Le président de l’Ong Transparency Justice, le magistrat Manlan Laurent, donne dans cette interview, les raisons pour lesquelles les victimes des erreurs médicales préfèrent ne pas poursuivre les médecins.
Recevez-vous des plaintes de personnes qui accusent des médecins d’avoir commis des erreurs à la base de la mort de leurs parents ?
Bien sûr, nous en recevons toujours. Nous avons une salle de réception appelée, « bureau d’écoute » où nous recevons des justiciables qui viennent porter à notre connaissance ce genre de fait. Mais les parents se retractent souvent quand on leur indique la procédure à suivre. Quand vous venez dire qu’il y a eu une erreur médicale et que, c’est parce que le praticien a mal traité votre proche qu’il est décédé, il vous faut des preuves. Nous sommes en matière de droit et il faut établir que le médecin a effectivement commis la faute. Il faut donc des preuves pour pouvoir engager des poursuites. En effet, le juge cherchera à savoir dans le cas qui lui est soumis, s’il existe un acte fautif imputable au médecin et si effectivement c’est cet acte et non un autre, qui a entraîné le décès du patient. Ce n’est pas toujours évident. C’est pourquoi il est important que des éléments solides soient mis à sa disposition.
A partir de quels signes un parent doit-il suspecter un médecin d’avoir tué par erreur ?
La faute médicale peut se situer à trois niveaux. Elle peut intervenir dans l’acte de diagnostic, dans le traitement et dans la surveillance du traitement. Dans l’acte de diagnostic, le principe est qu’on ne peut poursuivre un médecin parce qu’il a commis une erreur dans l’établissement de son diagnostic. La simple erreur de diagnostic n’engage donc pas la responsabilité du médecin. Ce qui signifie que si le médecin dit à un patient qu’il souffre de paludisme alors qu’en réalité ce patient souffrait d’une fièvre typhoïde, si ce diagnostic s’appuie sur des examens cliniques (erronés), ce médecin ne peut être poursuivi. Par contre ce médecin le sera si ce diagnostic est établi sans aucune exploration ou recueil d’informations auprès du patient. Dans le traitement, on ne peut reprocher au médecin d’avoir choisi un traitement au lieu d’un autre. Car, le médecin est seul juge de la manière dont il doit traiter ses malades et c’est à lui qu’il appartient de choisir la thérapeutique qu’il estime la meilleure. Cependant, le choix du traitement doit être conditionné par une connaissance de l’état de santé du patient, de ses réactions possibles, une connaissance du médicament, de ses dangers, de sa posologie.
Pouvez-vous donner des cas pratiques ?
Bien sûr, constitue une faute médicale, le choix par correspondance, et sans examen préalable du malade, d’un traitement amaigrissant dangereux qui cause la mort du patient. Le premier devoir du médecin est de rédiger une ordonnance, de manière précise, lisible et complète, avec toute l’attention nécessaire. Sur l’ordonnance, le médecin doit énoncer en toutes lettres la dose prescrite ainsi que l’administration des médicaments. En France, un médecin voulant prescrire vingt-cinq gouttes de laudanum Sydenham pour un traitement à absorber en deux fois, avait commis deux fautes : il écrit 25 en chiffre arabe (contrairement aux prescriptions réglementaires) ; et mis «gouttes» en abrégé « gt », ce qui a induit en erreur le pharmacien qui a lu « grammes » et fait prendre à la patiente 25 grammes du médicament prescrit. Après avoir absorbé la moitié du médicament, la malade, tombée dans un état comateux, est décédée sans avoir repris connaissance. Selon les experts, la patiente a succombé à une intoxication massive due à l’absorption d’une dose mortelle de laudanum. En élaborant un bon diagnostic, en exécutant le traitement suivant les règes de la profession, le médecin ne saurait être responsable si le traitement est voué à l’échec, car il est tenu d’une obligation de moyen.
Et au niveau des erreurs chirurgicales ?
C’est pratiquement la même chose. Si un chirurgien oublie une compresse dans le corps d’une personne après une opération chirurgicale et que mort s’en suit, c’est le chef de l’équipe chirurgicale qui est soupçonné. Mais il faut que l’autopsie et les expertises médicales démontrent que c’est la compresse oubliée dans le corps qui est à la base de la mort. Parce qu’une autre maladie peut être à la base de la mort. Mais si les expertises établissent que c’est la compresse qui a causé la mort, le parent va saisir la justice. On peut poursuivre le médecin au plan civil pour réclamer des dommages et intérêts et au pénal pour homicide involontaire.
Mais il peut arriver que la personne meure effectivement du fait de négligences ?
