Des bruits courent la ville. Ces bruits font état d'un hommage solennel qui sera rendu bientôt à M. Bernard B. Dadié, l'homme à l'appareil photo des années 1950, les 30 et 31 août 2010 au Palais de la Culture, en présence du Président de la République.
Je ne doute pas que cet hommage sera fait sans doute au triple plan.
- D'abord, de l'homme Dadié, compagnon de tous les grands lutteurs de notre combat héroïque d'émancipation pour notre souveraineté nationale ;
- On rendra sûrement, hommage à l'homme de lettres qu'il est et qu'il demeure éternellement au même titre que les Senghor, Franck Fanon et Aimé Césaire et que sais-je encore ?
- Ensuite et naturellement, pour finir un clin d'œil sera fait au baroudeur Dadié, l'homme qui n'est à l'aise que dans le combat comme aujourd'hui avec le Cnrd et hier avec le Rda, tout cela pour notre fierté nous qui avons épousé son ardeur d'antan.
Il y a 18 ans, j'avais essayé modestement de rendre le même hommage à Dadié à travers la petite chronique que j'animais dans le Nouvel Horizon "Les sacrifié de l'houphouétisme". C'était en janvier 1992.
Comme les écrits restent toujours et que ce sont les paroles qui s'en volent, je vais vous proposer à nouveau cet article pour participer à ma façon à cet hommage à Bernard, "mon ami".
Avant cet article que vous allez lire une fois de plus, je vais vous raconter une anecdote qui a fait qu'il est devenu mon ami. J'avais écrit un article sur d'Arboussier. Tout le monde se souvient certainement de ce pan de notre histoire émancipatrice.
Gabriel d'Arboussier fut dès le début du Rda un compagnon fidèle de Félix Houphouët-Boigny et surtout son éminence grise. Il deviendra par la suite, consécutivement au désapparentement d'avec le Parti communiste français, le souffre-douleur le plus haï du "Guide éclairé".
D'Arboussier était ami à Bernard Dadié. Les deux hommes s'appréciaient mutuellement. Ceci peut, peut-être expliquer cela.
A la sortie de mon article, Bernard Dadié téléphona au journal pour féliciter l'auteur qu'il ne connaissait pas mais portait un nom français. Il était admiratif et en même temps sceptique. Après avoir discuté avec Raphaël Lakpé au téléphone, Rédacteur en Chef, celui-ci me dit d'aller le rencontrer. Il était content de la rencontre et surtout de l'article. Quand je lui apprends que j'en étais l'auteur, Dadié était tout joyeux comme un gosse. C'est ça Bernard Dadié, le nationaliste, au sens noble de ce terme.
"La vie est faite d'injustice ou de chance. Qu'on s'entende bien. Nous ne voulons, dans cet article, faire le procès de personne. Nous voulons tout simplement restituer les faits tels qu'ils nous ont été légués par l'histoire. Et lorsqu'on sait que l'histoire est impitoyable, on comprend alors qu'il y a forcément des écorchures, il n'y a pas de demi-mesure.
Les hommes naissent tous bons, comme dit aussi l'adage, c'est la société qui les rend mauvais, par rapport à elle-même d'abord et ensuite dans ses nombreuses exigences. Et lorsque vous avez été précurseur à quelque niveau, alors vous êtes tout bon pour l'oubli et l'indifférence pour le plus petit au plus grand commun des mortels.
Tel pourrait être le cas de Bernard Binlin Dadié, le fils de l'autre Dadié, le grand celui-là par l'histoire et dans l'histoire.
Son ombre trône toujours sur nos têtes tout simplement, rien qu'en se remémorant les débuts politiques de ceux qui nous gouvernent. Surtout, il faut le souligner, en pensant au Syndicat agricole africain, (Saa). Mais cela suffit-il pour soutenir que le fils de l'autre, c'est-à-dire du grand Gabriel Dadié a été sacrifié ? Sûrement pas. Il y a plus que cela.
