C’est à la faveur de la célébration du Cinquantenaire de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, l’année passée, que beaucoup l’ont découvert dans son pays. Pourtant, Georges Momboye n’est pas un néophyte dans le monde de la culture. Portrait d’un enfant de Kouibly qui a su se hisser au firmament de la chorégraphie.
Ouvert et chaleureux, Momboye a arpenté les scènes du monde. S’il côtoie aujourd’hui les sommités artistiques mondiales, l’enfant des Dix-huit montagnes n’a pas oublié le temps où, gamin, il parcourait les rues de son Kouibly natal. Il y a vu le jour en 1968 au sein d’une famille ancrée dans la tradition. «Mon père est issu d’une famille qui détient le secret des masques Gla. Sentant sa fin proche, mon grand-père qui était chef des masques a voulu donner la succession à mon père qui s’est converti à l’islam pour refuser», explique l’artiste. Après le père qui s’est «réfugié» dans l’islam pour échapper à cette charge, c’est vers lui que les gardiens de la tradition se tournent. Il a 7 ou 8 ans. «Je suis allé à la place de mon père pour l’initiation au sein des sociétés de masques Gla», continue le chorégraphe. Une formation au cours de laquelle il étudie les plantes, la spiritualité mais aussi la danse, la musique, l’organisation de la société… C’est après cette initiation qu’il va à l’école des Blancs. Il en ressort avec le niveau Cm2. Le jeune Momboye se contente par la suite d’accompagner son père, maçon, au gré de ses contrats sur les chantiers de construction. Si en ce moment il était insouciant, ce n’est pas le cas de son père, qui, vieillissant, s’estime «coupable» de «l’échec» de son fils. Momboye père rêvait de voir son fils devenir président. «C’est en pensant à l’ancien président français Georges Pompidou qu’il m’a prénommé ainsi. Il voulait que je sois un grand type», se souvient le danseur. Lui aussi rêvait de devenir président, mais, «président de ce que j’aime, pas président d’un pays», s’empresse-t-il de préciser.
Las de suivre son père, il se fait vulcanisateur et commence à voleter de ses propres ailes. «J’ai appris à coller les pneus et je gagnais 200 Fcfa par jour. Je remettais 100 F à mon père et je gardais les autres 100 F pour mes besoins», se rappelle-t-il. De Kouibly, Georges se retrouve à Man où il continue son travail de vulcanisateur. «Je dormais à la gare sur des bancs ou dans des maisons inachevées. Ça ne payait pas bien, j’étais très sale, avec une seule culotte et un seul tee-shirt», se remémore le chorégraphe. C’est sa rencontre inopinée, à la gare routière de Man, avec son aîné, Diallo Ticouaï Vincent, acteur et metteur en scène, qui fera changer l’itinéraire du jeune homme. Il le fait monter sur Abidjan et l’inscrit, à sa demande, dans un garage. Mais les dieux de la culture «persécutent» le mécano qui résiste mal à leur appel. «Tous les jours, même au travail, quand j’entendais de la musique, je n’arrivais pas à me retenir. Mon patron était très énervé parce que quand il m’envoyait, il me voyait occupé à danser qu’à faire ce qu’il m’a demandé de faire. Il m’a alors renvoyé», explique-t-il. C’est lors d’une soirée artistique de son aîné qu’il monte sur scène pour la 1ère fois pour remplacer un acteur malade dans la pièce «Monsieur Prison». Il rencontre quelque temps après Chantal Taïba qu’il a vue auparavant à la télévision, et lui fait part de son intention de danser avec elle. «Je dois beaucoup à Chantal. Non seulement elle m`a recommandé à la Compagnie Kouamé Black Show, elle m`a également soutenu matériellement pendant une année de répétition», témoigne-t-il. Sa rencontre avec Sophie Vidus, propriétaire d`un centre de danse contemporaine à Abidjan, en Zone 4 dans la commune de Marcory, lui ouvre de nouveaux horizons. Il se forme aux techniques du jazz et du classique et enchaînera une série de stages à partir de 1989 chez Alvin Ailey aux Etats Unis, à Marta Graham au Canada ou chez Rick Odums en France. Les remous sociopolitiques au début des années 1990 entravent ses projets. Sur les conseils de