La Côte d’Ivoire, c’est la Côte d’Ivoire, avait dit à l’époque Henri Konan Bédié. Dans la même veine, on peut dire : La Tunisie, c’est la Tunisie. La Côte d’Ivoire n’est pas la Tunisie. Pour tous les souverainistes et promoteurs de l’identité nationale, ce rappel fait bien plaisir. N’empêche qu’il est bien possible de trouver des similitudes entre ce qui s’est passé en Tunisie et ce qui se passe en Côte d’Ivoire. En Tunisie, il n’y avait aucun contentieux électoral en cours. Mais depuis des années, le processus électoral et démocratique n’a jamais fait l’unanimité car il a été taillé sur mesure, pour faire plaisir à Ben Ali et assurer la main mise de son parti et son clan sur la vie politique et économique de la Tunisie. La confiscation du pouvoir ou tout maintien au pouvoir, en dehors des normes démocratiques transparentes et concurrentielles conduit toujours à des situations de blocage et de conflits. Ce qui s’est passé en Tunisie indique bien qu’à terme, des pays comme la Libye, l’Algérie, le Maroc et l’Egypte ne pourront pas conserver leur stabilité s’ils n’acceptent pas de s’ouvrir aux principes démocraties, sans restrictions. La prospérité économique et le bien-être social, vont de pair avec l’exigence d’une plus grande liberté politique. Le besoin de bien être économique et social s’accompagne toujours d’une exigence de transparence dans les affaires publiques. Bonne gouvernance, Etat de droit, transparence, combat contre la corruption et l’arbitraire, c’est cela que signifie la démocratie, qui passe par des élections régulières qui respectent des principes d’égalité. Cela veut dire clairement que même des pays comme l’Arabie Saoudite, qui a accueilli Ben Ali et sa suite, comme le Koweït, le Qatar et bien d’autres, sans oublier la grande Chine, n’échapperont pas, dans un avenir proche et pas très lointain, à l’ouverture démocratique. Voici pour les principes et les généralités. Le départ de Ben Ali révèle également qu’aucune armée, fut-elle puissante, ne peut venir à bout de la révolte d’un peuple debout, même s’il faut craindre les dérapages, les répresailles et les exactions des milices et des mécontents. En Côte d’Ivoire, cela peut signifier qu’il sera difficile à l’Ecomog, à l’Onuci et à la Licorne d’imposer Ouattara si vraiment des Ivoiriens majoritaires ou bien les partisans de Laurent Gbagbo s'ils sont la vraie et réelle majorité, ne veulent pas. Car le cas échéant, Ouattara sera obligé de mâter dans ce sens leur résistance et leur refus de soumission à son autorité. Si une armée extérieure ne peut contrarier l’aspiration profonde du peuple, de la même manière une armée nationale ne peut pendant longtemps entraver l’exercice de l’aspiration du même peuple. En clair, si tant est vrai que Ouattara a gagné, si tant est vrai qu’il a eu quatre cent mille voix de plus que Laurent Gbagbo, si tant est vrai que le Conseil constitutionnel n’a pas dit le Droit, alors il sera difficile pour Philippe Mangou, et ses hommes de casser et de mâter cette détermination qui s’est exprimée dans les urnes. Cela prend du temps, mais le temps n’est pas forcément un allié des forces armées. En Tunisie, Ben Ali disposait d’un système répressif et sécuritaire dont Gbagbo et les siens ne possèdent pas le tiers. Moralité : on n’a pas besoin de faire appel à une force légitime extérieure pour dégager Laurent Gbagbo, si tant est vrai qu’il est un usurpateur. Car si tel est le cas, le peuple finira bien par prendre ses responsabilités et faire le combat de la dignité. Gbagbo a dit :vaut mieux mourir que de subir la honte. Cette leçon vaut aussi pour tous ceux qui auraient voté Ouattara : vaut mieux mourir que de subir la honte et l’indignité de ne pouvoir faire respecter son vote. Au nom de la peur, et du refus de mourir, dois-je encore accepter de masquer mes choix et empêcher par mon silence complice le changement ? Peuvent se dire les pro-Ouattara. Avant Laurent Gbagbo, d’autres chefs africains comme Sékou Touré avaient dit des mots forts : je préfère la dignité et la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage. Plus de 50 ans après, l’opportunité est offerte à chacun de prendre rendez-vous avec l’histoire et de jouer sa part. Quand on est un homme de conviction, quand on voit les changements en cours en Chine, à Cuba malgré le système répressif, quand on voit l’histoire des révolutions pacifiques dans bien de pays au monde, quand on voit encore ce qui vient de se passer en Tunisie, alors on garde espoir qu’il est possible d’éviter une guerre à grande échelle, d’éviter la guerre civile et de réduire le nombre de morts et de victimes de la crise postélectorale ivoirienne.
Politique Publié le lundi 17 janvier 2011 | L’intelligent d’Abidjan