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Économie Publié le lundi 21 novembre 2011 | Le Mandat

Interview/ Réforme des filières agricoles/ Un expert réagit : Pourquoi Gbagbo a échoué ? Comment le prix bord-champ est fixé ?

Ingénieur agronome, spécialisé en génétique et physiologie, diplômé d’agronomie de l’Ensa d’Abidjan et de l’Ensa de Dijon, en France, spécialisé en économie et gestion d’entreprise..., pour ne citer que ces diplômes, N’Guettia Kamanan jouit d’une bonne expérience dans le domaine agricole. Précédemment coopté par l’organisation des Nations unies pour le développement industriel (Onudi) comme expert en méthodologie de diagnostic stratégique global et spécifique des entreprises agroindustrielles dans l’espace Uemoa, N’Guettia Kamanan fait le procès de l’agriculture ivoirienne.
Le prix du cacao bord champ a été fixé à 1000 FCFA par l’Etat de Côte d’Ivoire. En tant qu´expert du monde agricole quel jugement pouvez-vous porter ?
Au cours des années précédentes, lorsque nous prenions la moyenne du prix mondial qui est cédé aux planteurs, on n’atteignait même pas les 30%. Alors, durant la campagne présidentielle, le Rhdp avait promis 50% du prix du cours mondial aux planteurs. Si vous observez actuellement, le cours mondial tourne autour de 1200 et 1300 FCFA. Avec le prix bord champ à 1000 FCFA le kilo, le Rhdp fait plus que tenir sa promesse qui est de céder au moins 50% du prix mondial aux paysans. Le coût est bon et c´est une nette amélioration par rapport au passé.

Des personnes se plaignent que les prix bord champ des années précédentes étaient plus intéressants que celui-ci. Quel est votre avis sur la question ?
Pour répondre à cette préoccupation, nous devons connaître le processus de fixation du prix du cacao et du café bord champ. Il y a un cours mondial qui se détermine à Londres, à Amsterdam ou à New-York. Sur ce coût, on défalque tous les frais d´approche, jusqu´au prix bord champ. Et c´est le coût résiduel qui est servi aux planteurs. Si le cours mondial est à 1200 ou 1500 FCFA et même 1800, et que le gouvernement sert 1000 FCFA, c´est plus que les 50%. Au moment où le prix avait été annoncé pour 1000 FCFA, nous étions en deçà de 2000 FCFA au niveau du coût mondial. La différence est claire. Il y a eu des moments en Côte d’Ivoire où le cours mondial montait jusqu´à 3000 FCFA, mais le prix aux planteurs n´avait jamais atteint 1500 FCFA. Donc, c´est un gros effort que l´Etat a fait.

Avec les producteurs, les prix se négocient entre 700 et 600 FCFA. Selon vous, quelle stratégie pourrait-on adopter pour faire respecter le prix bord champ fixé par l’Etat?
Je crois que les intérimaires ne respectent pas les indications que l´Etat a données. La solution c´est de mettre en place un dispositif qui puisse permettre à ces opérateurs de respecter ce prix bord champ parce que nous ne sommes pas encore dans la forme du prix stabilisé. Le résultat de la restructuration n´est pas encore obtenu. Lorsqu’il le sera, nous aurons un système quasi stabilisé qui permettra aux planteurs de toucher ce que l´Etat a arrêté, sans toutes ces tractations. Le prix donné par le gouvernement est appelé bord champ parce qu’on doit se rendre en bordure de la plantation du producteur pour acheter la récolte. Dans ce sens, il n´ y a pas de prix à négocier encore. C´est un prix indiscutable que le gouvernement offre aux planteurs.

Qu´est-ce qui explique la variation des cours des produits, d’une année à une autre, sur le marché international ?
Vous savez que c´est la sacro-sainte loi de l´économie et des marchés qu´on appelle l´offre et la demande. L´offre, c´est l´ensemble de la production que les agriculteurs vont mettre sur le marché. Quand on a un bon outil statistique et qu´on contrôle son agriculture, le pays producteur sait quantitativement ce qu´il va mettre sur le marché. L´opérateur industriel qui est en Europe ne sait pas ce qui va être produit. Comme les acheteurs de café cacao sont nombreux, chacun des potentiels acheteurs fait son calcul et prend ses dispositions. Donc, la variation du prix en Europe tient à l´incertitude de l´opérateur industriel de disposer ou pas de la matière première pour un an. Mais, les opérateurs industriels ne raisonnent pas sur un an. Ils font toujours des stocks de sécurité pour les usines. La production globale est toujours liée aux incertitudes. A cela s’ajoute les facteurs naturels climatiques que personne ne maitrise. Vous pouvez faire bonne prévision de production et puis des aléas climatiques que vous n´avez pas prévus surviennent. Finalement, votre production chute.

