L’axe Abidjan –San Pedro est devenu depuis l’avènement des forces républicaines sur les routes, un cauchemar pour les transporteurs et les passagers. Lesquels ne supportent plus le racket qui y est organisé. Nous avons « pisté » les brebis galeuses pendant deux jours pour découvrir la triste réalité. Reportage.
« Nous sommes fatigués du racket que nous subissons tous les jours sur la route Abidjan San Pedro. Si ça continue comme ça, nous allons entrer en grève. Trop c’est trop… » L’interlocuteur au bout du fil qui lance ce cri de cœur est un responsable syndical dans le secteur du transport terrestre. Sa colère confirme des témoignages récurrents qui nous parviennent au sujet de l’ampleur du racket perpétré par les forces républicaines sur l’axe Abidjan-San Pedro. Ce que les accusés ne cessent de nier, lorsque nous entrons en contact avec eux. « C’est faux, on nous accuse pour rien », démentent-elles. Il faut pourtant en avoir le cœur net. Et le seul moyen d’y parvenir est de vivre nous même ce parcours qui semble poser beaucoup de problèmes.
Le dimanche 12 juin, nous embarquons pour une « aventure » à destination de San Pedro. A 7 heures, les premières péripéties du voyage commencent à la gare routière d’Adjamé, dans le car à bord duquel nous prenons place. Lorsque l’équipage, le chauffeur et son apprenti, vérifient si tout le monde à ses pièces d’identité, il se trouve que deux personnes n’ont pas leurs papiers. Aussitôt, le conducteur exprime son embarras. « Les deux-là vont nous créer des problèmes sur la route », dit-il à son apprenti. Les passagers partagent aussitôt cette inquiétude : « Par ces temps qui courent, il y a encore des gens qui continuent de se balader sans papier ».
Quand les Forces républicaines se payent…
Mais, le vin est tiré, il faudra le boire avec ces « sans-papiers » qui ont déjà payé leur tickets. Même si c’est un véritable « boulevard » ainsi ouvert pour le racket, il faudra s’y faire et c’est donc la mort dans l’âme que le voyage commence. Heureusement pour tout le monde, les choses semblent bien se présenter lorsque nous entamons la route de Dabou. Rien à signaler au corridor de Niangon-Adjamé, que nous passons sans problème. En réalité, c’est un heureux concours de circonstance qui nous permet d’échapper aux « radars » des hommes en tenue. Ils sont tout simplement débordés par le flot de véhicules qu’ils avaient arrêtés et ne rendent pas compte que notre car a décollé du lot. Un « gain » de 2000 CFA pour le chauffeur.
Mais à peine 500 mètres après, le vent tourne et la chance nous lâche. Un autre barrage se dresse devant nous. Trois éléments des Forces républicaines, armés de kalachs et la mine patibulaire ordonnent au chauffeur de mettre pied à terre. L’apprenti s’exécute, en sortant un billet de 1000 CFA qu’il remet. Après, le kilomètre 17, juste avant la « maison carré », deux gendarmes adossés à leur voiture sifflent sans ménagement. Et 1000 FCFA échoient dans leur escarcelle. A moins de 150 m, comme par enchantement, un autre barrage « surgit ». Là aussi l’apprenti s’acquitte de sa « dette » et mille autres francs s’évanouissent dans la paume de l’agent. Jusque-là, aucun contrôle ni de pièce d’identité, ni de bagage. Toujours est-il qu’avant d’atteindre la ville de Dabou, nous franchissons six autres barrages et le portefeuille du malheureux chauffeur est mis à rude épreuve. Un rapide calcul fait, c’est au total 9 barrages et autant de billet de 1000 CFA – excepté le premier barrage - , sur une distance de 27 kilomètres qui sépare Abidjan de Dabou. 8.000 CFA ont donc trouvé refuge dans les poches des FRCI !
