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Politique Publié le mardi 11 janvier 2011 | Soir Info

Stéphane Kipré : « Bédié peut jouer un rôle essentiel » « La sagesse commence à habiter le monde »

Président de l’Union des Nouvelles générations, Stéphane Kipré livre, à travers cette interview, son analyse de la crise post électorale. Comment en sortir ? Il fait des propositions…

L’Union Européenne vient de vous inscrire sur sa liste de sanctions, au motif que vous incitez à la haine, à la violence et à la xénophobie. Qu’est ce que cela vous inspire-t-il ?
J’aurais vraiment aimé ne pas avoir à en parler, parce que cela pourrait paraître comme une justification ou un plaidoyer. Il faut comprendre comme les initiateurs mêmes des sanctions l’ont signifié, que celles-ci sont destinées à faire pression sur Laurent Gbagbo pour l’amener à partir du pouvoir. Sur cette liste, il y a tout le gouvernement de Laurent Gbagbo, les membres du Conseil constitutionnel, des hommes de médias et des leaders d’opinion. Je suis heureux de constater tout modestement que je fais partie de ces leaders d’opinion dont les têtes sont mises à prix pour que Laurent Gbagbo quitte le pouvoir. Mais encore une fois, toute cette fougue à la limite du zèle, indique clairement la nature de ce qui se passe actuellement. On veut nous condamner à l’inaction, et on veut également nous enlever le droit à la parole. Pour une crise post-électorale, c’est un peu fort(…) Cependant je constate que la sagesse commence à
habiter tout le monde. Personnellement, je ne comprends pas comment le peuple de Côte d’Ivoire se reconnaîtra dans un Président installé par la force, c'est-à-dire un Président qu’il n’aura pas choisi. Le recours à la force, le cas échéant par la Cedeao, est une décision qui lui a été dictée en réalité par la France, les Etats-Unis et bien d’autres. C’est une tentative de coup de force, qui n’est ni plus ni moins que le prolongement de la rébellion qui a commencé depuis septembre 2002 (…) c’est pourquoi, cette crise ne peut être pour moi, une crise post-électorale. C’est une agression extérieure que subit notre souveraineté.