En tant qu´expert du monde agricole, quelle politique proposez-vous pour résoudre tous les problèmes qui minent encore l’agriculture ivoirienne ?
Notre objectif en tant que producteur, c´est de transformer la totalité de notre production et présenter des produits finis sur le marché national, régional et international. Cela doit être l´ambition de notre pays. Une ambition du reste légitime. Nous consommons du vin mais nous ne produisons pas de raisin. Les industries de vin sont en Europe où la matière première est produite. Nous consommons le lait et ses produits dérivés. Mais, tout cela provient de l´Europe. Donc, c´est tout à fait légitime pour un pays producteur, quelque soit la matière, d´aller jusqu´à la transformation finale et de proposer le produit final au consommateur. C´est pour cette ambition que le droit unique de sortie a été mise en place. Même si toute la production ne sera pas transformée, au niveau national le prix va varier parce que ces produits transformés seront envoyés sur le marché du chocolat. Et le prix avec le planteur va évoluer, sauf que nous aurons la possibilité de mette en place un système qui va stabiliser le prix avec le planteur. Si nous n´avons pas la transformation totale de notre production, nous avons le devoir de stabiliser le prix, donc les revenus aux planteurs ; c´est ce qui a été fait au cours des 40 premières années.

Quel est l’apport de ces cultures dans l’économie ivoirienne ?
En 2010, le cacao a donné un revenu global de 2,200 mille milliards FCFA. Le palmier à huile a une production nationale annuelle de 300 mille tonnes. L’hévéa, c’est entre 95 à 200 mille tonnes par an. En terme de superficie, cela représente 3 millions d’hectares de café et cacao sur l’ensemble du territoire national. Par contre, au niveau du palmier à huile, on a à peine 200 mille hectares et l’hévéa, 150 mille hectares. Etant donné que notre production nationale est stabilisée à 150 mille tonnes de café et de cacao, chaque année, cela veut dire que si nous voulons aller de l’avant, il faut aller vers d’autres cultures. C’est une politique de diversification qui avait été mise en place sous la houlette du président Félix Houphouët Boigny. Lorsqu’on a commencé la production agricole, c’était le café et le cacao. Dès 1960, le père fondateur a mis en place une politique de diversification pour créer toutes les autres cultures. C’est pourquoi, à l’époque, la Satmaci avait été mise en place. A l’intérieur de cette structure se trouvaient toutes les directions des autres cultures. Chaque fois, lorsque l’une de ces directions prenait son autonomie, elle devenait une société de développement. C’est comme cela que toutes les grandes sociétés d’agriculture ont été créées. Et, à la fin, ne sont restés que le café et le cacao. Puisque l’essentiel du débat est concentré sur ces cultures, la meilleure manière est de stabiliser le prix sur douze mois. C’est donc le système de la vente à terme. Le régime qui vient de tomber ne l’a pas compris. La vente à terme consiste à vendre, pour un exercice donné, avant que la production ne soit disponible. Par exemple, nous sommes en 2011. Avec ce système, la Côte d’Ivoire va vendre la production de 2012. Mais, pour ce faire, il faut avoir des données statistiques de ce que la Côte d’Ivoire dispose en volume.

A l’instar du café et du cacao, quelle politique suggérez-vous pour positionner les cultures du coton et de l’anacarde ?
Si nous prenons l’anacarde, probablement cette année ou dans les années à venir, la Côte d’Ivoire sera le premier producteur mondial. Actuellement, nous sommes à la deuxième place. Mais, à peine, arrivons-nous à transformer les 20% de notre production. Elle va en Inde pour être transformée. L’un des grands problèmes à régler dans la filière est le développement des unités de transformation. On peut mettre en place une vingtaine d’unités pour transformer 2 à 2,4 mille tonnes de la production par an. Les petits producteurs ont plusieurs difficultés. Ils ne peuvent ni exporter, ni transformer leur récoltes. Si nous avons des industries avec des capitaux nationaux ou étrangers qui s’installent, ces unités seront proches des zones de productions, avec tous les effets induits. Il y aura notamment la création d’emplois car, il faut dire que les usines d’anacarde sont, par excellence, des consommatrices de main-d’œuvre. Ensuite, il faut rassurer les producteurs qui perdent souvent jusqu’à 30% de leur production. Dans cette filière, le premier élément pour asseoir une véritable politique, est que l’Etat suscite la création d’unités de transformation. Egalement, les producteurs doivent discuter en professionnels, pour laisser tomber les querelles internes. Il y a beaucoup de difficultés et ceux-ci doivent faire en sorte que la filière se relance véritablement et non lutter pour devenir dirigeants afin de bénéficier des prélèvements qui sont versés aux organisations professionnelles. Aujourd’hui, notre anacarde est achetée et envoyée en Inde. Cette ressource ne porte pas le label Côte d’Ivoire parce que, tout simplement, nous n’avons pas les moyens de la transformer. Les autorités doivent permettre que des unités d’une grande capacité de transformation s’installent.

