Au terme d’un bref séjour dans la capitale du Sud-Comoé, nous avons été déroutés par le mauvais état de la voirie, qui est quasi inexistante. Arrivées dans le cadre du concours Miss CI, édition 2011, nous sommes logés au quartier ‘’Derrière l’eau’’. Une dénomination ironique. Lorsque vous y faites irruption, les toitures enrouillées par les différentes intempéries (pluie et soleil), la latérite qui enrobe joliment les habitations, sont des signes avant-coureurs du caractère rustique de l’environnement et surtout du niveau de vie – modeste – des populations. Le tout dans un décor pittoresque et campagnard. L’accès au quartier relève d’un véritable chemin de croix. De grosses crevasses parsemées çà et là, le long de la voie sont de nature à tourniquer votre envie d’emprunter ce chemin. «Si vous étiez venu une semaine plutôt, vous aurez mis au moins une heure pour rallier votre hôtel», révèle le concierge de l’hôtel Sanwi où nous avons déposé nos valises. Dans le taxi qui nous conduit à l’hôtel, un fait n’échappe pas à notre sagacité. Notre conducteur, qui, durant tout le trajet, est resté cramponné à son siège et agrippé à son volant, ne manquait pas de se confondre en excuses comme pour se justifier de son hardiesse à la conduite. «Monsieur, excusez-moi, c’est la route qui n’est pas bonne. A un moment donné, vu l’état de dégradation de la voirie, nous avons demandé au maire Kadjo N’zoré, à défaut de bitumer les principales artères de la ville, que ce dernier fasse du reprofilage. Vous savez ce qu’il a dit aux chauffeurs de taxis : «Je vous demande de circuler là où il y a du bitume parce qu’on n’a pas d’argent pour faire quoi que ce soit». Et l’ancien fonctionnaire à la retraite, conducteur de taxi, de poursuivre : «Depuis que le député-maire Etché Alexis est décédé en 2003, nous considérons que nous n’avons plus de maire. Parce que c’est là que le développement s’est arrêté. Les cadres d’Aboisso sont tous mauvais. Ils préfèrent construire dans leurs villages des châteaux et la ville est sous-développée. Il y a de nombreux cadres à Aboisso, mais qui ne participent pas au développement de la ville. Il y a un problème de leadership. Il faut de nouvelles élections municipales pour que le maire intérimaire dégage de là. C’est certainement parce qu’il est intérimaire qu’il ne veut pas travailler. On note une invasion de moustiques à Aboisso due à l’obstruction des caniveaux et autres canaux d’évacuation des eaux usées. Il n’y a plus de bitumes, plus de voies. Il n’y a plus rien». Approché pour donner son avis sur l’état de la voirie, Yao Anicet, chauffeur, qui a tenu à échanger, n’a ménagé aucun effort pour cracher ses vérités au premier magistrat de la cité: «Tellement les routes sont mauvaises, nous sommes obligés d’aller chaque fois au garage. Nous dépensons beaucoup d’argent dans les réparations des cardans, crémaillères, etc. Quand on finit de réparer une panne, une autre s’ajoute. Les patrons sont conscients mais ils nous demandent des recettes. Il n’y a rien d’autre à faire à Aboisso ici, si ce n’est être chauffeur de taxi. On s’en fout du maire parce qu’il ne fait rien pour arranger les choses». A en croire notre hôte, les chauffeurs de taxis et autres transporteurs se donnent les moyens, en levant des cotisations pour parer au plus pressé. « Quand vous traversez le pont Delafosse, c’est le pont qui relie le centre ville et le quartier ‘’Derrière l’eau’’, il y a un pan du garde-fou qui a été cassé par un chauffeur de taxi lorsqu’il exécutait une manœuvre. Nous, chauffeurs, sommes obligés de nous cotiser pour régler cette affaire, avant qu’un autre chauffeur ne se jette dans le vide pour terminer sa chute dans le fleuve Abia. En fait, le maire veut que les gens tombent dans le fleuve avant d’agir. C’est méchant ! », a-t-il expliqué, visiblement au bord de l’énervement. Aka Etienne, habitant du quartier ‘’Panan-panan’’, fait savoir que la voie principal dudit quartier a été obstruée par les ronces, chiendents et autres mauvaises herbes, au point que les taximen rechignent à entrer dans ce quartier dortoir d’Aboisso. Les habitants sont contraints de faire le trajet à pied. Difficile pour les populations riveraines, soulignera-t-il, quand on sait les graves risques encourus par celles-ci (braquage, viol, assassinat et kidnapping).
Patrick Krou, envoyé spécial
Patrick Krou, envoyé spécial