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Art et Culture Publié le mercredi 6 octobre 2010 | Scrib Mag

Côte d’Ivoire, 50 ans d’art contemporain : Rapports Etat et Arts plastiques, un navire sans gouvernail…

Aux lendemains de la ferveur de l’indépendance acquise s’ouvrait pour la jeune nation ivoirienne et ses dirigeants un immense chantier de construction nationale. Il leur fallait à la fois consolider l’état lui-même, fondre les entités socio-politiques traditionnelles en une même nation, organiser la vie sociale, l’économie, l’éducation, la santé, et surtout promouvoir un renouveau culturel national.
50 ans après, qu’en est-il, à l’aune de l’actualité des arts plastiques, de ce pari titanesque pour l’état ivoirien, devenu par la force des choses maître d’œuvre et mécène dans la valorisation et la promotion de ce pan essentiel de la culture d’un pays?

Les Arts plastiques en Côte d’Ivoire avant l’indépendance
Dans cette partie forestière de l’Afrique occidentale qui deviendra plus tard la Côte d’Ivoire, les arts plastiques sont d’ordre utilitaire, comme dans la quasi-totalité des pays de l’Afrique subsaharienne. La sculpture, d’ordre rituel ou cultuel, est sans doute la forme d’art la plus pratiquée et la plus populaire. Elle est omniprésente dans le quotidien des peuples et se caractérise par une ligne synthétique et une originalité des formes. La sculpture est le support favori du créateur traditionnel pour incarner un génie, un ancêtre fondateur, un masque, une entité bienfaitrice ou protectrice; très souvent sous une forme anthropomorphe ou zoomorphe. Le sculpteur y grave, peint, y adjoint une danse, une poésie... voire même sa science de la pharmacopée. Ainsi végétal, animal et minéral s’intègrent pour des cérémonies d’initiation, de guérison, de rites funéraires, de réjouissance ou liées à la spiritualité.
Spiritualité également présente dans le fondement même de la sculpture ancienne puisque que l’acte créateur est le fruit d’une disparition soudaine de l’artiste dans la brousse, alors en contact avec les génies et les esprits, d’ou il reviendra après une période initiatique plus ou moins longue avec l’œuvre.
Le cadre bâti, quant à lui, offre une diversité de style et de formes géométriques selon l’espace géographique ou la fonction de l’ouvrage, et reste rudimentaire. Ses matériaux constitutifs sont le bois, l’argile, la pierre, le banco et le chaume.
A partir de 1893, lorsque la Côte d’Ivoire devient colonie française, très vite les premières transformations sociales se font jour. A côté des cases poussent des cités urbaines dessinées par des urbanistes français. On s’adapte aux contraintes climatiques avec une technique et des matériaux nouveaux, le béton, l’acier, le verre. La chaleur excessive des tropiques amènent les architectes à concevoir d’abord un style de maison baroque, emprunté aux colons espagnols d’Amérique du Sud.
On applique par la suite le style moderne international insufflé par les architectes, français d’origine suisse Le Corbusier (1887-1965), l’allemand Walter Gropius (1883-1969) et le Bauhaus, et l’américain d’origine allemande Mies Van Der Rohe (1886-1969) : à savoir des formes épurées, des façades en retrait, une combinaison d’unités d’habitations et de rues marchandes.

L’art sculptural transitoire
Autour des années 1920, les artisans sculpteurs de Côte d’Ivoire produisent un genre nouveau de sculptures, figurant des personnages que l’on reconnaît par leur fonction institutionnelle (médecin, infirmier, policier, gendarme, etc.), en bois d’hévéas poncé et peint. Avec une particularité : le sujet représenté a toujours les mains dans les poches. Certainement l’expression chez ces artisans de leur désapprobation de l’attitude des colons, terme qui a d’ailleurs donné son nom à cette forme sculpturale.
Un peu plus tard, en 1936, l’aviateur français Charles Alphonse Combes s’installe à Bingerville, en face du quartier indigène de Gbagba. Là, il crée dans la cour de sa résidence, un atelier et recrute des artisans sculpteurs. Sous sa dictée, ces derniers réaliseront diverses sculptures sur bois massif, dénommées « Les Têtes Combes » qui s’apparentent à des fiches anthropomorphiques des peuples de Côte d’Ivoire.

