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Société Publié le jeudi 16 juin 2011 | L’Inter

Insécurité, droits de l`homme, réconciliation, etc Traoré Wodjo Fini (Société Civile) sans détour : « La crise ne doit pas servir de prétexte pour se dérober»

. ''Il faut un chef d’état-major accepté par tous''
. ''Il faut ouvrir le procès des détenus''
. ''Pas de réconciliation sans nos frères à l'étranger''

M. Traoré Wodjo Fini est le Coordonnateur de la coalition de la société civile pour la paix et le développement démocratique en Côte d'Ivoire (COSOPCI). Structure qui s'est engagée pleinement dans l'observation du déroulement des élections présidentielles jusqu'à l'arrivée au pouvoir du président Alassane Ouattara. Deux mois après le changement de régime, M. Traoré Wodjo Fini jette un regard sans complaisance sur la situation du moment.
M. Wodjo, comment la société civile a-t-elle pu participer au processus électoral sans nous éviter la crise qu'on a vécue ?
Depuis le début, elle a participé à toutes les étapes ayant abouti à l’organisation de la présidentielle en Côte d’Ivoire avec l’appui du PNUD. La COSOPCI a participé à l’observation électorale en déployant 1700 observateurs au premier et au second tour. Un communiqué a même été pondu à l’époque. Grâce à notre travail et avec l’appui de certains partenaires comme le Forum des organisations de la société civile de l’Afrique de l’Ouest (FOSCAO), la COFEMCI, le WANEP, le RAIDH, nous avons pu sensibiliser la population sur l’importance du vote et la participation populaire à cette élection. Les résultats sont là. Au premier tour, la Côte d’Ivoire a réalisé l’un des taux de participation les plus élevés au monde avec 83%. Grâce également au travail qui a été fait sur le terrain, nous avons réalisé 81% de taux de participation au second tour. Ce qui n’était pas évident au regard de la durée très courte de la période de sensibilisation. Ce qu'il est important de retenir, c’est que nous nous sommes battus pour la transparence de ce scrutin et pour le respect du verdict des urnes jusqu’à notre dernier souffle.
Pourtant, de façon générale, l'on a noté une sorte de silence de cette société civile pendant le bras de fer entre MM Ouattara et Gbagbo?
Non, je ne le crois pas. Nous avons pondu plusieurs communiqués, en son temps, pour demander le respect du verdict des urnes. En tout cas, la COSOPCI, et les communiqués sont là pour l’attester, a refusé d’accepter le hold-up électoral. J’ai accordé plusieurs interviews à plusieurs organes de la place pour demander le respect du verdict des urnes. Nous avons martelé en son temps que le Conseil constitutionnel n’avait pas dit le droit. Avec les autres organisations de la société civile, nous avons déployé près de 3000 observateurs au premier tour du scrutin. Nous sommes arrivés à départager les trois candidats. Au second tour, nous avons changé de stratégie. Nous avons déployé 1000 observateurs pour suivre la centralisation des résultats. En plus, nous avons eu un logiciel qui nous a permis de faire le décompte parallèle des voix. Ce qui nous a conduits à avoir notre résultat qui n’était pas loin de celui de la CEI. Donc nous étions à l’aise pour défendre notre résultat. M Laurent Gbagbo, au regard de notre observation, avait perdu les élections face à son adversaire, M. Alassane Ouattara qui les avait gagnées.
Finalement, le pouvoir a échu à M. Ouattara, mais dans les conditions que nous savons. Cela peut-il garantir une bonne mise en œuvre d'un programme de gouvernement?
Bien sûr que le président Alassane Ouattara est fragilisé. Il l’est d’autant plus qu’il y a cinq mois déjà de grillés par la crise post-électorale. C’est à lui de trouver les ressources nécessaires pour réaliser son programme. Il ne faut pas utiliser la crise pour se dérober plus tard. Aujourd’hui, le président Ouattara doit considérer comme un défi les difficultés qui se présentent à lui. Notamment la question des droits humains qui est très sensible ainsi que celle de la sécurité.