Comment interprétez-vous le soutien des chefs d’Etat de la Cedeao à Alassane Ouattara d’autant plus qu’ils sont restés constants en demandant à Gbagbo de remettre le pouvoir au candidat du Rdr.
Aucun chef d’Etat africain ne soutient Ouattara à part peut-être Blaise Compaoré dont l’implication dans les problèmes de notre pays n’est plus à démontrer. Aucun Président africain n’a adressé ses félicitations à Ouattara, comme cela est d’usage pour les candidats qui gagnent des élections. Aucun ambassadeur africain n’a fait le déplacement de l’hôtel du golf depuis le déclenchement de cette crise. Il n’y a que ceux des occidentaux qui vont et viennent dans cette crise. Les occidentaux tiennent les africains par l’économie et par la force, de sorte que les derniers ne peuvent dire le jour, ce qu’ils pensent la nuit. Les chefs d’Etats africains se contentent donc de faire des soutiens nocturnes au risque de se voir fermer des robinets ou même de se faire renverser. Je peux donc comprendre que leur discours officiel soit une redite officielle, une sorte de photocopie conforme des diktats occidentaux. Il est cependant
dommage que la sous-région manque aussi cruellement de leaders qui assument pleinement leurs convictions, un peu comme le font les angolais. C’est pour tout cela d’ailleurs que la Côte d’Ivoire mène la lutte de la liberté. Les Etats de la Cedeao peuvent compter sur nous parce que nous leur apporterons cette liberté tant recherchée.
Accorderiez-vous donc des circonstances atténuantes aux chefs d’Etats de la Cedeao?
C’est ce que je viens de dire à mots couverts. Cela dit, certains ont dû toucher à leur constitution pour être candidat une énième fois et gagner à 80%. Celui du Nigeria a bénéficié des mécanismes de la constitution pour succéder au défunt président Umaru Yar’Adua. Cela veut dire que tout se fait avec et autour de la constitution. Quand on en arrive à ignorer cela, cela veut dire que soit on est de mauvaise foi, soit qu’on est aux ordres. Je pense qu’il y a un peu des deux à la fois.
Comment analysez-vous le refus catégorique de M. Ouattara quant au recomptage des voix ?
Je m’interroge vraiment sur les motivations d’une personnalité qui dit avoir gagné des élections, et qui refuse catégoriquement qu’on recompte les voix. C’est qu’il ne les a pas gagnées, ces élections. Nous sommes dans une situation où Monsieur Ouattara veut faire un passage en force. Le passage en force, militairement parlant ne lui a pas réussi en 2002. Il essaie aujourd’hui un passage en force sous le prétexte fallacieux qu’il aurait gagné des élections. C’est vrai qu’il bénéficie du soutien non pas de la communauté internationale, mais des Présidents Sarkozy, Compaoré et Wade. Cela ne lui réussira pas, tant qu’il n’a pas le soutien des Ivoiriens.
Pensez-vous réellement que la Cedeao mettra à exécution sa menace d’intervention militaire ?
Jamais la Cedeao ne prendra sur elle d’attaquer la Côte d’Ivoire. En dépit des déclarations intempestives, l’option militaire n’est plus à l’ordre du jour. Certains pays pourront continuer à servir de base arrière, comme ils l’ont toujours fait. Ils pourront toujours fournir des mercenaires pour attaquer la Côte d’Ivoire. C’est la même situation que nous avons vécue en 2002 qui revient. Mais comme en 2002, cette nouvelle rébellion échouera. En 2002, la rébellion était sensée renverser Laurent Gbagbo, en quelques jours seulement. Aujourd’hui encore, ce qui était prévu en deux ou trois jours est en train de s’éterniser. Ce qui, d’ores et déjà, traduit son échec. Pour me résumer, il n’y aura pas d’intervention militaire en Côte d’Ivoire. Même la France qui donnait les ultimatums, se refuse d’envisager une opération militaire.
Ne pensez-vous pas qu’avec les sanctions, le gouvernement de Laurent Gbagbo aura de plus en plus de mal à fonctionner.
J’ai une autre lecture de la situation. Avec les mesures qu’elle a déjà prises, la communauté internationale est allée tellement loin, qu’elle ne sait plus comment faire machine arrière. C’est à nous ivoiriens qu’il revient de ramener les choses à leur juste proportion, pour lui permettre de desserrer sans honte, l’étau dans lequel, elle comptait enfermer injustement notre pays. La communauté internationale a déjà eu à faire machine arrière avec l’accord de Ouagadougou, qu’elle avait fini par endosser, après les échecs retentissants des résolutions de l’Onu. Elle peut toujours le refaire, à condition bien sûr que nous ivoiriens, arrivions à lui offrir des passerelles, c'est-à-dire l’occasion de sortir de ce bourbier. C’est là que notre responsabilité en tant qu’ivoiriens est engagée.
Comment voyez-vous la sortie de crise aujourd’hui ?
