« Ceux qui ne peuvent se rappeler le passé sont condamnés à le répéter, car il est essentiel de mémoriser les monstruosités auxquelles en est venu l`homme au lieu de les refouler dans une amnésie complice ». Seul le devoir de mémoire peut nous garantir du « Plus Jamais ça ». Il est indispensable que notre mémoire installe le terrible souvenir du jeudi 16 décembre 2010 dans le sacré, la marche du Jeudi Rouge, celle de la tentative de la prise de la RTI. Un symbole. Payé au prix fort. Un rescapé vous en parle.
Le lecteur devra se souvenir qu’il ne s’agit pas de rendre hommage aux victimes d’un parti politique, mais de rendre hommage à la Côte d’Ivoire qui fut la plus grande victime de cette guerre fratricide. Le lecteur devra se souvenir que parmi les personnes tombées ce jour-là, se trouvaient de braves filles et fils de toutes les régions de Côte d’ivoire. Des personnes qui parfois, non militantes d’un parti, avaient trouvé en cette marche un moyen de rendre justice en leur restituant le seul droit, le seul pouvoir qu’elles n’aient jamais eu à exercer de leur vie, le droit de vote et dont elles furent massivement privées à travers l’annulation de leur vote, de leur choix, de leur voix et de leur voie. De ce qui va suivre, la Côte d’Ivoire, s’en remettra difficilement. De cet effort d’hommage, le lecteur devra aussi ajouter l’effort de regarder autour de lui, de bien analyser son cercle d’amis, il se rendra compte que ce cercle composite, hétéroclite, est composé de gens qu’il a choisis pour leur mérite et le partage commun d’une éthique, d’un idéal commun, d’une enfance tumultueuse d’où nait l’amitié d’une vie, d’une douleur partagée au quotidien, d’un rire souvent déclenché par les mêmes causes, mais jamais, au grand jamais, cette amitié, que dis-je cette fraternité n’aura été construite par l’appartenance commune à un parti politique ou à une ethnie. C’est cela la marque de fabrique de l’Ivoirien, cette capacité unique d’abriter en lui les essences d’entités venues d’ailleurs, fussent-elles biologiques par le métissage des gènes, ou culturelles par l’esprit de fraternité. Le combat actuel de l’Ivoirien qui lui fait croire qu’il est devenu clanique, identitaire, xénophobe, est une parodie et une forfaiture dont il ne saura se vêtir sur le long terme tant il dénature son être, son moi. Il n’y pas pire châtiment pour un Ivoirien que d’être contraint à l’exil, de vivre hors de la Côte d’Ivoire. C’est un châtiment que je ne souhaite à aucun Ivoirien, tant l’appel du pays est fort et inexplicable en chacun de nous, même à ceux qui l’ont adopté. Qui pourrait me contredire ?
Ce n’est pourtant point du chauvinisme. La réconciliation tant prônée n’est pas une requête ou une exigence, c’est une condition sine qua non et autonome d’exister et d’existence de chaque Ivoirien quel que soit son bord politique ou son origine ethnique. Le RHDP n’a de sens que par l’existence du FPI, et vice-versa. La non-existence de l’une annule la réalité de l’autre. Jusqu’où l’insoutenable vanité de l’être humain pourrait-elle le conduire ? L’impossible volonté de réconciliation, contraire à l’éthique ivoirienne, est une manifestation illusoire de cette vanité. Je suis du Nord, mais j’ai autant d’amis du Sud et de l’Ouest que du Nord. Contre cette réalité fraternelle et humaine aucune velléité politicienne ne pourra changer quelque chose. Rien en Côte d’Ivoire ne pourra s’opposer à la naturelle fraternité des populations y vivant.
Nous vivons une fugace période d’émotion vive, de ressentiment, de nostalgie, de vengeance qui ne nous survivra pas et qui n’est point transmissible car non héréditaire, heureusement. Ce sont des sentiments humains qui nous consument. Mais l’autre nature humaine, plus pérenne, est de s’exalter positivement et non de se consumer ou d’être consumé par la rancœur. Le lecteur devrait enfin savoir que si mon nom me condamne à être RDR dans l’esprit mal tourné de certains Ivoiriens, je ne suis, dans les faits, militant d’aucun parti tout comme de milliers d’Ivoiriens. Mais j’ai dû faire le choix, après mûres réflexions, de donner ma voix à celui qui me semblait, au-delà de la basique et triviale considération ethnique, à même de protéger et d’attiser la flamme de mes rêves. Et cette voix qui constitue l’unique pouvoir que la vie m’ait conférée, je ne pouvais accepter d’en être dépossédé, d’où mon témoignage de cette marche en hommage à tous mes camarades de marche tombés ce jour-là. C’est sous la forme de reportage quasi scientifique et sous le sceau de la sincérité des faits que je livre ce témoignage. Merci de le lire sans aucune passion, ni amertume, ni joie. Juste le lire et se demander pourquoi en est-on arrivé là ?
Article rédigé le 19/12/ 2010 (non publié à ce jour) : Carnet de Marche d’un manifestant pour la Paix : Le Jeudi Rouge
Le premier blessé, une balle dans la joue.Ce qui devait être une marche pacifique fut transformée en une horreur sans nom. Des soldats ivoiriens tirant à bout portant sur des manifestants sans arme, pas même une pierre. Des soldats tirant avec un assortiment d’armes allant du gaz lacrymogène aux grenades et à l’arme automatique. Tout y est passé. J’y étais, armé seulement d’une volonté de paix, le sourire aux lèvres, comme les milliers de militants ayant répondu à l’appel de leur président.
A partir de cet instant, je vais relater la suite des évènements comme un reportage, de façon chronologique. Je vais raconter l’inimaginable.