Avant d'aborder ce sujet, des voix se sont élevées pour dénoncer la composition du nouveau gouvernement. Avez-vous un commentaire sur la question?
J’ai deux commentaires à faire. L’un est relatif à l’ossature du gouvernement et l’autre à sa composition. En ce qui concerne l'ossature, je constate que c’est un gouvernement pléthorique. Il y a 36 ministres, et un ministre coûte cher. Il faut tenir compte de l’état de santé de la Côte d’Ivoire qui sort d’une crise. On dirait que le gouvernement a été formé dans un souci de réconciliation, mais n’oublions pas que la Côte d’Ivoire sort d’une crise financière et humanitaire qui l’a affaiblie. Conséquence, il n’y a pas suffisamment de ressources financières. Il faut donc optimiser le peu de ressources disponibles. Quant à mon second commentaire, je dirai qu’il n’y a pas de jeunes dans le gouvernement. Pourtant, ce sont les jeunes qui ont été les acteurs clés dans le processus électoral. Je voudrais en profiter pour saluer tous les jeunes des partis politiques ivoiriens. Bien de jeunes devraient être dans ce gouvernement, il y a sans doute des explications, mais nous pensons que les jeunes et surtout les femmes devraient être beaucoup représentés. Sur les 36 ministres, nous n’avons que cinq femmes, ce qui est contraire au quota donné par les Nations unies qui demandent 30% de femmes dans les sphères de décision. On devrait avoir au moins 10 femmes dans le gouvernement. Le président de la République a nommé cinq femmes parce que des partis politiques lui ont proposé des listes sur lesquelles ne figuraient pas de femmes. Il aurait dû utiliser son pouvoir discrétionnaire pour imposer des femmes à un certain nombre de partis politiques. N’oublions pas également qu’au dernier recensement, les femmes étaient plus nombreuses que les hommes. Elles représentaient 51,99% de l’effectif des électeurs. Ce qui signifie qu’elles ont majoritairement voté pour le candidat Alassane Ouattara. Celui-ci aurait pu percevoir cet aspect des choses et agir en conséquence. Mais, comme le président a parlé d’un gouvernement de transition, on espère qu’il corrigera cette injustice dans la prochaine équipe.
Justement, ce gouvernement a une durée, dit-on, de six mois. N'est-il pas à craindre des abus de ministres qui douteraient d'être reconduits à la tête de leur département ?
La question me rappelle l'époque d'Alassane Ouattara quand il était Premier ministre du président Félix Houphouët-Boigny. Moi, j’ai connu M. Ouattara comme un technocrate, un professionnel et une personne pratique. Je suis convaincu que la légèreté au gouvernement est terminée. Le chef de l’Etat a devant lui des chantiers et il est attendu par toute la population. Nous sortons d’un conflit et nous devons réapprendre à vivre ensemble. En plus, il faut que les Ivoiriens travaillent et il lui revient de les mettre au travail. Pour le faire, il faut que les ministres soient à leur bureau à partir de 8h30 et ce jusqu’à 18h. Nous sortons d’une crise. Et sortir d’une crise, comme le disait l’ancien président Laurent Gbagbo, ce n’est pas sortir d’un dîner-gala. Il y a des éléments essentiels sur lesquels on doit insister. C’est le travail, la bonne foi, le respect des populations pour lesquelles on travaille. Je crois à la mise en garde du président Ouattara qui a dit qu’il mettra dehors tous les ministres paresseux. Cette phrase porte en elle des indicateurs de la bonne gouvernance. Prévenus de la sorte, je pense que les ministres se mettront au travail. Si nous travaillons, il y a de fortes chances que nous devenions un pays émergent.
Quelles priorités dégagez-vous pour ce gouvernement pour être efficace ?