La naissance de l’art moderne ivoirien
Il faut attendre le début des années 50 pour voir naître un art qui correspond au principe de l’art contemporain. C’est-à-dire un art qui donne la primauté à l’idée de la conception de l’œuvre plutôt qu’à sa matérialité.
Christian Lattier (1925-1978), fils de médecin, ancien étudiant des Beaux-arts de Saint Etienne et de Paris, sculpteur, défraie la chronique abidjanaise par les succès qu’il glane dans la métropole: premier prix des cathédrales de France (1953), premier prix Chenavard de la sculpture avec la panthère (1954), premier prix de la sculpture d’Asnières (1960), médaille d’or de la ville de Taverny (1960).
A l’analyse, ce succès depuis la métropole qui fait la fierté de quelques sujets de Côte d’Ivoire au fait de l’art moderne, est amplement mérité. Christian Lattier élabore ses sculptures tout en volume à mains nues avec un matériau éminemment linéaire, le fil de fer et la corde de sisal. Il bouleverse tous les canons et toutes les techniques conventionnelles que l’art sculptural a connus à ce jour. Un concept qu’il justifie en ces termes « Si j’avais fait du bois, on m’aurait accusé de copier mes ancêtres. Si je m’étais mis à tailler la pierre, on aurait dit que je copiais le blanc. Bref, il fallait que je trouve quelque chose de nouveau ». De ce refus radical de l’imitation naît une œuvre vraiment novatrice. Seul l’intitulé du Grand Prix des Arts Plastiques du premier Festival des Arts Nègres de Dakar qu’il s’adjuge devant les 219 autres postulants venus d’Afrique, d’Amérique et d’Europe, peut nous donner un aperçu de la dimension de son œuvre. Le prix est décerné à l’artiste, qui « a atteint, en prenant racine profondément dans le monde noir, une expression artistique et humaine de niveau élevé quelque soit la technique utilisée ».
Par cet acte créatif, Christian Lattier a prolongé dans la modernité le génie créateur ivoirien. C’est donc à juste titre et sans contestation possible que Lattier est considéré comme le « Père de l’Art Moderne de Côte d’Ivoire ».
C’est dans cette ambiance artistique que survient l’indépendance de la Côte d’Ivoire.