9h 25mn : Je quitte chez moi pour aller faire un repérage des lieux du côté de la RTI. Je passe par le Carrefour de la Vie (nom donné à un carrefour de Cocody qui mène à la RTI) en bifurquant à gauche vers le boulevard Latrille. Je vois des militaires descendre d’un gros cargo. Leur particularité est qu’ils portent un bandeau blanc sous forme de brassard long avec une inscription que je n’arrive pas à déchiffrer sur leur treillis. Je continue jusqu’au carrefour de la polyclinique des Deux-Plateaux, puis je fais demi-tour.
Défiguré par un projectile.9h 45mn : J’arrive au niveau de l’église Saint-André, lorsque des clameurs se font entendre venant de la voie menant à Adjamé. Je m’y engage. Et là, au bord de la route principale, je suis pétrifié par la vue d’une nuée de marcheurs s’étendant à perte de vue, plusieurs milliers de manifestants, à pied, chantant. Ils étaient au niveau de l’échangeur d’Adjamé (Quartier en position centrale d’Abidjan) menant à Cocody. Je rejoins rapidement la foule encore sur l’autoroute menant à la Riviera en venant d’Adjamé, après avoir garé mon véhicule. Une marée humaine totalement désarmée, pas même un bâton, ni pierre. Strictement désarmée avec, pour quelques-uns, des lianes de feuilles ceintes autour de la tête comme dans un festival. Beaucoup ont soif et cherchent à boire. L’un d’eux m’apostrophe en me disant de les rejoindre plutôt que de les photographier. Et je lui réponds que c’est bien mon intention. Je pose la question à un autre de savoir d’où ils venaient. Il me répond d’Abobo. Je suis étonné, car je venais d’apprendre que les FDS (Force de Sécurité) avaient empêché ceux de Yopougon de quitter la ville pour rejoindre la marche. Il me répond qu’ils en ont fait de même avec eux, mais cela ne les a pas empêchés de braver les barrages. J’apprendrai plus tard que trois ou quatre marcheurs y avaient déjà laissé leur vie.
10h 00mn : Le peloton de tête des manifestants arrive vers l’embranchement de la bretelle qui part, à droite, vers la RTI, en direction du fameux Carrefour de la Vie, où se trouve le premier barrage des FDS, et qui va bientôt être transformé en Carrefour de la Mort. A gauche de cet embranchement, la route continue vers la Riviera. La plupart des marcheurs ignorent où se trouvent la RTI et certains continuent sur la gauche. Ils sont très rapidement ramenés vers les autres. Un manifestant me hèle et vient poliment me saluer. Mon appareil photo intrigue et inquiète.
Des bombes lacrymogènes et des grenades sont tirées sur la foule.10h 17mn : La tête du peloton est au niveau du Carrefour de la Vie, moi je suis au niveau du carrefour menant par la gauche vers le lycée technique, mais un peu après le carrefour. La queue du peloton se perd derrière moi. Un mot d’ordre est lancé d’attendre les autorités du RHDP dont on attend l’arrivée imminente. La consigne est de ne pas bouger, ni braver le barrage. L’ambiance est bon enfant. Mais je constate avec amertume qu’il n’y aucune protection militaire ou policière des manifestants encore moins celle des forces impartiales comme promis. Cela m’inquiète. Pendant que je prends des photos, un manifestant, soupçonneux, m’accoste pour savoir pourquoi je fais des photos. Ne serait-ce pas pour les identifier après ? Je suis donc pris pour un agent infiltré. Je lui décline mon identité et comme je le pressentais, me savoir nordiste, fit baisser la tension. Triste réalité de cette crise injustement exploitée en crise identitaire.
10h 18mn : Une Jeep CECOS traverse la foule qui lui ouvre le passage très amicalement. A bord, environ huit « Corps Habillés » (J’avoue ici ne pas faire très bien la distinction entre militaire, policier et gendarme, c’est la raison qui me fait les désigner par « Corps Habillés » comme on les appelle communément en Côte d’Ivoire). 6 sont assis derrière par rangée de 3 et deux devant. Ils sont lourdement armés avec l’un d’eux tenant un lance-roquette. Certains fusils ont des boites renversés au bout du fusil (probablement des gaz lacrymogènes). Ils ont une mine impassible et aucunement impressionnée par la foule. De véritables professionnels. C’est par eux que la fin du monde, pour beaucoup de compagnons, viendra.
10h 20mn : Soit exactement 2 mn après que ces soldats aient traversé les manifestants pour rejoindre le premier barrage, le cauchemar va débuter. D’abord des gaz lacrymogène sur la foule pourtant totalement passive. Les premiers mouvements de panique commencent pour des manifestants incrédules, certains que je vois nettement, ne bougent toujours pas du peloton de tête et demandent même aux autres de revenir tenir leur position. Ce que certains font, malgré l’asphyxie due aux gaz lacrymogènes. Les manifestants se réorganisent en rejoignant les points non touchés par les lacrymogènes, à savoir la voie de droite en partant dans le sens de la RTI.
Les manifestants connaissent mal le quartier et se font piéger dans une impasse par la police10h 22mn : une série de tirs de gaz lacrymogène noie complètement le peloton de tête suivi de tirs d’armes automatiques (le bruit était sec et répétitif) à balles réelles. De ma position, je vois des personnes tomber vers le Carrefour de la Vie. Une fumée épaisse s’élève des premiers rangs. Les manifestants refluent, mais semblent toujours déterminés. Chose hallucinante, les manifestants applaudissent leurs agresseurs à chaque tir comme pour montrer leur intention pacifique et se redonner du courage. Jusqu’alors et jusqu’à la fin, aucune agression quelconque des manifestants sur les forces de l’ordre. Je ne vois d’ailleurs pas comment ils auraient pu, car totalement désarmés. Ils avaient pris le mot d’ordre du RHDP à la lettre, à savoir une marche pacifique.