Le Président de la République a déjà tracé les sillons de ce qui pourrait nous sortir de la crise. Asseyons-nous et discutons. Toute la solution se trouve dans l’aptitude de l’opposition politique et armée de saisir la main tendue du Président de la République. Bien entendu, le Chef de l’Etat fait allusion à un dialogue entre les Ivoiriens. Personnellement, je propose une médiation conduite par nos chefs traditionnels et religieux.
Vous êtes vraisemblablement partisan d’une solution entre Ivoiriens, alors que les fils du dialogue entre les protagonistes sont rompus depuis la proclamation des résultats du 2nd tour. Comment pensez-vous, dans ces conditions, articuler un dialogue entre Ivoiriens, sans une médiation étrangère?
Il faut trouver un modus vivendi à cette situation qui n’honore personne, encore moins la communauté internationale. Je pense sincèrement que la solution viendra des Ivoiriens, parce qu’avec la communauté internationale, on ne fera que s’embourber. En tant qu’acteur politique, je m’interroge énormément sur certaines choses. Depuis le début de la crise, nous avons accueilli Thabo M’Beki, Jean Ping et les présidents Yayi Boni, Ernest Koroma et Pedro Pires viennent de partir. Pourquoi n’avons-nous jamais eu les suites des missions de M’Beki ou de Jean Ping. L’heure des concessions a sonné. Je crois que le Président du PDCI RDA peut jouer un rôle essentiel en facilitant la médiation qui pourrait être menée par les chefs religieux et traditionnels.
Pensez-vous vraiment que Monsieur Bédié se prêtera à cette mission ?
C’est une voie à explorer. Dans tous les cas, cette voie me paraît plus intéressante que la solution du corps expéditionnaire de la Cedeao. Bédié a le profil qu’il faut pour faire avancer les choses. Il a été une sorte d’arbitre pour le second tour. Il peut donc valablement accompagner la médiation de la crise qui en découle. Ancien chef d’Etat renversé par un coup d’Etat militaire, candidat malheureux au premier tour, il reste le chef d’un parti politique dont les positions comptent dans ce pays. Je crois qu’il doit se débarrasser de sa posture d’acteur de la crise pour emprunter celle d’un facilitateur. On se rappelle qu’il avait grandement contribué à désamorcer une marche insurrectionnelle, que le Rdr, avait voulu mener dans le cadre du Rhdp. Ce dont je vous parle, c’est de responsabilité. Je pense que Monsieur Bédié peut et doit prendre les siennes.
Monsieur Bédié vous entendra-t-il avec le siège de son parti qui est actuellement occupé par la Police ?
Je lui demande justement d’avoir une posture nationale, plutôt qu’une posture partisane. Il n’y a jamais eu d’incidents entre les forces de défense et de sécurité et le siège du Pdci-Rda. Il faut reconnaître que depuis le deuxième tour, ce siège a accueilli beaucoup d’activistes du Rdr qui ont fini par attirer l’attention des autorités policières. Ce qui s’est passé n’est pas une action dirigée contre un parti politique, autrement les sièges Pdci du Plateau et de Treichville auraient été visités. C’est une action ponctuelle sur un site donné pour repère d’activistes. Monsieur Bédié peut bien comprendre cela, et se mettre au-dessus de la mêlée pour apporter sa contribution au retour de la paix.
Quel appel lanceriez-vous aux Ivoiriens devant cette situation qui perdure?
J’invite les Ivoiriens au calme et surtout à la sérénité parce que Dieu est au contrôle. La Côte d’Ivoire reste une terre de paix. Mais cette paix, nous n’arriverons à la préserver qu’en nous considérant comme les enfants d’une même patrie. Restons à l’écoute du Président Laurent Gbagbo. Ce n’est pas son fauteuil qui est en jeu. C’est notre souveraineté qui est attaquée. Il a déjà tendu la main à l’opposition. Celle-ci doit prendre la pleine mesure de la situation et jouer elle aussi sa partition pour que nous retrouvions la paix.
Les élections ont eu lieu en 2010, et nous sommes aujourd’hui en 2011. Pensez-vous que cette crise s’installera dans la durée ?
Cela dépendra de nos capacités respectives à comprendre que personne ne règlera nos problèmes à notre place. La question que vous me posez me permet de rebondir sur la nouvelle année qui arrive. Mais avant, je voudrais exprimer toute ma compassion aux familles endeuillées par cette nouvelle crise. Je m’associe à tous ceux qui pour avoir placé un espoir en cette élection comme sortie de crise, sont aujourd’hui meurtris et attristés par tout ce qui se passe. A tous ceux-là, j’aimerais dire que demain sera meilleur, parce qu’il faut que demain soit meilleur. Je voudrais donc souhaiter une bonne et heureuse année à tous les Ivoiriens (…) Je l’ai dit et je le répète aucun pays n’a pu véritablement se consacrer à son développement sans avoir gagné le combat de la liberté. 2011 nous y aidera, parce que notre génération doit pouvoir mener le combat de son époque : celui de la liberté, condition sine qu non du
développement. A toutes et à tous, je souhaite une bonne et heureuse année 2011.

Réalisée par
Alain BOUABRE
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