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Art et Culture Publié le mardi 7 septembre 2010 | Le Nouveau Courrier

La fin de l’innocence

Ces derniers jours, j’ai relu «Divagations», roman publié par Bédi Holy durant la décennie dernière et que j’ai dans ma bibliothèque depuis sept ans. «Divagations» s’inspire des grandes batailles politiques et syndicales qui ont marqué le début des années 1990. L’auteur les raconte à travers son personnage central – le prince-érudit Oko Ménéda revenu de son exil occidental, qui fait face aux persécutions du régime et est entraîné par son neveu dans le combat contre les excès du Père de la nation. Un Oko Ménéda finalement tué par les séides du régime, mais qui sera ressuscité dans le secret, par des forces telluriques d’une Afrique profonde échappant à l’emprise totalitaire.
L’épilogue de «Divagations» est plein d’espoir, et préfigure d’un avenir radieux pour la République (imaginaire) de Logadou, avec une relève assurée – Oko Ménéda et son fils, en exil temporaire, mais qui reviendront. Pourtant, quand on lit ce livre avec nos yeux de 2010, l’on ne peut s’empêcher d’avoir un goût d’amertume à la bouche. Voire de nourrir sa besace d’ivoiropessimisme.
Dans «Divagations», il y a une omniprésence de la figure romantique, à côté de celle du «tyran éternel» (selon l’expression du romancier Patrick Grainville) et de ses courtisans. Oko Ménéda, l’intellectuel intègre qui refuse l’offre du président de la République – devenir ministre ! – et préfère chercher du travail en dépit des persécutions, est là pour tracer un sillon nouveau. La «Fédé» (terme utilisé pour désigner l’équivalent romancé de la FESCI) est un groupe de jeunes à l’intelligence vive et au sens critique acéré, adepte des débats d’idées. Et capable d’héroïsme. «Nous lutterons contre toutes les adversités, quitte à en perdre la vie (…) Jeunesse orpheline, nous refusons de servir d’agneau de sacrifice aux ambitions cupides de nos devanciers : ils ne le méritent pas !», scande un des étudiants que campe Bédi Holy.
Quelles sont les organisations, les individus, les courants d’idées qui incarnent ce type de figure romantique, près de vingt ans après les événements décrits par l’auteur de «Divagations» ? Violente question ! Au point de vue politique, le Père de la Nation hostile à la démocratie n’est plus. Dans la douleur, une alternance s’est même réalisée. Laurent Gbagbo, longtemps figure romantique et porteur de la « folie » qui seule fait avancer l’Histoire, est président de la République. Mais l’âge d’or n’est pas venu. Chacun a ses raisons pour expliquer le bégaiement de notre Histoire, mais il est là. Implacable.
Dans les faits, ceux qui incarnaient le système et ceux qui le combattaient ont eu l’occasion de gouverner. Ces dix dernières années, ils l’ont même fait à la fois ensemble et les uns contre les autres. La dictature d’un seul chef s’est transformée en tyrannie des politiques, chacun jouant avec (et se jouant souvent de) ses soutiens les plus zélés. Les tendances prédatrices des gouvernants, qu’ils soient d’anciens imprécateurs ou des bébés gâtés de l’oligarchie, se sont renforcées – implicitement appuyées par un peuple nourri à la mamelle du clientélisme.
La «Fédé» dont parle «Divagations» est méconnaissable. Hier, elle se battait pour la qualité des repas dans les restaurants universitaires, aujourd’hui elle intimide et veut fermer les yeux de ceux qui y furètent et racontent ce qu’ils y ont vu : des bâtiments délabrés, une nourriture immangeable. Elle s’est à la fois alliée à l’autorité et aux entreprises qui font leurs marges en dégradant la «pitance» des étudiants. Ses responsables de l’époque sont aujourd’hui dans l’arène politique, où certains sont entrés par la force de la kalach. Et on ne peut pas dire que le souci des générations d’après eux soit déterminant dans leur pratique de leur «métier».
Sur les chantiers sociaux, on n’a pas avancé. La MACA (rebaptisée C.A.C.A) que décrit Bédi Holy n’a pas changé, en dépit du fait que ses pensionnaires d’il y a dix-huit ans sont aujourd’hui aux affaires. Elle demeure un univers de «déshumanisation», où des «adultes violeurs» continuent d’abuser d’adolescents sans défense. Bédi Holy parle de Samuel, arrivé en prison à 13 ans, et qui s’y trouve toujours à 25 ans… sans avoir été jugé. Aujourd’hui, des Samuel pullulent toujours à la MACA. «Et voilà, dans toute sa laideur, la vanité des discours : ceux qui ont le pouvoir ont-ils idée de la réalité des institutions sous leur autorité ? Ceux qui sont administrés se rendent-ils compte de la dichotomie entre les discours et les faits ? Et ceux qui critiquent, connaissent-ils vraiment la densité concrète des tares qu’ils dénoncent ?», s’interroge l’écrivain. Ses questions sont toujours d’actualité.
Voici donc notre imaginaire bien sec, et nos rations de cynisme renouvelées. C’est dans ce contexte que Laurent Gbagbo, numéro un ivoirien, a appelé, lors de sa tournée de l’Agnéby (précisément lors de l’escale de Rubino) à réhabiliter la politique. Vaste chantier ! Qui ne pourra avancer que si les différents bords politiques laissent l’occasion à ceux qui participent au renouvellement de l’intelligence de revisiter l’utopie, comme aux jours où il était totalement fou d’imaginer le multipartisme et la liberté d’expression… et où certains l’imaginaient. Il faut surtout que cette utopie soit force créative, qui s’incarne et s’enracine, et non verbiage d’un instant… qui s’envole, puisque les paroles s’envolent.

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