10h 23mn : les premières victimes blessées arrivent à mon niveau soutenues, pour l’une d’elles, par des manifestants et pour l’autre, portée par d’autres. Une solidarité inouïe pour des gens qui ne se connaissent pas, mais qui sont soudés par le même fil du désir d’espérer et de ne point abandonner. L’une des victimes a pris un projectile dans la joue qui saigne abondamment, l’autre est défigurée par un projectile. Et là, je vais assister à une scène surréaliste à vous dégoûter de l’image que les gens ont, à tort ou à raison, des médecins, mais hélas bien souvent, à raison. Je leur suggère d’aller à une clinique près du lycée technique. L’un deux me rétorque « C’est quel hôpital ? », je n’avais pas bien compris l’arrière-pensée de la question et un autre reprend en disant que les médecins vont les tuer à l’hôpital s’ils savent qu’ils étaient de la marche. L’un propose de les amener à Abobo, mais il n’y a pas de véhicule. Ils se résolvent à aller vers la clinique avec les blessés. Je n’en saurai pas plus sur le sort de ces blessés, car un déluge incroyable de tirs de feu va nous tomber dessus. En ce moment, je me souvenais que dans les films de guerre, je voyais les soldats se courber en courant. C’est ce que je fis, machinalement, pendant que les balles sifflaient, sans savoir comment cela était censé me protéger des balles. Trois différents sons lugubres d’armes crépitaient. Je ne saurais dire à quelle arme chaque son correspond, mais il y avait un son qui, en soit, peut assourdir l’adversaire, un véritable son de tonnerre ou de foudre. Absolument assourdissant. Au moins l’argent du Trésor public ne sera pas perdu pour tout le monde. Il aura servi à acquérir de vraies armes pour « défendre » les Ivoiriens.
10h 24mn : Un manifestant court en trainant la jambe ensanglantée, je lui demande si c’est une balle. Il n’en sait rien, mais il sent de moins en moins sa jambe. Les tirs se rapprochent, lui donnant une seconde énergie qui le propulse. Je le perds de vue. La débandade est à son comble ; les tirs sont nourris et de plus en plus rapprochés. Ils nous poursuivent en nous tirant dessus comme des lapins.
Une ironie du sort va se glisser dans ce triste tableau. La plupart des manifestants viennent d’Abobo et ignorent complètement ce quartier bourgeois de Cocody avec plein d’impasses. Dans leur fuite, certains s’engouffrent vers la voie donnant accès à l’hôtel du Palm Beach. Je leur crie de revenir, que ce n’est pas le bon chemin. Certains reviennent, mais d’autres continuent. L’idée admise, par tous, est maintenant de rejoindre le siège du RDR à la rue Lepic située un peu plus haut et attendre d’autres instructions. Tout le monde s’y engage, poursuivi par les tirs. Mais une fois encore, beaucoup ignorent où se trouve la rue Lepic, siège du RDR (Parti du Président Ouattara avant sa fusion avec le PDCI du président Bédié pour donner le RHDP). Dans la fuite, ils s’engouffrent dans une voie à droite, en pensant aller à la rue Lepic. Je suis derrière. Le temps d’arriver pour indiquer la direction de la Rue Le pic, beaucoup sont déjà engagés dans cette voie sans issue où certains vont être cueillis par les FDS, d’autres arrivent à déboucher sur la voie principale menant vers le fameux embranchement précité. Un homme tombe à mes pieds. Est-ce d’une balle ou de fatigue ? Il réclame de l’eau. Des femmes le lui apportent.
Pendant toute cette fuite, ce qui fut le plus insupportable pour moi, c’était d’entendre ces manifestants crier à tout moment « On nous avait dit que l’ONUCI allait nous protéger ».
10h 36mn : Je compris que je ne pouvais pas continuer à servir de guide à ces manifestants désorientés et totalement livrés à eux-mêmes. Le plus urgent pour moi était désormais de rejoindre les autorités du RHDP à l’Hôtel du Golf et leur dire ce qui se passait afin qu’elles y mettent un terme.
Passage d`une unité de police que laissent passer les marcheurs.Cette unité sera la plus meurtrière.Je pars récupérer mon véhicule pour tenter de foncer vers le Golf Hôtel. Vers la Pharmacie se trouvant à la montée du lycée technique, je vis 3 Jeep montées de mitraillettes avec des soldats en train d’embarquer violemment des pauvres manifestants perdus. Je redescendis vers le carrefour de l’Hôtel Palm Club, que les manifestants tenaient il y a à peine 20 mn, j’aperçus brusquement des militaires de partout. En les voyant, je fus pris de panique, car j’avais le film et les photos des évènements sur moi que je voulais protéger. J’entrepris de cacher l’appareil photo sous mon siège et je manquai de rentrer dans le caniveau tellement paniqué. Je m’arrêtai in extrémis devant le barrage. Mon comportement a dû attirer leur attention. Pendant que j’étais tenue en joue par d’autres éléments, on m’intima l’ordre de descendre pour fouiller le coffre et jeter un œil dans la voiture. Quand je fus autorisé à poursuivre ma route, j’ai préféré prendre à gauche pour éviter de passer par le carrefour de la Vie à droite. 100 mètres plus loin, re-fouille par des soldats puissamment armés. Je compris que beaucoup de mes compagnons d’infortune allaient se faire chopper, dans le meilleur des cas. La chasse à l’homme était ouverte. J’en voyais dans les convois croisés, torse nu. Il devenait urgent de retrouver une autorité. J’appelai deux responsables de média de la place pour leur relater les faits. Puis j’ai continué vers l’Hôtel du Golf en passant par le lycée français. J’avoue avoir été un peu soulagé quand j’aperçus 2 chars de l’ONU et des cargos pleins de soldats de l’ONU vers le carrefour de la Riviera 3. Pour moi, cela était une certitude que je pouvais vite rejoindre l’Hôtel du Golf pour alerter les responsables RHDP. Mais que ne fut ma surprise et mon désarroi quand j’aperçus un barrage des FDS proche du carrefour qui mène à l’Hôtel du Golf. Ils m’ont intimé l’ordre de rebrousser chemin. Je venais de réaliser que les FDS contrôlaient tout, y compris l’accès à l’hôtel du Golf, citadelle jusqu’alors inviolable. Je vis deux véhicules 4x4 de l’ONU me dépasser, remplis de personnel civil et militaire en direction de l’hôtel du Golf. Je fus repris d’espoir. Je fis demi-tour et me lançai à leur suite. Finalement, je revins à la raison en me disant que les FDS ne me laisseraient jamais passer ce barrage. C’en était fini pour ce jeudi rouge. Les questions me taraudaient sans réponses. Comment les autorités du RHDP pouvaient-elles assurer garantir la sécurité des manifestants alors qu’elles n’étaient pas arrivées à assurer leur sienne propre ? Qu’est ce qui n’avait pas marché ? Les sifflements de balles, les interrogations des manifestants sur leur protection, les images des manifestants piégés dans des voies sans issue, les morts, les blessés, le miracle de ma propre survie, tout s’entrechoquait en moi. Ce fut le jour inaugural du plus long blocus perpétré en Côte d’Ivoire, l’embastillement de l’hôtel du Golf.
