Le tribunal était, hier, le théâtre d’une ambiance électrique, à l’audition publique des dirigeants du Fonds de développement et de promotion des activités des producteurs de café-cacao (Fdpcc). Alors qu’il était fort attendu à la barre, comme ses coéquipiers de ladite structure, Amouzou Henri a d’abord créé le suspense en se portant absent, une heure durant, à l’appel d’usage prononcé par le greffier. Un fait marquant qui a sans doute commencé par planter dans la salle et dans les esprits un décor de doute et d’interrogations sur son audition effective. Etant donné qu’il avait déjà créé un précédent non moins remarqué quant à ses absences volontaires, deux mois durant, aux audiences préliminaires des témoins. Le tribunal a donc procédé, dans cette situation de frilosité, à la comparution du secrétaire exécutif du Fdpcc, Théophile Kouassi, impeccablement sanglé, pour la circonstance, dans un costume demi-saison. Au cours de son audition qui s’est passée dans une atmosphère surchauffée par ses déclarations, il s’est montré très coriace face au juge et au procureur.
Le Fdpcc, une société sans existence juridique ?
"Quelle était la forme juridique du Fdpcc ? Aviez-vous des statuts ?", lui avait demandé le juge Ahmed Coulibaly pour comprendre l’identification légale à laquelle obéissait cette structure. "Monsieur le président, le Fdpcc a été créé sur la base d’un décret que l’ex-président Gbagbo a signé à sa résidence privée et non en Conseil des ministres. Notre structure a trois organes : le conseil de gestion, le secrétariat exécutif et l’assemblée générale composée des 225 délégués départementaux dont les ¾ étaient d’obédience Fpi. Nous avons voulu donner une existence juridique à la structure en tenant une assemblée générale pour adopter des statuts. Nous avons écrit au ministre de tutelle, Dano Djédjé, pour lui demander d’autoriser cela, car le ministre de l’Intérieur ne voulait pas nous délivrer un agrément sans son accord ainsi que celui du ministre de l’Economie et des finances d’alors, Bohoun Bouabré. Mais Dano Djédjé y a fait blocage. Il a dit, le 10 avril 2001, qu’il ne voulait plus jamais entendre parler de cette assemblée générale", a déclaré Théophile Kouassi. Qui a poursuivi : "En 2002 déjà, le président Gbagbo avait ordonné que je sois débarqué de mon poste, parce que, selon lui, je finançais le Pdci avec l’argent du cacao, à cause de ma région d’origine, Daoukro. Le doyen Sassan Kouao était venu me voir pour cela. Les escadrons de la mort ont même fait une descente chez moi. Oui, Gbagbo voulait ma peau, parce qu’il pensait que Amouzou me protégeait en faveur du Pdci".
"Il y avait deux Fdpcc"
"Le Fdpcc était donc, à vous écouter, une entité créée sui generis. Les fonds du Fdpcc étaient-ils alors des fonds publics, privés ou parafiscaux ?" lui avait aussi demandé le juge. La réponse incisive de l’ex-secrétaire exécutif ne s’est pas fait attendre : "Moi, je n’ai pas travaillé pour l’Etat et le Fdpcc n’a jamais géré de fonds publics. Nous n’avons que géré la trésorerie et non des fonds de redevance. Et je vais vous le dire, monsieur le président, il y avait deux Fdpcc : le nôtre que tout le monde connaît, et celui que les deux ministres de tutelle, je veux parler de Bouhoun Bouabré, ministre de l’Economie et des finances, et Dano Djédjé, ministre de l’Agriculture, ont créé. Figurez-vous qu’ils ont leurs signatures sur des comptes séquestres à la Bceao, au titre du Fdpcc, logés à hauteur de 4 milliards F Cfa. Nous sommes allés à la Bceao où l’on nous a répondu que nous ne pouvions avoir le relevé de ces comptes". "Quelles en sont les preuves ?", avait alors réagi le procureur. Mais à la présentation d’une lettre justificative, le procureur s’est dressé : "Le document que vous brandissez n’a aucune valeur. Comment un courrier non daté ni signé de ces ministres peut-il constituer une preuve ?". "Monsieur le président, c’est par principe de prudence que nous n’avons jamais voulu comptabiliser ces comptes, et c’est pour ces choses que nous avons eu tous ces problèmes dans la filière", a répondu le prévenu. "Faites-nous alors une liste exhaustive des comptes qui n’étaient pas sous votre gestion pour que nous puissions faire venir à la barre les banquiers concernés", a coupé le juge.
