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Art et Culture Publié le jeudi 22 mars 2012 | Le Patriote

Hommage au Pr Bernard Zadi Zaourou / Un écrivain éclectique : enracinement et ouverture au monde

Il y a un peu plus de trois ans, à la faveur d’un colloque international consacré à l’éminent homme de lettres, des intellectuels jetaient un regard analytique sur Bernard Zadi Zaourou et son œuvre. Nous vous proposons le rapport synthétique des travaux de ce conclave.
Pendant trois jours (du 05 au 07 novembre 2008), l’université de Cocody, par l’entremise de l’UFR Langues, Littératures et Civilisations, a rassemblé un florilège de chercheurs, enseignants, étudiants, amis et proches du professeur zadi pour un hommage et une vaste réflexion critique autour de l’œuvre multiforme du Pr Zadi Zaourou. Au total, 42 contributions (communications et témoignages compris) ont tenté de mettre en lumière le parcours artistique et scientifique d’un homme, profondément enraciné dans sa culture, autant qu’ouvert au monde.
Sur la vision de l'homme et son action sociale, les témoignages entendus ont mis en lumière différents aspects de l'homme Bernard Zadi Zaourou. On retient que derrière son air austère, cet écrivain chercheur, est surtout un homme simple, discret, à l'humour débridé, et plein de vie malgré la maladie et l'âge; un chercheur passionné, doté d'une vaste culture. Retraçant le parcours militant de l’adolescent Zadi, le pr Grah Mel a salué en lui « l’une des figures les plus riches de la jeunesse combattante de Côte-d’ivoire », quand d’autres l’ont dépeint comme un citoyen profondément attaché à la paix dans son pays, problématique qui sous-tend toutes ses actions politiques, autant que son engagement syndical, des années 80 à 2000. C'est donc un amoureux de la paix, un faiseur de paix adossé au marxisme dont il a assimilé les leçons, et à partir duquel il a élaboré une vulgate pour la Côte-d'Ivoire son pays. A sa façon, il s’est battu et continue de se battre contre le capitalisme sauvage, sans toutefois se priver d'intercéder auprès des tenants du pouvoir pour tenter de résoudre les conflits et apaiser le front social chaque fois que cela s'est avéré nécessaire (comme par exemple en 1982 lors de la légendaire grève des enseignants du supérieur, ou encore lors de la crise du bicéphalisme au SYNESCI).
En tant qu'écrivain, Zadi Zaourou aura influencé la littérature ivoirienne (poésie et roman, notamment), selon Tadjo véronique, ces deux formes d'influence se déclinant dans le prisme du charisme et dans celui du parangon. Dans le premier, il ressort que par sa personnalité, Zadi Zaourou a charrié toute une génération de jeunes écrivains, tandis que dans le second, son style d'écriture aura façonné celui d'une certaine catégorie qui lut en lui un modèle.
En tant qu’enseignant et chercheur, il aura contribué à la formation de nombreux disciples qui n’ont d’ailleurs pas manqué de lui rendre un hommage national et international pour sa générosité intellectuelle. L’homme est dépeint comme un loup des steppes, un intellectuel de haut vol, un être tourmenté, fondamentalement solitaire dans son engagement artistique, intellectuel et politique; un savant en déphasage avec une société qui le façonne et qu'il façonne.
Sur l'esthétique du poète: les communications produites ont toutes tenté d'articuler théories littéraires, poétiques et analyses textuelles, interrogeant les paramètres esthétiques et les formes discursives qui permettent aux productions poétiques et dramatiques de Bernard Zadi Zaourou d'acquérir le statut d'oeuvres d'art. Les panélistes ont surtout noté que la structuration du texte poétique chez Bernard Zadi se met au service de la quête poétique, lisible dans la célébration de la parole, la recherche du beau, le déploiement du champ, la saturation rythmique et la traversée des symboles. De la poétique de Zadi, on a ainsi pu dégager l’action de deux instances (l’émotion lyrique et la mémoire épique), qui interagissent pour accoucher le monde dont le poète est gros, lequel s’exprime à travers la transmutation des êtres, phénomènes et choses, en mots et images. En effet, chez Zadi, l'écriture poétique se manifeste par un foisonnement d'images et de symboles empruntés au terroir bété. Par ailleurs, les pratiques génériques et discursives qui servent de ferment à cette pratique poétique ouvrent l'oeuvre de cet homme à une dimension lyrique, rythmique et initiatique, et fondent l'élucidation du sens. Il en ressort que la construction d'images analogiques qui cachent le signifié sous le signifiant, la convocation de certains instruments de musique (arc musical) confèrent plus de vigueur et de magnétisme au jeu du poète. De même, l'identification symbolique métamorphose le réel et l'idéel en même temps qu'elle prolonge l'invisible dans le visible. De la sorte, l’univers est donné comme un microcosme créé pour faire contenant à l’aune de la littérature ; et il est, chez Zadi, l’instance qui institue l’auteur comme sujet encodant son propos par des emboîtements successifs. Ce qui caractérise son œuvre poétique, c'est la désolation du poète face aux nouveaux rapports sociaux nés des rapports dialectiques qui opposent le peuple aux " rois made in France", face à un peuple qu'il ne comprend plus. En réponse à cela, le Pr Séry Bailly qui a proposé une lecture thématique de la trilogie poétique de Fer de Lance, à travers les prismes génériques de l'éloge et de l'élégie, a invité le poète à ne pas désespérer du peuple, parce que mêmes si l'épopée est devenue impossible à réaliser, l'espoir d'un changement par d'autres voies mérite d'être nourri envers et contre tout et tous. Dans une approche socio poétique, l’œuvre de Zadi Zaourou nécessite du lecteur qu’il soit un observateur averti et perspicace, au regard d’une langue au fonctionnement parfois secret. Cela n’a pas empêché la critique africaine…
Au demeurant, l’auteur, discret quand il s’agit d’assurer la promotion de ses productions littéraires, estime qu’il faut faire confiance aux œuvres, car elles savent faire seules leur chemin et sans avoir besoin d’aucune publicité, elles finissent toujours par trouver par elles mêmes les voies et moyens de leur propre fortune.