Puis à la sortie de Dabou, les choses se corsent. Notre car est soumis à son premier contrôle de pièce d’identité et de bagages. Les sans-papiers « gèrent » les Frci pour leur passage (500Fcfa chacun). Quand nous décollons, le chauffeur nous explique qu’on lui a fait payer 2000 CFA à ce corridor. Ensuite, c’est une autre « embuscade de gendarme », à quatre cent mètres. Trois gendarmes empochent sous nos yeux 1000 CFA, sans sourciller. Nous progressons sur la côtière, en mauvais état. A moins de cinq kilomètres de Cosrou, en région Adjoukrou, un élément des Frci en lunette noire, béret rouge, la barbe bien taillé, ordonne d’une voix tonitruante à tous les passagers : «Descendez et faites le geste pour notre thé, c’est 200 FCFA seulement ». Il indique un hangar grossièrement dressé. Certains d’entre nous sont réticents. Ce qui nous fait perdre près de 20 minutes. Mais tous sont forcés de payer. Ce qui fait 4200 FCFA dans la poche des hommes en tenue, après le « geste » des 21 passagers du car. La prochaine étape, c’est Irobo, dans le département de Grand-Lahou. Là aussi, c’est 200 FCFA par voyageur. De Dabou à Grand Lahou, les passagers passent 4 fois à la caisse des Frci. Nous avons également mis 1h35 mn à parcourir 74 km en raison des nombreux barrages, du racket et du mauvais état de la route, là où 45 mn auraient suffit.
Sur le dos de transporteurs et passagers
Notre parcours est jalonné par les mêmes péripéties : racket des chauffeurs qui payent 1000 f CFA et les passagers qui payent 200 FCFA. Au corridor de Fresco, tous les chauffeurs sont contraints de prendre un laissez-passer qui leur revient à 3000 FCFA. Un bout de papier sans valeur, dans la mesure où il ne garantit aucun droit au véhicule et aux passagers de franchir un barrage sans débourser du sou. Le seul avantage de ce bout de papier, c’est qu’il constitue le seul document pour le chauffeur d’attester d’une sortie d’argent devant son patron. La preuve de la nullité de ce document se confirmera à Monogaga, entre Sassandra et San-Pedro. Le barrage qui s’y trouve est réputé pour le caractère intraitable des éléments qui le tiennent. Un élément des Frci, couvert de tatouage sur les deux épaules dévoilés par un débarder couleur treillis fait irruption dans le car, kalache en main. Après avoir intimé l’ordre au chauffeur et à son apprenti d’aller payer la « taxe », il s’adresse aux passagers, sur un ton arrogant : « Donnez pour moi, vous allez partir. Je n’ai pas fait école, je ne connais pas pièce.» Des propos qui n’admettent pas la controverse. Les passagers s’exécutent, certains, la peur au ventre.
Passée cette étape, nous jetons un coup d’œil sur nos notes et nous nous rendons compte que de Sassandra à San pédro, nous avons été confrontés à quatre barrages de « caïds » des éléments des Frci qui ne badinent pas en matière de racket. Tant ils sèment la terreur. Mais le pire, selon les transporteurs, c’est bien le corridor de San Pedro, où les chauffeurs payent 3000 FCFA. « Ici, on ne discute pas, tu paies où c’est la chicotte », nous explique Koné, le chauffeur. Et pour preuve, deux transporteurs ont été tabassés à ce corridor les deux dernières semaines avant notre arrivée pour avoir voulu faire de la résistance.
Au total, d’Abidjan à San Pedro, nous avons franchit 21 barrages qui ont coûté près de 30.000 FCFA de « frais de route » au Chauffeur et une bonne dizaine de fois où les passagers ont été sommés de payer 200 FCFA. Ce qui représente plus de 40.000 FCFA. Pour un ticket de transport qui a coûté 6.000 FCFA, 70.000 FCFA auront atterri dans la besace des hommes en tenue sans le moindre reçu. A San Pedro, des transporteurs nous ont indiqué que l’axe San Pedro-Daloa est tout aussi infernal. Car sur les 260 km qui séparent les deux villes, au moins douze barrages y sont dressés. « Même sous les Forces de défense et de sécurité de Côte d’Ivoire (Fds) on ne vivait pas cette galère. On connaissait les barrages d’avance et on savait combien on payait. Maintenant, c’est trop », dénonce Sanogo Amidou, transporteur à San-Pedro. Ce dernier a d’ailleurs été passé à tabac le samedi 11 juin au corridor de la ville pour avoir refusé de donner 500 FCFA à un gendarme. Pour le Secrétaire Général du syndicat des chauffeurs de taxis de San Pedro, M. Kéita Moussa, les Forces républicaines veulent tout simplement tuer le transport en Côte d’Ivoire. « Il y a deux semaines, le président des chauffeurs de Massa a été bastonné et le 11 juin dernier, un autre chauffeur a été battu et mis au violon. Nous avons voulu entrer en grève mais un des responsables des Frci a su nous calmer. Le racket est vis-à-vis ici», explique-t-il. Il interpelle le ministère de l’Intérieur et le ministère du Transport sur cette triste réalité qui n’honore pas la Côte d’Ivoire.