La priorité pour ce gouvernement, c’est la résolution de la question des droits humains. Il faut redorer le blason de la Côte d’Ivoire en matière de respect des droits humains. Cette priorité englobe plusieurs autres aspects que sont la sécurité, la reforme de l’armée. Nous devons avoir une armée symbole de l’unité nationale, une armée véritablement républicaine et professionnelle. Nous souhaitons également, en ce qui concerne ces priorités, une reforme de la justice. On ne le dira jamais assez, le véritable indicateur de la démocratie, c’est la justice. Quand vous avez une justice propre dans votre pays où les magistrats sont honnêtes et font correctement leur travail, la démocratie s’encre plus durablement. Enfin, il faut prendre en compte la réconciliation nationale. Les Ivoiriens doivent réapprendre à vivre ensemble. J’ai apprécié l’intervention du Pr Francis Wodié récemment sur une chaîne de radio où il disait qu'il nous faut des états généraux de la sécurité et de la défense. Je partage son point de vue. Mais il ne faut pas aussi oublier les états généraux de l’Education nationale. La Côte d’Ivoire a besoin d’une population qui puisse soutenir son développement dans les années à venir. Cela passe par une bonne éducation. Je voudrais terminer sur cette question en insistant sur la place des jeunes et des femmes. L’urgence pour ce gouvernement, de mon humble avis, c’est de permettre à des jeunes et des femmes d’être à des postes de responsabilité. Il faut leur faire confiance. Si on ne fait pas confiance aux jeunes, on les obligera à prendre des armes demain. Parce que l’oisiveté, comme le dit un adage, est la mère de tous les vices. Quand on n’a rien à faire, on est facilement manipulable pour détruire son pays.
Quelle place, alors, pour ces anciens qui se sentent encore aptes au service?
Je voudrais féliciter les doyens pour tout ce qu’ils ont déjà fait. Quand on met un enfant au monde, on l’encadre. On lui permet d’assumer des responsabilités à un moment important de l’histoire. A un moment précis, vous devez vous faire remplacer. On ne dit pas de les chasser parce que dans la société, les doyens ont leur place, ainsi que les jeunes et les femmes. Ils peuvent toujours jouer le rôle qui leur revient de droit, c’est-à-dire conseiller. C’est important de tirer profit de ceux qui ont de l’expérience. Et les doyens ont de l’expérience à revendre. Ils peuvent être là pour conseiller et orienter les jeunes. Si vous oubliez les vieux, vous vous oubliez vous-mêmes, parce que les vieux enrichissent les jeunes avec leurs expériences. Les jeunes et les femmes, ne l’oublions pas, forment la famille. Le père n’est là que pour orienter et pour donner des directives. Je voudrais rappeler au chef de l’Etat et au Premier ministre que nous avons signé des traités internationaux qui nous obligent à les respecter. La Côte d’Ivoire a signé et ratifié la charte panafricaine de la jeunesse. Cette charte demande que la Côte d’Ivoire mette en place un Conseil national de la jeunesse et positionne les jeunes et les femmes dans les sphères de décision. Allez au gouvernement et dans les institutions de plusieurs pays africains, vous verrez que ce traité est respecté. Figurez-vous qu’au Sénégal, on a des ministres de 35 et 36 ans. Tandis que dans notre gouvernement, la moyenne d’âge est de 50 ans en dehors du Premier ministre. Dans le prochain gouvernement, cet aspect doit être pris en compte pour qu’on dise que la Côte d’Ivoire respecte ses engagements internationaux.
N’est-ce pas tomber dans la facilité que de promouvoir des jeunes, notamment des partis politiques, dont certains sans expérience professionnelle, ne rêvent que de devenir ministre par la politique ?
On ne me fera pas l’injure de me dire qu’il n’y a pas de jeunes compétents dans les partis politiques. On peut demander à un parti politique de mettre à la disposition du gouvernement des jeunes compétents. Il en trouvera. Posez la question par exemple au PDCI. Je suis sûr qu’il trouvera ce jeune, pas forcément celui qui n’a jamais travaillé. Nous disons, en tant que professionnel, que les jeunes doivent être à la tâche. Ils ne doivent pas être des profiteurs d’une situation, mais des acteurs et des personnes compétentes. Aucun jeune ne doit être au gouvernement s’il n’est responsable et professionnel, s’il n’est une tête pleine. Ce sont autant de critères de sélection qui doivent guider le choix d’un jeune dans le gouvernement. Nous souhaitons que le prochain gouvernement soit dominé à 60% par les jeunes et les femmes.
