Monsieur Blaise Compaoré président de la République du Burkina Faso
Monsieur le président,
Permettez-moi de vous écrire au nom de Human Rights Watch, organisation indépendante de défense des Droits de l’Homme, et plus particulièrement au nom de la Division de l’Armement, pour vous demander d’enquêter de toute urgence sur les possibles violations par le Burkina Faso, des embargos internationaux sur les armes imposés aux violateurs des Droits de l’Homme.
Comme vous le savez, un récent rapport des Nations unies sur les violations des sanctions imposées à l’Unita, groupe rebelle angolais responsable de graves violations des Droits de l’Homme et du droit humanitaire international, mentionne le Burkina Faso. «Le rapport du groupe d’experts chargé d’étudier les violations des sanctions imposées par le Conseil de sécurité à l’Unita", publié le 15 mars dernier, conclut en effet "qu’il est très vraisemblable que des armements légalement vendus et transportés au Burkina Faso aient été détournés par les autorités burkinabè vers l’Unita, en violation des sanctions imposées par le Conseil de sécurité."
Par ailleurs, des enquêtes indépendantes menées par Human Rights Watch sur le trafic d’armes à destination des forces rebelles sierra léonaises et angolaises, toutes deux coupables de graves violations des Droits de l’Homme, ont soulevé de très sérieuses questions quant au rôle volontaire ou non du Burkina Faso en tant que pays de transit pour un trafic d’armes internationalement proscrit. Des preuves suggèrent que d’importantes cargaisons d’armes, soi-disant achetées par le Burkina Faso pour son propre usage, auraient en réalité été illégalement détournées en faveur d’autres utilisateurs. Des facilités du gouvernement burkinabè, telles que l’aile Vip de l’aéroport de Ouagadougou et un avion gouvernemental, auraient même été utilisés pour faciliter ces détournements. Vous trouverez ci-dessous des témoignages détaillés sur ce sujet.
En avril 1999, le Général Félix Mujakperuo, commandant en chef de l’Ecomog en Sierra Leone, a accusé le Burkina Faso de faciliter - en violation de l’embargo des Nations unies - un trafic d’armes illégal à destination des rebelles du Front révolutionnaire uni (Ruf) en Sierra Leone. Lors d’une conférence de presse à Freetown, il a affirmé qu’un avion-cargo ukrainien a délivré, le 14 mars 1999, soixante-huit tonnes d’armes et de munitions à Ouagadougou. Là, l’avion a, selon ses dires, été garé au terminal Vip de l’aéroport et les armes ont été transferrées vers un avion à destination du Liberia, pays également soumis à un embargo des Nations unies, pour être finalement expédiées au Ruf, à l’intérieur de la Sierra Leone. Félix Mujakperuo a également rapporté l’incident aux Nations unies.
En réponse à ces allégations, le gouvernement ukrainien a envoyé au Comité des Nations unies responsable de surveiller le respect de l’embargo contre le Ruf, une lettre - datée du 1er juin 1999 - accompagnée de pièces justificatives.
Dans cette lettre, l’Ukraine soutient avoir vendu ces armes au gouvernement du Burkina Faso. Les pièces jointes, dont Human Rights Watch a obtenu copie, montrent que le gouvernement burkinabè a, en effet, délivré un certificat d’utilisateur final à la compagnie nationale ukrainienne Ukrspetsexport pour l’achat de ces armes et munitions, lors de la signature du contrat arrangé par la Chartered Engineering and Technical Company, Ltd., compagnie ayant son siège à Gibraltar. Le certificat d’utilisateur final mentionne explicitement que le ministère de la Défense du Burkina Faso, "consommateur final" des marchandises énumérées, s’est engagé à ne pas réexporter ces armes et munitions sans avoir préalablement obtenu l’accord du gouvernement ukrainien. La compagnie de Gibraltar a ensuite engagé la compagnie d’aviation ukrainienne Antonov Design Bureau, qui en sous-traitance a fait acheminer par un avion de la compagnie anglaise Air Foyle, la marchandise au Burkina Faso. Selon ces documents, le vol ADB1737, un Antonov-124 (immatriculé UR-82008), a transporté, le 13 mars 1999, 67 564 kilos de "matériel de défense et de munitions" de Kiev à Ouagadougou. Le certificat d’utilisateur final indique que le marché portait sur l’achat de 3 000 fusils d’assaut AKM (Kalashnikov), 50 mitrailleuses, 25 lance-roquettes RPG, 5 missiles Strela-3 (aussi connus sous le nom de SA-7) et 5 systèmes de missiles anti-char Metis, ainsi que les munitions pour ces armes. Il est important de noter que, - selon le livre Jane’s Infantry Weapons, livre qui fait autorité en matière d’inventaires d’armements nationaux, les forces armées du Burkina Faso utilisent des armes qui correspondent aux standards de l’Otan et qu’on ne leur connaît aucun materiel de guerre correspondant à ceux du Traité de Varsovie. En conséquence, nous pensons qu’il est peu probable que le Burkina Faso ait commandé et acheté la quantité sus-mentionnée d’armes en provenance de l’ex-Union Soviétique pour les besoins de sa propre défense. Le Burkina Faso a, dans un autre cas, à nouveau été désigné comme pays de transbordement d’armes délivrées en Sierra Leone. Dans un article du Washington Post, publié en octobre 1999, l’auteur James Rupert rapporte qu’Ecomog a affirmé que cinq avions, dont un avait un numéro d’immatriculation correspondant à un Boeing 727-14 appartenant au gouvernement burkinabé, ont transporté des armes à destination du Ruf, via le Liberia. Citant Ecomog, James Rupert nous a affirmé que des vols de Ouagadougou à destination de l’aéroport international de Roberstsfield au Liberia ont eu lieu en février et septembre 1998, et que "le 26 et 29 février 1998, des armes ont été vues être déchargées du Boeing burkinabé 727-14, immatriculé XT-BBE, et ce, chaque fois, suite à un vol Rabat (Maroc) - Ouagadougou - Robertsfield."
