Grièvement blessé par des hommes en armes, le curé de la paroisse Notre Dame de la Tendresse de Riviera Golf a passé trois mois sans pouvoir se rendre au chevet de la jeune fille au visage déformé qu’il a fait venir à Abidjan pour des soins médicaux. Il est allé à sa rencontre mardi dernier. Nous étions avec lui.
Assis à l’avant-droit du véhicule qui nous conduits vers sa filleule, l’abbé Abékan Norbert a du mal à cacher son angoisse. Durant la trentaine de minutes que dure le trajet, l’homme de Dieu lève rarement la tête. Son regard rempli d’appréhension fixe ses jambes. A quoi pense t-il ? Pas assez difficile à imaginer. Pendant deux semaines, à chacune de nos conversations téléphoniques, le curé de la paroisse Notre Dame de la Tendresse n’a pas cessé de se préoccuper du sort de Florence Domonoko. Atteinte d’une grave tumeur qui a boursouflé son visage, cette jeune fille de 22 ans, qu’il a fait venir de Gagnoa pour des soins médicaux, est privée de traitement depuis deux mois. Deux mois durant lesquels son parrain luttait lui-même contre la paralysie de ses jambes, suite aux rafales d’individus non identifiés qui ont ouvert le feu sur son véhicule. C’était dans la nuit du 29 au 30 mars. Sorti valide de sa longue rééducation, l’abbé Abékan Norbert tient à voir Florence. Le déplacement reporté à plusieurs reprises a enfin lieu dans la matinée de ce mardi 19 juillet. Et l’idée de retrouver sa fille adoptive dans un état moins ébloui que celui de leur dernière rencontre est sans doute la cause de sa tristesse.
Du stress à la joie
En effet, les nouvelles qui lui sont parvenues parlent d’un arrêt du processus de guérison. Le dernier stock de médicaments s’est épuisé au plus fort de la crise post-électorale. Le père qui devait le renouveler n’était plus disponible, à cause de son accident. D’autres personnes auraient pu prendre le relais, mais en ont été empêchées par les combats militaires qui s’intensifiaient à Abidjan. A cet obstacle va s’ajouter plus tard un manque de moyens financiers. Les produits sont assez coûteux. Le stock d’une semaine fait au moins 100.000 Fcfa. N’eut été cette interruption involontaire de son traitement, Florence aurait pu miroiter son visage initial à ce jour. Tout en imaginant l’arrêt du rétablissement de son visage, le sauveur craint de le retrouver plus monstrueux. Ce qui réduirait à néant le soutien que des âmes généreuses lui ont permis d’apporter à l’infortunée. Le suspense est donc entier. Il est presque midi, le véhicule s’arrête au sein du centre. Le chef de délégation veut traduire ses civilités aux tuteurs de Florence. Une jeune dame, venue à la rencontre du célèbre et très respecté prêtre, l’oriente vers la chambre de la patiente. C’est une petite pièce située à deux minutes de marche. La porte est fermée. Au fur et à mesure qu’ils approchent, père-Abékan répète à haute voix le nom de sa fille. C’est un autre signe de son impatience. A moins d’être plongée dans un profond sommeil, Florence peut l’entendre. On entend un bruit à la serrure, et ‘’crac’’, la porte s’ouvre. L’occupante apparaît très décontractée. Elle est juste vêtue d’un pagne et d’un débardeur. Sauf que le maillot affiche remarquablement le portrait du président américain, Barack Obama. A la vue du visiteur inespéré, la jeune fille esquisse un large sourire et crie ‘’papa !’’. Comme une bambine, elle se met à sautiller en regardant les jambes de son bienfaiteur. « Ce n’est pas cassé ?», demande-t-elle dans son français de jeune fille non scolarisée ayant grandi au village. Son père la rassure. Le bonheur est total sur les deux visages. Abékan est le plus heureux, même s’il ne le manifeste que par un long sourire. Ce n’est plus la Florence dont l’image le consternait pendant le voyage. Mais une personne plus rayonnante qu’il y a trois mois. L’amélioration de son état est à la fois morale et physique.