Revenons sur les priorités, quel regard posez-vous sur la question sécuritaire aujourd’hui?
La situation sécuritaire est en train de s’améliorer à pas de tortue. Le président de la République doit en faire son affaire personnelle. Nous sommes déjà satisfaits de la décision prise en conseil des ministres de suspendre et démanteler les barrages anarchiques pour éviter qu’on pense que la Côte d’Ivoire est encore dans l’informel. La Côte d’Ivoire doit renouer avec l’Etat de droit. Une élection transparente a été organisée et remportée par Alassane Ouattara. Il gouverne donc au nom de cette élection. Nous souhaitons donc que les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) rentrent dans les casernes immédiatement.
On le dit toujours, mais elles sont sont encore dehors...
Il faut aller au-delà des mots, parce que c’est l’une des conditions des bailleurs de fonds. Ça, on ne vous le dit pas. En tant que militant des droits de l’Homme, nous le savons. La condition des bailleurs de fonds est la sécurité. Il faut absolument une reforme de la sécurité et cela passe par le retour en caserne des FRCI. Les gendarmes et les policiers doivent reprendre leur place pour assurer le service public de maintien de l’ordre. Mais en même temps, les gendarmes et les policiers qui touchent leur solde à la fin du mois, ne doivent pas disparaitre sous le prétexte que les FRCI sont là et que leurs commissariats et brigades de gendarmerie ne sont pas fonctionnels. L’Etat doit donc accélérer la réhabilitation des lieux de travail de ces forces régaliennes en vue de leur permettre de reprendre du service. Il y a un indicateur qui n’est pas rassurant et qui amène les populations à se poser des questions. C’est la présence, à plusieurs carrefours, des civils régulant la circulation très tôt le matin. C’est un signe qui montre que nous sommes encore dans l’informel et nous ne pouvons l’accepter. Ce rôle est dévolu à la police nationale. Il faut rétablir rapidement l’ordre, la loi et la sécurité.
Votre commentaire sur le découpage d'Abidjan en groupements tactiques comme les zones des ''Com-zones'' dans l'ex-rébellion?
Il y a une évolution notable de la situation. De retour de l’intérieur de la Côte d’Ivoire, j’ai constaté que des corridors ont été restitués aux gendarmes, notamment ceux d’Agboville et d’Anyama. Ce sont des signes positifs. Mais ce que nous voulons, c’est le retour en caserne des FRCI pour éviter que la situation sécuritaire, déjà fragile, ne se détériore. Au fur et à mesure, les choses doivent pouvoir aller et nous, en tant que militant des droits de l’Homme, nous mettrons la pression sur le gouvernement afin que processus s’accélère. Les commandants de zone eux-mêmes sont conscients de la situation. Ils disent qu’ils rentreront dans les casernes. Pour notre part, nous leur disons d’arrêter les exactions et les perquisitions sans mandat. Ce n’est pas leur travail, c’est celui des gendarmes, des policiers et de la justice. Les FRCI ont fait un travail précis pendant un moment de l’histoire. Aujourd’hui, qu’elles laissent chacun faire le sien. Pour que cela soit, le président de la République doit s’approprier le dossier de la sécurité pour une reprise normale de la vie. Parce que si la vie ne reprend pas correctement, ce n’est pas bon pour le pays et les hommes d’affaires. Si des opérateurs économiques sont obligés de payer des millions pour acheminer leurs marchandises, ce n’est pas bon pour la Côte d’Ivoire. Le racket, qui est revenu en force en Côte d’Ivoire, doit être combattu avec beaucoup d’énergie. Nous devons faire en sorte que notre pays ne soit pas critiqué pour non-respect des engagements régionaux en ce qui concerne la liberté de circulation des biens sur son sol.
