il. Et ce, quelle que soit la forme du masque. « Un masque d’une petite forme peut être vendu deux (02) fois plus cher qu’un autre beaucoup plus gros. C’est ça aussi l’art », révèle le jeune homme. Leurs principaux clients sont les Maliens, les Burkinabé et surtout les Sénégalais. Les Ivoiriens sont très rares, regrette-t-il. Basés à Treichville, les acheteurs sénégalais viennent leur acheter les masques qu’ils vont revendre à des Occidentaux ici même en Côte d’Ivoire, dans la sous-région ou encore en Europe. Interrogé pour savoir pourquoi ce sont surtout les Sénégalais qui s’intéressent le plus à leur activité, le sculpteur répond : « Ce sont eux qui sont beaucoup dans l’art et qui ont fait de la vente des masques leur principale activité ». A la question de savoir si la sculpture des masques nourrit son homme, il confie : « On arrive à manger, mais c’est souvent difficile pour nous de payer le loyer de nos maisons. Les prix ne nous arrangent pas vraiment. Avant la guerre, on pouvait vendre un masque à 15. 000 ou 20. 000 FCFA, mais aujourd’hui avec la crise, si tu as trop vendu un masque, c’est au prix de 5. 000 FCFA. Les touristes se font de plus en plus rares et les affaires sont au ralenti », se désole-t-il.
Miné par l’inorganisation
L’une des grandes tares qui minent le secteur de la sculpture artisanale, c’est bien l’inorganisation notoire dans laquelle il baigne. Il n’y a pas d’association qui regroupe les fabricants de masques et le manque de solidarité entre ces derniers est de plus en plus décrié. « Il n’y a pas d’organisation dans notre milieu, ce qui fait qu’on a chaque fois des difficultés. Nous pratiquons un bon métier, mais par manque de moyens et d’organisation, nous sommes mal vus par les gens », s’indigne un collègue de Doh Bi. Qui pense, pour sa part, que c’est justement parce qu’ils ne sont pas organisés en association que certaines personnes les regardent parfois d’un mauvais œil. Pour lui, l’Etat doit pouvoir leur venir en aide, en les installant dans des ateliers dignes de ce nom. Ce geste ‘’providentiel ‘’leur permettra de valoriser leur travail et d’exporter leurs talents, même au-delà des frontières ivoiriennes. « C’est un métier que nous avons appris. Ce n’est pas la sorcellerie, mais l’intelligence. Un homme intelligent aujourd’hui, c’est celui qui gagne plus », se justifie-t-il. En attendant que les lendemains soient un peu plus meilleurs pour lui et ses autres collègues artisans. Son plus grand souhait actuellement, tout comme celui de Doh Bi, est de participer à un festival ou à n’importe quelle exposition pouvant leur permettre de faire valoir leur métier. Au moment où la Côte d’Ivoire s’apprête à célébrer le cinquantenaire de son indépendance, il est important que l’Etat ivoirien, à travers son Ministère de la Culture et de la Francophonie, prenne toutes les mesures adéquates afin d’organiser ce secteur, naufragé de la modernisation intervenue après « Les soleils des indépendances ». C’est seulement à ce prix qu’on pourra parler d’une culture ivoirienne et sauvegarder ce qui reste encore comme patrimoine culturel
Réalisée par David Yala
Un métier comme tous les autres
L’air est presque frais, ce jeudi matin dans l’atelier de Doh Bi T., situé sur l’autoroute du Nord, à quelques encablures du corridor de Gesco et non loin de la fourrière. L’atelier de ce sculpteur est une construction de fortune en bois, recouverte d’une bâche noire faisant office de toiture, négligemment posée et soutenue par de vielles planches que le vent n’arrête pas de tordre à sa guise. Et quand il pleut, c’est à peine si ses collègues et lui arrivent à travailler. L’eau de ruissellement devient maîtresse de cet espace. Lorsque nous arrivons dans son atelier, Doh Bi, qui ne s’attendait apparemment pas à notre visite, est un peu réservé. Assis sur un morceau de bois, le jeune sculpteur, la trentaine révolue, s’adonne à son activité quotidienne : la sculpture des masques. Impressionné par notre démarche, après quelques minutes d’échanges, il se décide finalement à tout