Chef d’entreprise et expert en négoce, Siriki Sangaré pratique la filière café-
cacao depuis plusieurs années. En observateur averti, il analyse froidement
l’échec de la libération et fait des propositions pour la relance de la filière.
L.P. : Vous avez assisté à l’investiture du Président de la République qui
annonce une nouvelle ère en Côte d’Ivoire. Cela devrait être marqué par le
développement et la prospérité. Selon vous, quelles sont les clés de cette
relance économique ?
Siriki Sangaré : Ce fut une cérémonie très émouvante que nous attendions
depuis longtemps avec foi et dans le respect de nos valeurs spirituelles. Par
la grâce de Dieu tout s’est bien passé. C’est vrai qu’il y a eu des évènements
très douloureux et pour cela, il faudrait d’entrée que nous nous inclinions
devant la mémoire de toutes ces victimes. Aujourd’hui, le Président prône
la réconciliation et le pardon. C’est vrai qu’il va falloir y arriver, mais, pour
ce faire, il faudra, qu’il y ait une justice positive et une justice négative. Il
faudra montrer aux yeux du peuple ivoirien et de l’opinion internationale
que l’impunité a cessé en Côte d’Ivoire. Et que la justice renaîtra de tout ce
qu’on a connu. Que dorénavant, la séparation des pouvoirs sera une réalité
et que les dossiers seront traités avec impartialité. Ces différentes actions
seront déjà de nature à restaurer la confiance des opérateurs économiques.
Par la suite, le Président Ouattara, qui rassure de par sa carrure internationale,
tous les bailleurs de fonds, ainsi que toutes les Institutions de Bretton Woods,
permettra la reprise de nos activités avec le FMI, la Banque mondiale... Cela
créera des perspectives d’emplois. Pour la suite, le secteur privé pourra faire
venir des partenaires crédibles afin de relancer l’économie. Il faudra également
redorer le blason de l’école ivoirienne, qui, pendant ces 10 dernières années, a
perdu de sa valeur. Les diplômes ne sont plus ce qu’ils étaient. Pour créer de la
valeur ajoutée, les ressources humaines sont une nécessité. Elles permettront
de valoriser tous les différents secteurs et ainsi rendre à la Côte d’Ivoire sa
splendeur passée. Dans un premier temps, il faudra faire le point de ce que
les Entreprises ont perdu, et ensuite, les aider à pouvoir redémarrer en ayant
le minimum. A savoir le matériel de bureautique et informatique. Vous savez,
beaucoup d’entreprises ont vraiment tout perdu. Nous déplorons ce qui s’est
passé.
L.P : Justement, avez-vous une idée du préjudice subi par les opérateurs
économiques ?
S.S : J’avoue que je n’ai pour l’instant pas d’idée précise quant aux dégâts
causés. Mais, à ce que je sache, il est énorme. Pour exemple : Je suis allé
voir la société d’un ami. Il n’y avait même plus de chaises, alors qu’il faisait
un chiffre d’affaires de 2 à 3 milliards de FCFA. Aujourd’hui, il se retrouve à la
case départ. Le préjudice est vraiment énorme et cela tant pour les opérateurs
économiques que sur le plan social en matière de perte d’emplois.
L. P. : Le Président Ouattara a octroyé 6 milliards aux entreprises privées,
jugez-vous cette aide insuffisante ?
S.S. : Vous savez, je suis très prudent en matière de chiffres. J’ai toujours
dit : « avec 5 francs, on peut aller aux Etats-Unis. Le tout est une question
de volonté ». C’est ce que l’on fait avec l’argent qui est importe. Des gens
peuvent avoir 30 ou 50 milliards, et réaliser très peu de choses, par rapport à
d’autres qui en auraient 1 ou 2. Le plus important, c’est la confiance en soi, la
manière dont l’on conçoit l’entreprise. Je ne peux donc parler d’insuffisance.
Nous sortons d’une crise sans précédent, et nous ne devons plus régresser.
Nous n’avons d’autre choix que de progresser. Le Président Ouattara étant un
économiste, je suis d’avis qu’il est conscient des difficultés des entreprises.
Les 6 milliards mis à disposition représentent certainement un pas au même
titre que la garantie que la fiscalité ne connaîtrait pas de modification au
cours de l’année à venir. Attendons de voir les actions à venir avant de nous
prononcer de manière objective sur ce point. Pour ma part je le répète, je ne
peux vraiment pas parler d’insuffisance, les actions menées par chacun auront,
je pense, plus de valeur.
