Invités à un forum de haut niveau du Wanep-Côte d’Ivoire qui se tient depuis le mercredi 24 août 2011, plusieurs experts intervenant dans le processus de réconciliation dans l’espace Cedeao séjournent actuellement en Côte d’Ivoire. Dans ce panel, ils livrent leurs sentiments sur l’inculpation de Laurent Gbagbo pour crimes économiques. Là où des leaders d’opinion réclamaient le chef d’accusation de haute trahison.
Mohamed Suma, directeur par intérim du programme du centre international pour la justice transitionnelle en Sierra-Léone :
«A travers l’inculpation de Gbagbo pour crimes économiques, il faut voir une volonté de concilier justice et réconciliation »
«D’emblée, il me paraît important de relever que la stabilité ne peut être ni forte ni durable dans un pays qui sort d’une crise aiguë sans justice. S’il n’y a pas de justice, il n’y aura pas de garde-fous solides pour éviter la répétition des faits tragiques qui ont endeuillé le pays avec des milliers de morts, qui ont plongé le pays dans la guerre, dans les tueries et d’autres violations des droits de l’Homme. Le vrai pilier de la paix, c’est la justice. C’est pourquoi, j’estime que l’inculpation de l’ex-chef de l’Etat ne peut pas fragiliser le processus de réconciliation dont les bases ont été jetées et la volonté politique des nouvelles autorités est exprimée à travers la mise en place de la commission Dialogue, Vérité et Réconciliation. Il y a, à mon avis, un souci de ne pas entraver ce processus qui s’aperçoit et s’apprécie à travers l’inculpation pour ‘’crimes économiques’’. Et non pas pour haute trahison. Même pour quelqu’un qui n’est pas expert du droit, la simple évocation de la haute trahison est ressentie comme une charge extrême qui induit des sanctions de gravité extrême. C’est pourquoi, à travers cette inculpation pour crimes économiques, il faut voir une volonté de concilier justice et réconciliation. La commission Dialogue, Vérité et Réconciliation, qui n’est pas un organe judiciaire, a pour rôle de retracer l’histoire de la crise, d’investiguer pour faire éclater la vérité et de s’occuper des victimes. Or, il y a trois catégories de victimes. La première, c’est celle qui estime que la fin de la belligérance lui suffit pour pardonner. Cette catégorie dit si Dieu a épargné ma vie, cela me suffit. La seconde est celle qui demande que leurs bourreaux avouent leurs forfaits pour laisser tout tomber. La dernière, estime que la reconnaissance de la responsabilité suivie de la demande de pardon ne suffit pas. Il faut pour elle juger et punir les auteurs des violations dont elle a été victime. Cette frange doit se retrouver absolument dans le processus de réconciliation nationale. C’est pourquoi il faut nécessairement juger. Mais, il faut y aller étape par étape, pas à pas et non vouloir se précipiter dans un processus judiciaire très rigide qui fasse penser qu’il s’agit d’une justice des vainqueurs qui s’applique au vaincu. Et ce serait le cas avec une inculpation pour haute trahison».
Nathalie Traoré-Koné, Coordonnatrice adjointe du Forum des organisations ouest-africaines de la société civile (Foscao) basé à abuja (Nigéria) :
«Il faut éviter la polémique et préparer la Défense pour un procès juste»
«Nous sommes dans un processus dans lequel la justice doit faire son travail sans passion et sans pression. Je constate qu’il y a effectivement un débat voire une polémique autour de l’inculpation pour crimes économiques. La Défense fait observer que l’ancien président n’est pas un citoyen ordinaire susceptible d’être jugé par une juridiction ordinaire. D’autres pensent plutôt que l’inculpation pour crimes économiques est faible eu égard à la gravité des faits qui se sont déroulés en Côte d’Ivoire. C’est vrai que Laurent Gbagbo n’était pas un citoyen ordinaire au moment des faits mais, le super citoyen qu’il était, ne devrait pas poser les actes qu’il a posés. Il a posé des actes très graves devant la mémoire collective ivoirienne, sous-régionale et régionale. Ces actes ont entraîné des milliers de morts, le dysfonctionnement du circuit bancaire plongeant les populations dans la misère et les déplacés internes et externes. Il y a déjà eu une inculpation pour crimes économiques. Nous estimons qu’il faut que ce processus judiciaire aille jusqu’à son terme à froid et ne pas épiloguer sur la haute trahison ou le statut de citoyen super ordinaire. Il faut avancer. La justice a commencé son travail. Il faut éviter la polémique inutile, préparer la Défense pour qu’il y ait un procès équitable, juste et transparent qui permette de faire véritablement éclater la vérité. L’objectif, ce n’est pas la répression pénale mais l’éclatement de la vérité. Cette inculpation pour crimes économiques qui n’est qu’une étape, ne doit pas faire revenir le processus de réconciliation en arrière. Les Ivoiriens ont trop souffert. Laissons donc la justice faire son travail ».