Croyez-vous que les ''Com-zones'' vont disparaître avec la justice internationale sur le dos de certains?
Ce qu’il faut savoir ici, c’est que la loi doit prendre le dessus sur le désordre. Il faut qu’on construise un Etat de droit. Et cela se fait sur la base des principes et les droits humains sont au centre de ces principes. Nous allons combattre l’impunité jusqu’à notre dernière énergie. Le président de la République est d’ailleurs d’accord avec nous. C’est pourquoi nous disons qu’il faut reformer la sécurité, la justice et la défense. Il nous faut des assises sur ces points précis. Après quoi, vous verrez que les décisions, si elles sont appliquées, nous sortirons d’affaire. Si nous croisons les bras, nous continuerons d’être épinglés par les ONG nationales et internationales de défense des droits de l’Homme comme Amnesty international ou Human wright watch, ou encore la FIDH ou la RADHO. Nous sommes ahuris, comme le frère de la LIDHO, M. Kamaté l’a relevé, de constater que les FRCI ont aussi commis des exactions à Duékoué au même titre que les miliciens. Ce qui est inadmissible et nous disons que le droit doit être dit. Laissons les tribunaux faire leur travail.
La question sécuritaire ne s'expliquerait-elle pas par une sorte d'embarras du président de la République à mettre de l'ordre dans son armée qui lui a donné son pouvoir?
Je ne crois que ce soient les FRCI seules qui aient donné l’effectivité du pouvoir à Alassane Ouattara. Il faut le préciser. Ce ne sont pas les seuls artisans de la prise effective du pouvoir. Elles ont été, certes, des acteurs clés, mais n’oublions pas les ONG qui se sont battues pour le respect du verdict des urnes ici comme à l’extérieur du pays. Vous avez une organisation comme la RADHO qui a défendu, dans toutes ses interventions, le respect du verdict des urnes. Cette ONG a même fait des injonctions à l’ancien président pour qu’il quitte le pouvoir afin que le verdict des urnes soit respecté. J’ai beaucoup de respect pour les FRCI, mais je dis aussi que le travail a été fait en commun. Chacun à son niveau, si petit soit-il, a contribué au respect du verdict des urnes. A partir de cet instant, nous sommes en droit de demander à chacun de laisser l’Etat de droit prospérer et s’enraciner dans le pays.
Sur la question des droits de l’Homme, quel point la COSOPCI a-t-elle fait?
La COSOPCI, qui regroupe plusieurs ONG de droit de l’Homme et de démocratie, est partout sur le terrain. Nous produirons un rapport détaillé sur tout ce qui s’est passé sur le terrain grâce à nos enquêteurs. Déjà, on peut dire qu’il y a eu trop de violations des droits de l’Homme depuis la crise post-électorale. Ce qui nous amène à accélérer la publication de nos résultats. En Côte d’Ivoire, les droits de l’Homme n’ont jamais aussi souffert que pendant la crise post-électorale. Nous avons abouti à des situations inimaginables qui ont mis la Côte d’Ivoire au banc des pays qui ne respectent pas les droits de l’Homme. Nous sommes cités parmi les pays qui ont violé les droits les plus élémentaires de l’Homme. Nous sommes un pays à qui on reproche d’avoir commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Pour nous militants des droits de l’Homme ivoiriens, c’est une honte. C’est pourquoi il faut renforcer la justice et la sécurité en ayant une armée avec un commandement unique. Nous attendons du chef de l’Etat la nomination d’un chef d’état-major accepté par tous.
Les violations graves de droits de l’Homme que vous évoquez ne vont-elles pas compliquer la réconciliation nationale?