lâcher : « Nous fabriquons toutes sortes de masques : baoulé, gouro, sénoufo, burkinabé, malien, nigérien, etc. Si tu connais parfaitement le travail des masques, tu peux à partir d’un modèle quelconque, produire n’importe quel masque. Tout se passe dans la tête », explique-t-il. Pour apprendre ce métier, il a dû offrir à son patron un poulet et 4 litres de vin de palme, communément appelé Bandji. « C’est de l’art africain. J’ai commencé en 1993 au village, où j’ai vendu mon premier masque à 800 FCFA », se souvient-il encore. Avant de s’indigner: « Quand les gens nous voient, ils pensent que c’est la sorcellerie que nous pratiquons. Pourtant, c’est avec l’intelligence que nous travaillons ». Selon le sculpteur, tout le monde peut pratiquer le travail des masques. Il suffit seulement de le vouloir. « Il n’y a pas de don ni de mesures particulières à prendre. Si tu es intelligent, un mois suffit pour que tu apprennes la sculpture des masques. C’est un travail comme tout autre », rassure-t-il. Les objets qu’il fabrique sont généralement destinés à la décoration. Masques gouro, sénoufo, baoulé et même burkinabé, malien, nigérien, etc., de petite taille, moyenne ou grande. Chacun y trouve pour son goût. Petite précision. Il ne s’agit pas des masques sacrés que l’on utilise pour des cérémonies d’initiation ou d’adoration. Mais des masques profanes. Cependant, confie Doh Bi, pour ceux qui désireraient des masques sacrés, il y a un minimum de recommandations auxquelles il faut se conformer. Boisson et poulet en offrande à l’artisan et c’est parti ! Mais uniquement sur commande. « Sinon, on ne les fabrique pas comme ça », prévient-il.
Le processus de fabrication d’un masque
La fabrication des masques se fait en plusieurs étapes et les rôles y sont bien définis. Il y a le sculpteur, le ponceur et celui qu’ils appellent dans leur jargon le ‘’vieillisseur’’. C’est par la sculpture que tout commence. Le sculpteur taille la pièce, lui donne une forme, avant de la remettre au ponceur qui procède au ponçage. Dans sa tâche, il veille à enlever toutes les traces indésirables ou laissées par les objets utilisés (couteau, faucille, perçoir) sur la pièce. Avec le papier grattoir dont il se sert, le ponceur rend la pièce lisse. C’est après son passage qu’intervient le vieillisseur. Le vieillissement est le fait de rendre la pièce ancienne. C’est-à-dire à lui donner une allure de vieux pour capter davantage l’attention du visiteur qui arrive pour l’observer ou pour l’acheter. Avec des produits, dont-il a lui seul le secret, le « vieillisseur » achève la fabrication de la pièce en lui donnant une couleur. Dans l’atelier de Doh Bi, ce sont les racines du ‘’Béhiri’’ (un arbre de la savane en langue Gouro), qui servent parfois de teinture rouge au bois taillé. Le vieillisseur peut à présent enfouir la pièce dans la boue. Cette période dure juste quelques minutes. Après quoi, l’objet est retiré de la boue, puis lavé avec de l’eau propre. Il prend alors la couleur noir, un noir brillant. Cependant, indique notre interlocuteur, à défaut des racines du Béhiri, la poudre noire de l’intérieur de la pile, peut être utilisée comme teinture. Pour donner plus d’éclat à la pièce, le vieillisseur se sert également d’un morceau de miroir qu’il frotte habilement sur l’objet. « Le miroir permet de rendre la pièce attrayante, en la faisant briller », dit-il. La phase du vieillissement est la dernière du processus de fabrication du masque. Après cette étape, la pièce, désormais prête à la vente, n’attend plus que le client ou le visiteur. L’hévéa sauvage et un autre bois, appelé en langue Gouro ‘’ Djakouasso gniri’’ dont les feuilles servent à traiter de façon traditionnelle le paludisme, sont les plus utilisés par ces artisans dans leurs différentes confections. D’autres bois, mais des bois durs comme le Teck, sont aussi utilisés. Et le délai de fabrication d’un masque dépend de l’habileté du sculpteur. « S’il est rapide, la fabrication peut durer seulement un seul jour, sinon deux ou trois», affirme le sculpteur.