En ce moment, je compris que c’est aussi çà le prix de la liberté. Le prix de la démocratie. Aucune vie perdue n’aura été vraiment perdue. Chaque sang coulé, chaque balle meurtrière, constitue une pièce du puzzle sans laquelle la démocratie se fera ou ne se fera jamais. Gloire au LMP, gloire au RHDP, tous enfants d’un même pays pour lequel chacun croit être le mieux indiqué pour orienter le peuple. L’intention est noble, mais la tentation de croire en une prédestination au règne est forte, mais résolument fausse. Le peuple de Côte d’Ivoire, dans toute sa composante, a choisi majoritairement le RHDP. Accepter ce choix, c’est respecter ce peuple et c’est le faire respecter par les autres peuples. L’intérêt de la patrie passe avant toute autre considération et cela devrait être le cas pour chaque Ivoirien, à commencer par ceux qui prétendent diriger le pays.
Victime mortellement touchée qui réclame de l`eauJe suis pour le respect et la souveraineté des peuples qui s’expriment par le suffrage universel et qui est au-dessus de toute loi humaine. Le choix du peuple est un choix divin. La scission du pays s’est faite parce que, à tort ou à raison, une partie de la population s’est trouvée brimée et stigmatisée. Comment la guerre peut-elle finir si pour sceller la paix nationale et la réunification, cette même population doit voir annuler tout le suffrage qu’elle a exprimé après 10 ans de guerre, pour le plaisir de voir un candidat « prédestiné » gagner ? C’est un risque de fracture sociale si profond et tant potentiellement sans fin que même un fou ne ferait courir à son peuple. Or, le président Gbagbo que nous admirons tant, est tout sauf un fou. Les fous sont vraisemblablement ceux qui le confortent dans ce choix.
Dans l’Afrique contemporaine, peu de combattants africains n’auront autant donné d’espoir de recouvrer la dignité africaine que Gbagbo. Son combat si brillant et si désintéressé ne survivra pas à une bravade contre le monde entier aussi persuadé que je puisse être de la noblesse de son combat et du rêve qu’il voulait offrir à ce pays. Pour paraphraser l’autre, je dirai que votre seul tort, président Gbagbo, est peut-être d’avoir eu trop tôt raison et d’avoir été entouré de personnes qui ne pouvaient pas se hisser à votre niveau de vision pour l’Afrique et qui ont laissé des traces si salement indélébiles dont malheureusement le peuple vous rend comptable. Mais votre combat restera, vous survivra et restera éternel, si par votre grandeur vous acceptez de vous soumettre à la volonté souveraine de votre peuple. A ce jour, nul homme n’a gagné dans une lutte contre le monde entier. Et je crains que même vous ne soyez confronté à cette vérité biblique et universelle. Vous êtes un visionnaire et un incompris que votre peuple affamé n’a plus les moyens spirituels ni intellectuels de partager la vision, car trop écrasé par la recherche quotidienne de l’énergie vitale indispensable à sa survie et devenue trop rare et trop coûteuse sous votre règne. Et hélas ! Le pain est toujours le premier besoin d’un peuple. Rien n’a changé depuis le Christ.
Abidjan le 19 décembre 2010
Dr COULIBALY Foungotin Hamidou
Maître-assistant Génétique Humaine
Cytogénétique et Biologie de la Procréation
Attaché de Recherche Clinique
Université de Cocody (Abidjan)
République de Côte d`Ivoire
Tel : 00(225)01023660 (Abidjan)
Tel : 00(225)05815188 (Abidjan)
Tel : 00(225)07199071 (Abidjan)
Site Internet (cliquer et visiter): www.crieafrique.net
cfoungh@yahoo.fr
NB: Ce récit a été transcrit tel que rédigé à la date du 19 décembre 2010. Il va de soi que mon opinion peut avoir évolué. Les images que j’ai prises de cette marche ont fait le tour du monde, car très peu de journalistes ont pu couvrir cette journée sanglante. Entre le désir d’immortaliser ces évènements, celui d’aider les blessés, celui d’orienter les marcheurs perdus dans les dédales de Cocody, et enfin celui de survivre, l’on peut comprendre à juste titre ma révolte de cette tragique journée. Puisse–t-elle servir de leçons aux va-t-en guerre et surtout faire comprendre aux uns et aux autres que les hommes passent, mais la nation doit demeurer. Mais cette nation ne peut survivre qu’avec toutes ses filles et tous ses fils, sans aucune exclusion quel que soit le motif. Le pardon rend la nation plus forte. Et allez-y y comprendre quelque chose, mais aucune nation n’a atteint son apogée, sa révolution sans guerre fratricide ou religieuse. Comme quoi l’amour ne peut se concevoir sans douleur, sans déchirure. La haine à ceci de curieux qu’elle détruit plus celui qui la ressent que celui contre qui elle est éprouvée. Désarmons nos cœurs et allons à la réconciliation!