Non je ne le crois pas. Il faut qu’on sache une chose, la réconciliation est un processus à long terme. Ce n’est pas pour un, deux, trois ou même quatre ans. C’est un processus qui doit permettre aux Ivoiriens d’extirper de leurs cœurs les frustrations qu’ils ont vécues, pour réapprendre à vivre ensemble. Pour que ce processus marche, il faut impliquer tout le monde, les citoyens, les ethnies et les religions. Tous, nous devons nous engager à reconstruire une Côte d’Ivoire nouvelle basée sur des principes égalitaires et sur le respect des droits de l’Homme. Le citoyen doit être au centre de la réconciliation nationale. Au moment où la réconciliation se déroule, les procès doivent être ouverts. Il faut accélérer les procédures pour que ceux qui sont encore incarcérés passent devant les tribunaux. Je crois que cela aussi sera un signe de bonne gouvernance. Mais les procès ne peuvent pas et ne doivent pas être un frein à la réconciliation nationale. Là où les procès pourraient être un frein, c’est lorsqu’il y aura une justice dépendante et partiale de la part de ceux qui ne voudront pas le renforcement d’un Etat de droit. Notre justice doit redorer son blason pour rassurer tout le monde. Qu’on évite la justice des vainqueurs contre la justice des vaincus. C’est pourquoi nous avons demandé en son temps que les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité pour lesquels notre pays est incompétent, soient jugés par la justice internationale pour rassurer tous les Ivoiriens. Tant que cela ne sera pas fait, ce sera un frein pour la réconciliation nationale. Nous interpellons le président de la Commission Dialogue, vérité et réconciliation, Charles Konan Banny, le chef de l’Etat et les présidents d’institutions. M Ouattara a parlé d’indépendance des institutions, c’est à partir de cet instant que nous devons la constater.
Peut-on parler de violation des droits de l’Homme pour les détenus de la crise?
Bien sûr. Mais vous savez, des gens ont été accusés dans le conflit que nous avons traversé. Maintenant, il faut qu’on ouvre rapidement les procès. On ne peut pas garder ces gens-là de façon prolongée sans un procès, pour ne pas que notre pays soit encore épinglé. Il faut qu’on présente aux personnes arrêtées les motifs de leur arrestation pour qu’avec leurs avocats, elles se défendent. Lorsque la Côte d’Ivoire le fera, ce sera un signe du retour à un Etat de droit. Dans un Etat de droit, il faut que les résultats des enquêtes soit connus, l’Exécutif doit être indépendant et le Parlement doit jouer son rôle.
Dans une de vos déclarations, vous remettiez en cause le choix de Banny à la tête de la commission de réconciliation. Que lui reprochez-vous?
Je n’ai rien contre la personne de M Banny qui est une personnalité respectée de ce pays. Le Club Union africaine, dont je suis le président, est une grande organisation africaine dotée du statut d’observateur auprès de la Commission des droits de l’Homme et des peuples et membre de l’ECOSUP de l’Union africaine. En tant que tel, nous ne prenons pas de position au hasard. Nous avons fait cette déclaration parce que nous avons eu la chance, depuis la création du Club UA, de participer à plusieurs processus de réconciliation nationale dans un certain nombre de pays africains. Notamment au Burundi, au Rwanda, en Mauritanie, en Guinée Bissau avec la RADHO. Et donc nous avons produit une déclaration au regard de nos expériences. Par principe, nous nous sommes opposés à M Banny parce que nous avons estimé qu’il était un membre important d’un parti politique. Mais avec le temps, notre opinion s’est améliorée parce qu’on nous a dit que la Côte d’Ivoire est une exception. Et comme on nous l’a dit, nous attendons de voir. Nous souhaitons vraiment que la Côte d’Ivoire soit une exception. Ce que la Commission doit faire, c’est de discuter avec toutes les communautés de manière ouverte. Toutes les communautés doivent se sentir concernées par la réconciliation nationale. La Commission doit se battre pour que les Ivoiriens qui sont à l’extérieur, notamment au Bénin, au Togo, au Ghana retournent en Côte d’Ivoire. On ne peut pas travailler sans nos frères qui vivent à l’extérieur dans des conditions déplorables. Ils doivent rentrer sans conditions.
