La décision de gratuité des soins et des médicaments dans les hôpitaux et dans les Chu entraine l’affluence des malades dans les hôpitaux et les médecins se retrouvent débordés.
Au portail de l’hôpital d’Abobo-Sud ce samedi matin, on se croirait à l’entrée d’un camp militaire. Une cinquantaine de sacs, remplis de sable, servent de balise pour contrer les balles. Trois éléments des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci), en armes, assis en face de l’établissement sanitaire, où Médecin sans frontière (Msf) a élu domicile depuis quelques mois après la fuite du personnel, font mine d’être occupés ailleurs. Il est 9h10. Après un contrôle strict, l’on peut accéder à l’intérieur. La seule boutique de l’hôpital, un kiosque à café couplé d’un petit restaurant, réservés au personnel de l’hôpital, est ouverte. Des hommes et femmes s’activent à toiletter l’enceinte. A moins de 20 mètres, deux tentes installées sur l’espace vert sont prises d’assaut par des enfants de moins de 10 ans accompagnés de leurs mères, pour la majorité. Tout à coup, un taxi communal gare en catastrophe et un homme grièvement blessé au crâne est transporté d’urgence dans une salle de soins. Une dizaine de minutes plus tard, deux autres hommes habillés en bleu, transportent un corps enfilé dans une bâche blanche. A l’arrière droit des pavillons, sous l’ombre d’un arbre, des visiteurs et quelques handicapés physiques avec des bandes au bras ou au pied, tenant pour certains une béquille, et d’autres assis dans des fauteuils roulants, conversent dans une ambiance bon enfant. Mais interdiction formelle de s’adresser à un patient sans avoir autorisation préalable. Toutefois, un médecin volontaire, sous l’anonymat, nous informe que tous ces convalescents sont des blessés de guerre.
Des conditions de travail difficiles pendant les combats
«Tous ceux que vous voyez “bandés“ sont des blessés de guerre. Il y avait de nombreux blessés sur les lieux. Cet établissement de 12 lits était plutôt un dispensaire qu'un hôpital. Des césariennes y étaient pratiquées deux ou trois fois par semaine. Mais pendant les évènements, cet endroit a été complètement transformé. Il accueillait jusqu’à 130 patients hospitalisés dont la moitié en chirurgie, les autres en médecine et en maternité. Au plus fort de l'afflux de blessés, on a mis jusqu'à huit patients par chambre en laissant juste un peu d'espace pour circuler. Pour pouvoir tous les allonger, nous avons acheté des nattes, récupéré des bâches en plastique pour recouvrir le sol et les coucher. Certains sont restés dans le hall d'entrée. Les tables d'examen ont servi de lits. Il y avait des patients partout. Jusqu’au début d’avril, nous avions un seul bloc opératoire fonctionnel. Puis nous sommes tombés en panne de gaz, et il a fallu chauffer les appareils de stérilisation sur des braises. L'électricité a été tout autant une problématique, avec des coupures fréquentes. Nous faisions tourner un petit générateur pour le bloc mais la radiographie ne pouvait plus fonctionner et on avait des problèmes pour le concentrateur d'oxygène», explique le médecin volontaire. Le thérapeute ajoute qu’au plus fort des combats, en mars et avril, l’hôpital recevait en moyenne 60 blessés par jour. « La majorité d'entre eux étaient des jeunes, des combattants mais aussi des civils dont des femmes et des enfants touchés par des balles perdues ou des éclats d'obus. Je me rappelle qu’avant la capture de Laurent Gbagbo, nous avons reçu plus de 100 blessés. Mais aujourd’hui, ce grand nombre a littéralement chuté », dévoile-t-il. Effectivement, les chambres sont plus aérées et semblent plus spacieuses avec très peu de blessés.