Oui, tout comme elle peut mourir d’autre chose. Voici un exemple. Une femme est décédée à la suite d’une bagarre. Celle qui lui a donné le coup a été poursuivie pour coup mortel. L’autopsie faite plus tard, a révélé que la dame est morte d’un cancer qui était en phase terminale. Ce qui signifie que ce n’est pas le coup qu’elle a reçu qui l’a tuée, mais le cancer. Mais pour plusieurs raisons, les parents préfèrent ne pas poursuivre les médecins.
Quelles sont ces raisons ?
Vous savez en Afrique, le reflexe de celui qui a perdu son proche, c’est de faire son deuil. C’est culturel, et on n’y peut rien. Il y a des considérations religieuses également. Certains musulmans prétendent que la religion interdit qu’on « découpe » un cadavre. Or, il faut passer par-là pour effectuer l’autopsie qui va produire les preuves de l’implication du médecin dans la mort de cette personne. S’il n’y a pas d’autopsie, on ne peut pas tirer les conclusions pour prouver que la personne est décédée suite à une erreur dans le traitement ou dans l’intervention chirurgicale. Et, pour finir, le coût de la procédure peut être un obstacle à la poursuite. Faire une expertise, s’entourer de conseil, faire appel à un huissier, etc. a un coût, surtout que cela ne garantit pas un succès à la fin du processus. Car, ce n’est pas parce qu’il y a une expertise médicale qui a été faite que le tribunal va reconnaître la culpabilité du médecin. La procédure pénale est très complexe.
Il paraît aussi que les médecins se soutiennent entre eux lorsque des plaignants essaient de réunir des preuves. Qu’en savez-vous?
Je n’ai pas cette information. Il est évident que nous sommes tous des humains. Cela peut être une réalité. Quand le médecin que vous allez voir pour faire une expertise sait qu’il est pratiquant et qu’il peut être éventuellement objet d’une poursuite, il peut penser à cela. Mais je pense qu’il y a des professionnels qui sont inscrits sur la liste des experts. Si c’est le juge qui ordonne l’expertise, le médecin va la faire. Mais voilà une autre limite de l’expertise, c’est que les résultats peuvent être erronés et le juge n’est pas forcément outillé pour le relever. A moins qu’il y ait une contre-expertise.
A ces personnes qui n’osent pas ester en justice pour toutes ces raisons évoquées ci-dessus, qu’est-ce que vous pouvez dire ?
Nous ne pouvons pas contraindre les proches de quelqu’un qui a perdu un parent à porter plainte. Il est évident que s’ils viennent vers nous (Transparency Justice), nous allons leur donner des informations. Nous les orientons. Mais tout dépendra des parents. Nous avions en son temps un projet qui nous permettait d’accompagner les parents qui n’avaient pas les moyens quand le cas était très grave. Mais cela n’existe plus.
Avez-vous un message à l’endroit des médecins et des patients ?
D’abord aux médecins, il faut qu’ils fassent attention aux actes qu’ils posent. Parce qu’aujourd’hui, il y a une organisation de sécurité des patients. L’Oms et l’Onu ont mis en place des mécanismes pour protéger des patients dans les établissements sanitaires. Ici en Côte d’Ivoire, il existe désormais une association pour l’amélioration de la sécurité des patients à laquelle j’appartiens. Et cette association veille notamment à ce que les règles soient respectées par tous. Il y a des critères que le personnel soignant doit pouvoir exécuter. Par exemple, une infirmière n’est pas médecin. Elle ne peut poser que les actes de sa compétence. Si elle outrepasse ses compétences et qu’il y a des difficultés, sa responsabilité sera engagée. Aux parents et aux patients, c’est de savoir jusqu’où ils peuvent aller. Si les parents veulent poursuivre un médecin parce qu’ils pensent qu’il y a eu un dysfonctionnement qui a causé la mort de leur proche, il faut accepter les exigences de la procédure judiciaire. Parce qu’en cas de blocage au plan culturel ou religieux, ils ne pourront pas être satisfaits. Et à ce niveau, ce n’est pas la justice qui n’a pas fait son boulot, ce sont eux qui n’ont pas eu le courage de l’initiative.
Aujourd’hui, on impose à chaque pays de faire des efforts au niveau de l’amélioration des soins de santé. Par exemple, la nouvelle constitution ivoirienne dit que chaque Ivoirien a droit à la santé. Ce qui veut dire que l’Etat a le devoir de construire des centres de santé proches des populations et de les équiper pour que celles qui ont besoin de se soigner puissent le faire à moindre coût. Cela relève de l’urgence et de la nécessité au regard de la paupérisation des populations.