L.P : Comment expliquez-vous la gestion scabreuse de la filière café-cacao
sous l’ancien régime ?
S.S : Pour mieux comprendre la gestion de cette filière, il faut remonter de
l’époque de feu Houphouët à celle de l’ancien régime. Dans les années 60, la
Côte d’Ivoire ne produisait que 160 000 tonnes de cacao et entre 200 et 300
000 tonnes de café.
Par volonté politique, nous sommes passés à environ 1, 2 million de tonnes
pour le cacao brousse et environ 200 000 tonnes de café robusta tout venant.
La Caistab, créée par le président Houphouët-Boigny, faisait des ventes
anticipées, c’est-à-dire que 80% de la production était vendu avant l’ouverture
de la campagne. Ce qui permettait de fixer un prix minimum caf (coût
assurance fret) garanti au paysan. Et favorisait la fixation d’un minimum bord
champ garanti aux paysans. Ainsi, on parlait de stabilisation lors des
confirmations de vente (CV). Si le marché était supérieur au prix garanti, on
reversait à l’Etat le surplus, et dans le cas contraire, si le marché était en deçà
du prix garanti, l’Etat nous payait une subvention. D’où, l’appellation de caisse
de stabilisation et de soutien des prix aux producteurs agricoles. Cela a
fonctionné pendant longtemps et ça a surtout permis à la Côte d’Ivoire durant
les périodes de vaches grasses d’avoir beaucoup d’argent. Je me souviens
qu’une année, la Côte d’Ivoire a même fait un excédent budgétaire d’environ
1000 milliards de FCFA. Le système a fonctionné jusqu’au début des années 80,
précisément en 83 où l’on a commencé à connaître la conjoncture. Il a fallu
avec l’appui des institutions de Bretton Woods, restructurer le secteur. Il fallait
libéraliser la filière, permettre ainsi une gestion transparente de la Caistab. La
structure ne posait pas de problèmes, c’est plutôt sa gestion qui était en cause.
On est passé du Casa (crédit d’ajustement du secteur agricole) au Pnasa (Plan
national d’appui du secteur agricole). J’ai eu moi-même à faire une étude avec
le FMI et la Banque mondiale sur la matrice d’analyse des politiques agricoles,
pour essayer d’étudier la possibilité de transfert des revenus vers les paysans.
Nous avons ainsi constaté que les paysans avaient une garantie financière par
rapport au prix qu’on leur fixait. C’était une politique pour qu’il y ait une
certaine stabilité. Mais, avec la pression des bailleurs de fonds et la
catastrophe économique qu’on a connue et surtout les positions à terme que
la Côte d’Ivoire avait pris sur le marché des matières premières, alors que le
physique n’était pas en place, il y a eu un déséquilibre. On s’est retrouvé dans
un chaos et même les banques n’arrivaient pas à suivre. Nous étions déjà au
début des années 90. Le Premier ministre d’alors, Alassane Ouattara, a permis
d’assainir les finances publiques, de stabiliser l’économie en évitant aux
banques, une banqueroute. Ensuite, après la mort du président Houphouët-
Boigny, il fallait que coûte que coûte libéraliser la filière. Et les années qui ont
suivi, la Caistab a été démantelée, en 99 et en 2000, plusieurs structures ont vu
le jour. On a donc libéralisé la filière. L’objectif principal des bailleurs de fonds
était que le paysan puisse être rémunéré à sa juste valeur, profiter de la sueur
de son front. On s’est rendu plutôt compte que sous l’ancien régime, la gestion
était si mauvaise, que les paysans étaient plus appauvris qu’au temps de la
caisse de stabilisation. On s’est retrouvé à payer des taxes énormes pour
exporter le café et le cacao. Cela a alourdi la gestion. Lorsqu’un prix était fixé
par le marché à terme, on relevait sur le compte du paysan, tout ce qu’on
devait payer à l’Etat. Ce prélèvement devait être redistribué à toute la filière.
Malheureusement la gestion n’a pas suivi. L’argent du cacao aurait pu servir à
construire des routes, à assainir les écoles. Cela dit, ce qui s’est passé ne doit
pas être pour nous des moments de pleurs. Cela doit plutôt susciter une crise
et une prise de conscience afin que dans l’avenir, ces secteurs soient bien
structurés.