Le temps de tous les espoirs, 1960-1973
Dans le domaine des arts plastiques, la première préoccupation en 1960 est la formation. Ainsi de jeunes ivoiriens partent en formation en France, tels Kodjo Michel envoyé à Nice aux Arts décoratifs, tout comme Dogo Yao, et un peu plus tard Gérard Santoni (1943-2008). Samir Zarour, lui, va à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris. Bien d’autres suivront.
Du point de vue institutionnel, l’Institut National des Arts (INA) est créé par décret n° 71-433 du 10 septembre 1971, sur les bases du centre animé par le français Albert Bothbol, animateur de projet et conseiller technique au Ministère de l’Education Nationale et son épouse. L’INA a pour mission de former les personnels techniques des différentes disciplines artistiques dont les Arts Plastiques.
C’est dans cette institution que sera formée la majeure partie des plasticiens ivoiriens. A l’exception de quelques artistes comme les peintres Ouattara dit “Watt”, Frédéric Bruly-Bouabré (autodictacte), Cyprien Kablan, Grobli Zirignon et la sculptrice Michèle Tadjo.
C’est aussi dans cette école des Beaux-arts qu’est né l’esprit du premier grand regroupement de plasticiens ivoiriens aux prises avec les principes des Beaux-arts et son enseignement des canons académiques, symboles d’une culture importée qu’ils remettent en cause. Les adeptes de ce mouvement revendiquent par la même occasion une esthétique négro-africaine. Si leurs œuvres gardent la structure sur châssis de la peinture de chevalet, le support habituel, lui, la toile de lin fait place au tapa (écorce de bois battu), à la toile de jute, au collage avec l’intégration de matériau locaux comme les cauris, le rotin, le sable. Les colorants acryliques et huiles font place chez les plus réfractaires à l’utilisation de matériaux industriels comme chez Youssouf Bath à une certaine époque. Le sujet qui se traitait à partir des compositions d’atelier cède la place à une imagerie surréelle de mangeurs d’âmes, de Komian, quand il ne donne pas dans l’abstrait.
L’existence de ce mouvement a révélé les deux tendances majeures de ce qu’il convient d’appeler l’Ecole d’Abidjan. L’une figurative, inspiré du principe du savoir-faire que se veulent les Beaux-arts. A savoir une peinture achevée et bien définie. Dans ce registre, on peut citer Samir Zarour, James Houra, Moné Bou, Michel Kodjo, Stenka, Mensah, les sculpteurs Donkor, Ayébi Kouao, Cyprien Kablan. Et l’autre tendance plus ou moins abstraite refuse, elle, de représenter le beau immédiat et veut se libérer de toute allégeance à l’académisme : cette tendance est portée par Koudougnon, Kra N’guessan, Yacouba Touré(1955-2002), Dosso Sékou, Ibrahim Kéita, et presque toute la génération post-vohou, Mathilde Moro, Essoh N’guessan, Tiébéna, Alain Dagry et des sculpteurs comme Jems Kokobi, Sossa, etc. Des particularités comme Gérard Santoni, Grobli Zirignon alternent figuration et non figuration et abstraction symbolique.
La Côte d’Ivoire moderne en marche avait touché le domaine de la peinture et de la sculpture mais pas l’architecture. Certainement pour des raisons de temps de formation plus long et plus pointu, le premier groupe d’architectes se manifeste seulement autour des années 80. L’architecte ivoirien Francis Sossa nous éclaire sur cette époque du miracle ivoirien : globalement, la notion d’architecture est une notion d’espace et de temps. L’ayant compris, le président Houphouët avait une vision à long terme de l’urbanisation en Côte d’Ivoire. Une unité de planification comme la Société de Terrains urbains (SETU) a été créée, et le plan directeur de la ville d’Abidjan en ferait la plus belle capitale moderne francophone, avec sa Riviera africaine. La ville de Yamoussoukro, par exemple, avait déjà ses grandes voies tracées. On la prenait déjà pour Brasilia. Le pays était doté de grandes infrastructures de voiries, d’électricité et d’autoroutes. Et chaque année, des fêtes tournantes de l’indépendance étaient organisées dans une ville différente pour contribuer au développement des infrastructures.
Cette croissance économique fulgurante de la Côte d’Ivoire a des symboles; la caisse de stabilisation et du soutien des prix du café cacao, ou la pyramide. Le bâtiment de 116 mètres qui abrite la Caistab n’est pas seulement l’icône des fondations du pays, mais aussi un lieu symbole où pour une des rares fois, la loi du 1% a fonctionné. Cette loi édicte que 1% du budget de construction d’un édifice financé par l’Etat ou recevant du public doit être consacré à son embellissement. C’est ainsi que le grand public peut y admirer aujourd’hui une des rares pièces du sculpteur ivoirien Delattre, très tôt disparu. Y voir des pièces de Lattier, Dogo Yao, Sarrazin, Samir Zarour. Cette loi fonctionnera aussi pour la cité financière (1977) et plus tard pour la cathédrale St Paul du Plateau (1985) pour l’acquisition des sculptures en acier et de l’Offrande de la franco-vietnamienne Monique Le Houeleur.
Au fait de sa prospérité, Abidjan se devait d’avoir un bâtiment phare. Ce sera la pyramide (1973), conçue dans la pure forme brutaliste par l’architecte brésilien Oliveira.

Et puis vient la crise de 1973…
Des problèmes conjoncturels consécutifs à la première crise pétrolière mondiale de 1973 mettent fin à cette ascension. Des schémas d’ajustement structurel sont mis en place par la Banque Mondiale et le FMI… Finies donc la vision futuriste et l’ère de l’Etat-providence.
Du coté des arts plastiques, la plupart des jeunes partis en formation en France rentrent expressément au pays, dans le cadre de « l’ivoirisation des cadres », pour suppléer les enseignants expatriés. C’est d’ailleurs une des particularités des artistes ivoiriens : la plupart d’entre eux exercent simultanément comme enseignants aux Beaux-arts et comme plasticiens.
Malgré cette crise qui perdure, l’Etat, dans un ultime sursaut, finance la première et deuxième édition du Festival International d’Abidjan en 1973 et 1974. Et les artistes plasticiens ivoiriens ne cessent d’être invités dans de prestigieux rassemblements culturels dans le monde tels la biennale de São Paulo au Brésil en 1975, ou le Festac de Lagos en 1977.

