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Économie Publié le mercredi 19 janvier 2011 | Nord-Sud

Olivier Vallée, économiste français, consultant FMI : “Les salaires, ça sera assez tendu pour Gbagbo”

Combien de temps le régime de Laurent Gbagbo pourra-t-il encore payer les militaires et les fonctionnaires ivoiriens ? Question-clé pour les chefs d’Etat de l’Afrique de l’ouest qui hésitent encore entre deux stratégies anti-Gbagbo : l’opération militaire pour le renverser ou bien l’asphyxie financière. Olivier Vallée, économiste français, donne son avis sur la question.


Si le régime de Laurent Gbagbo est mis en quarantaine par la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (Bceao), est-ce qu’il pourra continuer à payer les fonctionnaires ?

C’est évident qu’il est très difficile pour toute institution qu’elle soit nationale ou que ce soit une entreprise, de faire les échéances des salaires sans le concours d’un banquier. La banque centrale étant de surcroît le lieu où se trouve déposés les avoirs de l’Etat ivoirien. Cette quarantaine, elle est très difficile à apprécier. D’abord parce que la banque centrale est une entité plurielle. Il y a la direction nationale qui est à Abidjan et en même temps, il y a le siège qui est à Dakar, avec bien entendu, de l’argent ivoirien qui circule dans toute l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). C’est un puzzle complexe où à chaque niveau, il est possible d’atténuer les effets de la quarantaine où au contraire de les intensifier.

Le principal produit d’exportation de la Côte d’Ivoire est le cacao.

Très concrètement, quand par exemple, le négociant américain Cargill achète ce cacao ou quand une coopérative paye des taxes sur cette transaction, où va l’argent ?

La règle est que celui qui fait sortir le cacao, doit acquitter ce qu’on appelle le Droit unique de sortie (Dus) qui est une taxe fiscalo-douanière assise sur la valeur, justement, de la transaction. C’est une recette appréciable surtout par rapport à l’échéance du paiement des salaires des fonctionnaires, parce que cela permet d’avoir de l’argent liquide très très rapidement. Là on se trouve devant des situations très diverses. Une partie de ces filières cacao repose sur des coopératives où le régime Gbagbo a installé beaucoup de ses hommes. Donc il y a bel et bien des situations où l’on aura des vendeurs décidés à verser ce Droit unique de sortie à la caisse de l’Etat telle qu’elle est gérée encore, aujourd’hui, par l’administration héritée du gouvernement Gbagbo. D’autres qui n’ont pas envie d’acquitter ces taxes à des caisses de l’Etat qu’ils ne reconnaissent pas comme l’Etat légitime. Donc on assistera plutôt à une grève de l’exportation.

Il y a le produit des taxes, mais il y a aussi le produit de vente du cacao, lui-même. Cet argent, il va aller où ?

On en revient à la multiplicité des comptes qui permet de centraliser les avoirs de l’Etat ivoirien. Et là aussi on doit trouver de nombreux cas de figure. Depuis très longtemps, une bonne partie de ces transactions sont réglées à Paris, à Monaco ou à New York, à Genève. Et puis au bout d’un certain temps, il se produit ce qu’on appelle le rapatriement…

En clair, si le régime de Laurent Gbagbo garde le contrôle d’une partie de la filière cacao et du port de San-Pedro, peut-il trouver les 70 à 100 milliards nécessaires pour payer tous les mois les fonctionnaires ?

Non. Parce qu’on est dans une période de forte capacité d’exportation et de vente. Je pense qu’il est encore possible de passer le cap de janvier ou de février avec les ventes de cacao. Malgré tout, le rapatriement devra se faire dans des délais très rapides. La façon dont les banques, à l’extérieur ou à l’intérieur, joueront leur partition. Ça sera un exercice, à mon avis, assez tendu, ça ne sera pas aisé.

Est-ce qu’on peut imaginer que les Etats-Unis, la France ou d’autres pays occidentaux fassent pressions sur ces multinationales ?

On peut l’imaginer. Mais, l’expérience dans de nombreux conflits beaucoup plus sanglants, nous a montrés que très souvent les gouvernements étaient relativement indulgents. Il est vrai que le cacao est un produit un peu spécial. Et que comme le diamant qu’exporte illégalement la Côte d’Ivoire, les campagnes de pillons qui sont déjà mobilisés sur le travail des enfants dans les cacaoyers peuvent avoir un impact sur l’opinion public et donc sur les acheteurs du cacao ivoirien.

Propos recueillis sur Rfi
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