L.P : Comment entrevoyez-vous à propos cette restructuration de la filière ?
S.S : Il faut revenir à la Caisse de stabilisation. Car on aurait pu libéraliser la
filière sans démanteler la Caistab. Mais il ne faudrait pas que la gestion soit
opaque. Elle doit être transparente. Il faut que ce qui revient aux paysans, leur
revienne effectivement. Tout est une question de gestion. Ce que je conseille
au Président de la République, c’est de mettre en place un mécanisme de
contrôle et de suivi de la gestion, pour que la filière soit suivie de bout en
bout. Ensuite, il faut un financement structuré de la filière. L’opérateur, qui a
un contrat d’exportation, doit être suivi depuis le bord le bord champ jusqu’à
fob (fruit on board). Il y a des instruments qui sont là, qu’on appelle tiers
détentions, le contrôle qualité et le transitaire, ainsi de suite. Le tiers détenteur
émet une lettre de tiers détention à la banque pour prouver que le produit
existe. Et c’est sur cette base que des crédits sont octroyés à l’exportateur. Il
faut aussi que la qualité du produit soit conforme au contrat. Les contrôleurs
qualité sont là pour veiller à cela. Sinon, le retour à l’ancienne Caistab, avec une
gestion rigoureuse, serait une très bonne chose. Naturellement, la structure
doit être conduite par des hommes qui connaissent vraiment le métier, savent
ce que c’est qu’une mise à marchés, une salle à marchés et surtout insister
sur la qualité du produit à exporter. Bref, il faut ce soit des gestionnaires
compétents. Cela dit, il y a trop de taxes sur le café et le cacao. Il faut repenser
un système de fixation des taxes. Cela permettra aux entreprises de s’en
sortir et donc de créer des emplois. Mais, s’il y a énormément de taxes qui
sont reversés à l’Etat, nous devenons des collecteurs d’impôts. Je compte
sur le gouvernement pour qu’on trouve le juste milieu afin que l’Etat et les
exportateurs s’en tirent chacun à bon compte.
L.P : On parle d’investir dans le pays, il a été relevé des manquements
dans le domaine de la transparence, de la gouvernance et du respect de
l’environnement. Comment faire face à de telles préoccupations ?
S.S : Même dans les pays les plus industrialisés, il est difficile d’évaluer la
conformité des sociétés cotées et non cotées avec des critères tels les PRI
(Principles for Responsible Investment), ESG (Environment Social and
Governance) ou SRI (Social Responsable Investment). Dès lors, il me semble
inévitable que ces mêmes obstacles se reflètent dans notre économie malgré
un progrès en matière de protection de l’investisseur. La diffusion de
l’information de la part des entreprises est un fort indicateur de la
transparence et de l’efficience d’un marché. Je crois donc que ce n’est pas tant
la nature du marché qui importe, mais la capacité ou non à accéder à
l’information. En effet, la manière la plus efficace d’atteindre le cœur de
l’information est d’avoir une stratégie activiste d’investissement qui autorise
un accès efficient et non restrictif. Dans cette recherche, les investisseurs
devraient également cibler des compagnies dont les dirigeants sont capables et
prêts à modifier leur politique en matière de transparence. Finalement, je
pense que c’est plus une question de taille que de provenance. Ainsi, ce sont
les petites et moyennes entreprises qui répondent le mieux à ces facteurs de
transparence, car elles peuvent évoluer le plus positivement sur ce terrain et
s’adapter de la manière la plus flexible et efficace.
Réalisée par Y. Sangaré
Ahmed Souané (Administrateur, PCA par intérim du Burida)
“Le Burida a enregistré une perte de 500 millions”
Le Bureau Ivoirien du Droit d'Auteur est encore dans le creux de la vague. La
perception et le recouvrement des droits d'auteur sont quasi impossibles,
les travailleurs totalisent cinq mois d'arriérés de salaire, le PCA, absent du
pays, n'arrive pas à assumer ses fonctions. Ce sont autant de sujets qu'Ahmed
Souané aborde dans cet entretien.
Le Patriote : Quel est l'état des lieux aujourd'hui au Burida ?
Ahmed Souané : L'état des lieux au Burida après la crise postélectorale, est
que cette maison, comme presque toutes les sociétés, a subi les affres de
la guerre. Bien plus, le Burida qui est une société de recouvrement et de
perception du droit d'auteur des artistes et créateurs, évidemment, dans
un tel contexte ne pouvait pas du tout travailler. Les usagers étaient terrés
chez eux, aucun espace sonorisé n'ouvrait, il n'y avait pas de manifestation.