La nouvelle Florence
Elle est loin, très loin, de la malade résignée et isolée avec la gangrène de son visage à Krogbopa, son village. Ce n’est plus aussi la Florence qui parlait à peine pendant les premiers mois de son séjour, ici. Affectée, dépaysée et la voix étouffée par la boursouflure de ses lèvres, elle était presque aphone. Aujourd’hui, elle est gaie et loquace. Malgré l’interruption de ses soins, sa face a continué de se désenfler. Son front ne porte plus qu’une légère inflammation. Ses yeux, anciennement cachés par un surcroit de chair, sont totalement dégagés. Le nez retrouve progressivement sa forme initiale. Les lèvres aussi. Ce qui permet d’apercevoir sa dentition autrefois invisible. On sait désormais à qui elle ressemble. Et ce qu’elle pense de son avenir. « Je veux apprendre l’anglais », propose-t-elle à son parrain. En son absence, elle a fait la connaissance d’un pèlerin ghanéen qui a séjourné dans le centre. Florence est prête à rejoindre ce dernier au pays de John Atta Mills. Vous l’avez remarqué, la vie a retrouvé son sens chez la future femme. La pensionnaire est connue de tous à travers le vaste couvent. La mère supérieure est satisfaite de sa conduite : « Elle joue avec tout le monde et nous aide dans nos tâches ménagères.» Mais un triste instant va se glisser dans les retrouvailles. C’est le moment du récit de Florence sur la soirée où l’on est venu lui apprendre que des hommes en armes avaient tiré sur son père. « Je n’ai pas pu dormir cette nuit-là. Je ne voulais pas qu’il meurt. J’ai prié, prié…en demandant à Jésus de le sauver », se souvient-elle. Ces prières d’une sinistrée qu’il a ramenée à la vie ont peut-être obtenu les grâces à la guérison du miraculé d’un soir. En écoutant Florence, le guide religieux retient difficilement ses larmes. Il est surtout touché de la voir se préoccuper du sort d’autrui, elle qui a tant besoin de réconfort. La triste parenthèse est vite refermée. Puisque Florence vient de se souvenir aussi que le père-curé lui avait fait découvrir la mer, quelques jours après son arrivée à Abidjan. Elle veut retourner à la plage. Elle demande également à son ‘’papa’’de lui apporter un nouveau magnétophone. Celui qu’elle utilisait ne fonctionne plus. Elle sollicite aussi deux CD de musique religieuse dont celui du chantre Boniface. Ce n’est pas fini. Elle a beaucoup aimé des pommes que son papa lui avait apportées un jour. Abékan ne dit jamais non. Quand un père et sa fille aimée se retrouvent…
Cissé Sindou
Assis à l’avant-droit du véhicule qui nous conduits vers sa filleule, l’abbé Abékan Norbert a du mal à cacher son angoisse. Durant la trentaine de minutes que dure le trajet, l’homme de Dieu lève rarement la tête. Son regard rempli d’appréhension fixe ses jambes. A quoi pense t-il ? Pas assez difficile à imaginer. Pendant deux semaines, à chacune de nos conversations téléphoniques, le curé de la paroisse Notre Dame de la Tendresse n’a pas cessé de se préoccuper du sort de Florence Domonoko. Atteinte d’une grave tumeur qui a boursouflé son visage, cette jeune fille de 22 ans, qu’il a fait venir de Gagnoa pour des soins médicaux, est privée de traitement depuis deux mois. Deux mois durant lesquels son parrain luttait lui-même contre la paralysie de ses jambes, suite aux rafales d’individus non identifiés qui ont ouvert le feu sur son véhicule. C’était dans la nuit du 29 au 30 mars. Sorti valide de sa longue rééducation, l’abbé Abékan Norbert tient à voir Florence. Le déplacement reporté à plusieurs reprises a enfin lieu dans la matinée de ce mardi 19 juillet. Et l’idée de retrouver sa fille adoptive dans un état moins ébloui que celui de leur dernière rencontre est sans doute la cause de sa tristesse.