Mais pourquoi alors ? Diront sans doute les aveugles de l'histoire, les saints Thomas, ceux qui ne croient que lorsqu'ils ont vu.
Et puis, Dadié a été ministre, sa soeur aussi, alors... Pourquoi serait-il sacrifié ?
"Ah ces journalistes, on ne les comprendra jamais, ils écrivent n'importe quoi". Pas si vite.
A tous ces "aigrefins" de la politique, pour qui tout commence par "se servir soi-même d'abord et tout finit par se servir encore et davantage", il faut peut-être rappeler un certain nombre de faits. Il n'est donc pas besoin d'être clerc pour savoir cela.
L'honneur de la patrie vaut mieux qu'un bol d'arachides qu'on a à charge de griller. Il est clair que Dadié, l'homme Dadié Bernard est loin d'être de ceux-là.
Pour notre part, nous qui ne le connaissons qu'à travers ses écrits et les faits de l'histoire, Bernard Binlin Dadié est bel et bien un sacrifié de l'houphouétisme. Et nous allons le démontrer.
Il faut relever à toutes fins utiles que chaque homme, en venant au monde, ne saurait savoir d'avance le rôle que lui assigne le destin. Telle une feuille sur l'eau, elle glisse vers une destination sans fin. Ainsi pensaient les Maya, peuple d'Amérique-centrale.
Ils avaient atteint un haut degré de civilisation à l'époque précolombienne, dont tout le monde se souvient. Aussi pour s'immortaliser, ce peuple entreprit-il de construire les monuments que l'on sait. Belle image n'est-ce pas ? De là, soutenir que l'homme n'est pas maître de son destin, il n'y a qu'un pas que nous ne saurions franchir.
Dadié, le Sphinx
C'est heureux qu'il n'en soit pas ainsi. Pour notre part, stoïcien par nature, nous croyons comme Alfred de Vigny dans "la mort du loup" que "gémir, pleurer c'est également lâche".
Et ce n'est pas Bernard Dadié qui nous contredira. Lui qui garde jalousement par dévers lui tout ce qu'il a vécu et emmagasiné, de sa vie de militant.
Son silence ne peut s'expliquer que par un seul fait. Il en sait trop au point qu'il pourrait gêner plus d'un.
Rien ne saurait l'émouvoir. Placide il est, Placide il restera. Ce n'est pas de ce Bernard B. Dadié que nous voulons parler, c'est-à-dire le poète, l'homme de lettres, au même titre que Senghor, Franck Fanon et Césaire. Ce Dadié, ne nous intéresse pas ici. On verra plus tard.
C'est plutôt le Dadié ayant rencontré l'histoire dans son berceau.
Tel Cendrillon, une fée l'a pris sous son aile protectrice. Et comment pourrait-il en être autrement lorsqu'on est le fils de Gabriel Dadié ?
Depuis que je m'intéresse à la vie des principaux acteurs de l'histoire de notre pays au cours de ces quarante dernières années, la vie d'un homme ne m'a pas autant fasciné qu'intrigué à l’image de celle de Bernard B. Dadié.
Non pas que l'homme était multidimensionnel comme on pourrait le croire, car Bernard Dadié est poète et politique. Mais c'est surtout le sens de l'histoire qu'il a et cela se voit à travers ses oeuvres romancées. Et c'est ici que se trouve la difficulté. Comment faire pour appréhender l'homme Bernard Dadié ?
Tout d'abord, l'admiration du poète pour le courage et l'audace étouffés par l'homme politique que fut Dadié. Les années de braise qui furent les siennes nous pèsent et nous inquiètent, si on pense à rebours.
Cela ne peut susciter que questions sur questions. Bernard Dadié qui est-il exactement ? Que fait -il? Et que veut-il? Qu'a-t-il fait de sa vie ? Pourquoi ne répond-il pas? Pourquoi est-il aux abonnés absents ?