Claudine Kpondzo Ahianyo : Membre de la commission Vérité-Justice-Réconciliation du Togo :
«La haute trahison aurait eu plus d’incidence négative sur le processus de réconciliation»
«Dans l’état actuel de la Côte d’Ivoire où les plaies sont encore vives, on peut dire que l’inculpation de Laurent Gbagbo pour crimes économiques fragilise le processus de réconciliation nationale. Cela va, quelque peu, retarder la réconciliation et va créer des soucis aux animateurs de la commission Dialogue-Vérité-Réconciliation. Que ce soit pour crimes économiques ou pour haute trahison, les deux pèsent dans la balance. Ce n’est pas une première sur le continent qu’un ancien chef de l’Etat soit inculpé. Mais, la haute trahison aurait eu plus d’incidence négative sur le processus de réconciliation. Déjà que cette inculpation pour crimes économiques est perçue comme un chef d’accusation qui laisse un goût amer aux proches de M. Laurent Gbagbo. Certes, si on part du principe selon lequel le processus de justice transitionnelle n’empêche pas la justice classique de faire son travail, on peut considérer l’inculpation de l’ancien président pour crimes économiques ne peut pas gêner la conduite de la réconciliation nationale. Mais, en Afrique, nous faisons plusieurs amalgames. Il faut donc penser à une série de sensibilisations de la population sur les deux processus pour faire comprendre que le volet judiciaire et celui de la réconciliation peuvent aller de pair et peuvent aboutir à l’apaisement des cœurs».
Mourtala Tourhé, membre du centre pour la justice transitionnelle à Accra-Ghana :
«La réconciliation nationale demande beaucoup de tact»
«La réconciliation nationale est un processus de longue haleine qui requiert beaucoup d’efforts, de patience, d’engagement de la société civile et du gouvernement. Et surtout beaucoup de tact. C’est pourquoi l’accent ne doit pas être mis avec célérité sur le processus judiciaire. La préoccupation pour moi doit être comment rassembler le peuple ivoirien déchiré par plusieurs années de crise, de conflits. Il faut mettre l’accent sur la réconciliation plutôt que les poursuites judiciaires pour mettre en confiance ceux par exemple qui sont en exil pour leur permettre de rentrer. Mais, si en même temps qu’on demande aux exilés de rentrer et on inculpe pour ‘’crimes économiques’’ leur mentor, celui en qui, ils se reconnaissent, il est clair qu’ils ne vont pas se sentir concernés par la réconciliation. Crimes économiques ou haute trahison, il y a dans tous les deux cas inculpation donc la mise en marche de la machine judiciaire qui devrait être, à mon avis, en arrière plan. Et non à l’avant. Il y a de nombreux exilés ivoiriens qui vivent au Ghana et ils suivent l’évolution de la situation. Cette inculpation va les retenir là-bas. Ils ne vont pas venir se jeter comme on le dit dans la gueule du loup. Dans tout processus de réconciliation, on fait parfois des choix difficiles dont des compromis pour la paix et la stabilité. La justice ne doit pas se faire de manière précipitée et à la hâte. On aurait pu attendre un peu avant de procéder à cette inculpation de l’ancien président en qui plusieurs Ivoiriens se reconnaissent encore même si ce n’est pas pour haute trahison».