Sur sa production dramaturgique: les deux séances dirigées respectivement par le Dr Hélène Ngbesso et le Pr Legré Okrou, ont porté sur l’écriture dramatique de Bernard zadi Zaourou. La communication du Pr Jean Derive a retracé l’évolution de ses choix esthétiques et dramatiques « depuis sa pièce historique (les Sofas) en passant par la satire sociale (l’œil), jusqu’aux pièces mytho initiatiques du didiga (la termitière, Le secret des dieux, la guerre des femmes) ». Sur ces bases, le théâtre "zadien " a été présenté comme un carrefour où se rencontre une pluralité de peuples, de cultures et de générations. Dans cette perspective, son écriture théâtrale sera qualifiée de dramaturgie du lien (Traoré Dominique parle de théâtre- trait- d’union).
Si l’écrivain zadi est incontestablement un inventeur de formes nouvelles, on retient surtout que celles-ci fécondent les composantes structurelles de l’œuvre théâtrale pour dessiner une couleur locale aux engagements politiques et poétiques de l’auteur. La parabole, la langue, participent de cette dimension. Dans ces conditions, la spécificité esthétique du dramaturge traduit cet ensemble hybride de formes empruntées aussi bien aux cultures occidentales qu’à celles du terroir bété, ivoirien et africain.
Pour finir avec la dimension du créateur, on retiendra de Bernard Zadi qu'il est un écrivain excentrique et novateur chez qui la créativité littéraire n'est pas forcément synonyme de nouveauté, mais peut résulter de la perpétuation de modèles anciens ; ce qui fait dire à Lacina Yéo que « l’œuvre poétique, politique, et critique de Bernard zadi Zaourou constitue un support de réflexion sur la communication interculturelle ».
Sur les écrits théoriques et l'oeuvre critique: les conférenciers ont particulièrement souligné le fait que, s'inspirant des pratiques poétiques traditionnelles, et se fondant sur les limites objectives des théories saussuriennes et jakobsoniennes à rendre compte de tous les faits de parole africain, Bernard Zadi est parvenu à élaborer une théorie des fonctions rythmique et initiatique en tant que celles ci participent d'une spécificité du discours poétique africain.
La leçon inaugurale, prononcée par le pr Lezou Dago Gérard aura particulièrement insisté sur le fait que, de sa théorie de l’agent rythmique (comme fondement d’une spécificité de la parole poétique africaine) à son application de la dialectique matérialiste à l’étude des textes littéraires, le fil conducteur est et demeure la promotion d’une critique endogène qui veut réconcilier la littérature africaine avec elle-même. Dans cet univers des réflexions critiques de zadi, la contradiction tient une place prépondérante : elle féconde le Didiga, fonde l’aventure du mot ainsi que la quête initiatique qui sert d’élément fédérateur à tous les textes de Bernard Zadi.
De ce point de vue, le trajet qui mène du créateur au théoricien révèle une vérité fondamentale : l’avancée théorique de la pratique est, avec Bernard Zadi, contrebalancée par une avancée pratique de la théorie ; et ce renversement gagnerait à être exploité.
Il ressort de tous ces échanges que l’authenticité de la création, autant que de la critique zadienne, dans ce qu’elles peuvent avoir de singulière ou d’universelle, constitue une problématique centrale. Et elle devrait faire l’objet d’une autre réflexion, voire d’un autre colloque, pourquoi pas ?
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