Allume-t-on une lampe pour la cacher sous le boisseau ? Tout cela nous semble bizarre. Ne connaissant pas l'homme, il faut tâcher, coller à la réalité et surtout demeurer objectif. En aurais-je le courage?
La subjectivité, nous guette hélas. Il faut faire front. Nous avons une seule raison d'être objectif car à la base de toute objectivité, il y a une part de subjectivité. Nous sommes donc à l'aise pour dire : Bernard Dadié, le damné. Peu importe cependant, une opinion fut-elle personnelle, ne vaut ce qu'elle vaut. La mienne est toute faite. Dadié mérite mieux que ce qu'il est aujourd'hui. Pourquoi ne serait-il pas un sacrifié de l'houphouétisme ?
Quand vous méritez le prix d'excellence et qu'on vous donne un accessit. Un sept en lieu et place d'un quinze, la vie est ainsi faite? Bernard Dadié est entré dans l'histoire par la grande porte. Cette histoire qu'il l'ait faite peu ou proue...
Le nom Dadié n'est pas rien en cette terre d'Ebumie et pour cause. Nous l'avons déjà dit plus haut à propos du Syndicat agricole africain. Le père de Bernard en était un des fondateurs. Pour connaître Bernard, il faut nécessairement passer par Gabriel qui est aussi le père d'Hortense, Félix, Christophe.
Alors, disons un seul mot du père pour connaître le fils.
Gabriel Dadié, le père de Bernard est né le 14 mai 1891. Il mourut le 16 mai 1953. Entre ces deux dates, que d'intenses activités menées tambour battant par Gabriel Dadié.
Tour à tour, il sera postier, citoyen français, tirailleur et enfin exploitant forestier à Agboville. Un seul homme pour ce véritable manuel de l'histoire de la Côte d'Ivoire.
Ouézzin Coulibaly disait de lui en 1956, lors de l'inauguration d'une avenue portant son nom que "la vie est comme un chapelet dont chaque grain est une étape de notre évolution".
Ouézzin coulibaly avait peut-être raison, mais Gabriel Dadié pouvait-il disparaître de la scène politique ? Bernard, le fiston, celui qui faisait office de confident et en même temps l'ami politique était à ses côtés. Malade, il attendait la sortie de prison de Bernard pour la 2e fois pour rejoindre ses ancêtres. Quel homme? Ecoutons Bernard parler de Gabriel.
Le fils de Gabriel
"Il est difficile pour un fils qui a été aussi le compagnon politique de son père de porter un témoignage objectif sur la vie de son père. Je garde, personnellement, de mon père l'image d'un homme juste, généreux, mais avec lui-même et surtout avec ceux qu'il aimait ou estimait".
C'est de ce Bernard B. Dadié que nous avons décidé de parler : élevé dans la pure tradition de l'éducation appolonienne, fanti et agni.
Bernard Binlin Dadié est l'un des premiers intellectuels de notre pays, pour ne pas dire le premier. Né à Assinie en 1916.
Comme tous les jeunes de sa génération, Dadié fera ses études à l'Ecole normale supérieure de Dakar d'où il sortira diplômé dans la section Administration. Il sert alors dans la capitale de l'Aof à la direction générale de l'Enseignement à la Bibliothèque-archive de Dakar. En même temps, il mène une activité de journaliste et d'écrivain.
De retour en Côte d'Ivoire, sur insistance du père protecteur en 1947, il mène de front autant d'activités d'homme de lettres que d'homme politique qu'il était effectivement. La politique et la lutte politique n'étaient pas inconnues de Bernard à cause de Gabriel.
Il s'occupera activement de la presse au comité directeur du Pdci-Rda.
Laissons ici Dadié homme politique pour nous intéresser avant tout au Dadié écrivain.
A Dakar, il avait écrit à 17 ans en 1933, La ville, une saynète qui fut jouée par les élèves de l'Ecole supérieure de Bingerville, lors de la première fête de l'enfance.