Des soins et des consultations gratuites…
Mais le point d’orgue demeure la gratuité des médicaments qui est effective dans tous les établissements sanitaires sous contrôle de Msf, selon un médecin qui a requis l’anonymat. Il révèle que cela était déjà une réalité bien avant la promulgation de la décision de la gratuité par le gouvernement. « Pour la quasi-totalité des patients, Msf n’a soutiré le moindre sou pour quoi que ce soit », indique-t-il. Une information confirmée par Haïdara Moussa, un patient à l’hôpital depuis un mois. « Cela fait presque un mois que je viens soigner mon pied gauche ici. J’ai été atteint par des éclats d’obus à Adjamé pendant que j’étais au marché. Le premier jour, j’ai été transféré à l’hôpital de l’Onuci. Mais vu le nombre croissant de blessés, on m’a demandé d’aller dans un Chu de la place après les premiers soins. C’est ainsi que trois jours après, je me suis rendu à Abobo-Sud. Et depuis que je suis là, je n’ai payé aucun frais. Msf s’occupe bien de moi tout comme de tous les blessés qui viennent sans distinction», raconte-t-il une béquille en mains, le pied gauche enroulé de bande des orteils jusqu’au genou, attendant de rentrer chez lui à Attecoubé. Egalement au Chu de Yopougon les kits d’opérations, les poches de sang, la radiologie, les consultations et les médicaments sont gratuits. Bien que l’on soit au samedi, les salles d’hospitalisations A et B sont remplies de patients. Les médecins, l’air préoccupés, vont et viennent dans le petit service d’urgence créé à cause de la situation exceptionnelle que vit le pays. «Le Chu de Yopougon devait être réhabilité depuis plusieurs années. Il ne fonctionnait donc plus à part entière y compris les urgences. Les malades se rendaient au Chu de Cocody mais vu la situation, nous avons créé un petit service d’urgence depuis le 14 mars mais nous sommes très débordés », révèle un médecin sous le sceau de l’anonymat. Le surveillant adjoint du service radiologie informe, cependant, que les malades sont reçus effectivement avec ’’ des bons pour’’ qu’ils vont auparavant retirer chez le surveillant général aux urgences. « Sur ces bons, il est marqué gratuité. Depuis le 30 mars, bien avant que nous ne recevions les consignes, les soins étaient gratuits pour les blessés par balles. En lieu et place de gratuité, il était écrit catastrophe sur les bons», explique-t-il.
…dans la mesure du possible
Dans les trois pharmacies du Chu dont la pharmacie des urgences, la pharmacie centrale et la pharmacie gynécologique, les parents des patients et les patients eux-mêmes venus acheter des médicaments affichent des mines réjouies. Et pour cause, plus besoin de se tracasser sur le coût des ordonnances qui sont auparavant signées par un médecin du centre hospitalier, les médicaments sont gratuits. Selon Valérie S., auxiliaire de pharmacie à la pharmacie des urgences, les médicaments sont gratuits sauf si ceux-ci ne sont pas disponibles au niveau du Chu. «Mais c’est rare et on ne tient pas compte du bord politique. Les médicaments de première nécessité sont présents », explique-t-elle. Une affirmation confirmée par S. Koné, patient à la salle d’hospitalisation 236, qui a été interné pour une enflure au genou droit. Celui-ci montre tout heureux un carton rempli de médicaments et de kits d’interventions. «Depuis une semaine que je suis là, les médicaments et les interventions sont gratuits. J’étais d’abord dans une clinique de la place où on m’a exigé la somme de 250.000 Fcfa pour faire une intervention. Comme je ne possédais pas d’argent, on m’a demandé de me rendre au Chu et dès mon arrivée, j’ai été pris en charge à 100% », se réjouit-il. Idem au Chu de Treichville, selon le responsable de la pharmacie de cet établissement. « Depuis le 31 mars, tous les blessés sont soignés et pris en charge. Les médicaments sont facturés en interne, mais ne sont pas payés par les patients. C’est un message venant du gouvernement que nous mettions en application. Tout cela est fonction des médicaments qui sont à notre disposition », explique Dr Amichia, responsable de la pharmacie. A l’en croire, beaucoup de médicaments manquent. Et cela n’est pas du goût de Sou Jacqueline, qui accompagne sa fille malade. Elle explique que les médicaments les plus chers manquent énormément au Chu de Treichville. Une inquiétude partagée par Dr Amichia. Pour lui, cette gratuité fait vite place à la pénurie de médicament qu’il craint.