L’incident de procédure
"A partir de quel critère acceptiez-vous ou refusiez-vous les injonctions des ministres de tutelle, qui consistaient à leur faire des décaissements ?", avait demandé le procureur. Réponse du prévenu : "Franchement, quand c’est trop gros, on ne peut pas accepter. Par exemple, on a payé 500 millions F Cfa au ministre de l’Agriculture pour le recensement des producteurs. On était dans un jeu où les gens avaient le pouvoir de nous influencer". Sur cette réponse qu’il ne trouvait pas satisfaisante, le procureur a fait subir des assauts au prévenu. Ce que la défense a qualifié d’outrancier. "Monsieur le président, jouez votre rôle", avait alors crié Me Yao Emmanuel, quand le procureur répondait, de son côté : "Comme le dit l’adage, les avocats sont à l’image de leurs clients". Des invectives qui ont provoqué une empoignade verbale entre le juge, le procureur et les avocats de la défense. "Si nous souhaitons, monsieur le président, que ce procès aille à son terme, il nous faut y voir de la pédagogie. On ne peut pas accepter que le procureur ait l’avantage du micro pour jeter des insanités sur les prévenus qui s’expliquent à votre barre. Je préviens que si de tels incidents se produisent à nouveau, je demanderai à tous les avocats de sortir de la salle pour que le procureur fasse tout seul ce procès", a vivement réagi le bâtonnier Bilé Aka Joachim. Les auditions ont alors été suspendues pour calmer les esprits.
L’entrée en scène d’Amouzou
Une heure d’horloge, c’est le retard accusé par Amouzou Henri. Qui a fini par faire son entrée en salle, sous des murmures, avec deux grandes valises contenant une impressionnante documentation. Son entrée n’a cependant pas arrêté le cours du procès. Il a plutôt été immédiatement appelé à la barre par le juge, pendant que son secrétaire exécutif continuait de répondre à l’interrogatoire, à la reprise de son audition. "Le ministre Ahmadou Gon Coulibaly nous réclamait 3 F Cfa par kilo de cacao vendu, on ne l’a pas fait, parce que cela représentait 4,2 milliards F Cfa pour l’ensemble des 1,200 million de tonnes produites. C’était trop, il s’est fâché avec nous en disant qu’il ne pouvait plus nous faire confiance. C’est malheureux que la filière ait été l’instrument de tous les pouvoirs publics", s’est-il offusqué. L’audition d’Amouzou a, par la suite, été faite au moment où l’on s’acheminait pratiquement vers la fin du temps imparti. Ce sont sur ses déclarations préliminaires que le juge a suspendu la séance, "à cause des signes de fatigue généralisée". "J’ai noté, monsieur le président, que les ¾ des faits déclarés ici ne correspondent pas vraiment à la réalité. Toutes les structures sont intervenues dans le cadre de la libéralisation de la filière café-cacao. Ce procès est la résultante de tout ce qu’on n’a pas compris dans la libéralisation. Je me suis investi dans cette filière, c’est pour cela que je suis venu avec tous ces documents que voici", a déclaré Amouzou. Qui sera réellement interrogé le lundi prochain.
SYLVAIN TAKOUE
Le Fdpcc, une société sans existence juridique ?
"Quelle était la forme juridique du Fdpcc ? Aviez-vous des statuts ?", lui avait demandé le juge Ahmed Coulibaly pour comprendre l’identification légale à laquelle obéissait cette structure. "Monsieur le président, le Fdpcc a été créé sur la base d’un décret que l’ex-président Gbagbo a signé à sa résidence privée et non en Conseil des ministres. Notre structure a trois organes : le conseil de gestion, le secrétariat exécutif et l’assemblée générale composée des 225 délégués départementaux dont les ¾ étaient d’obédience Fpi. Nous avons voulu donner une existence juridique à la structure en tenant une assemblée générale pour adopter des statuts. Nous avons écrit au ministre de tutelle, Dano Djédjé, pour lui demander d’autoriser cela, car le ministre de l’Intérieur ne voulait pas nous délivrer un agrément sans son accord ainsi que celui du ministre de l’Economie et des finances d’alors, Bohoun Bouabré. Mais Dano Djédjé y a fait blocage. Il a dit, le 10 avril 2001, qu’il ne voulait plus jamais entendre parler de cette assemblée générale", a déclaré Théophile Kouassi. Qui a poursuivi : "En 2002 déjà, le président Gbagbo avait ordonné que je sois débarqué de mon poste, parce que, selon lui, je finançais le Pdci avec l’argent du cacao, à cause de ma région d’origine, Daoukro. Le doyen Sassan Kouao était venu me voir pour cela. Les escadrons de la mort ont même fait une descente chez moi. Oui, Gbagbo voulait ma peau, parce qu’il pensait que Amouzou me protégeait en faveur du Pdci".