Dieu bénisse chaque Ivoirien !
Le lecteur devra se souvenir qu’il ne s’agit pas de rendre hommage aux victimes d’un parti politique, mais de rendre hommage à la Côte d’Ivoire qui fut la plus grande victime de cette guerre fratricide. Le lecteur devra se souvenir que parmi les personnes tombées ce jour-là, se trouvaient de braves filles et fils de toutes les régions de Côte d’ivoire. Des personnes qui parfois, non militantes d’un parti, avaient trouvé en cette marche un moyen de rendre justice en leur restituant le seul droit, le seul pouvoir qu’elles n’aient jamais eu à exercer de leur vie, le droit de vote et dont elles furent massivement privées à travers l’annulation de leur vote, de leur choix, de leur voix et de leur voie. De ce qui va suivre, la Côte d’Ivoire, s’en remettra difficilement. De cet effort d’hommage, le lecteur devra aussi ajouter l’effort de regarder autour de lui, de bien analyser son cercle d’amis, il se rendra compte que ce cercle composite, hétéroclite, est composé de gens qu’il a choisis pour leur mérite et le partage commun d’une éthique, d’un idéal commun, d’une enfance tumultueuse d’où nait l’amitié d’une vie, d’une douleur partagée au quotidien, d’un rire souvent déclenché par les mêmes causes, mais jamais, au grand jamais, cette amitié, que dis-je cette fraternité n’aura été construite par l’appartenance commune à un parti politique ou à une ethnie. C’est cela la marque de fabrique de l’Ivoirien, cette capacité unique d’abriter en lui les essences d’entités venues d’ailleurs, fussent-elles biologiques par le métissage des gènes, ou culturelles par l’esprit de fraternité. Le combat actuel de l’Ivoirien qui lui fait croire qu’il est devenu clanique, identitaire, xénophobe, est une parodie et une forfaiture dont il ne saura se vêtir sur le long terme tant il dénature son être, son moi. Il n’y pas pire châtiment pour un Ivoirien que d’être contraint à l’exil, de vivre hors de la Côte d’Ivoire. C’est un châtiment que je ne souhaite à aucun Ivoirien, tant l’appel du pays est fort et inexplicable en chacun de nous, même à ceux qui l’ont adopté. Qui pourrait me contredire ?
Ce n’est pourtant point du chauvinisme. La réconciliation tant prônée n’est pas une requête ou une exigence, c’est une condition sine qua non et autonome d’exister et d’existence de chaque Ivoirien quel que soit son bord politique ou son origine ethnique. Le RHDP n’a de sens que par l’existence du FPI, et vice-versa. La non-existence de l’une annule la réalité de l’autre. Jusqu’où l’insoutenable vanité de l’être humain pourrait-elle le conduire ? L’impossible volonté de réconciliation, contraire à l’éthique ivoirienne, est une manifestation illusoire de cette vanité. Je suis du Nord, mais j’ai autant d’amis du Sud et de l’Ouest que du Nord. Contre cette réalité fraternelle et humaine aucune velléité politicienne ne pourra changer quelque chose. Rien en Côte d’Ivoire ne pourra s’opposer à la naturelle fraternité des populations y vivant.
Nous vivons une fugace période d’émotion vive, de ressentiment, de nostalgie, de vengeance qui ne nous survivra pas et qui n’est point transmissible car non héréditaire, heureusement. Ce sont des sentiments humains qui nous consument. Mais l’autre nature humaine, plus pérenne, est de s’exalter positivement et non de se consumer ou d’être consumé par la rancœur. Le lecteur devrait enfin savoir que si mon nom me condamne à être RDR dans l’esprit mal tourné de certains Ivoiriens, je ne suis, dans les faits, militant d’aucun parti tout comme de milliers d’Ivoiriens. Mais j’ai dû faire le choix, après mûres réflexions, de donner ma voix à celui qui me semblait, au-delà de la basique et triviale considération ethnique, à même de protéger et d’attiser la flamme de mes rêves. Et cette voix qui constitue l’unique pouvoir que la vie m’ait conférée, je ne pouvais accepter d’en être dépossédé, d’où mon témoignage de cette marche en hommage à tous mes camarades de marche tombés ce jour-là. C’est sous la forme de reportage quasi scientifique et sous le sceau de la sincérité des faits que je livre ce témoignage. Merci de le lire sans aucune passion, ni amertume, ni joie. Juste le lire et se demander pourquoi en est-on arrivé là ?
Article rédigé le 19/12/ 2010 (non publié à ce jour) : Carnet de Marche d’un manifestant pour la Paix : Le Jeudi Rouge
Le premier blessé, une balle dans la joue.Ce qui devait être une marche pacifique fut transformée en une horreur sans nom. Des soldats ivoiriens tirant à bout portant sur des manifestants sans arme, pas même une pierre. Des soldats tirant avec un assortiment d’armes allant du gaz lacrymogène aux grenades et à l’arme automatique. Tout y est passé. J’y étais, armé seulement d’une volonté de paix, le sourire aux lèvres, comme les milliers de militants ayant répondu à l’appel de leur président.
A partir de cet instant, je vais relater la suite des évènements comme un reportage, de façon chronologique. Je vais raconter l’inimaginable.
9h 25mn : Je quitte chez moi pour aller faire un repérage des lieux du côté de la RTI. Je passe par le Carrefour de la Vie (nom donné à un carrefour de Cocody qui mène à la RTI) en bifurquant à gauche vers le boulevard Latrille. Je vois des militaires descendre d’un gros cargo. Leur particularité est qu’ils portent un bandeau blanc sous forme de brassard long avec une inscription que je n’arrive pas à déchiffrer sur leur treillis. Je continue jusqu’au carrefour de la polyclinique des Deux-Plateaux, puis je fais demi-tour.
