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Société Publié le lundi 20 février 2012 | L’Inter

Une semaine après les affrontements meurtriers : La vie renaît à Arrah

- Le Gouvernement suspend l`inhumation des morts et annonce des enquêtes
- D`importants dégâts matériels et financiers
- L`appel au secours des victimes

Le fait est assez cocasse et mérite d`être souligné. C`est à un véritable enterrement manqué que nous avons assisté, le jeudi 16 février à Arrah. Ce jour-là, la communauté Malinké avait prévu l`inhumation de l`une des victimes décédées durant les 48 heures de folie meurtrière qui a endeuillé la ville. Il s`agit du jeune Djébré Moussa, dont l`âge se situe entre 17 et 18 ans selon le père, Djébré Zackaria, et qui a été tué lors des affrontements inter-communautaires entre autochtones Agni et allochtones Dioula, le dimanche 12 et le lundi 13 février. Le matin vers 8H30, les parents du défunt se rendent à la morgue, située derrière l`hôpital général d`Arrah, au quartier résidentiel, pour réclamer la dépouille de leur fils. L`administration de l`établissement exige de remplir les formalités d`usage: règlement des frais de conservation du corps, qui s`élèvent à 73.000 FCFA, et l`obtention d`un permis d`inhumer à la Mairie. La communauté Malinké, peu habituée à ces procédures mortuaires, dénonce des tracasseries face à leur douleur et au malheur qui la frappe. Les esprits s`échauffent, on entend des éclats de voix entre les parents de la victime et le personnel de la morgue. Finalement, un membre de la communauté Malinké, Touré Issa, Coordonnateur RHDP du département, prend des initiatives. Il appelle le Préfet de la ville, M. Yao Benoît, pour avoir la conduite à tenir. Aussitôt, sur instructions du Gouverneur, il fonce à la mairie pour se faire délivrer le précieux sésame funèbre. Deux heures plus tard, toutes les formalités satisfaites, le corps est remis à la famille. Le corbillard, escorté d`un cargo de la gendarmerie à bord duquel une vingtaine de gendarmes ont pris place, s`ébranle en direction du domicile familial, sis au quartier Koko, l`un des sous-quartiers des populations allochtones et allogènes. La tension est encore palpable dans la ville, et comme le corbillard doit traverser des quartiers habités en majorité par les autochtones, on ne veut prendre aucun risque. A la mosquée Hamdoulilaï de Koko, qui se trouve à proximité du domicile familial du défunt, une foule nombreuse, composée de guides religieux, de vieillards, de femmes en pleurs, de congénères de la victime et même d`enfants, commence à s`acquitter du rituel funéraire dans ce genre d`occasions, avant la mise en bière. Il est 11H. A peine a-t-on lu les premières sourates, que M. Touré Issa, qui vient de recevoir un coup de fil, demande à l`assemblée d`interrompre la cérémonie mortuaire. «Le Préfet vient d`appeler. Il demande de ramener le corps à la morgue, car le gouvernement dit de n`enterrer aucun mort pour l`instant. Des enquêteurs vont venir d`Abidjan aujourd`hui ou demain, et peut-être même que les corps seront amenés à Abidjan pour réaliser des autopsies», rapporte l`interlocuteur du premier magistrat d`Arrah. Les mines déjà affligées de la communauté endeuillée sont déconfites. Les sanglots des femmes redoublent d`intensité. Que faire ? Après une brève concertation entre les guides religieux et les personnes âgées, la décision est prise d`obéir à l`édit des autorités. Le corbillard, qui avait déjà commencé ses embardées sur la ruelle poussiéreuse en direction de la morgue, est rappelé illico presto. Le corps étendu sur un brancard de Djébré Moussa, fils aîné d`un père inconsolable et à peine dans la fleur de l`âge, est remis dans le véhicule funèbre pour retourner là où il venait d`être enlevé. Nous n`avons pu confirmer cette information auprès du Préfet. Mais toujours est-il qu`au moment où nous mettions sous presse, la dépouille avait retrouvé sa place dans le casier mortuaire, à côté des deux autres victimes officielles de cette énième barbarie humaine à l`ivoirienne.