La longue traversée du désert, la décennie 1980-1990
Durant cette décennie, la crise perdure toujours et s’accentue. La situation sociale se dégrade avec les vagues de licenciement dans les entreprises. C’est bien connu, en situation de crise, il vaut mieux acheter un sac de riz plutôt qu’un tableau. Seul le groupe Vohou Vohou qui a fait école règne en maître absolu. Si les artistes de ce mouvement exposent souvent à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, c’est bien grâce à des structures de coopération internationale comme la coopération française et son Centre Culturel qui devient, de ce fait, un appui essentiel à l’activité plastique.
Il a fallu attendre l’année 1988 pour voir une réaction des pouvoir publics. Un concours est lancé pour l’aménagement du carrefour de l’aéroport à Port-Bouët. La spécificité de cette commande est son ambition avouée d’associer l’art à la politique d’aménagement urbain. Ce projet exécuté par le sculpteur Koffi Donkor a donné un coup de fouet à la commande publique qui va s’amplifier avec des structures décentralisées comme le district d’Abidjan et les communes, surtout celle de la capitale économique, Abidjan.

Une éclaircie dans le monde des arts plastiques, 1990-2000
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est au cours de cette décennie qui débute avec la conférence de la Baule instituant le multipartisme avec ses vagues de contestations sociales, que les arts plastiques connaissent un regain de dynamisme en Côte d’Ivoire.
D’abord avec la participation historique de trois artistes ivoiriens, Dia Tamsir, Gérard Santoni et Ouattara “Watt” à la prestigieuse Biennale de Venise en 93. Dans la même année se tient l’unique édition de la Biennale Internationale de l’art contemporain d’Abidjan, dénommée les Grapholies. L’essentiel du budget de cette rencontre mondiale de l’art est à mettre à l’actif de la coopération internationale, par le biais de l’Agence de Coopération Culturelle et Technique (ACCT). Cette biennale dont le grand prix a été remporté par l’ivoirien Dia Tamsir, aura eu le mérite d’apporter une dynamique hors du commun dans le milieu des arts plastiques.
Les artistes se regroupent alors pour agir. Ainsi les identités nouvelles qui se créent à la
périphérie d’une ville comme Abidjan avec leur habitat déstructuré, leur langage et leur patchwork de couleurs intéressent des jeunes peintres comme Anapa et Issa Kouyaté et bien d’autres comme Muriel Diallo, Alain Kakou. Ils se revendiquent peintres de l’urbanité. Une idée qu’ils matérialisent par une exposition en 1994 sur l’esplanade de l’hôtel de ville d’Abidjan.
Se met ensuite en place un groupe multidisciplinaire comprenant les peintres Yakouba Touré (1955-2002), Mathilde Moro, N’guessan Esso, Tiébéna, Issa Kouyaté (1963-2001), le graveur Badouet, les sculpteurs Jems Kokobi, Ayébi Kouao, le photographe Ananias Dago, le designer Gnamien Vincent. Ils se regroupent dans un mouvement dénommé le Daro Daro. Si les Vohou en leur temps ont engagé une réflexion sur l’envahissement du champ artistique par la réalité de la colonisation, le Daro Daro, lui, s’attache à une relecture globale du rôle de l’artiste dans notre société moderne.
Quant aux artistes de Trace qui naît dans la foulée de Daro, ayant remarqué la faiblesse de leur démarche individuelle, ils en appellent à la solidarité entre artistes pour exposer. A la suite de Trace, Yakomin, un groupe de jeunes artistes que sont les Jacobleu, Wanoumi, Mohamed Diabaté se signalent avec une exposition en 98 à l’hôtel Ivoire d’Abidjan.
La particularité de ces mouvements et regroupements d’artistes est qu’ils s’autofinancent, c’est le cas de Daro Daro et Sankofa, ou qu’ils sont subventionnés ou sponsorisés, tels Trace avec l’Union Européenne, et Yakomin avec l’opérateur économique Gandhour.
A côté de ce foisonnement de l’art, disons classique, l’Art naïf, impulsé en Côte d’Ivoire autour de 1967 par des peintres comme Adingra Ellinghan, Amos et son concept de la” peinture facile”, des peintres d’enseignes tels BP Yao, BP Konan, l’Art naïf est donc relancé par d’anciens élèves du centre Bieth d’Abengourou que sont Idrissa Diarra, Augustin Kassi. Augustin Kassi s’affirme comme chef de fil de cette tendance en Côte d’Ivoire, important foyer de cet art dans le monde.
Au cours de cette même décennie, on assiste à une ascension du design ivoirien qui s’impose sur la scène africaine par la main mise sur le prix de la créativité mis en jeu par l’Union Européenne, dans le cadre de la biennale de Dakar. Ainsi Vincent Niamien en 96, Issa Diabaté en 98, et Valérie Oka en 2000 s’adjugent année après année le premier prix du salon du design.
Dans un contexte à la limite de l’informel, des passionnées d’art comme Simone Guirandou ouvre une galerie à Abidjan, à la suite des Maine Durieux qui iront jusqu’à ouvrir une galerie spécialisée dans la vente de l’art de Côte d’Ivoire à Paris. Tout comme Géneviève Olloh qui cinq ans plutôt s’était lancée dans la promotion du Vohou Vohou à travers la galerie GO. Pour revenir à Simone Guirandou, c’est elle qui, à un moment où la photographie n’était même pas considérée comme un art, exposera en 1990 le photographe ivoirien Doris Aron Kasco. Dans un concept encore plus audacieux, l’exposition intitulée la Femme Masquée présentait tout de la femme, sauf le visage.
Comme par enchantement, à la suite de cette exposition, se révèle au grand jour une kyrielle de photographes ivoiriens dont quatre sont sélectionnés au Dak’art, la biennale panafricaine de Senégal. Il s’agit d’Ananias Dago, Mathilde Dissé, Hien Macliné, Edith Taho.
Autre passionnée d’art, Marie-José Hourantier qui est la plus constante promotrice de l’art ivoirien. Depuis le Carrefour du Vohou à Arkadi, l’initiatrice du Bin Kadi est de tous les combats pour la promotion et la valorisation de l’art en Côte d’Ivoire.
Comme pour clore cette exceptionnelle embellie qui a vu naître un musée d’art contemporain (1993) à l’initiative de la mairie de Cocody, et la construction d’un palais pour la culture (1999) à Treichville, un coup d’état vient plonger dans le désarroi total l’activité artistique de toute une décennie.