En somme, tout ce qui permettait au Burida de faire des recettes n'existait
pratiquement pas. Il est donc clair que le manque à gagner, du point de vue
financier, est énorme. Au bas mot, cette régie a enregistré une perte de 400
à 500 millions de FCFA en quatre mois d'inactivité. Le Burida a aussi reçu la
visite des personnes indélicates en armes. Des ordinateurs, des imprimantes
et biens d'autres appareils ont été emportés avec toutes les données. Toutes
choses qui viennent en rajouter aux difficultés de la maison qui a encore du mal
à redémarrer convenablement ses activités.
LP : Est-ce vrai qu'il se pose en ce moment un problème d'impayés de salaire
au Burida ?
A.S : Effectivement, du fait de la crise, le Burida totalise quatre mois d'arriérés
de salaire vis- à-vis des travailleurs. Pour soulager les travailleurs, nous avons
reparti, selon les disponibilités de la trésorerie, la somme de 4 millions de
FCFA entre les travailleurs afin que les uns et les autres puissent avoir de quoi à
payer le transport. Chacun a reçu 40 mille francs, y compris ceux qui étaient en
chômage technique.
LP : Vu toutes ces difficultés et vu que Gadji Céli, le Président du Conseil
d'Administration (PCA) serait réfugié dans un pays voisin, quelle organisation
avez- vous mis en place pour permettre au Burida de fonctionner?
A.S : Comme vous le dites, nous avons constaté l'absence du PCA. Nous avons
tenté d'entrer en contact avec lui via certains membres de sa famille. Par la
suite lui- même nous a appelés pour dire qu'il se retrouvait au Ghana pour des
raisons sécuritaires. Lorsque nous avons évoqué le problème du Burida qui ne
pouvait pas rester longtemps sans dirigeants, parce que le Directeur général,
Michel Baroan lui aussi n'étant pas là à cette époque, il nous a demandé,
par écrit, d'assurer son intérim jusqu'à son retour. Malheureusement, son
séjour dure, le Conseil d'Administration va se réunir bientôt (Ndlr un Conseil
extraordinaire s'est tenu hier) pour statuer dessus.
LP : Avec l'absence prolongée du PCA, que prévoient les textes du Burida dans
le cas de figure ?
A.S : Lorsque le Conseil constate l'un des cas de vacance : soit le président n'a
pas, entre autres, participé à trois séances consécutives, soit il est impliqué
dans une malversation dûment constatée par la Commissaire aux comptes;
soit si c'est un cas de décès, ce sont ces différents cas qui amènent le Conseil
à faire un rapport au ministre de la Culture qui présente le cas au Président
de la République qui, à son tour, prend un Décret de démission du PCA. En ce
moment là, le doyen d'âge du Conseil préside l'organisation d'une élection au
sein même du Conseil d'Administration pour la désignation d'un nouveau PCA
qui assure l'intérim jusqu'à la fin du mandat en cours.
LP : Avec tous ces schémas que vous venez de présenter, vers quel cas le
Burida court-il ?
A.S : Il appartient au Conseil d'Administration d'apprécier. Moi, en qualité
d'Administrateur intérimaire provisoire, je ferai mon rapport.
LP : Vous êtes acteur de théâtre et talentueux comédien. La rétrocession du
Burida vous est-elle profitable désormais ?
A.S : Il faut savoir limiter les actions des uns et des autres. Ce sont les créateurs
qui dirigent, pour la plupart, le Conseil. Mais, pour la gestion au quotidien, ce
sont des personnes qui ne sont pas artistes, de par les textes, qui gèrent la
Burida. Ce sont, le Directeur général et toute son équipe qui sont les
gestionnaires au quotidien. Ce sont eux qui rendent compte de la gestion.
Concernant le problème récurrent d'arriérés de salaire, je pense qu'il y a des
mois qui auraient pu être payés avant la crise. Parce que quand on se retrouve
avec quatre ou cinq mois d'arriérés, il faut savoir tout de même que le Burida a
quand- même fonctionné pendant janvier et février avant que la crise ne
s'aggrave. Ces mois auraient pu être payés. Si nous sommes arrivés à cette
situation, c'est qu'il y a eu un problème quelque part.
