Mendiante assise au coin de la rue, bouchers aux blouses tachetées de sang coagulé, démarcheurs impétueux qui s'activent, jeunes gens transportant des quartiers de bœuf…Scène tout à fait ordinaire ce jeudi 28 juillet 2011 à l'abattoir de Port-Bouet. A cette heure de la journée (6 h), l'activité est particulièrement intense. Les grossistes affluent des quatre coins de la capitale pour s'approvisionner en marchandise. L'abattoir est le lieu par excellence du commerce de la viande : les dizaines de grossistes qui défilent sont parfaitement imprégnés des rouages du secteur. Arrivés tôt le matin, Seydou D. et ses collègues savent à quelle porte frapper et surtout, comment réaliser de bonnes affaires. « Il y a longtemps on fait ça », concède le revendeur. Presque tous les jours de la semaine, des clients à l'instar de Seydou, louent des taxis qui viennent charger la marchandise en direction des points de vente : Adjamé, Koumassi, Marcory…Treichville. Ils en ont pour quelques dizaines de mille suivant la quantité de viande voulue. Seydou et les siens ont recours à des jeunes qui aident à transporter les morceaux de viande jusqu'à la voiture. L'abattoir s'apparente à une ruche active où seuls les initiés sont assurés de s'en tirer à bon compte. Seydou n'ignore pas les « frais » de route : 500frs, 1000frs aux agents de la sécurité. « C'est comme ça », conçoit le commerçant. Il ne paraît pas dépité par cette situation qui revêt finalement un caractère « normal ».
En face de l'entrée principale de l'abattoir, sont positionnés des taxis prêts à convoyer la viande. L'activité est d'une telle intensité que régulièrement la voie est obstruée : mieux vaut à d'éventuels travailleurs devant quitter les zones périphériques en direction du centre-ville, éviter la route passant devant l'abattoir. L'embouteillage dure cinq à dix minutes ; un peu plus parfois.
Nid de maladies
Le temple du bétail et de la viande a été ce matin d'un abord laborieux. Moins à cause de cette impression de désordre que la persistance d'odeurs répugnantes. L'abattoir est un cas typique de malpropreté : il est un fait courant de découvrir des bouchers patauger dans la boue et dans les excréments. Avant d'accéder à cette ruche grouillante, déjà nous étions saisi par les tas d'immondices dans les pourtours de l'abattoir. A l'odeur pénible des ordures, vient s'ajouter la puanteur des urines et autres excréments humains. Les pratiquants du milieu semblent faire peu de cas de l'incroyable insalubrité qui y règne. « Ça ne tue pas », banalise Youssef, jeune de 25 ans qui a accepté de servir de guide.
« Ça ne tue pas peut-être sur le coup. Mais ça forcément des effets sur la santé », rétorquons-nous. Youssef affiche une insouciance propre aux gens du secteur. Il sait au fond de lui que ce manque criant d'hygiène peut être source de maladies. Aussi bien pour lui que pour le bétail. Un de nos amis spécialistes nous expliquera un peu plus tard que les bêtes sont exposées à la distomatose, un parasite assez bien connu des vétérinaires. D'autres parasites existent, susceptibles de s'attaquer aux bêtes : le pastélose, le blutélose…La menace qui plane sur les animaux de consommation touche corollairement les humains.
Certains consommateurs de viande à qui il arrive de découvrir l'abattoir avec tout ce qu'il a d'insalubre perdent l'appétit. Youssef, vraisemblablement, préfère positiver : « C'est peut-être ça qui fait le charme de la chose ». Ils sont probablement nombreux qui voudraient- pour une fois- une absence de « charme », synonyme de plus de sécurité alimentaire.
Profession : égorgeur
Avec Youssef, nous parcourons l'abattoir. Il y a d'un côté le vaste enclos servant de parc à bétail. Il y a de l'autre, cette vielle bâtisse figée depuis 1958 avant même l'indépendance de la Côte d'Ivoire et qui se trouve en pleine déconfiture. Près du parc à bétail et du vieux bâtiment se développe une activité commerciale florissante : un marché de volailles, le commerce de la viande braisée, la vente de légumes, d'huile, de poisson… Il est loisible à la ménagère de venir faire son marché à l'abattoir.
Alors que nous progressons dans la connaissance des lieux, Youssef nous explique comment les bêtes sont « traitées » : « Ça se passe vers minuit. Il y a des personnes qui sont chargées d'égorger les bœufs dans la salle d'abattage. Ce sont les bissimila ». Le plus souvent de nationalité mauritanienne, les « bissimila » sont des gens en âge avancé. Ils sont choisis par les propriétaires des bêtes. Leur appellation fait écho au nom donné à la partie du bœuf qui leur est offerte après qu'ils ont achevé d'égorger la bête. « Ils peuvent vendre leur part de viande sur le marché, s'ils le veulent », apprend Youssef. Entre 200 et 500 bêtes sont « traitées » par jour. Les opérations se passent en présence d'agents de surveillance et de médecins vétérinaires œuvrant pour le compte du district d'Abidjan. Les agents de surveillance, en blouse orange, vérifient les entrées et sorties. « Ils s'assurent que les bêtes qui rentrent ont leurs propriétaires bien présents », avance notre guide. On paie à ces agents une « taxe » : entre 700 frs et 3000 frs Cfa suivant qu'on veuille faire « traiter » un mouton ou un bœuf. En blouse blanche, les vétérinaires vérifient si la viande sortie de la salle d'abattage est bonne à la consommation. « Quand elle n'est pas bonne, elle est confisquée en principe. Un papier est délivré au boucher pour attester que sa viande a été saisie. Il pourra le présenter à son fournisseur pour qu'ils trouvent un arrangement », explique Youssef.