Des centaines de millions de dégâts matériels

Quand nous quittions Arrah le jeudi 16 février à la tombée de la nuit, la vie avait progressivement repris dans cette coquette cité secouée 72 heures plus tôt par une onde de choc. Le marché principal, situé au quartier Belleville 2 et communément appelé ``Carrefour Gendarmerie``, avait partiellement rouvert dans la journée après quatre jours d`inactivité. La méfiance et la peur régnant encore, il n`y avait pas grande affluence. Seulement quelques étals étaient achalandés. Les rares boutiques et échoppes en service avaient un seul battant ouvert. Par précaution. D`ailleurs, le petit nouveau marché, séparé de l`ancien par la voie secondaire de la ville, était encore fermé. Juste une poignée de femmes téméraires avaient disposé leurs marchandises aux abords. La Pharmacie d`Arrah, l`unique officine de la localité, restée fermée depuis dimanche, avait aussi ouvert ses portes. Ce jeudi après-midi, le Préfet du département, M. Yao Benoît, avait convoqué tous ses administrés au Centre culturel HKB (Henri Konan Bédié, ndlr), sis au quartier Koko, pour une grande réunion de concertation et de sortie de crise. A l`issue de la rencontre, il a été décidé de la mise en place d`un Comité de veille et de prévention composé des religieux (prélat catholique, musulmans et autres confessions chrétiennes), de la chefferie traditionnelle, des représentants des jeunes et des responsables des différentes communautés. Cette structure informelle sera présidée par les religieux et aura pour tâche de réconcilier les frères-ennemis et de restaurer les conditions d`un revivre ensemble pacifique et harmonieux. L`objectif est de maintenir la cohésion sociale, d’œuvrer à ce que ce qui s`est passé n`arrive plus dans cette cité réputée paisible. Et d`intervenir en urgence en cas de survenance de conflit pour résoudre les incompréhensions éventuelles afin de prévenir tout débordement. La mission est noble et salutaire. Mais Arrah n`a pas encore fini de panser ses plaies et meurtrissures des deux folles journées du dimanche 12 et lundi 13 février. A notre arrivée le mercredi 15 février vers 13H30, la grosse bourgade située à environ 180 kilomètres d`Abidjan, sur l`axe Bonahouin-Kotobi-Bongouanou, ressemblait encore à un champ de bataille et de ruine. Deux chars de l`ONUCI, tous moteurs vrombissants, sont prépositionnés le long de la voie passant devant la brigade de gendarmerie, le canon au vent. Des pick-up surmontés d`armes de guerre, des cargos de troupes et des véhicules de type 4X4 estampillés UN ont également pris position dans les environs de la brigade de gendarmerie. Dans le même périmètre, un impressionnant détachement de gendarmes et de Casques bleus sont stationnés. Certains gendarmes sont camouflés derrière des bacs de sacs de sable, comme pour se protéger d`éventuelles attaques de l`ennemi. Selon un responsable civil de la mission onusienne qui a requis l`anonymat, l`ONUCI a déployé trois contingents sur le théâtre des opérations : Sénégalais, Bangladeshi et Pakistanais. Mais cette présence massive et impressionnante des forces armées ivoiriennes et onusiennes ne rassure pas les populations, notamment les autochtones Agni. Apeurés et traumatisés par l`escalade de la violence, les habitants sont toujours terrés chez eux, et il règne dans la ville un silence de cathédrale. Au ``Carrefour Gendarmerie``, qui fait office de centre-ville et où sont concentrés l`essentiel des commerces et magasins, les décombres de la furia sont visibles dans un rayon de 500 à 800 mètres. C`est à ce niveau, en effet, que se situe l`épicentre des destructions de biens privés. La voie principale qui traverse Arrah est encore obstruée par endroits par des tas de détritus et de gravats noircis par les flammes. Les dégâts sont énormes. La ``Superette d`Arrah``, située sur la voie secondaire au quartier Belleville 2, à 80 mètres de la pharmacie, et plus connue sous le nom de ``Chaîne Avion``, est réduite à néant. L`établissement a été entièrement pillé et ravagé en partie par le feu aux premières heures des échauffourées, le dimanche 12 février vers 13H. Une voiture de marque 205, parquée dans le garage, a été également caillassée et est irrécupérable. Le propriétaire et gérant, N`doli Eponon dit ``Apompé`` est inconsolable. «J`ai tout perdu. Cette superette existe depuis 1958, elle appartenait à mon père, Eponon N`doli. Il y avait tout ici : des articles ordinaires qu`on trouve dans tout super-marché, mais aussi un dépôt de boisson, une buvette, du matériel informatique pour traitement de texte, etc. Le fruit de plus de 50 années de durs labeurs est partie en fumée en moins de 15 minutes», témoigne le malheureux ``Apompé``, la gorge encore nouée par l`émotion. Le maître de céans a fait appel à un Huissier de Justice venu faire le constat d`usage et évaluer les pertes. Mais déjà, le propriétaire-gérant N`doli Eponon estime le préjudice à plus de 51 millions de FCFA, marchandises et fonds de commerce compris. Aux alentours, maquis, buvettes, dépôts de boissons, ateliers de couture et de coiffure appartenant à des autochtones Agni ont soit été incendiés, soit dans le meilleur des cas mis à sac et vidés de leurs contenus.