Réalisée par Jean- Antoine Doudou
cacao depuis plusieurs années. En observateur averti, il analyse froidement
l’échec de la libération et fait des propositions pour la relance de la filière.
L.P. : Vous avez assisté à l’investiture du Président de la République qui
annonce une nouvelle ère en Côte d’Ivoire. Cela devrait être marqué par le
développement et la prospérité. Selon vous, quelles sont les clés de cette
relance économique ?
Siriki Sangaré : Ce fut une cérémonie très émouvante que nous attendions
depuis longtemps avec foi et dans le respect de nos valeurs spirituelles. Par
la grâce de Dieu tout s’est bien passé. C’est vrai qu’il y a eu des évènements
très douloureux et pour cela, il faudrait d’entrée que nous nous inclinions
devant la mémoire de toutes ces victimes. Aujourd’hui, le Président prône
la réconciliation et le pardon. C’est vrai qu’il va falloir y arriver, mais, pour
ce faire, il faudra, qu’il y ait une justice positive et une justice négative. Il
faudra montrer aux yeux du peuple ivoirien et de l’opinion internationale
que l’impunité a cessé en Côte d’Ivoire. Et que la justice renaîtra de tout ce
qu’on a connu. Que dorénavant, la séparation des pouvoirs sera une réalité
et que les dossiers seront traités avec impartialité. Ces différentes actions
seront déjà de nature à restaurer la confiance des opérateurs économiques.
Par la suite, le Président Ouattara, qui rassure de par sa carrure internationale,
tous les bailleurs de fonds, ainsi que toutes les Institutions de Bretton Woods,
permettra la reprise de nos activités avec le FMI, la Banque mondiale... Cela
créera des perspectives d’emplois. Pour la suite, le secteur privé pourra faire
venir des partenaires crédibles afin de relancer l’économie. Il faudra également
redorer le blason de l’école ivoirienne, qui, pendant ces 10 dernières années, a
perdu de sa valeur. Les diplômes ne sont plus ce qu’ils étaient. Pour créer de la
valeur ajoutée, les ressources humaines sont une nécessité. Elles permettront
de valoriser tous les différents secteurs et ainsi rendre à la Côte d’Ivoire sa
splendeur passée. Dans un premier temps, il faudra faire le point de ce que
les Entreprises ont perdu, et ensuite, les aider à pouvoir redémarrer en ayant
le minimum. A savoir le matériel de bureautique et informatique. Vous savez,
beaucoup d’entreprises ont vraiment tout perdu. Nous déplorons ce qui s’est
passé.
L.P : Justement, avez-vous une idée du préjudice subi par les opérateurs
économiques ?
S.S : J’avoue que je n’ai pour l’instant pas d’idée précise quant aux dégâts
causés. Mais, à ce que je sache, il est énorme. Pour exemple : Je suis allé
voir la société d’un ami. Il n’y avait même plus de chaises, alors qu’il faisait
un chiffre d’affaires de 2 à 3 milliards de FCFA. Aujourd’hui, il se retrouve à la
case départ. Le préjudice est vraiment énorme et cela tant pour les opérateurs
économiques que sur le plan social en matière de perte d’emplois.
L. P. : Le Président Ouattara a octroyé 6 milliards aux entreprises privées,
jugez-vous cette aide insuffisante ?
S.S. : Vous savez, je suis très prudent en matière de chiffres. J’ai toujours
dit : « avec 5 francs, on peut aller aux Etats-Unis. Le tout est une question
de volonté ». C’est ce que l’on fait avec l’argent qui est importe. Des gens
peuvent avoir 30 ou 50 milliards, et réaliser très peu de choses, par rapport à
d’autres qui en auraient 1 ou 2. Le plus important, c’est la confiance en soi, la
manière dont l’on conçoit l’entreprise. Je ne peux donc parler d’insuffisance.
Nous sortons d’une crise sans précédent, et nous ne devons plus régresser.
Nous n’avons d’autre choix que de progresser. Le Président Ouattara étant un
économiste, je suis d’avis qu’il est conscient des difficultés des entreprises.
Les 6 milliards mis à disposition représentent certainement un pas au même
titre que la garantie que la fiscalité ne connaîtrait pas de modification au
cours de l’année à venir. Attendons de voir les actions à venir avant de nous
prononcer de manière objective sur ce point. Pour ma part je le répète, je ne
peux vraiment pas parler d’insuffisance, les actions menées par chacun auront,
je pense, plus de valeur.
