Alors que l’ensemble des observateurs du microcosme politique a le regard tourné vers Grand Bassam où s’’achève, aujourd’hui, le premier round du dialogue républicain entre le pouvoir et l’opposition, quelles devraient être les attentes de l’opinion publique ? La réponse à cette préoccupation coule de source. Plus de dix ans de violence et d’instabilité ont, enfin, permis à l’ensemble des habitants de ce pays de comprendre l’importance de la paix. Du moins, faut-il l’espérer. En tout état de cause, les traumatismes de la période postélectorale sont suffisamment vivaces dans les esprits, pour occulter l’intérêt de ce vrai bonheur que les Ivoiriens ont appris à apprécier, à l’aune de leurs pérégrinations régionales et aux quatre coins du monde. « A moins de vouloir ne conquérir que des cimetières, il faut toujours, à un moment ou à un autre, déposer les armes et négocier ». Une évidence formulée par le père fondateur que ses disciples du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) ont décidé de mettre en pratique dans un pays, longtemps hanté par les démons de la division. La tentation est toutefois grande, face à la soif des retrouvailles, de céder aux sirènes du déni du suffrage exprimé par le peuple. De quoi s’agit-il ? Dans une société soucieuse de restaurer l’unité nationale et la cohésion sociale, les risques que le choix exprimé en faveur d’un programme de gouvernement ne soit sacrifié sur l’autel de la réconciliation nationale existent. Depuis la rupture du consensus national et l’instauration du multipartisme, la norme prescrit comme mode de désignation des gouvernants, les élections sur la base d’un programme. En d’autres termes, c’est au porteur d’un projet de société que le peuple accorde sa confiance. Un point de convergence sur lequel s’accordent les acteurs politiques dans les paysde grande tradition démocratique, en dépit de leurs divergences d’opinion et désaccord sur le devenir de leur société. Négocier certes, mais seulement en vue de parvenir à un accord sur la nécessité de préserver la paix sociale, de renforcer la bonne gouvernance, d’accentuer la lutter contre l’impunité, de réaffirmer la séparation des pouvoirs, etc. Négocier surtout pour en finir avec la panacée inopérante des gouvernements d’ouverture, comme c’est généralement le cas. Négocier pour admettre qu’il est absurde de gouverner avec l’adversaire, dont on ne partage ni l’idéologie, ni les convictions, sans que ce ne soit un drame. A quoi sert-il d’organiser des scrutins à des coûts exorbitants si, in fine, c’est pour assister au sempiternel scénario de l’entrée au gouvernement des membres de l’opposition ? La création et l’action devraient continuer de répondre à l’objectif originel de conquérir et d’exercer le pouvoir d’Etat. La paix sociale n’est pas incompatible à une telle approche qui suppose le respect du vote des citoyens, dont la décision ne doit cesser de prévaloir jusqu’à l’expiration du mandat en cours. Promouvoir la démocratie du consensus équivaudrait, non à sauvegarder l’intérêt national, mais à mépriser le choix de la majorité pour faire plaisir à la minorité. Le mythe du gouvernement d’union nationale ou d’ouverture est un leurre, qui au lieu de dynamiser l’action gouvernementale, la plombe. En effet, les notions de cohésion et d’homogénéité, gages d’efficacité et de collaboration, le cèdent à l’esprit de compétition. Comment peut-il en être autrement, lorsque cohabitent au sein d’une même équipe des acteurs qui ne partagent pas toujours la même vision de la société? L’autre raison invoquée pour justifier et excuser cette entorse aux règles du jeu démocratique, à savoir, la spécificité et la relative jeunesse de la démocratie en Afrique ne résistent pas non plus à l’analyse. Vingt années de pratique confirment l’immaturité de l’essai démocratique assimilé à un exercice de distribution de prébendes et de répartition de maroquins ministériels. Les gouvernements d’ouverture successifs qu’a connus la Côte d’Ivoire, en dix ans de crise militaro-politique, ont-ils permis de conjurer le sort de l’après octobre 2010 ? Ce qui est en jeu à Grand Bassam, c’est la confirmation de la fin de l’Etat d’exception, le retour à la normalité constitutionnelle et la consolidation des acquis démocratiques. Les conclusions du dialogue républicain ne vaudront, en définitive, que par leur pertinence à soumettre les acteurs politiques au respect des règles du jeu démocratique. Point ne doit être besoin de rechercher un consensus moralement contraignant, qui confinerait à l’unanimisme, mais d’aboutir à des convergences convaincantes sur les sujets d’intérêt général.
Bony Valéry
Bony Valéry