Discrète et pudique, Sara Martins n’aime pas beaucoup parler d’elle, préférant élégamment parler de ses passions : la danse et le cinéma. Autant à l’aise sur les planches que sur les plateaux de tournages, elle s`est fait remarquer dans les différents rôles qu`elle a pu interpréter dans les séries policières télévisées françaises. Dernière en date ? « Pigalle la Nuit », série à succès diffusée sur Canal + en France, Canal Horizons en Afrique.
La jeune comédienne native de Faro originaire du Cap-Vert, est actuellement à l`affiche de « Race » de David Mamet, une pièce coup de poing, aux côtés de Thibault De Montalembert, d`Alex Descas et d`Ivan Attal, qui trouve son écho dans l`actualité : en effet, l`histoire se déroule entre les directeurs un cabinet d’avocats multiracial et un richissime homme d’affaires blanc accusé de viol sur une jeune femme noire, dans une chambre d’hôtel new-yorkaise.
Prochainement elle sera le rôle principal d`une série produite par la BBC One « Death in Paradise ». Rencontre avec une boulimique de connaissances, qui trace son chemin, petit à petit.
Diasporas-News : Vous êtes à l’affiche de « Race » une pièce de théâtre écrite en 2006 qui aborde un sujet sensible et d’actualité. Lorsqu’on lit le synopsis de la pièce, on pense forcément à l’affaire DSK. Y voyez-vous quelques similitudes ?
Sara Martins : Le lien le plus fort, c’est comme le dit le personnage d’Henry (Alex Descas) au début de la pièce, quand il s’adresse au client, « ...Aujourd’hui les préjugés ont peu glissé… Il y a quelques temps dans la même situation, pour les mêmes faits, cet homme riche et blanc aurait été disculpé tout de suite... » Alors que maintenant, dans la même situation et pour les mêmes faits il est plus facilement suspecté d’être coupable, parce que il y a la symbolique d’un homme/blanc/riche, avec le pouvoir qu’on imagine derrière, et le sentiment de supériorité… Il y a des choses qui sont des postulats de départ, devenus des préjugés, comme mon personnage le dit « les hommes blancs ont toujours abusé des femmes noires ».
D-N : C’est vrai qu’en France, on n’ose pas trop parler du viol des hommes blancs sur les femmes noires dans l’Histoire. C’est comme si rentrer dans le vif du sujet était tabou….
S.M : Ce qui est sûr, c’est que l’affaire DSK n’aurait pas eu la même valeur si ce procès c’était déroulé en France, cela n’aurait pas du tout été le même spectacle, je pense que certaines choses ne seraient pas du tout ressorties. Dans cette histoire il a été question du fait qu’il soit juif et elle musulmane, alors qu’en fait concrètement, cette affaire, c’est simplement l’accusation d’un homme ayant violé une femme. Point. Et malheureusement ça arrive souvent ! Lorsque nous avons décidé de monter la pièce cela n’avait rien à voir avec l’actualité, David Mamet est un visionnaire, car finalement les faits se sont déroulés un peu de la même manière. En fin de compte, nous nous sommes dit qu’il y avait peut-être des choses dans la pièce, qui pouvaient éclairer ce dont il a été question durant ce procès.
D-N : Parlez-nous de votre rôle … Comment vous êtes-vous inspirée ?
S.M : Suzanne mon personnage est une jeune avocate, comme on dit « stagiaire », elle vient de passer le barreau et a rédigé son mémoire. C’est une jeune femme dont les patrons s`accordent à dire qu’elle est brillante, qui a encore de grands idéaux, et qui a choisi ce cabinet d’avocats parce que c’est un cabinet multiracial, avec un associé blanc l’autre noir. Je pense qu’elle va se laisser désabuser par rapport au métier, elle va se rendre compte que son mentor, Jack (Ivan Attal) est peut-être un peu plus mercenaire, que grand idéaliste ! On remet beaucoup en question dans la pièce cette chose qu’est la discrimination positive… Pour m’inspirer, comme j’ai fait des études de droit je connaissais un peu le jargon… Mais je n’ai pas eu besoin d’aller chercher très loin, il y a des séries référentielles comme « Damages » et une autre qui passe actuellement dont je suis très fan qui s’appelle « The Good Wife », dans toutes ces histoires on découvre comment mener une enquête.