En 1936, Il produit "Assémian Dehylé", chronique Agni qui connaîtra à l'exposition coloniale internationale de 1937, les honneurs du théâtre des Champs- Elysées à Paris. C'est une entrée fracassante dans le monde des lettres. Bernard Dadié commence par la place d'honneur qu'il ne quittera plus jamais. D'autres oeuvres suivront que nous n'avons pas le talent et le temps de présenter ici. Ce n'est pas notre objectif.
Bernard Dadié, père de neuf enfants est un homme comme vous et moi, du moins tel que nous le percevons à travers ses écrits, sa sensibilité d'homme de la terre qu'il était. Le vrai Appolonien en somme : simple; lucide, toujours droit et honnête. Préférant mourir de douleur que de s'ouvrir à un inconnu. C'est ainsi que le présentent ses amis.
Mais peut-on parler de Dadié sans parler du Rda ? Des événements du 6 février 1949 ? De ses deux arrestations ?
Laissons Dadié lui-même nous parler de ce qu'il fut, lors de son premier procès en mars 1950.
"Dans ce procès, nous disons nettement que nous sommes ici devant vous des détenus politiques, titre qu'on nous a toujours refusé, mais qui s'est aussi toujours imposé de lui-même... Pourquoi nous traite-t-on de la sorte ? C'est parce que nous sommes Rda...
Oui Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, les contes de Perault nous enchantent, mais les ruses du lièvre et de l'araignée nous enthousiasment. C'est pourquoi, nous voulons venir à l'Union française avec fond propre. Nous entendons après avoir parlé de Vercingetorix, parler de tous nos Amadou Bamba, qui se sont fait sauter dans leurs citadelles assiégées.
"Et Bernard Dadié de poursuivre encore devant la Cour" : en 1840, l'abbé de Lamenais, pour avoir épousé la cause du peuple, pour avoir écrit : "peuple paria, réclames-tu quelque soulagement à ton sort, on te sabre, on te fusille et tu tombes sous le gourdin des assommeurs payés et patentés, cet abbé, est traité de communiste et condamné".
Dadié : Poète et homme politique
C'est ce Dadié que l'on a sacrifié sur le sort de la réussite du Rda, pour avoir exprimé en son temps ce qui semblait être la vérité. Le repli tactique, le désapparentement d'avec le communisme préparé de main de maître avec la complicité de Saller n'était autre chose qu'une trahison. Dadié a fait front et il est resté le même.
Etait-il d'accord pour sortir de prison sur l'orientation du parti ? Personne ne le saura jamais. Dadié, l'ami de ceux qui ne partageaient pas l'initiative du désapparentement, les d'Arboussier, Doudou Gueye et bien d'autres encore, Dadié ne parlera pas : "Je ne dirai pas un seul mot". Ce Dadié paiera pour son amitié, mais il ne bronchera pas.
Bernard Dadié à New York, tous ses amis seront arrêtés en 1963. Il y échappera parce que connu comme homme de lettres à l'extérieur. On comprend alors la traversée du désert qui sera la sienne très longtemps.
En 1977, Bernard Dadié sera nommé ministre de la Culture, mais il faut se rappeler que d'Arboussier venait de mourir un an plutôt.
Il sera viré du gouvernement sans aucune forme de procès et remplacé par Hortense, sa soeur. Où a-t-on vu cela ? La politique est-ce une affaire de compensation ? "Si ce n'est toi, c'est donc ton frère", belle récompense pour un homme qui a tant fait pour le Rda dont il fut le principal journaliste aux côtés et avec Ouézzin Coulibaly.
Où est aujourd'hui, Bernard Dadié. Peut-être est-il en train de croupir sous le poids de ses souvenirs dans un bureau quelconque ? La revanche sur la destinée, il l'aura. Vivement, qu'il nous raconte cela dans ses mémoires.
