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Faits Divers Publié le samedi 4 septembre 2010 | Nord-Sud

Gagnoa : Une confrérie de sorciers démasquée

La sorcellerie, une pratique qui, autrefois, ne se faisait qu’au village, a de nos jours été délocalisée en zone urbaine. Dans certaines grandes villes, il n’est pas rare de parler de sorcellerie, comme c’est le cas à Gagnoa où un groupe de mangeurs d’âmes a été mis hors d’état de nuire, par un masque Dan, venu directement des 18 montagnes, sur recommandation de Bonga Edouard. Ce conseiller pédagogique ne comprend pas l’origine du mal pernicieux dont il souffre depuis quelque temps. Pour en avoir le cœur net, il fait venir un masque du village. « Je suis féticheur et l’une de mes spécialités est de démasquer les sorciers. C’est sur invitation de la famille Bonga que je suis à Gagnoa », a dit le détenteur du masque qui, à l’état civil, répond au nom de Dapleu Félix. Il dépose ses valises au quartier Bougoudougou de la ville où vit la famille Bonga. Dans ce quartier, situé à la sortie de la ville, en allant vers Soubré, la population dominante est Yacouba une ethnie du nord ouest de la Côte d’ivoire. Faites un tour à la tombée de la nuit au carrefour « Sans loi » de ce quartier et vous vous croirez à Man ou encore à Danané. Est-ce le rapprochement entre les membres d’une même communauté linguistique qui a donné l’idée à certains d’entre eux de pratiquer la sorcellerie ? Une chose est certaine, les jeunes de ce quartier en ont fait les frais. En l’espace de quelques mois, 3 d’entre eux sont morts successivement. La dernière victime de ces sorciers, tapis dans l’ombre, se nomme M.C. Il rentrait au quartier à une certaine heure de la nuit lorsqu’un groupe d’individus non identifiés tire sur lui à bout portant et disparaît sans laisser de traces. Tout le monde dans le quartier avait cru à une agression. Il a fallu que le masque débarque expressément pour qu’on comprenne mieux les circonstances de ce meurtre. Dapleu Félix a de l’expérience dans le métier de féticheur. « J’ai 29 ans de service. Mes pouvoirs, je les ai hérités de mon père auxquels s’ajoute un don personnel. J’ai été invité dans plusieurs villes du pays pour traquer les sorciers », dit le féticheur. Il les affronte et les démystifie. Dans le diagnostic posé quant à la maladie de Bonga Edouard, il ressort que c’est sa propre sœur qui lui en veut. Démasquée, elle est mise en quarantaine et on lui a rasé le crâne. « Je reconnais que je suis sorcière. Actuellement, nous avons attaché mon petit frère Bonga Edouard dans la brousse, mais on est prêts à le libérer », confesse la sœur qui refuse de dénoncer ses complices. Bonga Josée a 17 ans, elle traîne une grosse plaie au pied pratiquement incurable. Elle fait partie des prisonniers du féticheur. Elle explique l’origine de sa plaie. « On m’a dit de livrer mon père et j’ai refusé l’offre. En lieu et place, je leur ai offert mon pied. C’est à Gogbeu Madeleine que j’ai livré mon pied. Ce qui se traduit dans ce monde-ci par cette blessure », a expliqué la sorcière mineure. A côté d’elle, sa cousine, Yaké Victorine. Elle aussi est maintenue dans les liens du féticheur pour les mêmes raisons. Elle a accepté de raconter leur initiation. « Notre grand-mère avait un canari qu’elle adorait. A sa mort, elle nous l’a laissé en héritage. Elle avait pris un crédit d’homme qu’elle n’avait pas encore remboursé lorsqu’elle est morte. Régulièrement ses créanciers viennent m’encaisser. J’ai dit que je ne pouvais pas payer parce que je n’étais pas témoin lors du prêt. Sincèrement, je ne pouvais pas donner mon oncle Edouard », a dit la jeune chaman dans un français limpide. Heureusement que le féticheur est intervenu à temps pour la débusquer. Sinon rien ne garantissait les propos de Victorine. « Je demande pardon à la femme de mon oncle pour avoir détruit son commerce. Aujourd’hui, je me sens libérée », reconnaît- elle. Citée par la petite Josée, Gogbeu Madeleine ne semble nullement ébranlée par cette dénonciation. « Je ne suis pas sorcière et Josée m’accuse à tort. Sachez que je suis jumelle. En tant que telle, je pratique la sorcellerie des jumeaux. Chez nous, on ne mange pas de chair humaine », riposte-t-elle. Sur-le-champ, s’engage une vive discussion entre Madeleine et Josée. La jumelle n’arrive pas à expliquer ce qu’elle entend par la sorcellerie des jumeaux. Le féticheur ne va pas tarder à la confondre en apportant certaines preuves de sa culpabilité. De la graisse humaine dont elle se frotte tout le corps avant d’entreprendre le voyage dans le monde des invisibles. Elle et toute sa clique font partie d’un puissant réseau de sorciers qui font la pluie et le beau temps sous le Fromager. Ils disposent de leur victime comme bon leur semble. Un membre influent de ce groupe est Méba Alphonse, le père de M.C dont nous parlions tantôt. Méba, croyant ses pouvoirs de sorcier supérieurs à ceux du féticheur, va le tenter. Il arrive chez le féticheur et demande une consultation pour savoir l’auteur de la mort de son fils M.C. « Je lui ai signifié que c’est lui l’auteur et personne d’autre. Comme il niait les faits, je l’ai soumis à un test de désignation de sorcier. Ce test s’est avéré positif », a indiqué le féticheur. Tout couvert de honte, le bonimenteur se met à table. « J’ai tué mon fils sans motif, disons par plaisir. Je l’ai transformé en canard avant de l’exécuter », a confessé le père tueur. Cet aveu est perçu dans le quartier comme un soulagement, surtout du côté de la jeunesse.

Alain Kpapo à Gagnoa
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