D-N : Souvent, vos rôles à la télévision se rapprochent des séries que vous regardez…
S.M : De fait aussi que souvent à la télévision se sont les séries policières qui cartonnent, maintenant on arrive à être plus original que ça, à faire autre chose, mais ce n’était pas étonnant que je me retrouve femme-flic, et je suis arrivée à un moment où j’avais l’impression de servir de caution !
D-N : On parle toujours de la galère des acteurs noirs en France alors qu’Omar Sy vient d’obtenir le César du meilleur acteur. Que pensez-vous de son succès ?
S.M : C`est compliqué de faire ce métier, ça l`est d`autant plus lorsque ça se voit sur son visage que l`on est noir ! Je serais ingrate de dire que ce n’est pas possible d’y arriver car j`ai toujours travaillé... Je crois que c`est une question de période. J`arrive à un moment où il y a plus opportunités... Nos aînés comme Alex Descas (avec qui je joue en ce moment) ont été nos exemples, là où je ne sais pas si j`aurais eu la force de continuer ce métier, parce qu`il aurait été trop pénible, aujourd`hui, je travaille ! La société change et effectivement, les enfants d’immigrés ont fait des études et bossent ! On en voit partout à des postes importants comme avocats, médecins...ou journalistes ! On peut très bien imaginer que des acteurs noirs puissent jouer ce genre de rôles. Ça change aussi pour les autres ne serait-ce l’exemple d`Omar Sy, ou des filles comme Aïssa Maïga etc... Ça envoie des messages à la jeune génération leur disant : « Oui, c`est possible ! ».
D-N : On a l`impression que l`industrie du cinéma français est un peu frileuse en pensant que le public ne serait pas prêt à voir sur grand écran un premier rôle avec un/une acteur/actrice noir(e)…
S.M : Dans l`industrie du cinéma, ce qui m`est arrivé souvent quand je passais des essais, même si ils étaient concluants, très vite on disait que « si c`est une femme noire peut-être que l`histoire va raconter autre chose... » ou alors « les gens ne vont pas s`identifier ». Et je pense que cette mentalité est la première chose qui empêche les comédiens de couleur d`avoir un métier. Ma réplique est de leur dire que j`ai grandi en regardant Marilyn Monroe, je me suis identifiée à elle ! Pourquoi l`inverse ne peut-il pas être possible ? C`est aussi ce qui est arrivé à Lucien Jean Baptiste lors de « La première étoile ! » Avant la sortie du film les producteurs se demandaient si les gens allaient ou non s`identifier. Deux millions d`entrées plus tard à votre avis, pensez-vous qu`il n`y avait que des Antillais dans la salle ? Et quand bien même, ces deux millions d’entrées, c`est lucratif ! Donc ça vaut le coup de le faire ! Ce sont aussi des frilosités de banquiers, d’investisseurs... Mais eux-mêmes changent ! Il y a aussi une jeune génération de producteurs et de réalisateurs qui ont envie de voir évoluer les choses...
D-N : En tant que femme noire ayant grandi en France, qu`avez-vous pensé de la polémique autour du magazine Elle concernant le papier intitulé « Black Fashion Power » sur le look des femmes noires devenu une « arme politique » depuis l’arrivée au pouvoir du couple Obama ?
S.M : Si j`avais lu l`article, je ne pense pas que j`aurais été choquée malheureusement, comme beaucoup de gens. Parce que ce sont des choses que j`ai l`habitude d`entendre. Je n’accuserais jamais Elle d`être raciste, je ne le pense pas ! Il y a quatre/cinq ans ce genre d`article serait passé sans qu`on le remarque.
Aujourd’hui, il y a une espèce de petite conscience qui fait qu`il faut faire attention à certains mots, certaines pensées, comme on le dit dans la pièce, tout d`un coup de dire : « Chaque chatte chaude est noire » ce n`est pas juste une blague, ça révèle aussi des préjugés.