Jacques Prejean
(In Nouvel Horizon n°73 du 7 janvier 1992)"
Je ne doute pas que cet hommage sera fait sans doute au triple plan.
- D'abord, de l'homme Dadié, compagnon de tous les grands lutteurs de notre combat héroïque d'émancipation pour notre souveraineté nationale ;
- On rendra sûrement, hommage à l'homme de lettres qu'il est et qu'il demeure éternellement au même titre que les Senghor, Franck Fanon et Aimé Césaire et que sais-je encore ?
- Ensuite et naturellement, pour finir un clin d'œil sera fait au baroudeur Dadié, l'homme qui n'est à l'aise que dans le combat comme aujourd'hui avec le Cnrd et hier avec le Rda, tout cela pour notre fierté nous qui avons épousé son ardeur d'antan.
Il y a 18 ans, j'avais essayé modestement de rendre le même hommage à Dadié à travers la petite chronique que j'animais dans le Nouvel Horizon "Les sacrifié de l'houphouétisme". C'était en janvier 1992.
Comme les écrits restent toujours et que ce sont les paroles qui s'en volent, je vais vous proposer à nouveau cet article pour participer à ma façon à cet hommage à Bernard, "mon ami".
Avant cet article que vous allez lire une fois de plus, je vais vous raconter une anecdote qui a fait qu'il est devenu mon ami. J'avais écrit un article sur d'Arboussier. Tout le monde se souvient certainement de ce pan de notre histoire émancipatrice.
Gabriel d'Arboussier fut dès le début du Rda un compagnon fidèle de Félix Houphouët-Boigny et surtout son éminence grise. Il deviendra par la suite, consécutivement au désapparentement d'avec le Parti communiste français, le souffre-douleur le plus haï du "Guide éclairé".
D'Arboussier était ami à Bernard Dadié. Les deux hommes s'appréciaient mutuellement. Ceci peut, peut-être expliquer cela.
A la sortie de mon article, Bernard Dadié téléphona au journal pour féliciter l'auteur qu'il ne connaissait pas mais portait un nom français. Il était admiratif et en même temps sceptique. Après avoir discuté avec Raphaël Lakpé au téléphone, Rédacteur en Chef, celui-ci me dit d'aller le rencontrer. Il était content de la rencontre et surtout de l'article. Quand je lui apprends que j'en étais l'auteur, Dadié était tout joyeux comme un gosse. C'est ça Bernard Dadié, le nationaliste, au sens noble de ce terme.
"La vie est faite d'injustice ou de chance. Qu'on s'entende bien. Nous ne voulons, dans cet article, faire le procès de personne. Nous voulons tout simplement restituer les faits tels qu'ils nous ont été légués par l'histoire. Et lorsqu'on sait que l'histoire est impitoyable, on comprend alors qu'il y a forcément des écorchures, il n'y a pas de demi-mesure.
Les hommes naissent tous bons, comme dit aussi l'adage, c'est la société qui les rend mauvais, par rapport à elle-même d'abord et ensuite dans ses nombreuses exigences. Et lorsque vous avez été précurseur à quelque niveau, alors vous êtes tout bon pour l'oubli et l'indifférence pour le plus petit au plus grand commun des mortels.
Tel pourrait être le cas de Bernard Binlin Dadié, le fils de l'autre Dadié, le grand celui-là par l'histoire et dans l'histoire.
Son ombre trône toujours sur nos têtes tout simplement, rien qu'en se remémorant les débuts politiques de ceux qui nous gouvernent. Surtout, il faut le souligner, en pensant au Syndicat agricole africain, (Saa). Mais cela suffit-il pour soutenir que le fils de l'autre, c'est-à-dire du grand Gabriel Dadié a été sacrifié ? Sûrement pas. Il y a plus que cela.
Mais pourquoi alors ? Diront sans doute les aveugles de l'histoire, les saints Thomas, ceux qui ne croient que lorsqu'ils ont vu.
