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Politique Publié le mardi 24 août 2010 | Le Nouveau Courrier

Les sacrifices ne sont pas réservés au peuple

Lorsqu’on crée, seul ou avec d’autres personnes, un parti politique, c’est pour la conquête du pouvoir d’Etat (comme le montrent les travaux de Harold Lasswell et Robert Alan Dahl aux Etats-Unis, ou de Georges Burdeau, Maurice Duverger et Raymond Aron en France). Mais une fois parvenu au pouvoir, qu’est-ce qu’on ambitionne de faire ? Certains peuvent se servir de ce pouvoir pour s’enrichir (c’est ce que le sociologue allemand Max Weber appelle «vivre du pouvoir») et écraser ceux qui ne pensent pas comme eux. La politique devient alors un instrument d’enrichissement et de domination. Pour d’autres personnes, la conquête du pouvoir n’est qu’une étape, la finalité de leur combat étant d’apporter un peu de bonheur à leurs concitoyens, c’est-à-dire leur permettre de manger à leur faim, se soigner, s’instruire, penser, s’exprimer, voyager, etc. Quiconque est privé de ces droits élémentaires ne peut prétendre être libre. En ce sens, l’Indien Amartya Sen, prix Nobel d’économie 1998, a raison d’affirmer que la politique permet la construction des conditions de la liberté. Pour sa part, Thomas d’Aquin soutient que le but du gouvernement n’est pas de réaliser la société parfaite mais de conserver, dans l’unité et la paix, le corps social («De Regimine»). Car, on a tendance à l’oublier, la politique est l’art du possible.
Je suis d’avis qu’on ne demande pas aux politiciens des choses impossibles, qu’ils doivent être à l’abri du besoin afin de mieux se consacrer à leurs tâches. En regardant le train de vie qu’ils mènent et les avantages matériels de toutes sortes qui sont les leurs, alors qu’ils ne cessent de dire que les populations souffrent et que certains d’entre eux se présentent comme de gauche et issus de familles pauvres, on se demande cependant si on a encore affaire à des serviteurs de l’Etat. Le lecteur se demandera où je veux en venir. Je lui répondrai simplement ceci : Au fait que la politique n’a pas d’autre finalité que le service de tous (l’ensemble des ethnies, des partis politiques, des religions, des couches sociales, etc.). Ce que je veux dire, en d’autres mots, c’est qu’on n’entre pas en politique pour servir uniquement sa famille, son village, son ethnie, sa formation politique, sa religion mais tout le monde. C’est ce service universel qui fait la grandeur et la beauté de la politique et c’est pour cette raison que le pape Pie XI la définissait en 1927 comme «le champ de la plus vaste charité». Maires, députés, ministres, chefs d’Etat sont appelés ni à se servir du peuple pour gagner ceci ou cela ni à l’asservir sous une forme ou une autre mais à le servir. Ceux qui légitimement aspirent à faire fortune peuvent exercer un autre métier que la politique. Sur cette base, il n’est pas exagéré de dire que le peuple est l’employeur et les politiciens, les employés. Si le peuple est l’employeur, il n’est donc pas normal qu’il croupisse dans la misère pendant que ceux qu’il emploie ou qui sont à son service se la coulent douce, se nourrissent au caviar et au champagne, bref vivent dans le luxe et le gaspillage.
Malheureusement, ce n’est pas ce que nous constatons ici et ailleurs. Je dis « ici et ailleurs» car les pays africains n’ont pas le monopole de ces mauvaises pratiques. En Occident aussi, on remarque que le train de vie des gouvernants n’a rien à avoir avec les conditions de vie des gouvernés. Ce qui les distingue néanmoins de nous, c’est que ceux qui sont au pouvoir là-bas sont capables de se remettre en cause et de faire les sacrifices qui s’imposent pour éviter qu’il y ait un très grand fossé entre leurs administrés et eux-mêmes. Si l’on en croit «La Croix» du 16 juin 2010, les ministres de plusieurs gouvernements européens ont effectivement accepté la réduction de leur salaire ainsi que la suppression de certains avantages. En Grande Bretagne, par exemple, le salaire du nouveau Premier ministre, David Cameron, et de ses ministres subira une réduction de 5 %. Concrètement, les membres du gouvernement britannique toucheront désormais 160 000 euros par an, le Premier ministre, 170 000 euros/an (soit 9 000 euros de moins que son prédécesseur). Quant aux hauts fonctionnaires, ils ne peuvent plus voyager en première classe. La voiture de fonction personnelle avec chauffeur attribuée auparavant aux ministres n’est plus de mise. Même chose au Portugal et en Espagne. Dans ce dernier pays, avec 78 185 euros, le Premier ministre touche nettement moins que son homologue britannique. L’Italie fait mieux que ces trois pays puisque le salaire de ses ministres baisse de 10 %. L’Irlande se montre plus vertueuse en baissant la paie de ses ministres de 15 %. En Finlande, outre qu’ils perçoivent 108 000 euros annuels, les ministres sont encouragés à aller à pied ou à utiliser le vélo quand ils se déplacent en ville. Qu’en est-il de la France ? Le salaire des ministres y demeure encore une question taboue. En effet, lorsque le quotidien catholique a demandé aux 20 ministres du gouvernement François Fillon s’ils étaient prêts à renoncer à une partie de leur salaire pour donner l’exemple en matière de rigueur, seul Christian Estrosi, le ministre de l’Industrie a daigné s’exprimer. Voici sa réponse : «Je suis contre les logements de fonction aux frais du contribuable… Chacun doit en effet disposer de son logement à ses frais.»
Les autres ministres ont-ils refusé de parler parce qu’ils ont honte de dire qu’ils perçoivent 14 129 euros /mois (contre 21 194 euros/mois pour le Premier ministre et 21 133, 37 pour le président de la République) ? Aujourd’hui, peu d’Ivoiriens savent combien gagnent le président de la République, les ministres, les députés, les maires, les présidents des institutions, etc. Le sauront-ils demain ? Une chose dont je suis certain, c’est que, si on les interrogeait, une majorité d’entre eux serait pour une diminution du salaire de leurs gouvernants et une suppression de certains avantages attachés à leur fonction. Car, redisons-le, on ne peut mettre le peuple au centre de ses préoccupations et accepter que, en temps de crise, lui seul se serre la ceinture, se saigne à blanc. Le temps n’est-il pas arrivé de comprendre qu’être au service de l’intérêt général n’est pas une mission quelconque et que «l’appauvrissement du lien social est un risque » (Alexis de Tocqueville) que doit éviter de prendre le politicien désireux de conquérir ou de conserver le pouvoir ?

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