Un secteur rentable, mais…
Ce qui fait la particularité dans ce secteur, ce sont les différents prix des masques. Selon Doh Bi T., il n’y a pas de prix fixe. Le masque se vend selon les besoins financiers de son fabricant. « S’il a besoin d’argent, il peut le vendre à 2. 000 ou 5. 000 FCFA », raconte-t-il. Et ce, quelle que soit la forme du masque. « Un masque d’une petite forme peut être vendu deux (02) fois plus cher qu’un autre beaucoup plus gros. C’est ça aussi l’art », révèle le jeune homme. Leurs principaux clients sont les Maliens, les Burkinabé et surtout les Sénégalais. Les Ivoiriens sont très rares, regrette-t-il. Basés à Treichville, les acheteurs sénégalais viennent leur acheter les masques qu’ils vont revendre à des Occidentaux ici même en Côte d’Ivoire, dans la sous-région ou encore en Europe. Interrogé pour savoir pourquoi ce sont surtout les Sénégalais qui s’intéressent le plus à leur activité, le sculpteur répond : « Ce sont eux qui sont beaucoup dans l’art et qui ont fait de la vente des masques leur principale activité ». A la question de savoir si la sculpture des masques nourrit son homme, il confie : « On arrive à manger, mais c’est souvent difficile pour nous de payer le loyer de nos maisons. Les prix ne nous arrangent pas vraiment. Avant la guerre, on pouvait vendre un masque à 15. 000 ou 20. 000 FCFA, mais aujourd’hui avec la crise, si tu as trop vendu un masque, c’est au prix de 5. 000 FCFA. Les touristes se font de plus en plus rares et les affaires sont au ralenti », se désole-t-il.
Miné par l’inorganisation
L’une des grandes tares qui minent le secteur de la sculpture artisanale, c’est bien l’inorganisation notoire dans laquelle il baigne. Il n’y a pas d’association qui regroupe les fabricants de masques et le manque de solidarité entre ces derniers est de plus en plus décrié. « Il n’y a pas d’organisation dans notre milieu, ce qui fait qu’on a chaque fois des difficultés. Nous pratiquons un bon métier, mais par manque de moyens et d’organisation, nous sommes mal vus par les gens », s’indigne un collègue de Doh Bi. Qui pense, pour sa part, que c’est justement parce qu’ils ne sont pas organisés en association que certaines personnes les regardent parfois d’un mauvais œil. Pour lui, l’Etat doit pouvoir leur venir en aide, en les installant dans des ateliers dignes de ce nom. Ce geste ‘’providentiel ‘’leur permettra de valoriser leur travail et d’exporter leurs talents, même au-delà des frontières ivoiriennes. « C’est un métier que nous avons appris. Ce n’est pas la sorcellerie, mais l’intelligence. Un homme intelligent aujourd’hui, c’est celui qui gagne plus », se justifie-t-il. En attendant que les lendemains soient un peu plus meilleurs pour lui et ses autres collègues artisans. Son plus grand souhait actuellement, tout comme celui de Doh Bi, est de participer à un festival ou à n’importe quelle exposition pouvant leur permettre de faire valoir leur métier. Au moment où la Côte d’Ivoire s’apprête à célébrer le cinquantenaire de son indépendance, il est important que l’Etat ivoirien, à travers son Ministère de la Culture et de la Francophonie, prenne toutes les mesures adéquates afin d’organiser ce secteur, naufragé de la modernisation intervenue après « Les soleils des indépendances ». C’est seulement à ce prix qu’on pourra parler d’une culture ivoirienne et sauvegarder ce qui reste encore comme patrimoine culturel
Réalisée par David Yala