On vous rétorquera que la situation sécuritaire est encore fragile
Oui, mais que ceux qui n’ont rien à voir avec la politique, et Dieu sait qu’ils sont nombreux, rentrent au pays pour réapprendre à vivre avec leurs amis et voisins de quartiers et pour se mettre au travail. Ceux qui sont chargés de leur offrir des garanties, ce sont le président de la République et le chef du gouvernement qui doivent se battre pour restaurer la sécurité en Côte d’Ivoire. Le dernier Conseil des ministres m’a rassuré parce que le gouvernement a promis de mettre tout en œuvre pour assurer la sécurité de tous les Ivoiriens.
Les législatives s'annoncent pour bientôt. Pour vous, les conditions sont-elles réunies pour tenir ce scrutin?
Vous me donnez l’occasion de demander au gouvernement d’inscrire parmi ses priorités, les reformes institutionnelles. Et la première reforme institutionnelle doit s’opérer à la Commission électorale indépendante (CEI). Il faut reformer cette institution pour la rendre plus équilibrée et pluraliste afin de lui permettre d’organiser des élections libres, justes ouvertes et transparentes. Parce que le Parlement est important dans la mise en œuvre du programme de gouvernement de M Ouattara et dans le renforcement de l’Etat de droit. Nous ne souhaitons pas un Parlement monolithique, mais pluraliste avec presque tous les représentants des partis politiques et des personnes indépendantes. C’est le Parlement qui va contrôler l’action gouvernementale. C’est ce que nous appelons à la société civile, le contrôle citoyen qui fonde l’Etat de droit. Il faut également reformer le Conseil constitutionnel. Nous souhaitons désormais avoir une Cour constitutionnelle et pas un Conseil parce qu’un Conseil ne donne que des avis. Malheureusement, le Pr. Yao Ndré, président du Conseil constitutionnel a donné en lieu et place d’un avis, un verdict qui était sans appel. Lequel verdict a été à la base de la violation massive des droits de l’Homme. Que le Conseil constitutionnel devienne une Cour constitutionnelle dirigée par des hommes compétents et rigoureux ayant une conscience pleine de leur responsabilité. Et les hommes et les femmes de cette qualité existent à la pelle en Côte d’Ivoire. Faisons comme le Bénin où il y a une Cour constitutionnelle. Enfin, il faut revoir la Constitution ivoirienne qui traîne encore en elle les germes de la division.
Que proposez-vous pour la nouvelle CEI?
Il faut une CEI ouverte à toutes les couches socio-professionnelles. Les ONG de démocratie et des droits de l’Homme ont besoin d’entrer dans la CEI pour rassurer tous ceux qui comptent participer à ces élections. Il y a aussi un déséquilibre entre les forces politiques qu’il faut corriger pour une transparence des élections locales à venir. Et s’il y a une reforme, il faut que la société civile, qui a fait ses preuves, puisse intégrer la CEI.
Tous ces préalables peuvent-ils permettre des élections d'ici à 6 mois?
Il faut déjà commencer. Nous ne sommes pas dans une situation désespérée. La présidentielle a été organisée dans un climat acceptable, sans dommage pour les leaders politiques. Ils ont tous battu campagne partout en Côte d’Ivoire. Il reste maintenant quelques réglages relatifs à la mise en place d’un commandement unique dans l’armée avec la nomination d’un chef d’état-major accepté par tous, c’est-à-dire par les ex-Forces nouvelles et ex-Forces de défense et de sécurité. Une fois cette question résolue, tout rentrera dans l’ordre et la vie reprendra véritablement de façon normale. Il faut s’engager à instaurer un Etat de droit et nous, organisations de défense des droits de l’Homme, nous travaillons sur ces questions. Ce gouvernement doit tout mettre en œuvre pour régler la question des droits de l’Homme.
Interview réalisée par
Félix D BONY et Y.DOUMBIA
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