L.P : Comment expliquez-vous la gestion scabreuse de la filière café-cacao
sous l’ancien régime ?
S.S : Pour mieux comprendre la gestion de cette filière, il faut remonter de
l’époque de feu Houphouët à celle de l’ancien régime. Dans les années 60, la
Côte d’Ivoire ne produisait que 160 000 tonnes de cacao et entre 200 et 300
000 tonnes de café.
Par volonté politique, nous sommes passés à environ 1, 2 million de tonnes
pour le cacao brousse et environ 200 000 tonnes de café robusta tout venant.
La Caistab, créée par le président Houphouët-Boigny, faisait des ventes
anticipées, c’est-à-dire que 80% de la production était vendu avant l’ouverture
de la campagne. Ce qui permettait de fixer un prix minimum caf (coût
assurance fret) garanti au paysan. Et favorisait la fixation d’un minimum bord
champ garanti aux paysans. Ainsi, on parlait de stabilisation lors des
confirmations de vente (CV). Si le marché était supérieur au prix garanti, on
reversait à l’Etat le surplus, et dans le cas contraire, si le marché était en deçà
du prix garanti, l’Etat nous payait une subvention. D’où, l’appellation de caisse
de stabilisation et de soutien des prix aux producteurs agricoles. Cela a
fonctionné pendant longtemps et ça a surtout permis à la Côte d’Ivoire durant
les périodes de vaches grasses d’avoir beaucoup d’argent. Je me souviens
qu’une année, la Côte d’Ivoire a même fait un excédent budgétaire d’environ
1000 milliards de FCFA. Le système a fonctionné jusqu’au début des années 80,
précisément en 83 où l’on a commencé à connaître la conjoncture. Il a fallu
avec l’appui des institutions de Bretton Woods, restructurer le secteur. Il fallait
libéraliser la filière, permettre ainsi une gestion transparente de la Caistab. La
structure ne posait pas de problèmes, c’est plutôt sa gestion qui était en cause.
On est passé du Casa (crédit d’ajustement du secteur agricole) au Pnasa (Plan
national d’appui du secteur agricole). J’ai eu moi-même à faire une étude avec
le FMI et la Banque mondiale sur la matrice d’analyse des politiques agricoles,
pour essayer d’étudier la possibilité de transfert des revenus vers les paysans.
Nous avons ainsi constaté que les paysans avaient une garantie financière par
rapport au prix qu’on leur fixait. C’était une politique pour qu’il y ait une
certaine stabilité. Mais, avec la pression des bailleurs de fonds et la
catastrophe économique qu’on a connue et surtout les positions à terme que
la Côte d’Ivoire avait pris sur le marché des matières premières, alors que le
physique n’était pas en place, il y a eu un déséquilibre. On s’est retrouvé dans
un chaos et même les banques n’arrivaient pas à suivre. Nous étions déjà au
début des années 90. Le Premier ministre d’alors, Alassane Ouattara, a permis
d’assainir les finances publiques, de stabiliser l’économie en évitant aux
banques, une banqueroute. Ensuite, après la mort du président Houphouët-
Boigny, il fallait que coûte que coûte libéraliser la filière. Et les années qui ont
suivi, la Caistab a été démantelée, en 99 et en 2000, plusieurs structures ont vu
le jour. On a donc libéralisé la filière. L’objectif principal des bailleurs de fonds
était que le paysan puisse être rémunéré à sa juste valeur, profiter de la sueur
de son front. On s’est rendu plutôt compte que sous l’ancien régime, la gestion
était si mauvaise, que les paysans étaient plus appauvris qu’au temps de la
caisse de stabilisation. On s’est retrouvé à payer des taxes énormes pour
exporter le café et le cacao. Cela a alourdi la gestion. Lorsqu’un prix était fixé
par le marché à terme, on relevait sur le compte du paysan, tout ce qu’on
devait payer à l’Etat. Ce prélèvement devait être redistribué à toute la filière.
Malheureusement la gestion n’a pas suivi. L’argent du cacao aurait pu servir à
construire des routes, à assainir les écoles. Cela dit, ce qui s’est passé ne doit
pas être pour nous des moments de pleurs. Cela doit plutôt susciter une crise
et une prise de conscience afin que dans l’avenir, ces secteurs soient bien
structurés.