Propos recueillis par M Tié Traoré
Mohamed Suma, directeur par intérim du programme du centre international pour la justice transitionnelle en Sierra-Léone :
«A travers l’inculpation de Gbagbo pour crimes économiques, il faut voir une volonté de concilier justice et réconciliation »
«D’emblée, il me paraît important de relever que la stabilité ne peut être ni forte ni durable dans un pays qui sort d’une crise aiguë sans justice. S’il n’y a pas de justice, il n’y aura pas de garde-fous solides pour éviter la répétition des faits tragiques qui ont endeuillé le pays avec des milliers de morts, qui ont plongé le pays dans la guerre, dans les tueries et d’autres violations des droits de l’Homme. Le vrai pilier de la paix, c’est la justice. C’est pourquoi, j’estime que l’inculpation de l’ex-chef de l’Etat ne peut pas fragiliser le processus de réconciliation dont les bases ont été jetées et la volonté politique des nouvelles autorités est exprimée à travers la mise en place de la commission Dialogue, Vérité et Réconciliation. Il y a, à mon avis, un souci de ne pas entraver ce processus qui s’aperçoit et s’apprécie à travers l’inculpation pour ‘’crimes économiques’’. Et non pas pour haute trahison. Même pour quelqu’un qui n’est pas expert du droit, la simple évocation de la haute trahison est ressentie comme une charge extrême qui induit des sanctions de gravité extrême. C’est pourquoi, à travers cette inculpation pour crimes économiques, il faut voir une volonté de concilier justice et réconciliation. La commission Dialogue, Vérité et Réconciliation, qui n’est pas un organe judiciaire, a pour rôle de retracer l’histoire de la crise, d’investiguer pour faire éclater la vérité et de s’occuper des victimes. Or, il y a trois catégories de victimes. La première, c’est celle qui estime que la fin de la belligérance lui suffit pour pardonner. Cette catégorie dit si Dieu a épargné ma vie, cela me suffit. La seconde est celle qui demande que leurs bourreaux avouent leurs forfaits pour laisser tout tomber. La dernière, estime que la reconnaissance de la responsabilité suivie de la demande de pardon ne suffit pas. Il faut pour elle juger et punir les auteurs des violations dont elle a été victime. Cette frange doit se retrouver absolument dans le processus de réconciliation nationale. C’est pourquoi il faut nécessairement juger. Mais, il faut y aller étape par étape, pas à pas et non vouloir se précipiter dans un processus judiciaire très rigide qui fasse penser qu’il s’agit d’une justice des vainqueurs qui s’applique au vaincu. Et ce serait le cas avec une inculpation pour haute trahison».
Nathalie Traoré-Koné, Coordonnatrice adjointe du Forum des organisations ouest-africaines de la société civile (Foscao) basé à abuja (Nigéria) :
«Il faut éviter la polémique et préparer la Défense pour un procès juste»
«Nous sommes dans un processus dans lequel la justice doit faire son travail sans passion et sans pression. Je constate qu’il y a effectivement un débat voire une polémique autour de l’inculpation pour crimes économiques. La Défense fait observer que l’ancien président n’est pas un citoyen ordinaire susceptible d’être jugé par une juridiction ordinaire. D’autres pensent plutôt que l’inculpation pour crimes économiques est faible eu égard à la gravité des faits qui se sont déroulés en Côte d’Ivoire. C’est vrai que Laurent Gbagbo n’était pas un citoyen ordinaire au moment des faits mais, le super citoyen qu’il était, ne devrait pas poser les actes qu’il a posés. Il a posé des actes très graves devant la mémoire collective ivoirienne, sous-régionale et régionale. Ces actes ont entraîné des milliers de morts, le dysfonctionnement du circuit bancaire plongeant les populations dans la misère et les déplacés internes et externes. Il y a déjà eu une inculpation pour crimes économiques. Nous estimons qu’il faut que ce processus judiciaire aille jusqu’à son terme à froid et ne pas épiloguer sur la haute trahison ou le statut de citoyen super ordinaire. Il faut avancer. La justice a commencé son travail. Il faut éviter la polémique inutile, préparer la Défense pour qu’il y ait un procès équitable, juste et transparent qui permette de faire véritablement éclater la vérité. L’objectif, ce n’est pas la répression pénale mais l’éclatement de la vérité. Cette inculpation pour crimes économiques qui n’est qu’une étape, ne doit pas faire revenir le processus de réconciliation en arrière. Les Ivoiriens ont trop souffert. Laissons donc la justice faire son travail ».