Maud-Ophélia Béquerel
Crédit photos : Eve HAUDEVILLE
La jeune comédienne native de Faro originaire du Cap-Vert, est actuellement à l`affiche de « Race » de David Mamet, une pièce coup de poing, aux côtés de Thibault De Montalembert, d`Alex Descas et d`Ivan Attal, qui trouve son écho dans l`actualité : en effet, l`histoire se déroule entre les directeurs un cabinet d’avocats multiracial et un richissime homme d’affaires blanc accusé de viol sur une jeune femme noire, dans une chambre d’hôtel new-yorkaise.
Prochainement elle sera le rôle principal d`une série produite par la BBC One « Death in Paradise ». Rencontre avec une boulimique de connaissances, qui trace son chemin, petit à petit.
Diasporas-News : Vous êtes à l’affiche de « Race » une pièce de théâtre écrite en 2006 qui aborde un sujet sensible et d’actualité. Lorsqu’on lit le synopsis de la pièce, on pense forcément à l’affaire DSK. Y voyez-vous quelques similitudes ?
Sara Martins : Le lien le plus fort, c’est comme le dit le personnage d’Henry (Alex Descas) au début de la pièce, quand il s’adresse au client, « ...Aujourd’hui les préjugés ont peu glissé… Il y a quelques temps dans la même situation, pour les mêmes faits, cet homme riche et blanc aurait été disculpé tout de suite... » Alors que maintenant, dans la même situation et pour les mêmes faits il est plus facilement suspecté d’être coupable, parce que il y a la symbolique d’un homme/blanc/riche, avec le pouvoir qu’on imagine derrière, et le sentiment de supériorité… Il y a des choses qui sont des postulats de départ, devenus des préjugés, comme mon personnage le dit « les hommes blancs ont toujours abusé des femmes noires ».
D-N : C’est vrai qu’en France, on n’ose pas trop parler du viol des hommes blancs sur les femmes noires dans l’Histoire. C’est comme si rentrer dans le vif du sujet était tabou….
S.M : Ce qui est sûr, c’est que l’affaire DSK n’aurait pas eu la même valeur si ce procès c’était déroulé en France, cela n’aurait pas du tout été le même spectacle, je pense que certaines choses ne seraient pas du tout ressorties. Dans cette histoire il a été question du fait qu’il soit juif et elle musulmane, alors qu’en fait concrètement, cette affaire, c’est simplement l’accusation d’un homme ayant violé une femme. Point. Et malheureusement ça arrive souvent ! Lorsque nous avons décidé de monter la pièce cela n’avait rien à voir avec l’actualité, David Mamet est un visionnaire, car finalement les faits se sont déroulés un peu de la même manière. En fin de compte, nous nous sommes dit qu’il y avait peut-être des choses dans la pièce, qui pouvaient éclairer ce dont il a été question durant ce procès.
D-N : Parlez-nous de votre rôle … Comment vous êtes-vous inspirée ?
S.M : Suzanne mon personnage est une jeune avocate, comme on dit « stagiaire », elle vient de passer le barreau et a rédigé son mémoire. C’est une jeune femme dont les patrons s`accordent à dire qu’elle est brillante, qui a encore de grands idéaux, et qui a choisi ce cabinet d’avocats parce que c’est un cabinet multiracial, avec un associé blanc l’autre noir. Je pense qu’elle va se laisser désabuser par rapport au métier, elle va se rendre compte que son mentor, Jack (Ivan Attal) est peut-être un peu plus mercenaire, que grand idéaliste ! On remet beaucoup en question dans la pièce cette chose qu’est la discrimination positive… Pour m’inspirer, comme j’ai fait des études de droit je connaissais un peu le jargon… Mais je n’ai pas eu besoin d’aller chercher très loin, il y a des séries référentielles comme « Damages » et une autre qui passe actuellement dont je suis très fan qui s’appelle « The Good Wife », dans toutes ces histoires on découvre comment mener une enquête.