Interview réalisée par Adélaïde Konin
Recevez-vous des plaintes de personnes qui accusent des médecins d’avoir commis des erreurs à la base de la mort de leurs parents ?
Bien sûr, nous en recevons toujours. Nous avons une salle de réception appelée, « bureau d’écoute » où nous recevons des justiciables qui viennent porter à notre connaissance ce genre de fait. Mais les parents se retractent souvent quand on leur indique la procédure à suivre. Quand vous venez dire qu’il y a eu une erreur médicale et que, c’est parce que le praticien a mal traité votre proche qu’il est décédé, il vous faut des preuves. Nous sommes en matière de droit et il faut établir que le médecin a effectivement commis la faute. Il faut donc des preuves pour pouvoir engager des poursuites. En effet, le juge cherchera à savoir dans le cas qui lui est soumis, s’il existe un acte fautif imputable au médecin et si effectivement c’est cet acte et non un autre, qui a entraîné le décès du patient. Ce n’est pas toujours évident. C’est pourquoi il est important que des éléments solides soient mis à sa disposition.
A partir de quels signes un parent doit-il suspecter un médecin d’avoir tué par erreur ?
La faute médicale peut se situer à trois niveaux. Elle peut intervenir dans l’acte de diagnostic, dans le traitement et dans la surveillance du traitement. Dans l’acte de diagnostic, le principe est qu’on ne peut poursuivre un médecin parce qu’il a commis une erreur dans l’établissement de son diagnostic. La simple erreur de diagnostic n’engage donc pas la responsabilité du médecin. Ce qui signifie que si le médecin dit à un patient qu’il souffre de paludisme alors qu’en réalité ce patient souffrait d’une fièvre typhoïde, si ce diagnostic s’appuie sur des examens cliniques (erronés), ce médecin ne peut être poursuivi. Par contre ce médecin le sera si ce diagnostic est établi sans aucune exploration ou recueil d’informations auprès du patient. Dans le traitement, on ne peut reprocher au médecin d’avoir choisi un traitement au lieu d’un autre. Car, le médecin est seul juge de la manière dont il doit traiter ses malades et c’est à lui qu’il appartient de choisir la thérapeutique qu’il estime la meilleure. Cependant, le choix du traitement doit être conditionné par une connaissance de l’état de santé du patient, de ses réactions possibles, une connaissance du médicament, de ses dangers, de sa posologie.
Pouvez-vous donner des cas pratiques ?
Bien sûr, constitue une faute médicale, le choix par correspondance, et sans examen préalable du malade, d’un traitement amaigrissant dangereux qui cause la mort du patient. Le premier devoir du médecin est de rédiger une ordonnance, de manière précise, lisible et complète, avec toute l’attention nécessaire. Sur l’ordonnance, le médecin doit énoncer en toutes lettres la dose prescrite ainsi que l’administration des médicaments. En France, un médecin voulant prescrire vingt-cinq gouttes de laudanum Sydenham pour un traitement à absorber en deux fois, avait commis deux fautes : il écrit 25 en chiffre arabe (contrairement aux prescriptions réglementaires) ; et mis «gouttes» en abrégé « gt », ce qui a induit en erreur le pharmacien qui a lu « grammes » et fait prendre à la patiente 25 grammes du médicament prescrit. Après avoir absorbé la moitié du médicament, la malade, tombée dans un état comateux, est décédée sans avoir repris connaissance. Selon les experts, la patiente a succombé à une intoxication massive due à l’absorption d’une dose mortelle de laudanum. En élaborant un bon diagnostic, en exécutant le traitement suivant les règes de la profession, le médecin ne saurait être responsable si le traitement est voué à l’échec, car il est tenu d’une obligation de moyen.
Et au niveau des erreurs chirurgicales ?
C’est pratiquement la même chose. Si un chirurgien oublie une compresse dans le corps d’une personne après une opération chirurgicale et que mort s’en suit, c’est le chef de l’équipe chirurgicale qui est soupçonné. Mais il faut que l’autopsie et les expertises médicales démontrent que c’est la compresse oubliée dans le corps qui est à la base de la mort. Parce qu’une autre maladie peut être à la base de la mort. Mais si les expertises établissent que c’est la compresse qui a causé la mort, le parent va saisir la justice. On peut poursuivre le médecin au plan civil pour réclamer des dommages et intérêts et au pénal pour homicide involontaire.
Mais il peut arriver que la personne meure effectivement du fait de négligences ?