Napargalè Marie et Dacoury Vincent
Au portail de l’hôpital d’Abobo-Sud ce samedi matin, on se croirait à l’entrée d’un camp militaire. Une cinquantaine de sacs, remplis de sable, servent de balise pour contrer les balles. Trois éléments des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci), en armes, assis en face de l’établissement sanitaire, où Médecin sans frontière (Msf) a élu domicile depuis quelques mois après la fuite du personnel, font mine d’être occupés ailleurs. Il est 9h10. Après un contrôle strict, l’on peut accéder à l’intérieur. La seule boutique de l’hôpital, un kiosque à café couplé d’un petit restaurant, réservés au personnel de l’hôpital, est ouverte. Des hommes et femmes s’activent à toiletter l’enceinte. A moins de 20 mètres, deux tentes installées sur l’espace vert sont prises d’assaut par des enfants de moins de 10 ans accompagnés de leurs mères, pour la majorité. Tout à coup, un taxi communal gare en catastrophe et un homme grièvement blessé au crâne est transporté d’urgence dans une salle de soins. Une dizaine de minutes plus tard, deux autres hommes habillés en bleu, transportent un corps enfilé dans une bâche blanche. A l’arrière droit des pavillons, sous l’ombre d’un arbre, des visiteurs et quelques handicapés physiques avec des bandes au bras ou au pied, tenant pour certains une béquille, et d’autres assis dans des fauteuils roulants, conversent dans une ambiance bon enfant. Mais interdiction formelle de s’adresser à un patient sans avoir autorisation préalable. Toutefois, un médecin volontaire, sous l’anonymat, nous informe que tous ces convalescents sont des blessés de guerre.
Des conditions de travail difficiles pendant les combats
«Tous ceux que vous voyez “bandés“ sont des blessés de guerre. Il y avait de nombreux blessés sur les lieux. Cet établissement de 12 lits était plutôt un dispensaire qu'un hôpital. Des césariennes y étaient pratiquées deux ou trois fois par semaine. Mais pendant les évènements, cet endroit a été complètement transformé. Il accueillait jusqu’à 130 patients hospitalisés dont la moitié en chirurgie, les autres en médecine et en maternité. Au plus fort de l'afflux de blessés, on a mis jusqu'à huit patients par chambre en laissant juste un peu d'espace pour circuler. Pour pouvoir tous les allonger, nous avons acheté des nattes, récupéré des bâches en plastique pour recouvrir le sol et les coucher. Certains sont restés dans le hall d'entrée. Les tables d'examen ont servi de lits. Il y avait des patients partout. Jusqu’au début d’avril, nous avions un seul bloc opératoire fonctionnel. Puis nous sommes tombés en panne de gaz, et il a fallu chauffer les appareils de stérilisation sur des braises. L'électricité a été tout autant une problématique, avec des coupures fréquentes. Nous faisions tourner un petit générateur pour le bloc mais la radiographie ne pouvait plus fonctionner et on avait des problèmes pour le concentrateur d'oxygène», explique le médecin volontaire. Le thérapeute ajoute qu’au plus fort des combats, en mars et avril, l’hôpital recevait en moyenne 60 blessés par jour. « La majorité d'entre eux étaient des jeunes, des combattants mais aussi des civils dont des femmes et des enfants touchés par des balles perdues ou des éclats d'obus. Je me rappelle qu’avant la capture de Laurent Gbagbo, nous avons reçu plus de 100 blessés. Mais aujourd’hui, ce grand nombre a littéralement chuté », dévoile-t-il. Effectivement, les chambres sont plus aérées et semblent plus spacieuses avec très peu de blessés.