son amie Vidus, Momboye s`exile en France. En 1991, il fait la connaissance de Muriel Adolphe qui deviendra sa femme. L’année qui suit, le couple monte la Compagnie Georges Momboye et en 1998 crée l`un des plus grands centres de danse africains pluridisciplinaires. A force de patience et d’efforts inlassables, Georges parvient à se faire un nom dans le monde de la chorégraphie. Poursuivi par l`idée de repousser sans cesse ses limites, il ne tarde pas à séduire le public comme les professionnels qui lui reconnaissent un talent indéniable. «Boyakoda», l’une de ses créations, explore le thème du plaisir et du bonheur et reste fidèle à la thèse de l`artiste pour qui la danse est certainement la seule discipline qui marie harmonieusement le corps, l`esprit et la musique. Ce n’est pas un hasard s’il a été coopté pour concevoir la chorégraphie de la Coupe du monde en 2006. «Un metteur en scène allemand, ami de Franck Beckenbauer, m’a invité à présenter une chorégraphie à l’anniversaire de ce dernier au Maroc. J’ai fait une œuvre sur le ballon, avec dix danseurs, il a adoré et a demandé que je sois le chorégraphe de la Coupe du monde 2006. Les choses se sont enchaînées pour le Mondial 2010», explique-t-il. Pour lui, «la danse contemporaine ivoirienne manque d’inspiration parce que ses acteurs manquent de formation». Pour «ressusciter» le Ballet national, Momboye a sa petite idée. «C’est un challenge qui va me permettre d’utiliser tous mes moyens pour faire du ballet une institution respectée», affirme-t-il. Outre une politique culturelle cohérente, Momboye compte exiger de l’Etat un palais de la danse. «Ce n’est pas juste le Ballet national qui va aller répéter à Treichville où à Yopougon, ce n’est pas cela le plus important. Je ne commencerai pas à faire ce Ballet national si je n’ai pas ce palais de la danse. C’est seulement de cette façon que nous arriverons à placer le Ballet national à un haut niveau», estime-t-il. Marié, père de deux enfants (l’un vit à Paris, l’autre aux Etats-Unis), Georges Momboye ne s’estime pas chanceux. Aux nombreux jeunes qui seraient tentés de l’envier, il a ces mots pleins de sagesse : «Ne cherchez pas à devenir comme moi, cherchez à savoir d’où je viens et ce que j’ai vécu».
M’Bah Aboubakar
Légende : Momboye espère faire du Ballet national une troupe de valeur pour peu que les moyens soient mis à sa disposition.
Ouvert et chaleureux, Momboye a arpenté les scènes du monde. S’il côtoie aujourd’hui les sommités artistiques mondiales, l’enfant des Dix-huit montagnes n’a pas oublié le temps où, gamin, il parcourait les rues de son Kouibly natal. Il y a vu le jour en 1968 au sein d’une famille ancrée dans la tradition. «Mon père est issu d’une famille qui détient le secret des masques Gla. Sentant sa fin proche, mon grand-père qui était chef des masques a voulu donner la succession à mon père qui s’est converti à l’islam pour refuser», explique l’artiste. Après le père qui s’est «réfugié» dans l’islam pour échapper à cette charge, c’est vers lui que les gardiens de la tradition se tournent. Il a 7 ou 8 ans. «Je suis allé à la place de mon père pour l’initiation au sein des sociétés de masques Gla», continue le chorégraphe. Une formation au cours de laquelle il étudie les plantes, la spiritualité mais aussi la danse, la musique, l’organisation de la société… C’est après cette initiation qu’il va à l’école des Blancs. Il en ressort avec le niveau Cm2. Le jeune Momboye se contente par la suite d’accompagner son père, maçon, au gré de ses contrats sur les chantiers de construction. Si en ce moment il était insouciant, ce n’est pas le cas de son père, qui, vieillissant, s’estime «coupable» de «l’échec» de son fils. Momboye père rêvait de voir son fils devenir président. «C’est en pensant à l’ancien président français Georges Pompidou qu’il m’a prénommé ainsi. Il voulait que je sois un grand type», se souvient le danseur. Lui aussi rêvait de devenir président, mais, «président de ce que j’aime, pas président d’un pays», s’empresse-t-il de préciser.