Les victimes appellent l’État au secours

Mme N`zi N`goran Patrice est encore sous le choc quand nous la retrouvons au quartier Ebrè, le jeudi 16 février très tôt le matin. Ses quatre magasins logés dans un bâtiment en bordure de la ruelle, et sa quincaillerie située au ``Carrefour Gendarmerie``, ont tous été vandalisés, pillés et brûlés. «Ici, nous indique la victime, c`était mon atelier de couture. Ils ont fracturé le portail métallique du magasin avec des haches, ont emporté toutes mes machines et tout ce qu`ils pouvaient prendre, avant de mettre le feu. Les pagnes et habits des clients ont été réduits en cendres. Là, nous montre-elle du doigt, c`était ma boutique, juste à côté une quincaillerie et de l`autre côté, le plus grand magasin, un dépôt de boisson. On appelle ici ``Chez Patrice``, et c`est ici que tout le quartier vient se ravitailler. Mon frère, je suis morte, je suis foutue. Au bas mot, c`est 40 à 50 millions de FCFA que je viens de perdre, sans compter l`autre quincaillerie sur la voie principale, dont l`inventaire effectué au début de ce mois s`élevait à près de 20 millions de FCFA de marchandises», fond en larmes la pauvre dame. Au quartier Résidentiel, non loin de la Sous-Préfecture, nous retrouvons Mme Bossoumki Odile, sœur cadette du collègue et confrère de ``Soir Info`` Gervais Kobéna. Déplacée de guerre, elle raconte qu`elle a tout perdu à Bouaké. Venu s`installer dans sa ville natale dans le dénuement total avec son mari et ses enfants, elle a trimé pendant des années pour se rebâtir une nouvelle vie. Avec des prêts contractés auprès d`âmes généreuses, Odile s`est fait construire un conteneur de 12 pieds au marché d`Arrah, où elle vend des marchandises diverses. «C`est seulement au mois de novembre 2011 que j`ai fini les investissements. Je suis allé au Togo pour prendre les marchandises, et en janvier 2012 je me suis rendue à Abidjan après les fêtes pour remplir à nouveau le conteneur. Je n`ai même pas encore commencé à rembourser mes dettes, et voilà que tout ce que j`ai investi, au moins 3 à 5 millions de FCFA est parti en fumée. Comme ils ne pouvaient pas casser le conteneur pour piller ce qu`il y a là-dedans, ils ont fait une ouverture avec des haches et ont mis le feu à l`intérieur Tout a été calciné», explique, le regard hagard, dame Bossoumki, qui se dit victime d`un acharnement du sort. Ce ne sont pas seulement les autochtones Agni qui ont perdu des biens durant les événements malheureux d`Arrah. Koné Moustapha, grand opérateur économique très connu dans la région du N`zi-Comoé, accuse les jeunes Agni d`avoir été les premiers à déclencher les hostilités. Selon lui, le premier magasin saccagé et incendié le dimanche 12 février vers 11H est la quincaillerie de son neveu Koné dit ``Papa``, située en bordure de l`artère principale, au ``Carrefour Gendarmerie``. Ce qui a mis le feu aux poudres, insiste-il. Dans la communauté Malinké, le commerçant Konaté Mory est assurément celui qui a subi les plus gros dommages. Ses deux quincailleries situées à proximité de celle de ``Papa`` ont quasiment été réduites en cendres. Le mercredi 15 février vers 16H, nous l`avons trouvé sur les lieux du sinistre avec plusieurs de ses employés, ses ``frères`` et des badauds s’affairant à dégager la voie des monticules de gravats pour tenter désespérément de récupérer ce qui pouvait encore être sauvegardé. Amer, il nous fait l`état des lieux. «Mon magasin de gaz contenant plus de 400 bouteilles a été entièrement vidé et incendié. Dans l`autre magasin, il y avait des tuyaux, des sacs de ciment, du fer à béton, des matelas, etc. Regardez vous-même (il nous fait voir l`intérieur). Tout a disparu, et ils ont mis le feu dans ce qu`ils n`ont pas réussi à emporter, par exemple les tuyaux», grogne Mory, avant d`ajouter : «Je ne suis pas le propriétaire de ces magasins, je ne suis que le gérant. C`est au moins 30 millions que je viens de perdre, et je ne sais pas ce que je vais dire au financier, un vieillard de plus de 70 ans. Les jeunes Agni m`ont tué ! Tout ça pourquoi ?». Tous les opérateurs économiques rencontrés à Arrah, victimes collatérales de la folie passagère qui a soufflé sur la ville, n`avaient qu`une seule doléance à la bouche. Que l’État les aide à rembourser leurs dettes, et leur apporte une assistance financière pour reprendre ou relancer leurs activités.

ANASSE ANASSE
Envoyé spécial à Arrah
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