Des soins et des consultations gratuites…
Mais le point d’orgue demeure la gratuité des médicaments qui est effective dans tous les établissements sanitaires sous contrôle de Msf, selon un médecin qui a requis l’anonymat. Il révèle que cela était déjà une réalité bien avant la promulgation de la décision de la gratuité par le gouvernement. « Pour la quasi-totalité des patients, Msf n’a soutiré le moindre sou pour quoi que ce soit », indique-t-il. Une information confirmée par Haïdara Moussa, un patient à l’hôpital depuis un mois. « Cela fait presque un mois que je viens soigner mon pied gauche ici. J’ai été atteint par des éclats d’obus à Adjamé pendant que j’étais au marché. Le premier jour, j’ai été transféré à l’hôpital de l’Onuci. Mais vu le nombre croissant de blessés, on m’a demandé d’aller dans un Chu de la place après les premiers soins. C’est ainsi que trois jours après, je me suis rendu à Abobo-Sud. Et depuis que je suis là, je n’ai payé aucun frais. Msf s’occupe bien de moi tout comme de tous les blessés qui viennent sans distinction», raconte-t-il une béquille en mains, le pied gauche enroulé de bande des orteils jusqu’au genou, attendant de rentrer chez lui à Attecoubé. Egalement au Chu de Yopougon les kits d’opérations, les poches de sang, la radiologie, les consultations et les médicaments sont gratuits. Bien que l’on soit au samedi, les salles d’hospitalisations A et B sont remplies de patients. Les médecins, l’air préoccupés, vont et viennent dans le petit service d’urgence créé à cause de la situation exceptionnelle que vit le pays. «Le Chu de Yopougon devait être réhabilité depuis plusieurs années. Il ne fonctionnait donc plus à part entière y compris les urgences. Les malades se rendaient au Chu de Cocody mais vu la situation, nous avons créé un petit service d’urgence depuis le 14 mars mais nous sommes très débordés », révèle un médecin sous le sceau de l’anonymat. Le surveillant adjoint du service radiologie informe, cependant, que les malades sont reçus effectivement avec ’’ des bons pour’’ qu’ils vont auparavant retirer chez le surveillant général aux urgences. « Sur ces bons, il est marqué gratuité. Depuis le 30 mars, bien avant que nous ne recevions les consignes, les soins étaient gratuits pour les blessés par balles. En lieu et place de gratuité, il était écrit catastrophe sur les bons», explique-t-il.
…dans la mesure du possible
Dans les trois pharmacies du Chu dont la pharmacie des urgences, la pharmacie centrale et la pharmacie gynécologique, les parents des patients et les patients eux-mêmes venus acheter des médicaments affichent des mines réjouies. Et pour cause, plus besoin de se tracasser sur le coût des ordonnances qui sont auparavant signées par un médecin du centre hospitalier, les médicaments sont gratuits. Selon Valérie S., auxiliaire de pharmacie à la pharmacie des urgences, les médicaments sont gratuits sauf si ceux-ci ne sont pas disponibles au niveau du Chu. «Mais c’est rare et on ne tient pas compte du bord politique. Les médicaments de première nécessité sont présents », explique-t-elle. Une affirmation confirmée par S. Koné, patient à la salle d’hospitalisation 236, qui a été interné pour une enflure au genou droit. Celui-ci montre tout heureux un carton rempli de médicaments et de kits d’interventions. «Depuis une semaine que je suis là, les médicaments et les interventions sont gratuits. J’étais d’abord dans une clinique de la place où on m’a exigé la somme de 250.000 Fcfa pour faire une intervention. Comme je ne possédais pas d’argent, on m’a demandé de me rendre au Chu et dès mon arrivée, j’ai été pris en charge à 100% », se réjouit-il. Idem au Chu de Treichville, selon le responsable de la pharmacie de cet établissement. « Depuis le 31 mars, tous les blessés sont soignés et pris en charge. Les médicaments sont facturés en interne, mais ne sont pas payés par les patients. C’est un message venant du gouvernement que nous mettions en application. Tout cela est fonction des médicaments qui sont à notre disposition », explique Dr Amichia, responsable de la pharmacie. A l’en croire, beaucoup de médicaments manquent. Et cela n’est pas du goût de Sou Jacqueline, qui accompagne sa fille malade. Elle explique que les médicaments les plus chers manquent énormément au Chu de Treichville. Une inquiétude partagée par Dr Amichia. Pour lui, cette gratuité fait vite place à la pénurie de médicament qu’il craint.
Napargalè Marie et Dacoury Vincent