Défiguré par un projectile.9h 45mn : J’arrive au niveau de l’église Saint-André, lorsque des clameurs se font entendre venant de la voie menant à Adjamé. Je m’y engage. Et là, au bord de la route principale, je suis pétrifié par la vue d’une nuée de marcheurs s’étendant à perte de vue, plusieurs milliers de manifestants, à pied, chantant. Ils étaient au niveau de l’échangeur d’Adjamé (Quartier en position centrale d’Abidjan) menant à Cocody. Je rejoins rapidement la foule encore sur l’autoroute menant à la Riviera en venant d’Adjamé, après avoir garé mon véhicule. Une marée humaine totalement désarmée, pas même un bâton, ni pierre. Strictement désarmée avec, pour quelques-uns, des lianes de feuilles ceintes autour de la tête comme dans un festival. Beaucoup ont soif et cherchent à boire. L’un d’eux m’apostrophe en me disant de les rejoindre plutôt que de les photographier. Et je lui réponds que c’est bien mon intention. Je pose la question à un autre de savoir d’où ils venaient. Il me répond d’Abobo. Je suis étonné, car je venais d’apprendre que les FDS (Force de Sécurité) avaient empêché ceux de Yopougon de quitter la ville pour rejoindre la marche. Il me répond qu’ils en ont fait de même avec eux, mais cela ne les a pas empêchés de braver les barrages. J’apprendrai plus tard que trois ou quatre marcheurs y avaient déjà laissé leur vie.
10h 00mn : Le peloton de tête des manifestants arrive vers l’embranchement de la bretelle qui part, à droite, vers la RTI, en direction du fameux Carrefour de la Vie, où se trouve le premier barrage des FDS, et qui va bientôt être transformé en Carrefour de la Mort. A gauche de cet embranchement, la route continue vers la Riviera. La plupart des marcheurs ignorent où se trouvent la RTI et certains continuent sur la gauche. Ils sont très rapidement ramenés vers les autres. Un manifestant me hèle et vient poliment me saluer. Mon appareil photo intrigue et inquiète.
Des bombes lacrymogènes et des grenades sont tirées sur la foule.10h 17mn : La tête du peloton est au niveau du Carrefour de la Vie, moi je suis au niveau du carrefour menant par la gauche vers le lycée technique, mais un peu après le carrefour. La queue du peloton se perd derrière moi. Un mot d’ordre est lancé d’attendre les autorités du RHDP dont on attend l’arrivée imminente. La consigne est de ne pas bouger, ni braver le barrage. L’ambiance est bon enfant. Mais je constate avec amertume qu’il n’y aucune protection militaire ou policière des manifestants encore moins celle des forces impartiales comme promis. Cela m’inquiète. Pendant que je prends des photos, un manifestant, soupçonneux, m’accoste pour savoir pourquoi je fais des photos. Ne serait-ce pas pour les identifier après ? Je suis donc pris pour un agent infiltré. Je lui décline mon identité et comme je le pressentais, me savoir nordiste, fit baisser la tension. Triste réalité de cette crise injustement exploitée en crise identitaire.
10h 18mn : Une Jeep CECOS traverse la foule qui lui ouvre le passage très amicalement. A bord, environ huit « Corps Habillés » (J’avoue ici ne pas faire très bien la distinction entre militaire, policier et gendarme, c’est la raison qui me fait les désigner par « Corps Habillés » comme on les appelle communément en Côte d’Ivoire). 6 sont assis derrière par rangée de 3 et deux devant. Ils sont lourdement armés avec l’un d’eux tenant un lance-roquette. Certains fusils ont des boites renversés au bout du fusil (probablement des gaz lacrymogènes). Ils ont une mine impassible et aucunement impressionnée par la foule. De véritables professionnels. C’est par eux que la fin du monde, pour beaucoup de compagnons, viendra.
10h 20mn : Soit exactement 2 mn après que ces soldats aient traversé les manifestants pour rejoindre le premier barrage, le cauchemar va débuter. D’abord des gaz lacrymogène sur la foule pourtant totalement passive. Les premiers mouvements de panique commencent pour des manifestants incrédules, certains que je vois nettement, ne bougent toujours pas du peloton de tête et demandent même aux autres de revenir tenir leur position. Ce que certains font, malgré l’asphyxie due aux gaz lacrymogènes. Les manifestants se réorganisent en rejoignant les points non touchés par les lacrymogènes, à savoir la voie de droite en partant dans le sens de la RTI.
Les manifestants connaissent mal le quartier et se font piéger dans une impasse par la police10h 22mn : une série de tirs de gaz lacrymogène noie complètement le peloton de tête suivi de tirs d’armes automatiques (le bruit était sec et répétitif) à balles réelles. De ma position, je vois des personnes tomber vers le Carrefour de la Vie. Une fumée épaisse s’élève des premiers rangs. Les manifestants refluent, mais semblent toujours déterminés. Chose hallucinante, les manifestants applaudissent leurs agresseurs à chaque tir comme pour montrer leur intention pacifique et se redonner du courage. Jusqu’alors et jusqu’à la fin, aucune agression quelconque des manifestants sur les forces de l’ordre. Je ne vois d’ailleurs pas comment ils auraient pu, car totalement désarmés. Ils avaient pris le mot d’ordre du RHDP à la lettre, à savoir une marche pacifique.
