x Télécharger l'application mobile Abidjan.net Abidjan.net partout avec vous
Télécharger l'application
INSTALLER
PUBLICITÉ

Showbizz Publié le mardi 10 août 2010 | L’Inter

Showbiz - Guillaume Opéli pleure l’Afrique

M. Guillaume Opéli Gadji est un Ivoirien vivant en Europe. Ce professeur de mathématiques à l’Ecole supérieure des arts appliqués à Lille a été mordu par le virus de l’écriture, mais également de la musique. De passage au pays, avec dans besace son nouvelle album, cet artiste en devenir explique ses œuvres.

M. Opéli, vous revenez pays après quelques années d’absence avec un album dans la poche. Présentez-nous ce produit.

C’est un album de 10 titres sur lequel j’ai travaillé avec des musiciens caribéens. En Côte d’Ivoire, j’ai bossé avec David Tayorault. On y trouve un peu de tout, du zouk, de la variété française, du Gbégbé (ndlr : rythme ivoirien), du style baoulé, etc. Chacun peut y trouver des titres à son goût.

Est-ce votre premier album ?

Non, j’en ai fait un tout premier en 2002. Mais il est resté juste au niveau des amis et des parents. Il n’est pas allé aussi loin que ça. Pour preuve, vous n’en avez pas entendu parler du tout.

Votre album porte le titre ‘’Globalisation’’. Qu’est-ce qui vous interpelle dans ce concept ?

L’album porte le nom de son titre phare qui est ‘’Globalisation’’. Il y a un autre titre qui parle de la ‘’modernisation’’. En fait, l’album est porté sur le thème de la mondialisation et de globalisation. J’aborde ces thèmes pour montrer à quel point ces mots sont manipulés, et abusivement parfois. C’est pourquoi je les manipule moi-aussi. Car je ne supporte pas beaucoup qu’au nom de la modernisation et de la globalisation, on puisse marcher sur nos peuples.

Qui marche sur quels peuples ?

Les dirigeants politiques. Nous sommes en Côte d’Ivoire, et je parle de ce pays, tout comme je parle de la France. Je suis arrivé à peine quelques jours, j’ai parcouru les rues des différentes communes d’Abidjan, le constat est décevant. J’ai vu les crevasses partout, des trous béants en pleine chaussée où les voitures peuvent casser leur moteur. J’ai traversé des endroits où j’ai reçu en pleine narine des odeurs fétides. Quand je dis que les gens marchent sur d’autres, c’est que malgré cette situation déplorable, il se trouve quand même des gens dans certains coins de cette Côte d’Ivoire qui n’ont pas de souci pour manger, ils se déplacent dans des carrosses, font la belle vie. Ils n’ont pas de problème avec les trous que j’ai vus, encore moins les problèmes d’odeur, parce qu’ils sont dans des quartiers où il y a sans doute moins d’odeur. Vous vous rendez compte que nous sommes dans deux mondes parallèles. Je pense que quand on est le maire de la commune, le président du conseil général, un ministre, un président, ce n’est quand même pas la mer que de fermer les trous dans une rue. Faites un tour du côté du campus universitaire. J’ai été choqué, j’ai eu l’estomac retourné. Et le mot est faible. Quand j’étais enfant dans les années 70, nouveau collégien au collège moderne de Cocody, mon rêve était d’intégrer le campus universitaire. C’était beau et je voulais y vivre. Trente ans après, ce qu’on a fait de ce campus est déplorable. Je veux bien qu’on fasse des campagnes, qu’on veuille des élections, etc. Mais, ces minimums-là, à savoir la tenue de ce lieu du savoir, d’apprentissage, là où les jeunes vont sortir pour tenir ce pays et partant, cette Afrique de demain, ne sont pas assurés. Que voulez-vous que je vous dise ?

D’où le sens de votre combat à travers la musique... quels sens donnez-vous à ces deux mots, globalisation et mondialisation, piliers de votre album ?

Comme mes morceaux le disent, quand le peuple qui a faim crie misère, on lui répond conjoncture. Quand il crie souffrance, on lui répond ajustement structurel. Quand il crie galère, on lui demande de serrer la ceinture. Mais pendant que ces peuples croupissent dans la galère, ceux qui sont au pouvoir s’enrichissent. Les gens ont leurs 4x4, leurs maisons, ils vivent dans le luxe. Ils ont leurs enfants qui étudient à l’étranger. Tout ça pour dire que la globalisation et la modernisation ne les touchent pas. La globalisation est un prétexte pour avilir le peuple. Parce que c’est une vue de l’esprit pour eux. Ces mots n’ont de sens que pour ceux qui sont au bas de l’échelle, c'est-à-dire les sans-voix.

Nous sommes étonnés que vous vous éleviez contre ces thèmes de la mondialisation et de la globalisation, des concepts très promus aujourd’hui dans le monde.

On peut le voir comme ça. Mais le dirigeant politique nous dira que la chose économique, la chose sociale … ne vont pas bien. Il dira que nous sommes dans la mondialisation, dans la globalisation. Ces maux ne sont pas spécifiques à notre pays. C’est valable dans tout le monde entier et là on n’est plus dans le positif. Le regard positif est porté sur ce qui pourrait être un village planétaire dans lequel il y aurait les brassages de cultures, des échanges d’idées, etc. Donc l’évolution de l’espèce humaine. Mais nous sommes dans l’explication la plus fallacieuse de l’incapacité des dirigeants à trouver des solutions aux difficultés que connaissent leurs peuples.

On vous rétorquera que nous sommes en crise.