Oui, tout comme elle peut mourir d’autre chose. Voici un exemple. Une femme est décédée à la suite d’une bagarre. Celle qui lui a donné le coup a été poursuivie pour coup mortel. L’autopsie faite plus tard, a révélé que la dame est morte d’un cancer qui était en phase terminale. Ce qui signifie que ce n’est pas le coup qu’elle a reçu qui l’a tuée, mais le cancer. Mais pour plusieurs raisons, les parents préfèrent ne pas poursuivre les médecins.
Quelles sont ces raisons ?
Vous savez en Afrique, le reflexe de celui qui a perdu son proche, c’est de faire son deuil. C’est culturel, et on n’y peut rien. Il y a des considérations religieuses également. Certains musulmans prétendent que la religion interdit qu’on « découpe » un cadavre. Or, il faut passer par-là pour effectuer l’autopsie qui va produire les preuves de l’implication du médecin dans la mort de cette personne. S’il n’y a pas d’autopsie, on ne peut pas tirer les conclusions pour prouver que la personne est décédée suite à une erreur dans le traitement ou dans l’intervention chirurgicale. Et, pour finir, le coût de la procédure peut être un obstacle à la poursuite. Faire une expertise, s’entourer de conseil, faire appel à un huissier, etc. a un coût, surtout que cela ne garantit pas un succès à la fin du processus. Car, ce n’est pas parce qu’il y a une expertise médicale qui a été faite que le tribunal va reconnaître la culpabilité du médecin. La procédure pénale est très complexe.
Il paraît aussi que les médecins se soutiennent entre eux lorsque des plaignants essaient de réunir des preuves. Qu’en savez-vous?
Je n’ai pas cette information. Il est évident que nous sommes tous des humains. Cela peut être une réalité. Quand le médecin que vous allez voir pour faire une expertise sait qu’il est pratiquant et qu’il peut être éventuellement objet d’une poursuite, il peut penser à cela. Mais je pense qu’il y a des professionnels qui sont inscrits sur la liste des experts. Si c’est le juge qui ordonne l’expertise, le médecin va la faire. Mais voilà une autre limite de l’expertise, c’est que les résultats peuvent être erronés et le juge n’est pas forcément outillé pour le relever. A moins qu’il y ait une contre-expertise.
A ces personnes qui n’osent pas ester en justice pour toutes ces raisons évoquées ci-dessus, qu’est-ce que vous pouvez dire ?
Nous ne pouvons pas contraindre les proches de quelqu’un qui a perdu un parent à porter plainte. Il est évident que s’ils viennent vers nous (Transparency Justice), nous allons leur donner des informations. Nous les orientons. Mais tout dépendra des parents. Nous avions en son temps un projet qui nous permettait d’accompagner les parents qui n’avaient pas les moyens quand le cas était très grave. Mais cela n’existe plus.
Avez-vous un message à l’endroit des médecins et des patients ?
D’abord aux médecins, il faut qu’ils fassent attention aux actes qu’ils posent. Parce qu’aujourd’hui, il y a une organisation de sécurité des patients. L’Oms et l’Onu ont mis en place des mécanismes pour protéger des patients dans les établissements sanitaires. Ici en Côte d’Ivoire, il existe désormais une association pour l’amélioration de la sécurité des patients à laquelle j’appartiens. Et cette association veille notamment à ce que les règles soient respectées par tous. Il y a des critères que le personnel soignant doit pouvoir exécuter. Par exemple, une infirmière n’est pas médecin. Elle ne peut poser que les actes de sa compétence. Si elle outrepasse ses compétences et qu’il y a des difficultés, sa responsabilité sera engagée. Aux parents et aux patients, c’est de savoir jusqu’où ils peuvent aller. Si les parents veulent poursuivre un médecin parce qu’ils pensent qu’il y a eu un dysfonctionnement qui a causé la mort de leur proche, il faut accepter les exigences de la procédure judiciaire. Parce qu’en cas de blocage au plan culturel ou religieux, ils ne pourront pas être satisfaits. Et à ce niveau, ce n’est pas la justice qui n’a pas fait son boulot, ce sont eux qui n’ont pas eu le courage de l’initiative.
Aujourd’hui, on impose à chaque pays de faire des efforts au niveau de l’amélioration des soins de santé. Par exemple, la nouvelle constitution ivoirienne dit que chaque Ivoirien a droit à la santé. Ce qui veut dire que l’Etat a le devoir de construire des centres de santé proches des populations et de les équiper pour que celles qui ont besoin de se soigner puissent le faire à moindre coût. Cela relève de l’urgence et de la nécessité au regard de la paupérisation des populations.
Interview réalisée par Adélaïde Konin