Claudine Kpondzo Ahianyo : Membre de la commission Vérité-Justice-Réconciliation du Togo :
«La haute trahison aurait eu plus d’incidence négative sur le processus de réconciliation»
«Dans l’état actuel de la Côte d’Ivoire où les plaies sont encore vives, on peut dire que l’inculpation de Laurent Gbagbo pour crimes économiques fragilise le processus de réconciliation nationale. Cela va, quelque peu, retarder la réconciliation et va créer des soucis aux animateurs de la commission Dialogue-Vérité-Réconciliation. Que ce soit pour crimes économiques ou pour haute trahison, les deux pèsent dans la balance. Ce n’est pas une première sur le continent qu’un ancien chef de l’Etat soit inculpé. Mais, la haute trahison aurait eu plus d’incidence négative sur le processus de réconciliation. Déjà que cette inculpation pour crimes économiques est perçue comme un chef d’accusation qui laisse un goût amer aux proches de M. Laurent Gbagbo. Certes, si on part du principe selon lequel le processus de justice transitionnelle n’empêche pas la justice classique de faire son travail, on peut considérer l’inculpation de l’ancien président pour crimes économiques ne peut pas gêner la conduite de la réconciliation nationale. Mais, en Afrique, nous faisons plusieurs amalgames. Il faut donc penser à une série de sensibilisations de la population sur les deux processus pour faire comprendre que le volet judiciaire et celui de la réconciliation peuvent aller de pair et peuvent aboutir à l’apaisement des cœurs».
Mourtala Tourhé, membre du centre pour la justice transitionnelle à Accra-Ghana :
«La réconciliation nationale demande beaucoup de tact»
«La réconciliation nationale est un processus de longue haleine qui requiert beaucoup d’efforts, de patience, d’engagement de la société civile et du gouvernement. Et surtout beaucoup de tact. C’est pourquoi l’accent ne doit pas être mis avec célérité sur le processus judiciaire. La préoccupation pour moi doit être comment rassembler le peuple ivoirien déchiré par plusieurs années de crise, de conflits. Il faut mettre l’accent sur la réconciliation plutôt que les poursuites judiciaires pour mettre en confiance ceux par exemple qui sont en exil pour leur permettre de rentrer. Mais, si en même temps qu’on demande aux exilés de rentrer et on inculpe pour ‘’crimes économiques’’ leur mentor, celui en qui, ils se reconnaissent, il est clair qu’ils ne vont pas se sentir concernés par la réconciliation. Crimes économiques ou haute trahison, il y a dans tous les deux cas inculpation donc la mise en marche de la machine judiciaire qui devrait être, à mon avis, en arrière plan. Et non à l’avant. Il y a de nombreux exilés ivoiriens qui vivent au Ghana et ils suivent l’évolution de la situation. Cette inculpation va les retenir là-bas. Ils ne vont pas venir se jeter comme on le dit dans la gueule du loup. Dans tout processus de réconciliation, on fait parfois des choix difficiles dont des compromis pour la paix et la stabilité. La justice ne doit pas se faire de manière précipitée et à la hâte. On aurait pu attendre un peu avant de procéder à cette inculpation de l’ancien président en qui plusieurs Ivoiriens se reconnaissent encore même si ce n’est pas pour haute trahison».
Propos recueillis par M Tié Traoré