L.P : Comment entrevoyez-vous à propos cette restructuration de la filière ?
S.S : Il faut revenir à la Caisse de stabilisation. Car on aurait pu libéraliser la
filière sans démanteler la Caistab. Mais il ne faudrait pas que la gestion soit
opaque. Elle doit être transparente. Il faut que ce qui revient aux paysans, leur
revienne effectivement. Tout est une question de gestion. Ce que je conseille
au Président de la République, c’est de mettre en place un mécanisme de
contrôle et de suivi de la gestion, pour que la filière soit suivie de bout en
bout. Ensuite, il faut un financement structuré de la filière. L’opérateur, qui a
un contrat d’exportation, doit être suivi depuis le bord le bord champ jusqu’à
fob (fruit on board). Il y a des instruments qui sont là, qu’on appelle tiers
détentions, le contrôle qualité et le transitaire, ainsi de suite. Le tiers détenteur
émet une lettre de tiers détention à la banque pour prouver que le produit
existe. Et c’est sur cette base que des crédits sont octroyés à l’exportateur. Il
faut aussi que la qualité du produit soit conforme au contrat. Les contrôleurs
qualité sont là pour veiller à cela. Sinon, le retour à l’ancienne Caistab, avec une
gestion rigoureuse, serait une très bonne chose. Naturellement, la structure
doit être conduite par des hommes qui connaissent vraiment le métier, savent
ce que c’est qu’une mise à marchés, une salle à marchés et surtout insister
sur la qualité du produit à exporter. Bref, il faut ce soit des gestionnaires
compétents. Cela dit, il y a trop de taxes sur le café et le cacao. Il faut repenser
un système de fixation des taxes. Cela permettra aux entreprises de s’en
sortir et donc de créer des emplois. Mais, s’il y a énormément de taxes qui
sont reversés à l’Etat, nous devenons des collecteurs d’impôts. Je compte
sur le gouvernement pour qu’on trouve le juste milieu afin que l’Etat et les
exportateurs s’en tirent chacun à bon compte.
L.P : On parle d’investir dans le pays, il a été relevé des manquements
dans le domaine de la transparence, de la gouvernance et du respect de
l’environnement. Comment faire face à de telles préoccupations ?
S.S : Même dans les pays les plus industrialisés, il est difficile d’évaluer la
conformité des sociétés cotées et non cotées avec des critères tels les PRI
(Principles for Responsible Investment), ESG (Environment Social and
Governance) ou SRI (Social Responsable Investment). Dès lors, il me semble
inévitable que ces mêmes obstacles se reflètent dans notre économie malgré
un progrès en matière de protection de l’investisseur. La diffusion de
l’information de la part des entreprises est un fort indicateur de la
transparence et de l’efficience d’un marché. Je crois donc que ce n’est pas tant
la nature du marché qui importe, mais la capacité ou non à accéder à
l’information. En effet, la manière la plus efficace d’atteindre le cœur de
l’information est d’avoir une stratégie activiste d’investissement qui autorise
un accès efficient et non restrictif. Dans cette recherche, les investisseurs
devraient également cibler des compagnies dont les dirigeants sont capables et
prêts à modifier leur politique en matière de transparence. Finalement, je
pense que c’est plus une question de taille que de provenance. Ainsi, ce sont
les petites et moyennes entreprises qui répondent le mieux à ces facteurs de
transparence, car elles peuvent évoluer le plus positivement sur ce terrain et
s’adapter de la manière la plus flexible et efficace.
Réalisée par Y. Sangaré
Ahmed Souané (Administrateur, PCA par intérim du Burida)
“Le Burida a enregistré une perte de 500 millions”
Le Bureau Ivoirien du Droit d'Auteur est encore dans le creux de la vague. La
perception et le recouvrement des droits d'auteur sont quasi impossibles,
les travailleurs totalisent cinq mois d'arriérés de salaire, le PCA, absent du
pays, n'arrive pas à assumer ses fonctions. Ce sont autant de sujets qu'Ahmed
Souané aborde dans cet entretien.
Le Patriote : Quel est l'état des lieux aujourd'hui au Burida ?
Ahmed Souané : L'état des lieux au Burida après la crise postélectorale, est
que cette maison, comme presque toutes les sociétés, a subi les affres de
la guerre. Bien plus, le Burida qui est une société de recouvrement et de
perception du droit d'auteur des artistes et créateurs, évidemment, dans
un tel contexte ne pouvait pas du tout travailler. Les usagers étaient terrés
chez eux, aucun espace sonorisé n'ouvrait, il n'y avait pas de manifestation.