Le coton a traversé des séries noires, quelles sont les stratégies qu’il faut pour sauver la filière ?
Son problème est un peu plus complexe, car son rôle est de faire des vêtements. Et pourtant, les Chinois ont fait du secteur textile une de leur priorité. Ils sont très avancés. Les produits textiles qui arrivent de la Chine perturbent nos unités de transformation locales. Au niveau industriel, il y a une restructuration à faire. Au niveau du prix, la production a toujours été soutenue. Quand on fait le compte de l’exploitation d’un champ de coton, la marge de ce qui reste est très faible. L’Etat a toujours injecté de l’argent au niveau des intrants pour permettre aux planteurs d’avoir un revenu substantiel. Petit à petit, la Côte d’Ivoire avait commencé à dépasser les 200 mille tonnes de production par an. Mais, avec tout ce que nous avons subi ces dernières années, la production a chuté.

Quelles sont les cultures d’avenir pour la Côte d’Ivoire ? Dans quelles cultures les Ivoiriens peuvent-ils investir sans grand risque ?
D’une manière générale, si on regarde les paramètres actuels de coût de production et de coût de la terre en ce qui concerne sa mise en valeur, l’une des cultures les plus rentables est l’hévéa. Il y a également la banane et l’ananas. Mais, la crise que nous avons traversée a fait que ces cultures ont perdu de la valeur. Le café et le cacao sont également rentables. Si on compare la rentabilité, en tête vient l’hévéa et, ensuite, le palmier à huile. Par exemple, le prix du kilogramme actuellement de latex d’hévéa varie entre 700 et 800 FCFA. A 3 tonnes, cela vous fait 2000100 FCFA pour un hectare. C’est beaucoup plus important que le palmier à huile et le cacao. La Chine dans les années à venir va consommer à elle seule presque la moitié de l’énergie mondiale. Le Sida également apporte une conséquence positive sur le prix de l’hévéa. Car, tous les préservatifs sont faits avec du caoutchouc. Depuis 2005, la production totale des pays du monde demande à la Côte d’Ivoire d’en fournir 800 mille tonnes. Mais, nous ne pouvons fournir que 200 mille tonnes par an. Il en reste 600 mille à trouver. Pour le faire, il nous faut planter cet équivalent. Contrairement à ce que les gens pensent, l’hévéaculture est plus facile pour le paysan par rapport au palmier. La seule contrainte technique est le greffage. Mais, il y a des solutions car, un planteur peut lui-même faire son greffage.

La nouvelle réforme de la filière café-cacao sera-t-elle bénéfique pour les producteurs ?
C’est la grande question nationale. Le président Félix Houphouët Boigny disait que si une personne gagne 10 FCFA par mois, elle va mieux s’organiser pour les utiliser. Mais, si aujourd’hui elle reçoit 10 FCFA, demain 5 FCFA et après demain 15 FCFA, cette personne ne pourra jamais s’organiser. L’objectif principal du Rhdp est de chercher à stabiliser le revenu du planteur, au moins sur un an. Ainsi, sur les 12 mois durant la campagne, le planteur sait qu’on achètera sa production à tel prix. C’est dans ce sens que la Caistab avait été conçue. Quand la Banque mondiale a demandé de privatiser la caisse, l’Etat a dit que c’était une façon d’améliorer la gestion de la filière. Le président Henri Konan Bédié était en train de mettre en place une nouvelle caisse quand le coup d’Etat est survenu. Le régime qui a succédé a transformé les directions qui étaient au sein de la structure en sociétés autonomes. Or, chacune d’entre elles n’avait pas l’autonomie pour fonctionner. C’est ce qui a créé tout ce chamboulement qu’on a malheureusement observé dans la filière. C’est maintenant que le gouvernement est en train de tout unifier. C’est très bénéfique pour le paysan. La stabilisation doit revenir. La vente à terme doit revenir. Tant qu’on ne met pas cette stratégie sur pied, le paysan aura toujours des problèmes. Si vous fixez le prix à 1000 FCFA et que les intermédiaires achètent le produit à 700 FCFA, ce n’est pas normal.

Par Benjamin SORO
et Jérôme N’Dri
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