Du stress à la joie
En effet, les nouvelles qui lui sont parvenues parlent d’un arrêt du processus de guérison. Le dernier stock de médicaments s’est épuisé au plus fort de la crise post-électorale. Le père qui devait le renouveler n’était plus disponible, à cause de son accident. D’autres personnes auraient pu prendre le relais, mais en ont été empêchées par les combats militaires qui s’intensifiaient à Abidjan. A cet obstacle va s’ajouter plus tard un manque de moyens financiers. Les produits sont assez coûteux. Le stock d’une semaine fait au moins 100.000 Fcfa. N’eut été cette interruption involontaire de son traitement, Florence aurait pu miroiter son visage initial à ce jour. Tout en imaginant l’arrêt du rétablissement de son visage, le sauveur craint de le retrouver plus monstrueux. Ce qui réduirait à néant le soutien que des âmes généreuses lui ont permis d’apporter à l’infortunée. Le suspense est donc entier. Il est presque midi, le véhicule s’arrête au sein du centre. Le chef de délégation veut traduire ses civilités aux tuteurs de Florence. Une jeune dame, venue à la rencontre du célèbre et très respecté prêtre, l’oriente vers la chambre de la patiente. C’est une petite pièce située à deux minutes de marche. La porte est fermée. Au fur et à mesure qu’ils approchent, père-Abékan répète à haute voix le nom de sa fille. C’est un autre signe de son impatience. A moins d’être plongée dans un profond sommeil, Florence peut l’entendre. On entend un bruit à la serrure, et ‘’crac’’, la porte s’ouvre. L’occupante apparaît très décontractée. Elle est juste vêtue d’un pagne et d’un débardeur. Sauf que le maillot affiche remarquablement le portrait du président américain, Barack Obama. A la vue du visiteur inespéré, la jeune fille esquisse un large sourire et crie ‘’papa !’’. Comme une bambine, elle se met à sautiller en regardant les jambes de son bienfaiteur. « Ce n’est pas cassé ?», demande-t-elle dans son français de jeune fille non scolarisée ayant grandi au village. Son père la rassure. Le bonheur est total sur les deux visages. Abékan est le plus heureux, même s’il ne le manifeste que par un long sourire. Ce n’est plus la Florence dont l’image le consternait pendant le voyage. Mais une personne plus rayonnante qu’il y a trois mois. L’amélioration de son état est à la fois morale et physique.
La nouvelle Florence
Elle est loin, très loin, de la malade résignée et isolée avec la gangrène de son visage à Krogbopa, son village. Ce n’est plus aussi la Florence qui parlait à peine pendant les premiers mois de son séjour, ici. Affectée, dépaysée et la voix étouffée par la boursouflure de ses lèvres, elle était presque aphone. Aujourd’hui, elle est gaie et loquace. Malgré l’interruption de ses soins, sa face a continué de se désenfler. Son front ne porte plus qu’une légère inflammation. Ses yeux, anciennement cachés par un surcroit de chair, sont totalement dégagés. Le nez retrouve progressivement sa forme initiale. Les lèvres aussi. Ce qui permet d’apercevoir sa dentition autrefois invisible. On sait désormais à qui elle ressemble. Et ce qu’elle pense de son avenir. « Je veux apprendre l’anglais », propose-t-elle à son parrain. En son absence, elle a fait la connaissance d’un pèlerin ghanéen qui a séjourné dans le centre. Florence est prête à rejoindre ce dernier au pays de John Atta Mills. Vous l’avez remarqué, la vie a retrouvé son sens chez la future femme. La pensionnaire est connue de tous à travers le vaste couvent. La mère supérieure est satisfaite de sa conduite : « Elle joue avec tout le monde et nous aide dans nos tâches ménagères.» Mais un triste instant va se glisser dans les retrouvailles. C’est le moment du récit de Florence sur la soirée où l’on est venu lui apprendre que des hommes en armes avaient tiré sur son père. « Je n’ai pas pu dormir cette nuit-là. Je ne voulais pas qu’il meurt. J’ai prié, prié…en demandant à Jésus de le sauver », se souvient-elle. Ces prières d’une sinistrée qu’il a ramenée à la vie ont peut-être obtenu les grâces à la guérison du miraculé d’un soir. En écoutant Florence, le guide religieux retient difficilement ses larmes. Il est surtout touché de la voir se préoccuper du sort d’autrui, elle qui a tant besoin de réconfort. La triste parenthèse est vite refermée. Puisque Florence vient de se souvenir aussi que le père-curé lui avait fait découvrir la mer, quelques jours après son arrivée à Abidjan. Elle veut retourner à la plage. Elle demande également à son ‘’papa’’de lui apporter un nouveau magnétophone. Celui qu’elle utilisait ne fonctionne plus. Elle sollicite aussi deux CD de musique religieuse dont celui du chantre Boniface. Ce n’est pas fini. Elle a beaucoup aimé des pommes que son papa lui avait apportées un jour. Abékan ne dit jamais non. Quand un père et sa fille aimée se retrouvent…
Cissé Sindou