2000-2010, la fin de l’utopie et le début du rêve ivoirien?
Après le coup d’état de décembre 1999, la junte au pouvoir n’a qu’une seule rengaine: « les caisses de l’Etat sont vides ».
Comme dopé par ce refrain qui ne change d’ailleurs pas grand-chose au sort de l’art depuis la fin de l’Etat providence dans les années 80, Ananias Dago, initiateur des Rencontres du Sud, inaugure le 2 mars 2000 la première édition de cette manifestation dans un contexte peu favorable qui aurait milité en d’autres temps en faveur d’un report, en raison de la suspension des fonds extérieurs après le coup d’état de 1999.
Dans la même période, une génération d’architectes ivoiriens se signale. D’abord avec Sossa Francis qui ne se contente pas d’être le simple exécutant d’un projet monté dans des cabinets d’architecture à l’extérieur : il suggère et obtient gain de cause sur le projet du Palais de la culture (1999). Le plan initial du palais, une pagode chinoise, finira par être un tabouret akan. Mieux une extension du projet sera programmée et exécutée par lui. Fait non négligeable, le bâtiment est financé par le Ministère de la Culture de Côte d’Ivoire. Ainsi naquit la salle Anoumambo qui respecte le concept du plein air pour ses manifestations, principe cher à l’Africain.
Dans la foulée, le cabinet d’architectes associés que sont Guillaume Koffi et Issa Diabaté, conçoit un bâtiment en plein centre d’Abidjan pour le compte de la CRAE-UEMOA. Cette construction ne laisse personne indifférent à force de modernisme. Et de récidiver avec l’immeuble Teylium, au Plateau, à Abidjan, une architecture résolument contemporaine avec façade qui est ni plus ni moins qu’un mur de rideau et un matériau de pointe, l’alucobon.
En ce début du troisième millénaire, des structures de promotion des arts plastiques voient le jour. L’agence Houkami veut proposer une alternative aux jeunes plasticiens ivoiriens de talent qui méritent de faire carrière, mais qui, faute d’opportunités, se réfugient dans l’enseignement. L’agence Houkami a donc initié un prix biennal qui non seulement a l’ambition de détecter les jeunes talents, mais aussi de promouvoir les pionniers de l’art contemporain en Côte d’Ivoire. Ainsi, le Grand Prix Guy Nairay du nom du gouverneur, mécène et président du Pen Club, est à sa quatrième édition. Des prix sectoriels ont été créés et portent le nom des pionniers de l’art moderne comme le sculpteur Christian Lattier, le peintre Michel Kodjo et le photographe Benne Hoanne. Des centres d’art comme la fondation Donwahi pour l’Art contemporain (2007) et la Fondation Nour Al Ayat (2008) ont vu le jour. Des galeries comme Kajazoma ou Dompry viennent agrandir le cercle de ces espaces importants dans le système de l’art.
Au niveau de la presse, des articles de plus en plus pointus, signés par des journalistes culturels avisés, paraissent dans des quotidiens qui généralement s’intéressent plutôt à la politique. Bon nombre de ces journalistes ont été formés par des structures comme le REJCAF, REseau des Journalistes Culturels AFricains, des associations professionnelles ou sur leur propre initiative. Et la cerise sur le gâteau, c’est la naissance d’une critique d’art motivée et avisée dont le chef de fil, le Pr Yacouba Konaté, est aussi le président mondial de l’Association des Critiques d’Art.
Le secteur privé n’est pas en reste : des entreprises citoyennes comme Orange et Côte d’Ivoire Télécom, par le biais d’une fondation créée à cet effet, financent les arts plastiques. Et les maisons d’édition sont des partenaires de premier plan. Enfin des collectionneurs motivés, Martine Studer, Simplice de Messé Zinsou, ou N’goan Georges dévoilent au grand public leur collection.