Et puis, Dadié a été ministre, sa soeur aussi, alors... Pourquoi serait-il sacrifié ?
"Ah ces journalistes, on ne les comprendra jamais, ils écrivent n'importe quoi". Pas si vite.
A tous ces "aigrefins" de la politique, pour qui tout commence par "se servir soi-même d'abord et tout finit par se servir encore et davantage", il faut peut-être rappeler un certain nombre de faits. Il n'est donc pas besoin d'être clerc pour savoir cela.
L'honneur de la patrie vaut mieux qu'un bol d'arachides qu'on a à charge de griller. Il est clair que Dadié, l'homme Dadié Bernard est loin d'être de ceux-là.
Pour notre part, nous qui ne le connaissons qu'à travers ses écrits et les faits de l'histoire, Bernard Binlin Dadié est bel et bien un sacrifié de l'houphouétisme. Et nous allons le démontrer.
Il faut relever à toutes fins utiles que chaque homme, en venant au monde, ne saurait savoir d'avance le rôle que lui assigne le destin. Telle une feuille sur l'eau, elle glisse vers une destination sans fin. Ainsi pensaient les Maya, peuple d'Amérique-centrale.
Ils avaient atteint un haut degré de civilisation à l'époque précolombienne, dont tout le monde se souvient. Aussi pour s'immortaliser, ce peuple entreprit-il de construire les monuments que l'on sait. Belle image n'est-ce pas ? De là, soutenir que l'homme n'est pas maître de son destin, il n'y a qu'un pas que nous ne saurions franchir.
Dadié, le Sphinx
C'est heureux qu'il n'en soit pas ainsi. Pour notre part, stoïcien par nature, nous croyons comme Alfred de Vigny dans "la mort du loup" que "gémir, pleurer c'est également lâche".
Et ce n'est pas Bernard Dadié qui nous contredira. Lui qui garde jalousement par dévers lui tout ce qu'il a vécu et emmagasiné, de sa vie de militant.
Son silence ne peut s'expliquer que par un seul fait. Il en sait trop au point qu'il pourrait gêner plus d'un.
Rien ne saurait l'émouvoir. Placide il est, Placide il restera. Ce n'est pas de ce Bernard B. Dadié que nous voulons parler, c'est-à-dire le poète, l'homme de lettres, au même titre que Senghor, Franck Fanon et Césaire. Ce Dadié, ne nous intéresse pas ici. On verra plus tard.
C'est plutôt le Dadié ayant rencontré l'histoire dans son berceau.
Tel Cendrillon, une fée l'a pris sous son aile protectrice. Et comment pourrait-il en être autrement lorsqu'on est le fils de Gabriel Dadié ?
Depuis que je m'intéresse à la vie des principaux acteurs de l'histoire de notre pays au cours de ces quarante dernières années, la vie d'un homme ne m'a pas autant fasciné qu'intrigué à l’image de celle de Bernard B. Dadié.
Non pas que l'homme était multidimensionnel comme on pourrait le croire, car Bernard Dadié est poète et politique. Mais c'est surtout le sens de l'histoire qu'il a et cela se voit à travers ses oeuvres romancées. Et c'est ici que se trouve la difficulté. Comment faire pour appréhender l'homme Bernard Dadié ?
Tout d'abord, l'admiration du poète pour le courage et l'audace étouffés par l'homme politique que fut Dadié. Les années de braise qui furent les siennes nous pèsent et nous inquiètent, si on pense à rebours.
Cela ne peut susciter que questions sur questions. Bernard Dadié qui est-il exactement ? Que fait -il? Et que veut-il? Qu'a-t-il fait de sa vie ? Pourquoi ne répond-il pas? Pourquoi est-il aux abonnés absents ?
Allume-t-on une lampe pour la cacher sous le boisseau ? Tout cela nous semble bizarre. Ne connaissant pas l'homme, il faut tâcher, coller à la réalité et surtout demeurer objectif. En aurais-je le courage?
