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Politique Publié le jeudi 15 décembre 2011 | Nord-Sud

Procédures, statuts, fonctionnement, procès de Gbagbo… / Tout ou presque sur la Cour pénale internationale

© Nord-Sud Par © ICC-CPI
Justice: Laurent Gbagbo devant la Cour penale internationale
Photo: M. Laurent Koudou Gbagbo lors de l’audience de comparution initiale devant la CPI le 5 décembre 2011
En Côte d’Ivoire comme dans nombre de pays africains, la Cour pénale internationale est actuellement au centre des conversations et objet de controverse. Cependant, très peu de personnes connaissent réellement la Cpi.

Lorsqu’elle nous reçoit dans l’une des salles de réunion de la Cour pénale internationale située au 4è étage, Caroline Maurel (fonctionnaire chargée de la sensibilisation) annonce aussitôt les couleurs. «Ne faites pas comme vos confrères de France 2 qui ont servi à leurs téléspectateurs un reportage truffé de confusions et d’amalgames entre la Cpi et le Tpiy ». L’avertissement, une mise en garde très édulcorée, n’est en réalité pas fortuit. Les amalgames sont vite arrivés pour quiconque n’est pas familier des différents tribunaux internationaux. A savoir la Cour pénale internationale (Cpi), le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (Tpiy) ou encore la Cour internationale de justice (Cij) sont tous basés à Den Haag (La Haye, en langue néerlandaise), ville de la Hollande située à une vingtaine de minutes de la ville portuaire de Rotterdam. Pour mieux éclairer l’opinion sur le fonctionnement de la juridiction, Caroline Maurel et Fadi El Abdallah (porte-parole et chef de l’unité des affaires publiques) reçoivent régulièrement des journalistes qu’ils instruisent.

La Cpi et le Tpiy qui ont pour seul point commun le fait d’être abrités dans le même siège à La Haye ont des statuts et un fonctionnement très différents. La Cpi est une juridiction autonome et permanente alors que les tribunaux spéciaux (Rwanda et ex-Yougoslavie) créés dans le cadre des Nations Unies ne disposent que d’un mandat et d’une compétence limités.
Depuis le 30 novembre 2011, date du transfèrement très médiatisé de l’ex-numéro un ivoirien, les Africains en général et les Ivoiriens en particulier commencent à se familiariser avec la Cpi. Jusqu’à la fin de la procédure en cours et qui s’annonce très longue pour le célèbre prévenu, tous entendront régulièrement parler de ce tribunal international qui loge des pensionnaires célèbres et autres anonymes. A l’instar de Jean-Pierre Bemba Gombo (République démocratique du Congo), Thomas Lubanga Dyilo, Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui, Callixte Mbrarushimana (République démocratique du Congo) pour ne citer que ceux-là.

Malgré d’impressionnantes couvertures médiatiques, consacrées à ses différentes audiences, la Cpi en tant qu’institution et son fonctionnement restent très méconnus. En fait, il y a moins de dix ans que cette Cour est entrée véritablement en action. C’est depuis le 17 juillet 1998 que 120 Etats ont adopté le fameux Statut de Rome qui institue la Cpi et qui est finalement entré en vigueur le 1er juillet 2002. En adoptant le texte-fondateur, les Etats signataires reconnaissaient explicitement la compétence de la Cour dans la poursuite des crimes les plus graves commis sur leur territoire ou par leurs ressortissants à compter du 1er juillet 2002. Mais la Cpi ne peut intervenir que dans le cas où un Etat est dans l’incapacité ou n’a pas la volonté de mener avec succès des enquêtes et traduire en justice les auteurs de crimes odieux. Elle peut être également mandatée par les Nations Unies. Les faits qui sont dans son viseur sont : les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression, comme mentionné en son article 5 du chapitre II relatif à la compétence, la recevabilité et le droit applicable. Structurellement, elle se compose de quatre organes : la Présidence (au sein de laquelle se retrouvent trois juges élus), les Chambres (comprenant 18 juges dont les trois juges de la présidence), le Bureau du procureur (organe indépendant qui reçoit et analyse les informations sur des situations ou des crimes) et le Greffe (qui fournit une assistance administrative et opérationnelle aux chambres et au bureau du procureur).

En Afrique et au sein des diasporas africaines dans le monde, le rôle de la Cpi suscite des débats très passionnants. Si certains pensent qu’elle est une justice qui ne traque que les ressortissants du continent, d’autres pointent son impartialité dans les poursuites. A toutes ces critiques parfois très acerbes, les fonctionnaires de la Cour répondent sereinement par la négative et brandissent quelques arguments. Au nombre desquels : l’indépendance de ladite juridiction et de ses juges dont des Africains occupant de hauts postes (la future procureur Fatou Bensouda de Gambie et le greffier adjoint Didier Preira du Sénégal), la place prépondérante des Etats africains (31 Etats africains ont ratifié le Traité de Rome sur les 43 qui en sont signataires) et surtout le fait que le bureau du procureur Luis Moreno-Ocampo enregistre actuellement des affaires localisées sur quatre continents (notamment en Afghanistan, en Colombie, en République de Corée, en Côte d’Ivoire, en Georgie, en Guinée, au Honduras, au Nigéria et en Palestine).

