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Politique Publié le jeudi 22 mars 2012 | L’expression

Crise ivoirienne / «D’espérances et de douleurs vives» d’Ibrahim Sy Savané : Confidences de la vie au palais sous Gbagbo

Avec son dernier livre, «D’espérances et de douleurs vives», Ibrahim Sy Savané lève un coin du voile sur la vie au palais présidentiel sous l’ancien président Laurent Gbagbo.



C’est son second livre. Après avoir publié, «Au rythme lent de la vie», en 2004, aux éditions Puci, Ibrahim Sy Savané remet ça. Le président de la Haute autorité de la communication audiovisuelle (Haca) vient de mettre en librairie «D’espérance et de douleurs vives. Au cœur de la tourmente ivoirienne». Le livre, sorti aux éditions Mici-Embaci, est un récit, à forts relents de témoignages et d’anecdotes, sur la récente crise ivoirienne. Si la trame du livre se situe entre 2007 et le déclenchement des hostilités armées consécutives au scrutin du 28 novembre 2011, l’œuvre ouvre également une lucarne sur des événements plus lointains de l’histoire de la Côte d’Ivoire moderne. Il est vrai, il faudrait des dizaines et des dizaines de livres pour arriver à cerner la tragédie que le pays d’Houphouët-Boigny vient de traverser. Avec «D’espérance et de douleurs vives. Au cœur de la tourmente ivoirienne», Ibrahim Sy Savané, acteur privilégié de la crise ivoirienne – il était ministre de la Communication – raconte les espérances et les douleurs vives de son pays. Les petites histoires croustillantes qu’il raconte, aussi anecdotiques qu’elles paraissent, constituent la texture du livre.
Ibrahim Sy Savané, qui se défend d’avoir écrit «un livre politique» rapporte tout au long des 22 courts chapitres du livre des faits, des gestes, des propos dont il a été témoin pendant son passage au 22ème étage de la Tour E, au Plateau.

Florilège de quelques anecdotes tirées du livre

Nomination d’Honoré Guié au comme Pca de la Rti :

«Le président reprit la parole : «Vous savez, moi, je n’ai rien contre Guié. C’est même un ami. Mais il se veut trop indépendant. Ça lui a d’ailleurs joué un mauvais tour par le passé, quand il a refusé de nous rejoindre pour se présenter seul à Sakassou. Ils ont invalidé sa candidature». Le président éclata de rire. Cette histoire d’invalidation l’amusait comme s’il y voyait un cas de justice immanente. (p.45)

Les trois langages de Gbagbo

«Moi, j’ai trois niveaux de langage. Je peux avoir le langage châtié du latiniste que je suis. Je peux aussi utiliser le langage intermédiaire que tout le monde comprend. Mais si on me cherche, je peux aller dans les échanges terre-à-terre». Le président n’ajouta pas qu’un de ses amis, feu Bernard Ahua, appelait ce langage de rupture le tamerconnisme. (p.63)

Youssouf Bakayoko, le «bouddha céleste»

«L’homme lui-même était modeste, presque invisible sous un air faussement endormi, sa démarche lourde, engoncée dans des costumes d’un autre âge. (…) Certains jeunes ministres le taquinaient en l’appelant «l’étrange ministre des Affaires». Il avait toujours son sourire bienveillant. (…) Son air aérien et sa sérénité m’avaient amené à le surnommer «le bouddha céleste». Tous reprirent le sobriquet qui leur semblait taillé sur mesure». (p.77)

La ballade sur la lagune

«Avant qu’on ne sorte du palais, le président avait proposé au Pm de l’accompagner faire un petit tour sur la lagune. Ce dernier, visiblement, n’en avait aucune envie. Il nous consulta du regard. Le président se fit insistant. «Mais on n’a même pas nos maillots de bain», plaisanta quelqu’un. (…) Le Premier ministre, sans afficher d’hostilité restait taciturne. «Au retour, me souffla-t-il, on va se faire mougoutchi. Nous allons nous faire fusiller». En malinké comme en français, cela signifiait qu’il songeai déjà aux commentaires acerbes que devaient préparer la classe politique et les journalistes». (pp.108-109)

Relations avec Tagro

«J’étais néanmoins à mon aise parce qu’il ne planait aucune ambigüité entre Tagro et moi. Aucune affinité idéologique et pas le moindre intérêt financier. J’ai été jusqu’à décliner plusieurs fois ses propositions de m’offrir gracieusement des billets pour le pèlerinage. (…) Il marchanda même un jour : me proposant d’abord une dizaine de billets que je refusai, me demandant ensuite d’accepter au moins cinq billets. Toujours le même refus». (p.114)


«Deux faits intervinrent dans nos relations qui eurent quelque conséquence. Il me parla un jour longuement de son enfance assez misérable à Koumassi Kankankoura. Je lui avais reproché de ne pas connaître la misère et de proposer un passeport biométrique coûteux aux Ivoiriens. Cela l’avait piqué à vif. Une autre fois, il s’était mis en tête de me recruter comme directeur de campagne pour le compte de Laurent Gbagbo. Je pris la proposition pour une plaisanterie». (p.114)

Young Jin Choi

«Sa capacité à résister aux critiques m’avait séduit. (…) Au cours d’un échange autour d’un café, il me fit une drôle de confidence. Pour lui, il était fort probable que Gbagbo perde les élections et fort probable également qu’il refuse les résultats et dans ces conditions, l’Onuci serait en première ligne, mais prendrait ses responsabilités. (p.123)

Premier tour du scrutin

«Quelques jours plus tard, à l’occasion du tout dernier Conseil des ministres monté de toute urgence pour entériner quelques décisions, Laurent Gbagbo revint sur les résultats du premier tour avec un air qui se voulait dégagé, mais dissimulait mal une angoisse à peine contenue. Il expliqua qu’il n’avait dit à personne que son camp remporterait les élections au premier tour. «Prétendre gagner au premier tour contre des gens du calibre de Bédié et Alassane est vraiment une illusion, expliqua-t-il. Une de mes militantes est venue m’en parler, je lui ai dit qu’elle ne savait pas de quoi elle parlait». (p.137)

La guerre

«Un soir, pendant que je discutais à mon hôtel avec un groupe de visiteurs, un coup de fil me parvint d’Abidjan. C’était Alain Lobognon, toujours aussi gai. Alain est capable de rire dans n’importe quelle situation. Cette fois, il m’annonçait, en rigolant, une terrible nouvelle : «Grand-frère, cette nuit, il y aura un véritable feu d’artifice à Abidjan. Je t’envoie la liste des dix à vingt sites militaires qui seront détruits par les forces internationales». (p.182).

Tout au long des 22 chapitres du livre, l’auteur affirme que le destin individuel s’inscrit dans l’aventure collective sans s’y occulter. La première de couverture du livre illustre à merveille le titre. Une vieille paire de rangers militaires, semble abandonnée par on ne sait quel soldat sur une terre aride qui donne l’impression de n’avoir jamais connu de saison de pluie. Cette stérilité est cependant tempérée par une jeune pousse qui sort de terre et pointe vers le ciel. L’association de ces symboles illustre parfaitement la situation de la Côte d’Ivoire à cette époque – et même aujourd’hui. Malgré la menace de la guerre et le cliquetis des armes, malgré la difficulté de la situation, l’espoir en des lendemains habite chaque Ivoirien.

M’Bah Aboubakar
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