La subjectivité, nous guette hélas. Il faut faire front. Nous avons une seule raison d'être objectif car à la base de toute objectivité, il y a une part de subjectivité. Nous sommes donc à l'aise pour dire : Bernard Dadié, le damné. Peu importe cependant, une opinion fut-elle personnelle, ne vaut ce qu'elle vaut. La mienne est toute faite. Dadié mérite mieux que ce qu'il est aujourd'hui. Pourquoi ne serait-il pas un sacrifié de l'houphouétisme ?
Quand vous méritez le prix d'excellence et qu'on vous donne un accessit. Un sept en lieu et place d'un quinze, la vie est ainsi faite? Bernard Dadié est entré dans l'histoire par la grande porte. Cette histoire qu'il l'ait faite peu ou proue...
Le nom Dadié n'est pas rien en cette terre d'Ebumie et pour cause. Nous l'avons déjà dit plus haut à propos du Syndicat agricole africain. Le père de Bernard en était un des fondateurs. Pour connaître Bernard, il faut nécessairement passer par Gabriel qui est aussi le père d'Hortense, Félix, Christophe.
Alors, disons un seul mot du père pour connaître le fils.
Gabriel Dadié, le père de Bernard est né le 14 mai 1891. Il mourut le 16 mai 1953. Entre ces deux dates, que d'intenses activités menées tambour battant par Gabriel Dadié.
Tour à tour, il sera postier, citoyen français, tirailleur et enfin exploitant forestier à Agboville. Un seul homme pour ce véritable manuel de l'histoire de la Côte d'Ivoire.
Ouézzin Coulibaly disait de lui en 1956, lors de l'inauguration d'une avenue portant son nom que "la vie est comme un chapelet dont chaque grain est une étape de notre évolution".
Ouézzin coulibaly avait peut-être raison, mais Gabriel Dadié pouvait-il disparaître de la scène politique ? Bernard, le fiston, celui qui faisait office de confident et en même temps l'ami politique était à ses côtés. Malade, il attendait la sortie de prison de Bernard pour la 2e fois pour rejoindre ses ancêtres. Quel homme? Ecoutons Bernard parler de Gabriel.
Le fils de Gabriel
"Il est difficile pour un fils qui a été aussi le compagnon politique de son père de porter un témoignage objectif sur la vie de son père. Je garde, personnellement, de mon père l'image d'un homme juste, généreux, mais avec lui-même et surtout avec ceux qu'il aimait ou estimait".
C'est de ce Bernard B. Dadié que nous avons décidé de parler : élevé dans la pure tradition de l'éducation appolonienne, fanti et agni.
Bernard Binlin Dadié est l'un des premiers intellectuels de notre pays, pour ne pas dire le premier. Né à Assinie en 1916.
Comme tous les jeunes de sa génération, Dadié fera ses études à l'Ecole normale supérieure de Dakar d'où il sortira diplômé dans la section Administration. Il sert alors dans la capitale de l'Aof à la direction générale de l'Enseignement à la Bibliothèque-archive de Dakar. En même temps, il mène une activité de journaliste et d'écrivain.
De retour en Côte d'Ivoire, sur insistance du père protecteur en 1947, il mène de front autant d'activités d'homme de lettres que d'homme politique qu'il était effectivement. La politique et la lutte politique n'étaient pas inconnues de Bernard à cause de Gabriel.
Il s'occupera activement de la presse au comité directeur du Pdci-Rda.
Laissons ici Dadié homme politique pour nous intéresser avant tout au Dadié écrivain.
A Dakar, il avait écrit à 17 ans en 1933, La ville, une saynète qui fut jouée par les élèves de l'Ecole supérieure de Bingerville, lors de la première fête de l'enfance.