Ainsi, en Côte d’Ivoire ou ailleurs en Europe, les partisans de l’ex-président Laurent Gbagbo restent très remontés depuis sa détention au centre pénitentiaire de Scheveningen, à quelques encablures de La Haye. Tous estiment qu’il y a de la part de la Cpi une politique de deux poids-deux mesures. Ils réclament à cor et à cri l’arrestation des membres de l’ex-rébellion armée (les Forces Nouvelles) qu’ils jugent aussi responsables de crimes relevant de la compétence de la Cpi. D’après les explications du bureau du procureur, les poursuites vont s’étendre au camp des «forces pro-Ouattara», sans trop de précisions, sous des chefs d’accusations presque similaires. Les enquêtes seraient en cour pour déterminer ceux ou celles qui rejoindront Laurent Gbagbo à La Haye. Une demi-douzaine de personnes (y compris des chefs militaires) serait dans le collimateur, selon nos sources, à travers des enquêtes prenant en compte la période de septembre 2002 à avril 2011. Pour l’heure, la chambre préliminaire III (qui autorise l’ouverture des enquêtes et délivre des mandats d’arrêts et des citations à comparaître…) a conclu que le natif de Mama (village de la sous-préfecture de Gagnoa) «aurait engagé sa responsabilité pénale individuelle, en tant que coauteur indirect, pour quatre chefs de crimes contre l’humanité à raison de meurtres, de viols et d’autres violences sexuelles, d’actes de persécution et d’autres actes inhumains, qui auraient été perpétrés dans le contexte des violences post-électorales survenues en Côte d’Ivoire entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011». Ironie du sort, c’est le président Gbagbo qui, par sa propre volonté, a déroulé le tapis rouge à la Cpi, alors que le pays n’avait ni ratifié le Traité de Rome ni était

considérée comme un Etat-partie. En effet, le 18 avril 2003, la Côte d’Ivoire reconnaissait par une déclaration solennelle le Statut de Rome s’obligeant de facto à coopérer avec la Cpi sans délai ni condition. Le 14 décembre 2010 et le 3 mai 2011, Alassane Ouattara accompagnait une balle qui filait allègrement au fond des filets d’une cage grandement ouverte, en confirmant par deux fois l’acceptation de cette compétence. L’ex-président se retrouve donc à La

Haye de par la volonté de l’Etat de Côte d’Ivoire qui démontre implicitement qu’il ne peut enquêter, poursuivre et juger son ancien homme fort ou qu’il se trouve dans l’incapacité de le faire. A la Cpi, on reconnaît, ce qui est l’une de ses faiblesses, qu’un Etat peut refuser de coopérer d’une manière ou d’une autre, ce qui peut entraîner des retards injustifiés dans une procédure ou encore par des manœuvres dilatoires visant à soustraire des

personnes à leur responsabilité pénale. Et sur ce dernier point, Alassane Ouattara pourrait être éprouvé au cas où un ou des membres des forces supposées être de son camp sont réclamés devant la Cour.

Pour l’instant, le président Gbagbo qui est le seul détenu relativement à la crise ivoirienne de 2002 à 2011 sait qu’il est parti pour livrer une bataille homérique au Pays-Bas. Les soutiens aussi massifs qu’ils soient de ses partisans ne peuvent l’empêcher de passer plusieurs mois voire des années dans une des cellules de 10 mètres carrés du centre pénitentiaire de Scheveningen. La procédure devant la Cpi est très longue et peut sembler fastidieuse. Selon les explications de Caroline Maurel, l’un des premiers procès ouverts devant la Cour, celui de Thomas Lubanga est en train de s’achever. Ce dernier, fondateur présumé de l'Union des patriotes congolais (Upc) et de sa branche armée, les Forces patriotiques pour la libération du Congo (Fplc), a comparu (dans le fond) le 26 janvier 2009, alors qu’il a été transféré à La Haye le 17 mars 2006.

Soit près de cinq ans de présence en Hollande. Après l’audience de première comparution du 5 décembre 2011, Laurent Gbagbo reviendra dans le box des accusés au mieux le 18 juin prochain pour une deuxième audience de confirmation des charges. Entre cette deuxième audience et l’ouverture du procès, il peut encore s’écouler 06 à plus de 24 mois. Inutile de chercher à prévoir le temps que mettra le procès en lui-même, surtout si l’accusé et ses conseils se défendent âprement devant la Cour. En cas de culpabilité, plusieurs peines sont prévues selon l’article 77 de la Cpi. En l’occurrence une peine minimale de 30 ans, une peine d’emprisonnement à perpétuité si les faits sont extrêmement graves le tout accompagné d’amende et de confiscation des biens du coupable le cas échéant. Quid des victimes ? Celles-ci se voient accorder des droits qui n’avaient encore jamais été accordés devant une juridiction internationale. Elles doivent se faire représenter par un avocat et peuvent à la fin de la procédure obtenir réparation.

Si la Cpi fonctionne correctement, elle contribuera certainement à mettre fin ou à déduire les actions de dictateurs et autres potentats qui n’ont aucune considération pour l’être humain.

Karim Wally à Paris
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