Alexandre Lebel Ilboudo
« Nous sommes fatigués du racket que nous subissons tous les jours sur la route Abidjan San Pedro. Si ça continue comme ça, nous allons entrer en grève. Trop c’est trop… » L’interlocuteur au bout du fil qui lance ce cri de cœur est un responsable syndical dans le secteur du transport terrestre. Sa colère confirme des témoignages récurrents qui nous parviennent au sujet de l’ampleur du racket perpétré par les forces républicaines sur l’axe Abidjan-San Pedro. Ce que les accusés ne cessent de nier, lorsque nous entrons en contact avec eux. « C’est faux, on nous accuse pour rien », démentent-elles. Il faut pourtant en avoir le cœur net. Et le seul moyen d’y parvenir est de vivre nous même ce parcours qui semble poser beaucoup de problèmes.
Le dimanche 12 juin, nous embarquons pour une « aventure » à destination de San Pedro. A 7 heures, les premières péripéties du voyage commencent à la gare routière d’Adjamé, dans le car à bord duquel nous prenons place. Lorsque l’équipage, le chauffeur et son apprenti, vérifient si tout le monde à ses pièces d’identité, il se trouve que deux personnes n’ont pas leurs papiers. Aussitôt, le conducteur exprime son embarras. « Les deux-là vont nous créer des problèmes sur la route », dit-il à son apprenti. Les passagers partagent aussitôt cette inquiétude : « Par ces temps qui courent, il y a encore des gens qui continuent de se balader sans papier ».
Quand les Forces républicaines se payent…
Mais, le vin est tiré, il faudra le boire avec ces « sans-papiers » qui ont déjà payé leur tickets. Même si c’est un véritable « boulevard » ainsi ouvert pour le racket, il faudra s’y faire et c’est donc la mort dans l’âme que le voyage commence. Heureusement pour tout le monde, les choses semblent bien se présenter lorsque nous entamons la route de Dabou. Rien à signaler au corridor de Niangon-Adjamé, que nous passons sans problème. En réalité, c’est un heureux concours de circonstance qui nous permet d’échapper aux « radars » des hommes en tenue. Ils sont tout simplement débordés par le flot de véhicules qu’ils avaient arrêtés et ne rendent pas compte que notre car a décollé du lot. Un « gain » de 2000 CFA pour le chauffeur.
Mais à peine 500 mètres après, le vent tourne et la chance nous lâche. Un autre barrage se dresse devant nous. Trois éléments des Forces républicaines, armés de kalachs et la mine patibulaire ordonnent au chauffeur de mettre pied à terre. L’apprenti s’exécute, en sortant un billet de 1000 CFA qu’il remet. Après, le kilomètre 17, juste avant la « maison carré », deux gendarmes adossés à leur voiture sifflent sans ménagement. Et 1000 FCFA échoient dans leur escarcelle. A moins de 150 m, comme par enchantement, un autre barrage « surgit ». Là aussi l’apprenti s’acquitte de sa « dette » et mille autres francs s’évanouissent dans la paume de l’agent. Jusque-là, aucun contrôle ni de pièce d’identité, ni de bagage. Toujours est-il qu’avant d’atteindre la ville de Dabou, nous franchissons six autres barrages et le portefeuille du malheureux chauffeur est mis à rude épreuve. Un rapide calcul fait, c’est au total 9 barrages et autant de billet de 1000 CFA – excepté le premier barrage - , sur une distance de 27 kilomètres qui sépare Abidjan de Dabou. 8.000 CFA ont donc trouvé refuge dans les poches des FRCI !
Puis à la sortie de Dabou, les choses se corsent. Notre car est soumis à son premier contrôle de pièce d’identité et de bagages. Les sans-papiers « gèrent » les Frci pour leur passage (500Fcfa chacun). Quand nous décollons, le chauffeur nous explique qu’on lui a fait payer 2000 CFA à ce corridor. Ensuite, c’est une autre « embuscade de gendarme », à quatre cent mètres. Trois gendarmes empochent sous nos yeux 1000 CFA, sans sourciller. Nous progressons sur la côtière, en mauvais état. A moins de cinq kilomètres de Cosrou, en région Adjoukrou, un élément des Frci en lunette noire, béret rouge, la barbe bien taillé, ordonne d’une voix tonitruante à tous les passagers : «Descendez et faites le geste pour notre thé, c’est 200 FCFA seulement ». Il indique un hangar grossièrement dressé. Certains d’entre nous sont réticents. Ce qui nous fait perdre près de 20 minutes. Mais tous sont forcés de payer. Ce qui fait 4200 FCFA dans la poche des hommes en tenue, après le « geste » des 21 passagers du car. La prochaine étape, c’est Irobo, dans le département de Grand-Lahou. Là aussi, c’est 200 FCFA par voyageur. De Dabou à Grand Lahou, les passagers passent 4 fois à la caisse des Frci. Nous avons également mis 1h35 mn à parcourir 74 km en raison des nombreux barrages, du racket et du mauvais état de la route, là où 45 mn auraient suffit.