Las de suivre son père, il se fait vulcanisateur et commence à voleter de ses propres ailes. «J’ai appris à coller les pneus et je gagnais 200 Fcfa par jour. Je remettais 100 F à mon père et je gardais les autres 100 F pour mes besoins», se rappelle-t-il. De Kouibly, Georges se retrouve à Man où il continue son travail de vulcanisateur. «Je dormais à la gare sur des bancs ou dans des maisons inachevées. Ça ne payait pas bien, j’étais très sale, avec une seule culotte et un seul tee-shirt», se remémore le chorégraphe. C’est sa rencontre inopinée, à la gare routière de Man, avec son aîné, Diallo Ticouaï Vincent, acteur et metteur en scène, qui fera changer l’itinéraire du jeune homme. Il le fait monter sur Abidjan et l’inscrit, à sa demande, dans un garage. Mais les dieux de la culture «persécutent» le mécano qui résiste mal à leur appel. «Tous les jours, même au travail, quand j’entendais de la musique, je n’arrivais pas à me retenir. Mon patron était très énervé parce que quand il m’envoyait, il me voyait occupé à danser qu’à faire ce qu’il m’a demandé de faire. Il m’a alors renvoyé», explique-t-il. C’est lors d’une soirée artistique de son aîné qu’il monte sur scène pour la 1ère fois pour remplacer un acteur malade dans la pièce «Monsieur Prison». Il rencontre quelque temps après Chantal Taïba qu’il a vue auparavant à la télévision, et lui fait part de son intention de danser avec elle. «Je dois beaucoup à Chantal. Non seulement elle m`a recommandé à la Compagnie Kouamé Black Show, elle m`a également soutenu matériellement pendant une année de répétition», témoigne-t-il. Sa rencontre avec Sophie Vidus, propriétaire d`un centre de danse contemporaine à Abidjan, en Zone 4 dans la commune de Marcory, lui ouvre de nouveaux horizons. Il se forme aux techniques du jazz et du classique et enchaînera une série de stages à partir de 1989 chez Alvin Ailey aux Etats Unis, à Marta Graham au Canada ou chez Rick Odums en France. Les remous sociopolitiques au début des années 1990 entravent ses projets. Sur les conseils de son amie Vidus, Momboye s`exile en France. En 1991, il fait la connaissance de Muriel Adolphe qui deviendra sa femme. L’année qui suit, le couple monte la Compagnie Georges Momboye et en 1998 crée l`un des plus grands centres de danse africains pluridisciplinaires. A force de patience et d’efforts inlassables, Georges parvient à se faire un nom dans le monde de la chorégraphie. Poursuivi par l`idée de repousser sans cesse ses limites, il ne tarde pas à séduire le public comme les professionnels qui lui reconnaissent un talent indéniable. «Boyakoda», l’une de ses créations, explore le thème du plaisir et du bonheur et reste fidèle à la thèse de l`artiste pour qui la danse est certainement la seule discipline qui marie harmonieusement le corps, l`esprit et la musique. Ce n’est pas un hasard s’il a été coopté pour concevoir la chorégraphie de la Coupe du monde en 2006. «Un metteur en scène allemand, ami de Franck Beckenbauer, m’a invité à présenter une chorégraphie à l’anniversaire de ce dernier au Maroc. J’ai fait une œuvre sur le ballon, avec dix danseurs, il a adoré et a demandé que je sois le chorégraphe de la Coupe du monde 2006. Les choses se sont enchaînées pour le Mondial 2010», explique-t-il. Pour lui, «la danse contemporaine ivoirienne manque d’inspiration parce que ses acteurs manquent de formation». Pour «ressusciter» le Ballet national, Momboye a sa petite idée. «C’est un challenge qui va me permettre d’utiliser tous mes moyens pour faire du ballet une institution respectée», affirme-t-il. Outre une politique culturelle cohérente, Momboye compte exiger de l’Etat un palais de la danse. «Ce n’est pas juste le Ballet national qui va aller répéter à Treichville où à Yopougon, ce n’est pas cela le plus important. Je ne commencerai pas à faire ce Ballet national si je n’ai pas ce palais de la danse. C’est seulement de cette façon que nous arriverons à placer le Ballet national à un haut niveau», estime-t-il. Marié, père de deux enfants (l’un vit à Paris, l’autre aux Etats-Unis), Georges Momboye ne s’estime pas chanceux. Aux nombreux jeunes qui seraient tentés de l’envier, il a ces mots pleins de sagesse : «Ne cherchez pas à devenir comme moi, cherchez à savoir d’où je viens et ce que j’ai vécu».
M’Bah Aboubakar
Légende : Momboye espère faire du Ballet national une troupe de valeur pour peu que les moyens soient mis à sa disposition.