En outre, d’entretiens menés par Human Rights Watch au Burkina Faso en juin 1998, il ressort que des vols à destination de parties sanctionnées par un embargo international ont régulièrement transité par l’aéroport de Ouagadougou. Pilotes et membres du personnel ont indiqué que des avions transportant des armes ou du carburant arrivaient régulièrement d’Afrique centrale pour se ravitailler en carburant avant de repartir vers d’autres destinations. Un responsable de l’aéroport nous a confié : "ça peut être une des nombreuses destinations : Kinshasa, Brazzaville, l’Unita. On ne pose pas de questions."
A la lumière de ces sérieuses allégations, nous vous demandons avec insistance de constituer immédiatement une commission indépendante pour conduire une enquête complète.
Nous vous demandons également de rendre publiques le plus rapidement possible les méthodes utilisées pour cette enquête ainsi que ces résultats.
Dans l’attente de votre réponse, je vous prie d’agréer, Monsieur le président, l’expression de mes salutations respectueuses.
Joost R. Hiltermann
Directeur Exécutif
Division de l’Armement
lundi 21 juillet 2008
Le 28 mars 2000
Monsieur le président,
Permettez-moi de vous écrire au nom de Human Rights Watch, organisation indépendante de défense des Droits de l’Homme, et plus particulièrement au nom de la Division de l’Armement, pour vous demander d’enquêter de toute urgence sur les possibles violations par le Burkina Faso, des embargos internationaux sur les armes imposés aux violateurs des Droits de l’Homme.
Comme vous le savez, un récent rapport des Nations unies sur les violations des sanctions imposées à l’Unita, groupe rebelle angolais responsable de graves violations des Droits de l’Homme et du droit humanitaire international, mentionne le Burkina Faso. «Le rapport du groupe d’experts chargé d’étudier les violations des sanctions imposées par le Conseil de sécurité à l’Unita", publié le 15 mars dernier, conclut en effet "qu’il est très vraisemblable que des armements légalement vendus et transportés au Burkina Faso aient été détournés par les autorités burkinabè vers l’Unita, en violation des sanctions imposées par le Conseil de sécurité."
Par ailleurs, des enquêtes indépendantes menées par Human Rights Watch sur le trafic d’armes à destination des forces rebelles sierra léonaises et angolaises, toutes deux coupables de graves violations des Droits de l’Homme, ont soulevé de très sérieuses questions quant au rôle volontaire ou non du Burkina Faso en tant que pays de transit pour un trafic d’armes internationalement proscrit. Des preuves suggèrent que d’importantes cargaisons d’armes, soi-disant achetées par le Burkina Faso pour son propre usage, auraient en réalité été illégalement détournées en faveur d’autres utilisateurs. Des facilités du gouvernement burkinabè, telles que l’aile Vip de l’aéroport de Ouagadougou et un avion gouvernemental, auraient même été utilisés pour faciliter ces détournements. Vous trouverez ci-dessous des témoignages détaillés sur ce sujet.
En avril 1999, le Général Félix Mujakperuo, commandant en chef de l’Ecomog en Sierra Leone, a accusé le Burkina Faso de faciliter - en violation de l’embargo des Nations unies - un trafic d’armes illégal à destination des rebelles du Front révolutionnaire uni (Ruf) en Sierra Leone. Lors d’une conférence de presse à Freetown, il a affirmé qu’un avion-cargo ukrainien a délivré, le 14 mars 1999, soixante-huit tonnes d’armes et de munitions à Ouagadougou. Là, l’avion a, selon ses dires, été garé au terminal Vip de l’aéroport et les armes ont été transferrées vers un avion à destination du Liberia, pays également soumis à un embargo des Nations unies, pour être finalement expédiées au Ruf, à l’intérieur de la Sierra Leone. Félix Mujakperuo a également rapporté l’incident aux Nations unies.