10h 23mn : les premières victimes blessées arrivent à mon niveau soutenues, pour l’une d’elles, par des manifestants et pour l’autre, portée par d’autres. Une solidarité inouïe pour des gens qui ne se connaissent pas, mais qui sont soudés par le même fil du désir d’espérer et de ne point abandonner. L’une des victimes a pris un projectile dans la joue qui saigne abondamment, l’autre est défigurée par un projectile. Et là, je vais assister à une scène surréaliste à vous dégoûter de l’image que les gens ont, à tort ou à raison, des médecins, mais hélas bien souvent, à raison. Je leur suggère d’aller à une clinique près du lycée technique. L’un deux me rétorque « C’est quel hôpital ? », je n’avais pas bien compris l’arrière-pensée de la question et un autre reprend en disant que les médecins vont les tuer à l’hôpital s’ils savent qu’ils étaient de la marche. L’un propose de les amener à Abobo, mais il n’y a pas de véhicule. Ils se résolvent à aller vers la clinique avec les blessés. Je n’en saurai pas plus sur le sort de ces blessés, car un déluge incroyable de tirs de feu va nous tomber dessus. En ce moment, je me souvenais que dans les films de guerre, je voyais les soldats se courber en courant. C’est ce que je fis, machinalement, pendant que les balles sifflaient, sans savoir comment cela était censé me protéger des balles. Trois différents sons lugubres d’armes crépitaient. Je ne saurais dire à quelle arme chaque son correspond, mais il y avait un son qui, en soit, peut assourdir l’adversaire, un véritable son de tonnerre ou de foudre. Absolument assourdissant. Au moins l’argent du Trésor public ne sera pas perdu pour tout le monde. Il aura servi à acquérir de vraies armes pour « défendre » les Ivoiriens.
10h 24mn : Un manifestant court en trainant la jambe ensanglantée, je lui demande si c’est une balle. Il n’en sait rien, mais il sent de moins en moins sa jambe. Les tirs se rapprochent, lui donnant une seconde énergie qui le propulse. Je le perds de vue. La débandade est à son comble ; les tirs sont nourris et de plus en plus rapprochés. Ils nous poursuivent en nous tirant dessus comme des lapins.
Une ironie du sort va se glisser dans ce triste tableau. La plupart des manifestants viennent d’Abobo et ignorent complètement ce quartier bourgeois de Cocody avec plein d’impasses. Dans leur fuite, certains s’engouffrent vers la voie donnant accès à l’hôtel du Palm Beach. Je leur crie de revenir, que ce n’est pas le bon chemin. Certains reviennent, mais d’autres continuent. L’idée admise, par tous, est maintenant de rejoindre le siège du RDR à la rue Lepic située un peu plus haut et attendre d’autres instructions. Tout le monde s’y engage, poursuivi par les tirs. Mais une fois encore, beaucoup ignorent où se trouve la rue Lepic, siège du RDR (Parti du Président Ouattara avant sa fusion avec le PDCI du président Bédié pour donner le RHDP). Dans la fuite, ils s’engouffrent dans une voie à droite, en pensant aller à la rue Lepic. Je suis derrière. Le temps d’arriver pour indiquer la direction de la Rue Le pic, beaucoup sont déjà engagés dans cette voie sans issue où certains vont être cueillis par les FDS, d’autres arrivent à déboucher sur la voie principale menant vers le fameux embranchement précité. Un homme tombe à mes pieds. Est-ce d’une balle ou de fatigue ? Il réclame de l’eau. Des femmes le lui apportent.
Pendant toute cette fuite, ce qui fut le plus insupportable pour moi, c’était d’entendre ces manifestants crier à tout moment « On nous avait dit que l’ONUCI allait nous protéger ».
10h 36mn : Je compris que je ne pouvais pas continuer à servir de guide à ces manifestants désorientés et totalement livrés à eux-mêmes. Le plus urgent pour moi était désormais de rejoindre les autorités du RHDP à l’Hôtel du Golf et leur dire ce qui se passait afin qu’elles y mettent un terme.
Passage d`une unité de police que laissent passer les marcheurs.Cette unité sera la plus meurtrière.Je pars récupérer mon véhicule pour tenter de foncer vers le Golf Hôtel. Vers la Pharmacie se trouvant à la montée du lycée technique, je vis 3 Jeep montées de mitraillettes avec des soldats en train d’embarquer violemment des pauvres manifestants perdus. Je redescendis vers le carrefour de l’Hôtel Palm Club, que les manifestants tenaient il y a à peine 20 mn, j’aperçus brusquement des militaires de partout. En les voyant, je fus pris de panique, car j’avais le film et les photos des évènements sur moi que je voulais protéger. J’entrepris de cacher l’appareil photo sous mon siège et je manquai de rentrer dans le caniveau tellement paniqué. Je m’arrêtai in extrémis devant le barrage. Mon comportement a dû attirer leur attention. Pendant que j’étais tenue en joue par d’autres éléments, on m’intima l’ordre de descendre pour fouiller le coffre et jeter un œil dans la voiture. Quand je fus autorisé à poursuivre ma route, j’ai préféré prendre à gauche pour éviter de passer par le carrefour de la Vie à droite. 100 mètres plus loin, re-fouille par des soldats puissamment armés. Je compris que beaucoup de mes compagnons d’infortune allaient se faire chopper, dans le meilleur des cas. La chasse à l’homme était ouverte. J’en voyais dans les convois croisés, torse nu. Il devenait urgent de retrouver une autorité. J’appelai deux responsables de média de la place pour leur relater les faits. Puis j’ai continué vers l’Hôtel du Golf en passant par le lycée français. J’avoue avoir été un peu soulagé quand j’aperçus 2 chars de l’ONU et des cargos pleins de soldats de l’ONU vers le carrefour de la Riviera 3. Pour moi, cela était une certitude que je pouvais vite rejoindre l’Hôtel du Golf pour alerter les responsables RHDP. Mais que ne fut ma surprise et mon désarroi quand j’aperçus un barrage des FDS proche du carrefour qui mène à l’Hôtel du Golf. Ils m’ont intimé l’ordre de rebrousser chemin. Je venais de réaliser que les FDS contrôlaient tout, y compris l’accès à l’hôtel du Golf, citadelle jusqu’alors inviolable. Je vis deux véhicules 4x4 de l’ONU me dépasser, remplis de personnel civil et militaire en direction de l’hôtel du Golf. Je fus repris d’espoir. Je fis demi-tour et me lançai à leur suite. Finalement, je revins à la raison en me disant que les FDS ne me laisseraient jamais passer ce barrage. C’en était fini pour ce jeudi rouge. Les questions me taraudaient sans réponses. Comment les autorités du RHDP pouvaient-elles assurer garantir la sécurité des manifestants alors qu’elles n’étaient pas arrivées à assurer leur sienne propre ? Qu’est ce qui n’avait pas marché ? Les sifflements de balles, les interrogations des manifestants sur leur protection, les images des manifestants piégés dans des voies sans issue, les morts, les blessés, le miracle de ma propre survie, tout s’entrechoquait en moi. Ce fut le jour inaugural du plus long blocus perpétré en Côte d’Ivoire, l’embastillement de l’hôtel du Golf.