Que peut attendre la communauté des arts de Côte d’Ivoire ?
Ce regard rétrospectif met en évidence l’incontestable vitalité du génie créateur ivoirien, mais aussi des espérances non comblées. S’il est irréaliste d’attendre de l’Etat de Côte d’Ivoire qu’il devienne dans le contexte actuel le maître d’œuvre et le mécène de la production artistique, l’Etat, par contre, en tant que conscience collective reflétant les aspirations d’un peuple doit jouer sa partition. Une loi a permis à des pays comme les Etats-Unis ou la Corée du sud d’inciter le privé à investir dans des projets culturels en instituant des mesures incitatives (abattements fiscaux). Ainsi l’Etat coréen, en échange de la promotion de la culture coréenne à l’étranger, accorde à la société Samsung certains avantages fiscaux. Résultat : la société d’électronique a réalisé à Londres un Musée d’art contemporain présentant une importante collection d’œuvres de grands artistes européens qui rivalisent avec celles d’artistes coréens, ainsi est assurée la visibilité des artistes coréens.
Beaucoup reste à faire pour la valorisation de notre génie créateur, notamment la création d’un musée d’art contemporain avec des œuvres de Côte d’Ivoire, mais aussi du monde entier. Autrement nos trésors artistiques seront exportés loin de leur source.
Il est aussi impérieux que les artistes eux-mêmes s’organisent en associations corporatives pour revendiquer leurs droits et mettre en valeur leur rôle, notamment face à l’Etat. De ce point de vue, un fait marquant s’est produit en Côte d’Ivoire lors du forum de la réconciliation nationale en 2001. A cette tribune où tous les corps de métier se sont exprimés, les artistes plasticiens ont brillé par leur absence. Qu’ils se le tiennent pour dit, aucun pays, aucune civilisation n’a émergé sur cette planète sans une culture forte. Fin donc, avec la célébration de ce cinquantenaire, de l’âge de l’innocence…

Mimi Errol
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