Je respecte ce point de vue de nos dirigeants. Mais en disant que je les respecte, je veux dire que je ne suis pas à leur place pour appréhender tous les problèmes. Mais l’observateur que je suis par rapport à cette assertion, je vois des personnes dont les comptes en banque sont fournis. Je vois des villas, je vois des enfants dont les études sont financées à coût de centaines de millions à l’étranger. Je vois des gens qui défilent dans les voitures 4x4 à longueur de journée. Et pourtant, nous sommes en crise. Ce qui veut dire qu’il n’y a pas crise pour eux.

Votre album est finalement une lamentation?

Effectivement, c’est le morceau intitulé mondialisation; c’est cela et nous nous sommes en Afrique, on ne peut pas se payer certains luxes. Qu’en Occident des politiques partent un peu à la dérive, c’est acceptable parce qu’il n’y a même pas le minimum à savoir les écoles, les hôpitaux, ici. Comment peut-on expliquer qu’il y ait des chômeurs dans un espace où il n’y pas de route, d’école, ni centre de santé. C’est impensable !

Sont-ce tous ces maux que vous dénonciez aussi dans vos écrits ?

Mon premier livre était un récit. Un essai témoignage intitulé ‘’Dix ans en France, l’œil d’un immigré’’. C’était le regard d’un immigré qu’on avait fait de moi en France. Il a porté sur la société française et j’en avais profité pour parler un peu de mon Afrique à laquelle je tiens. Le second est un roman. C’est une histoire vraie que j’ai romancée. Peut-être que j’ai été un peu lâche. Mais j’avais peur des coups de bâton, des problèmes judiciaires. Je l’ai romancé. Je l’ai appelé ‘’Le chant des peines’’. Le prochain, j’espère qu’il sortira d’ici la fin du mois.

Quels sont les thèmes principaux que vous abordez dans ces écrits ?

Les thèmes que j’aborde portent sur l’humanité. Parce que je me dis par moment si l’humanité a encore une chance, cette chance ne viendra que de l’Afrique. Car, si les Africains n’ont rien apporté à l’humanité, alors c’est qu’il n’y a pas de monde. Souvent des amis blancs - je dis Blanc pour faire la différence et non par esprit raciste -, me disent que l’avenir de notre humanité ne pourrait être dressé que si les Africains qui sont sortis des écoles occidentales avec tous les diplômes, qui ont été majors, qui ont occupé toutes les places qu’on pouvait occuper dans les écoles, pensent à l’Afrique. A contrario, s’ils ont juste déposé le savoir acquis dans ces écoles européennes dans un enclos, alors l’humanité est condamnée. Le fond de mon message, c’est ça. Ensuite, je raconte aussi les difficultés qu’on vit partout dans le monde.

On rencontre en Europe beaucoup d’Africains qui ont choisi d’y rester. Les jugez-vous, comme des incapables pour assurer le développement de l’Afrique ?

Non, ils sont capables. Ils en ont même l’intelligence et la faculté intellectuelle. Mais, est-ce qu’ils veulent le faire ? Non, ils ne le font pas. Pis, ils ne font que prolonger le système dans lequel ils ont baigné en Occident. Ce n’est pas seulement dramatique pour l’Afrique, ça l’est également pour toute l’humanité. Je parle en connaissance de cause. C’est vrai, nous autres qui vivons là-bas, ça fait dix ans qu’ils nous ‘’vaccinent’’ avec ça. De sorte que nous sommes minoritaires, mais on espère que demain d’autres pourront saisir le discours que nous tenons pour faire avancer l’humanité. Je parle en connaissance de cause. Moi j’ai fait mon baccalauréat en Europe, j’y ai fait mes études universitaires en et j’y enseigne les mathématiques. J’y ai vécu et j’appartiens aux deux cultures, contrairement à certains compatriotes qui pensent que je vis avec des gens, donc je sers leur mode de vie. Ils ont la technologie, mais si c’est ça le monde évolué, alors, non, je ne l’accepte pas.

Pourquoi ?

Mes observations partent du fait que nous n’avons encore rien construit. Par exemple, nous sommes à Abidjan. Si vous et moi décidons d’aller à Korhogo ce soir, on ne pourra pas parce nous n’avons pas les moyens pour y aller. Ce n’est pas possible. Alors qu’en Occident tout est accompli. En Afrique, tout est à faire. Il n’y a rien, il faut tout construire. On peut se servir du modèle qui est déjà fait, corriger les défauts de ces modèles pour bâtir une humanité vraie. Quand je vois des Africains qui veulent se comporter plus Blanc que le Blanc, je souris…

Vos œuvres sont-elles déjà sur le marché ?

Dans une semaine, vous pourriez les avoir sur le marché. Nous sommes à la phase de la promotion de cet album. Les gens en auront dans les bacs. Les gens pourront s’amuser, voir si ça leur plait, mais derrière tout, c’est ce que je suis en train de dire qui m’importe.

Ne craignez-vous pas le phénomène du piratage, pour investir dans des œuvres discographiques ?

C’est vrai que je n’ai jamais pensé faire affaire avec cet album. Même dans mes rêves les plus fous, je n’ai pas envisagé de venir en Côte d’Ivoire pour vendre des disques. J’ai mal pour un pays, pour un continent, je profite de cet outil pour le faire avancer; c'est modestement notre contribution à l’évolution des choses. Mais si le CD doit être vendu, c’est plus en Europe qu’ici en Côte d’Ivoire. Parce que c'est là-bas que je suis et j’ai mes étudiants qui attendent que le CD sorte pour qu’ils puissent s’en procurer.

Entretien réalisé par Germain Dja K
Photo : Opéli
PUBLICITÉ
PUBLICITÉ

Playlist Showbizz

Toutes les vidéos Showbizz à ne pas rater, spécialement sélectionnées pour vous

PUBLICITÉ