En somme, tout ce qui permettait au Burida de faire des recettes n'existait
pratiquement pas. Il est donc clair que le manque à gagner, du point de vue
financier, est énorme. Au bas mot, cette régie a enregistré une perte de 400
à 500 millions de FCFA en quatre mois d'inactivité. Le Burida a aussi reçu la
visite des personnes indélicates en armes. Des ordinateurs, des imprimantes
et biens d'autres appareils ont été emportés avec toutes les données. Toutes
choses qui viennent en rajouter aux difficultés de la maison qui a encore du mal
à redémarrer convenablement ses activités.
LP : Est-ce vrai qu'il se pose en ce moment un problème d'impayés de salaire
au Burida ?
A.S : Effectivement, du fait de la crise, le Burida totalise quatre mois d'arriérés
de salaire vis- à-vis des travailleurs. Pour soulager les travailleurs, nous avons
reparti, selon les disponibilités de la trésorerie, la somme de 4 millions de
FCFA entre les travailleurs afin que les uns et les autres puissent avoir de quoi à
payer le transport. Chacun a reçu 40 mille francs, y compris ceux qui étaient en
chômage technique.
LP : Vu toutes ces difficultés et vu que Gadji Céli, le Président du Conseil
d'Administration (PCA) serait réfugié dans un pays voisin, quelle organisation
avez- vous mis en place pour permettre au Burida de fonctionner?
A.S : Comme vous le dites, nous avons constaté l'absence du PCA. Nous avons
tenté d'entrer en contact avec lui via certains membres de sa famille. Par la
suite lui- même nous a appelés pour dire qu'il se retrouvait au Ghana pour des
raisons sécuritaires. Lorsque nous avons évoqué le problème du Burida qui ne
pouvait pas rester longtemps sans dirigeants, parce que le Directeur général,
Michel Baroan lui aussi n'étant pas là à cette époque, il nous a demandé,
par écrit, d'assurer son intérim jusqu'à son retour. Malheureusement, son
séjour dure, le Conseil d'Administration va se réunir bientôt (Ndlr un Conseil
extraordinaire s'est tenu hier) pour statuer dessus.
LP : Avec l'absence prolongée du PCA, que prévoient les textes du Burida dans
le cas de figure ?
A.S : Lorsque le Conseil constate l'un des cas de vacance : soit le président n'a
pas, entre autres, participé à trois séances consécutives, soit il est impliqué
dans une malversation dûment constatée par la Commissaire aux comptes;
soit si c'est un cas de décès, ce sont ces différents cas qui amènent le Conseil
à faire un rapport au ministre de la Culture qui présente le cas au Président
de la République qui, à son tour, prend un Décret de démission du PCA. En ce
moment là, le doyen d'âge du Conseil préside l'organisation d'une élection au
sein même du Conseil d'Administration pour la désignation d'un nouveau PCA
qui assure l'intérim jusqu'à la fin du mandat en cours.
LP : Avec tous ces schémas que vous venez de présenter, vers quel cas le
Burida court-il ?
A.S : Il appartient au Conseil d'Administration d'apprécier. Moi, en qualité
d'Administrateur intérimaire provisoire, je ferai mon rapport.
LP : Vous êtes acteur de théâtre et talentueux comédien. La rétrocession du
Burida vous est-elle profitable désormais ?
A.S : Il faut savoir limiter les actions des uns et des autres. Ce sont les créateurs
qui dirigent, pour la plupart, le Conseil. Mais, pour la gestion au quotidien, ce
sont des personnes qui ne sont pas artistes, de par les textes, qui gèrent la
Burida. Ce sont, le Directeur général et toute son équipe qui sont les
gestionnaires au quotidien. Ce sont eux qui rendent compte de la gestion.
Concernant le problème récurrent d'arriérés de salaire, je pense qu'il y a des
mois qui auraient pu être payés avant la crise. Parce que quand on se retrouve
avec quatre ou cinq mois d'arriérés, il faut savoir tout de même que le Burida a
quand- même fonctionné pendant janvier et février avant que la crise ne
s'aggrave. Ces mois auraient pu être payés. Si nous sommes arrivés à cette
situation, c'est qu'il y a eu un problème quelque part.
Réalisée par Jean- Antoine Doudou