En réponse à ces allégations, le gouvernement ukrainien a envoyé au Comité des Nations unies responsable de surveiller le respect de l’embargo contre le Ruf, une lettre - datée du 1er juin 1999 - accompagnée de pièces justificatives.
Dans cette lettre, l’Ukraine soutient avoir vendu ces armes au gouvernement du Burkina Faso. Les pièces jointes, dont Human Rights Watch a obtenu copie, montrent que le gouvernement burkinabè a, en effet, délivré un certificat d’utilisateur final à la compagnie nationale ukrainienne Ukrspetsexport pour l’achat de ces armes et munitions, lors de la signature du contrat arrangé par la Chartered Engineering and Technical Company, Ltd., compagnie ayant son siège à Gibraltar. Le certificat d’utilisateur final mentionne explicitement que le ministère de la Défense du Burkina Faso, "consommateur final" des marchandises énumérées, s’est engagé à ne pas réexporter ces armes et munitions sans avoir préalablement obtenu l’accord du gouvernement ukrainien. La compagnie de Gibraltar a ensuite engagé la compagnie d’aviation ukrainienne Antonov Design Bureau, qui en sous-traitance a fait acheminer par un avion de la compagnie anglaise Air Foyle, la marchandise au Burkina Faso. Selon ces documents, le vol ADB1737, un Antonov-124 (immatriculé UR-82008), a transporté, le 13 mars 1999, 67 564 kilos de "matériel de défense et de munitions" de Kiev à Ouagadougou. Le certificat d’utilisateur final indique que le marché portait sur l’achat de 3 000 fusils d’assaut AKM (Kalashnikov), 50 mitrailleuses, 25 lance-roquettes RPG, 5 missiles Strela-3 (aussi connus sous le nom de SA-7) et 5 systèmes de missiles anti-char Metis, ainsi que les munitions pour ces armes. Il est important de noter que, - selon le livre Jane’s Infantry Weapons, livre qui fait autorité en matière d’inventaires d’armements nationaux, les forces armées du Burkina Faso utilisent des armes qui correspondent aux standards de l’Otan et qu’on ne leur connaît aucun materiel de guerre correspondant à ceux du Traité de Varsovie. En conséquence, nous pensons qu’il est peu probable que le Burkina Faso ait commandé et acheté la quantité sus-mentionnée d’armes en provenance de l’ex-Union Soviétique pour les besoins de sa propre défense. Le Burkina Faso a, dans un autre cas, à nouveau été désigné comme pays de transbordement d’armes délivrées en Sierra Leone. Dans un article du Washington Post, publié en octobre 1999, l’auteur James Rupert rapporte qu’Ecomog a affirmé que cinq avions, dont un avait un numéro d’immatriculation correspondant à un Boeing 727-14 appartenant au gouvernement burkinabé, ont transporté des armes à destination du Ruf, via le Liberia. Citant Ecomog, James Rupert nous a affirmé que des vols de Ouagadougou à destination de l’aéroport international de Roberstsfield au Liberia ont eu lieu en février et septembre 1998, et que "le 26 et 29 février 1998, des armes ont été vues être déchargées du Boeing burkinabé 727-14, immatriculé XT-BBE, et ce, chaque fois, suite à un vol Rabat (Maroc) - Ouagadougou - Robertsfield."
En outre, d’entretiens menés par Human Rights Watch au Burkina Faso en juin 1998, il ressort que des vols à destination de parties sanctionnées par un embargo international ont régulièrement transité par l’aéroport de Ouagadougou. Pilotes et membres du personnel ont indiqué que des avions transportant des armes ou du carburant arrivaient régulièrement d’Afrique centrale pour se ravitailler en carburant avant de repartir vers d’autres destinations. Un responsable de l’aéroport nous a confié : "ça peut être une des nombreuses destinations : Kinshasa, Brazzaville, l’Unita. On ne pose pas de questions."
A la lumière de ces sérieuses allégations, nous vous demandons avec insistance de constituer immédiatement une commission indépendante pour conduire une enquête complète.
Nous vous demandons également de rendre publiques le plus rapidement possible les méthodes utilisées pour cette enquête ainsi que ces résultats.
Dans l’attente de votre réponse, je vous prie d’agréer, Monsieur le président, l’expression de mes salutations respectueuses.
Joost R. Hiltermann
Directeur Exécutif
Division de l’Armement
lundi 21 juillet 2008
Le 28 mars 2000