En 1936, Il produit "Assémian Dehylé", chronique Agni qui connaîtra à l'exposition coloniale internationale de 1937, les honneurs du théâtre des Champs- Elysées à Paris. C'est une entrée fracassante dans le monde des lettres. Bernard Dadié commence par la place d'honneur qu'il ne quittera plus jamais. D'autres oeuvres suivront que nous n'avons pas le talent et le temps de présenter ici. Ce n'est pas notre objectif.
Bernard Dadié, père de neuf enfants est un homme comme vous et moi, du moins tel que nous le percevons à travers ses écrits, sa sensibilité d'homme de la terre qu'il était. Le vrai Appolonien en somme : simple; lucide, toujours droit et honnête. Préférant mourir de douleur que de s'ouvrir à un inconnu. C'est ainsi que le présentent ses amis.
Mais peut-on parler de Dadié sans parler du Rda ? Des événements du 6 février 1949 ? De ses deux arrestations ?
Laissons Dadié lui-même nous parler de ce qu'il fut, lors de son premier procès en mars 1950.
"Dans ce procès, nous disons nettement que nous sommes ici devant vous des détenus politiques, titre qu'on nous a toujours refusé, mais qui s'est aussi toujours imposé de lui-même... Pourquoi nous traite-t-on de la sorte ? C'est parce que nous sommes Rda...
Oui Monsieur le Président, Messieurs de la Cour, les contes de Perault nous enchantent, mais les ruses du lièvre et de l'araignée nous enthousiasment. C'est pourquoi, nous voulons venir à l'Union française avec fond propre. Nous entendons après avoir parlé de Vercingetorix, parler de tous nos Amadou Bamba, qui se sont fait sauter dans leurs citadelles assiégées.
"Et Bernard Dadié de poursuivre encore devant la Cour" : en 1840, l'abbé de Lamenais, pour avoir épousé la cause du peuple, pour avoir écrit : "peuple paria, réclames-tu quelque soulagement à ton sort, on te sabre, on te fusille et tu tombes sous le gourdin des assommeurs payés et patentés, cet abbé, est traité de communiste et condamné".
Dadié : Poète et homme politique
C'est ce Dadié que l'on a sacrifié sur le sort de la réussite du Rda, pour avoir exprimé en son temps ce qui semblait être la vérité. Le repli tactique, le désapparentement d'avec le communisme préparé de main de maître avec la complicité de Saller n'était autre chose qu'une trahison. Dadié a fait front et il est resté le même.
Etait-il d'accord pour sortir de prison sur l'orientation du parti ? Personne ne le saura jamais. Dadié, l'ami de ceux qui ne partageaient pas l'initiative du désapparentement, les d'Arboussier, Doudou Gueye et bien d'autres encore, Dadié ne parlera pas : "Je ne dirai pas un seul mot". Ce Dadié paiera pour son amitié, mais il ne bronchera pas.
Bernard Dadié à New York, tous ses amis seront arrêtés en 1963. Il y échappera parce que connu comme homme de lettres à l'extérieur. On comprend alors la traversée du désert qui sera la sienne très longtemps.
En 1977, Bernard Dadié sera nommé ministre de la Culture, mais il faut se rappeler que d'Arboussier venait de mourir un an plutôt.
Il sera viré du gouvernement sans aucune forme de procès et remplacé par Hortense, sa soeur. Où a-t-on vu cela ? La politique est-ce une affaire de compensation ? "Si ce n'est toi, c'est donc ton frère", belle récompense pour un homme qui a tant fait pour le Rda dont il fut le principal journaliste aux côtés et avec Ouézzin Coulibaly.
Où est aujourd'hui, Bernard Dadié. Peut-être est-il en train de croupir sous le poids de ses souvenirs dans un bureau quelconque ? La revanche sur la destinée, il l'aura. Vivement, qu'il nous raconte cela dans ses mémoires.
Jacques Prejean
(In Nouvel Horizon n°73 du 7 janvier 1992)"