En ce moment, je compris que c’est aussi çà le prix de la liberté. Le prix de la démocratie. Aucune vie perdue n’aura été vraiment perdue. Chaque sang coulé, chaque balle meurtrière, constitue une pièce du puzzle sans laquelle la démocratie se fera ou ne se fera jamais. Gloire au LMP, gloire au RHDP, tous enfants d’un même pays pour lequel chacun croit être le mieux indiqué pour orienter le peuple. L’intention est noble, mais la tentation de croire en une prédestination au règne est forte, mais résolument fausse. Le peuple de Côte d’Ivoire, dans toute sa composante, a choisi majoritairement le RHDP. Accepter ce choix, c’est respecter ce peuple et c’est le faire respecter par les autres peuples. L’intérêt de la patrie passe avant toute autre considération et cela devrait être le cas pour chaque Ivoirien, à commencer par ceux qui prétendent diriger le pays.
Victime mortellement touchée qui réclame de l`eauJe suis pour le respect et la souveraineté des peuples qui s’expriment par le suffrage universel et qui est au-dessus de toute loi humaine. Le choix du peuple est un choix divin. La scission du pays s’est faite parce que, à tort ou à raison, une partie de la population s’est trouvée brimée et stigmatisée. Comment la guerre peut-elle finir si pour sceller la paix nationale et la réunification, cette même population doit voir annuler tout le suffrage qu’elle a exprimé après 10 ans de guerre, pour le plaisir de voir un candidat « prédestiné » gagner ? C’est un risque de fracture sociale si profond et tant potentiellement sans fin que même un fou ne ferait courir à son peuple. Or, le président Gbagbo que nous admirons tant, est tout sauf un fou. Les fous sont vraisemblablement ceux qui le confortent dans ce choix.
Dans l’Afrique contemporaine, peu de combattants africains n’auront autant donné d’espoir de recouvrer la dignité africaine que Gbagbo. Son combat si brillant et si désintéressé ne survivra pas à une bravade contre le monde entier aussi persuadé que je puisse être de la noblesse de son combat et du rêve qu’il voulait offrir à ce pays. Pour paraphraser l’autre, je dirai que votre seul tort, président Gbagbo, est peut-être d’avoir eu trop tôt raison et d’avoir été entouré de personnes qui ne pouvaient pas se hisser à votre niveau de vision pour l’Afrique et qui ont laissé des traces si salement indélébiles dont malheureusement le peuple vous rend comptable. Mais votre combat restera, vous survivra et restera éternel, si par votre grandeur vous acceptez de vous soumettre à la volonté souveraine de votre peuple. A ce jour, nul homme n’a gagné dans une lutte contre le monde entier. Et je crains que même vous ne soyez confronté à cette vérité biblique et universelle. Vous êtes un visionnaire et un incompris que votre peuple affamé n’a plus les moyens spirituels ni intellectuels de partager la vision, car trop écrasé par la recherche quotidienne de l’énergie vitale indispensable à sa survie et devenue trop rare et trop coûteuse sous votre règne. Et hélas ! Le pain est toujours le premier besoin d’un peuple. Rien n’a changé depuis le Christ.
Abidjan le 19 décembre 2010
Dr COULIBALY Foungotin Hamidou
Maître-assistant Génétique Humaine
Cytogénétique et Biologie de la Procréation
Attaché de Recherche Clinique
Université de Cocody (Abidjan)
République de Côte d`Ivoire
Tel : 00(225)01023660 (Abidjan)
Tel : 00(225)05815188 (Abidjan)
Tel : 00(225)07199071 (Abidjan)
Site Internet (cliquer et visiter): www.crieafrique.net
cfoungh@yahoo.fr
NB: Ce récit a été transcrit tel que rédigé à la date du 19 décembre 2010. Il va de soi que mon opinion peut avoir évolué. Les images que j’ai prises de cette marche ont fait le tour du monde, car très peu de journalistes ont pu couvrir cette journée sanglante. Entre le désir d’immortaliser ces évènements, celui d’aider les blessés, celui d’orienter les marcheurs perdus dans les dédales de Cocody, et enfin celui de survivre, l’on peut comprendre à juste titre ma révolte de cette tragique journée. Puisse–t-elle servir de leçons aux va-t-en guerre et surtout faire comprendre aux uns et aux autres que les hommes passent, mais la nation doit demeurer. Mais cette nation ne peut survivre qu’avec toutes ses filles et tous ses fils, sans aucune exclusion quel que soit le motif. Le pardon rend la nation plus forte. Et allez-y y comprendre quelque chose, mais aucune nation n’a atteint son apogée, sa révolution sans guerre fratricide ou religieuse. Comme quoi l’amour ne peut se concevoir sans douleur, sans déchirure. La haine à ceci de curieux qu’elle détruit plus celui qui la ressent que celui contre qui elle est éprouvée. Désarmons nos cœurs et allons à la réconciliation!
Dieu bénisse chaque Ivoirien !