La présence de médecins vétérinaires n'annihile pas les risques d'éventuelles maladies qui menacent les bêtes. Des revendeurs négocient directement la marchandise avec les propriétaires de bœufs ou de moutons.
Le business de la viande étend presque partout ses tentacules au sein de l'abattoir. Et l'endroit reste un terreau fertile de maladies pour les bêtes, bien sûr. Pour les humains, également.
Par Kisselminan COULIBALY
En face de l'entrée principale de l'abattoir, sont positionnés des taxis prêts à convoyer la viande. L'activité est d'une telle intensité que régulièrement la voie est obstruée : mieux vaut à d'éventuels travailleurs devant quitter les zones périphériques en direction du centre-ville, éviter la route passant devant l'abattoir. L'embouteillage dure cinq à dix minutes ; un peu plus parfois.
Nid de maladies
Le temple du bétail et de la viande a été ce matin d'un abord laborieux. Moins à cause de cette impression de désordre que la persistance d'odeurs répugnantes. L'abattoir est un cas typique de malpropreté : il est un fait courant de découvrir des bouchers patauger dans la boue et dans les excréments. Avant d'accéder à cette ruche grouillante, déjà nous étions saisi par les tas d'immondices dans les pourtours de l'abattoir. A l'odeur pénible des ordures, vient s'ajouter la puanteur des urines et autres excréments humains. Les pratiquants du milieu semblent faire peu de cas de l'incroyable insalubrité qui y règne. « Ça ne tue pas », banalise Youssef, jeune de 25 ans qui a accepté de servir de guide.
« Ça ne tue pas peut-être sur le coup. Mais ça forcément des effets sur la santé », rétorquons-nous. Youssef affiche une insouciance propre aux gens du secteur. Il sait au fond de lui que ce manque criant d'hygiène peut être source de maladies. Aussi bien pour lui que pour le bétail. Un de nos amis spécialistes nous expliquera un peu plus tard que les bêtes sont exposées à la distomatose, un parasite assez bien connu des vétérinaires. D'autres parasites existent, susceptibles de s'attaquer aux bêtes : le pastélose, le blutélose…La menace qui plane sur les animaux de consommation touche corollairement les humains.
Certains consommateurs de viande à qui il arrive de découvrir l'abattoir avec tout ce qu'il a d'insalubre perdent l'appétit. Youssef, vraisemblablement, préfère positiver : « C'est peut-être ça qui fait le charme de la chose ». Ils sont probablement nombreux qui voudraient- pour une fois- une absence de « charme », synonyme de plus de sécurité alimentaire.
Profession : égorgeur
Avec Youssef, nous parcourons l'abattoir. Il y a d'un côté le vaste enclos servant de parc à bétail. Il y a de l'autre, cette vielle bâtisse figée depuis 1958 avant même l'indépendance de la Côte d'Ivoire et qui se trouve en pleine déconfiture. Près du parc à bétail et du vieux bâtiment se développe une activité commerciale florissante : un marché de volailles, le commerce de la viande braisée, la vente de légumes, d'huile, de poisson… Il est loisible à la ménagère de venir faire son marché à l'abattoir.
Alors que nous progressons dans la connaissance des lieux, Youssef nous explique comment les bêtes sont « traitées » : « Ça se passe vers minuit. Il y a des personnes qui sont chargées d'égorger les bœufs dans la salle d'abattage. Ce sont les bissimila ». Le plus souvent de nationalité mauritanienne, les « bissimila » sont des gens en âge avancé. Ils sont choisis par les propriétaires des bêtes. Leur appellation fait écho au nom donné à la partie du bœuf qui leur est offerte après qu'ils ont achevé d'égorger la bête. « Ils peuvent vendre leur part de viande sur le marché, s'ils le veulent », apprend Youssef. Entre 200 et 500 bêtes sont « traitées » par jour. Les opérations se passent en présence d'agents de surveillance et de médecins vétérinaires œuvrant pour le compte du district d'Abidjan. Les agents de surveillance, en blouse orange, vérifient les entrées et sorties. « Ils s'assurent que les bêtes qui rentrent ont leurs propriétaires bien présents », avance notre guide. On paie à ces agents une « taxe » : entre 700 frs et 3000 frs Cfa suivant qu'on veuille faire « traiter » un mouton ou un bœuf. En blouse blanche, les vétérinaires vérifient si la viande sortie de la salle d'abattage est bonne à la consommation. « Quand elle n'est pas bonne, elle est confisquée en principe. Un papier est délivré au boucher pour attester que sa viande a été saisie. Il pourra le présenter à son fournisseur pour qu'ils trouvent un arrangement », explique Youssef.
La présence de médecins vétérinaires n'annihile pas les risques d'éventuelles maladies qui menacent les bêtes. Des revendeurs négocient directement la marchandise avec les propriétaires de bœufs ou de moutons.
Le business de la viande étend presque partout ses tentacules au sein de l'abattoir. Et l'endroit reste un terreau fertile de maladies pour les bêtes, bien sûr. Pour les humains, également.
Par Kisselminan COULIBALY