D-N : Souvent, vos rôles à la télévision se rapprochent des séries que vous regardez…
S.M : De fait aussi que souvent à la télévision se sont les séries policières qui cartonnent, maintenant on arrive à être plus original que ça, à faire autre chose, mais ce n’était pas étonnant que je me retrouve femme-flic, et je suis arrivée à un moment où j’avais l’impression de servir de caution !
D-N : On parle toujours de la galère des acteurs noirs en France alors qu’Omar Sy vient d’obtenir le César du meilleur acteur. Que pensez-vous de son succès ?
S.M : C`est compliqué de faire ce métier, ça l`est d`autant plus lorsque ça se voit sur son visage que l`on est noir ! Je serais ingrate de dire que ce n’est pas possible d’y arriver car j`ai toujours travaillé... Je crois que c`est une question de période. J`arrive à un moment où il y a plus opportunités... Nos aînés comme Alex Descas (avec qui je joue en ce moment) ont été nos exemples, là où je ne sais pas si j`aurais eu la force de continuer ce métier, parce qu`il aurait été trop pénible, aujourd`hui, je travaille ! La société change et effectivement, les enfants d’immigrés ont fait des études et bossent ! On en voit partout à des postes importants comme avocats, médecins...ou journalistes ! On peut très bien imaginer que des acteurs noirs puissent jouer ce genre de rôles. Ça change aussi pour les autres ne serait-ce l’exemple d`Omar Sy, ou des filles comme Aïssa Maïga etc... Ça envoie des messages à la jeune génération leur disant : « Oui, c`est possible ! ».
D-N : On a l`impression que l`industrie du cinéma français est un peu frileuse en pensant que le public ne serait pas prêt à voir sur grand écran un premier rôle avec un/une acteur/actrice noir(e)…
S.M : Dans l`industrie du cinéma, ce qui m`est arrivé souvent quand je passais des essais, même si ils étaient concluants, très vite on disait que « si c`est une femme noire peut-être que l`histoire va raconter autre chose... » ou alors « les gens ne vont pas s`identifier ». Et je pense que cette mentalité est la première chose qui empêche les comédiens de couleur d`avoir un métier. Ma réplique est de leur dire que j`ai grandi en regardant Marilyn Monroe, je me suis identifiée à elle ! Pourquoi l`inverse ne peut-il pas être possible ? C`est aussi ce qui est arrivé à Lucien Jean Baptiste lors de « La première étoile ! » Avant la sortie du film les producteurs se demandaient si les gens allaient ou non s`identifier. Deux millions d`entrées plus tard à votre avis, pensez-vous qu`il n`y avait que des Antillais dans la salle ? Et quand bien même, ces deux millions d’entrées, c`est lucratif ! Donc ça vaut le coup de le faire ! Ce sont aussi des frilosités de banquiers, d’investisseurs... Mais eux-mêmes changent ! Il y a aussi une jeune génération de producteurs et de réalisateurs qui ont envie de voir évoluer les choses...
D-N : En tant que femme noire ayant grandi en France, qu`avez-vous pensé de la polémique autour du magazine Elle concernant le papier intitulé « Black Fashion Power » sur le look des femmes noires devenu une « arme politique » depuis l’arrivée au pouvoir du couple Obama ?
S.M : Si j`avais lu l`article, je ne pense pas que j`aurais été choquée malheureusement, comme beaucoup de gens. Parce que ce sont des choses que j`ai l`habitude d`entendre. Je n’accuserais jamais Elle d`être raciste, je ne le pense pas ! Il y a quatre/cinq ans ce genre d`article serait passé sans qu`on le remarque.
Aujourd’hui, il y a une espèce de petite conscience qui fait qu`il faut faire attention à certains mots, certaines pensées, comme on le dit dans la pièce, tout d`un coup de dire : « Chaque chatte chaude est noire » ce n`est pas juste une blague, ça révèle aussi des préjugés.
Maud-Ophélia Béquerel
Crédit photos : Eve HAUDEVILLE