Sur le dos de transporteurs et passagers
Notre parcours est jalonné par les mêmes péripéties : racket des chauffeurs qui payent 1000 f CFA et les passagers qui payent 200 FCFA. Au corridor de Fresco, tous les chauffeurs sont contraints de prendre un laissez-passer qui leur revient à 3000 FCFA. Un bout de papier sans valeur, dans la mesure où il ne garantit aucun droit au véhicule et aux passagers de franchir un barrage sans débourser du sou. Le seul avantage de ce bout de papier, c’est qu’il constitue le seul document pour le chauffeur d’attester d’une sortie d’argent devant son patron. La preuve de la nullité de ce document se confirmera à Monogaga, entre Sassandra et San-Pedro. Le barrage qui s’y trouve est réputé pour le caractère intraitable des éléments qui le tiennent. Un élément des Frci, couvert de tatouage sur les deux épaules dévoilés par un débarder couleur treillis fait irruption dans le car, kalache en main. Après avoir intimé l’ordre au chauffeur et à son apprenti d’aller payer la « taxe », il s’adresse aux passagers, sur un ton arrogant : « Donnez pour moi, vous allez partir. Je n’ai pas fait école, je ne connais pas pièce.» Des propos qui n’admettent pas la controverse. Les passagers s’exécutent, certains, la peur au ventre.
Passée cette étape, nous jetons un coup d’œil sur nos notes et nous nous rendons compte que de Sassandra à San pédro, nous avons été confrontés à quatre barrages de « caïds » des éléments des Frci qui ne badinent pas en matière de racket. Tant ils sèment la terreur. Mais le pire, selon les transporteurs, c’est bien le corridor de San Pedro, où les chauffeurs payent 3000 FCFA. « Ici, on ne discute pas, tu paies où c’est la chicotte », nous explique Koné, le chauffeur. Et pour preuve, deux transporteurs ont été tabassés à ce corridor les deux dernières semaines avant notre arrivée pour avoir voulu faire de la résistance.
Au total, d’Abidjan à San Pedro, nous avons franchit 21 barrages qui ont coûté près de 30.000 FCFA de « frais de route » au Chauffeur et une bonne dizaine de fois où les passagers ont été sommés de payer 200 FCFA. Ce qui représente plus de 40.000 FCFA. Pour un ticket de transport qui a coûté 6.000 FCFA, 70.000 FCFA auront atterri dans la besace des hommes en tenue sans le moindre reçu. A San Pedro, des transporteurs nous ont indiqué que l’axe San Pedro-Daloa est tout aussi infernal. Car sur les 260 km qui séparent les deux villes, au moins douze barrages y sont dressés. « Même sous les Forces de défense et de sécurité de Côte d’Ivoire (Fds) on ne vivait pas cette galère. On connaissait les barrages d’avance et on savait combien on payait. Maintenant, c’est trop », dénonce Sanogo Amidou, transporteur à San-Pedro. Ce dernier a d’ailleurs été passé à tabac le samedi 11 juin au corridor de la ville pour avoir refusé de donner 500 FCFA à un gendarme. Pour le Secrétaire Général du syndicat des chauffeurs de taxis de San Pedro, M. Kéita Moussa, les Forces républicaines veulent tout simplement tuer le transport en Côte d’Ivoire. « Il y a deux semaines, le président des chauffeurs de Massa a été bastonné et le 11 juin dernier, un autre chauffeur a été battu et mis au violon. Nous avons voulu entrer en grève mais un des responsables des Frci a su nous calmer. Le racket est vis-à-vis ici», explique-t-il. Il interpelle le ministère de l’Intérieur et le ministère du Transport sur cette triste réalité qui n’honore pas la Côte d’Ivoire.
Alexandre Lebel Ilboudo