"Il y avait deux Fdpcc"
"Le Fdpcc était donc, à vous écouter, une entité créée sui generis. Les fonds du Fdpcc étaient-ils alors des fonds publics, privés ou parafiscaux ?" lui avait aussi demandé le juge. La réponse incisive de l’ex-secrétaire exécutif ne s’est pas fait attendre : "Moi, je n’ai pas travaillé pour l’Etat et le Fdpcc n’a jamais géré de fonds publics. Nous n’avons que géré la trésorerie et non des fonds de redevance. Et je vais vous le dire, monsieur le président, il y avait deux Fdpcc : le nôtre que tout le monde connaît, et celui que les deux ministres de tutelle, je veux parler de Bouhoun Bouabré, ministre de l’Economie et des finances, et Dano Djédjé, ministre de l’Agriculture, ont créé. Figurez-vous qu’ils ont leurs signatures sur des comptes séquestres à la Bceao, au titre du Fdpcc, logés à hauteur de 4 milliards F Cfa. Nous sommes allés à la Bceao où l’on nous a répondu que nous ne pouvions avoir le relevé de ces comptes". "Quelles en sont les preuves ?", avait alors réagi le procureur. Mais à la présentation d’une lettre justificative, le procureur s’est dressé : "Le document que vous brandissez n’a aucune valeur. Comment un courrier non daté ni signé de ces ministres peut-il constituer une preuve ?". "Monsieur le président, c’est par principe de prudence que nous n’avons jamais voulu comptabiliser ces comptes, et c’est pour ces choses que nous avons eu tous ces problèmes dans la filière", a répondu le prévenu. "Faites-nous alors une liste exhaustive des comptes qui n’étaient pas sous votre gestion pour que nous puissions faire venir à la barre les banquiers concernés", a coupé le juge.
L’incident de procédure
"A partir de quel critère acceptiez-vous ou refusiez-vous les injonctions des ministres de tutelle, qui consistaient à leur faire des décaissements ?", avait demandé le procureur. Réponse du prévenu : "Franchement, quand c’est trop gros, on ne peut pas accepter. Par exemple, on a payé 500 millions F Cfa au ministre de l’Agriculture pour le recensement des producteurs. On était dans un jeu où les gens avaient le pouvoir de nous influencer". Sur cette réponse qu’il ne trouvait pas satisfaisante, le procureur a fait subir des assauts au prévenu. Ce que la défense a qualifié d’outrancier. "Monsieur le président, jouez votre rôle", avait alors crié Me Yao Emmanuel, quand le procureur répondait, de son côté : "Comme le dit l’adage, les avocats sont à l’image de leurs clients". Des invectives qui ont provoqué une empoignade verbale entre le juge, le procureur et les avocats de la défense. "Si nous souhaitons, monsieur le président, que ce procès aille à son terme, il nous faut y voir de la pédagogie. On ne peut pas accepter que le procureur ait l’avantage du micro pour jeter des insanités sur les prévenus qui s’expliquent à votre barre. Je préviens que si de tels incidents se produisent à nouveau, je demanderai à tous les avocats de sortir de la salle pour que le procureur fasse tout seul ce procès", a vivement réagi le bâtonnier Bilé Aka Joachim. Les auditions ont alors été suspendues pour calmer les esprits.
L’entrée en scène d’Amouzou
Une heure d’horloge, c’est le retard accusé par Amouzou Henri. Qui a fini par faire son entrée en salle, sous des murmures, avec deux grandes valises contenant une impressionnante documentation. Son entrée n’a cependant pas arrêté le cours du procès. Il a plutôt été immédiatement appelé à la barre par le juge, pendant que son secrétaire exécutif continuait de répondre à l’interrogatoire, à la reprise de son audition. "Le ministre Ahmadou Gon Coulibaly nous réclamait 3 F Cfa par kilo de cacao vendu, on ne l’a pas fait, parce que cela représentait 4,2 milliards F Cfa pour l’ensemble des 1,200 million de tonnes produites. C’était trop, il s’est fâché avec nous en disant qu’il ne pouvait plus nous faire confiance. C’est malheureux que la filière ait été l’instrument de tous les pouvoirs publics", s’est-il offusqué. L’audition d’Amouzou a, par la suite, été faite au moment où l’on s’acheminait pratiquement vers la fin du temps imparti. Ce sont sur ses déclarations préliminaires que le juge a suspendu la séance, "à cause des signes de fatigue généralisée". "J’ai noté, monsieur le président, que les ¾ des faits déclarés ici ne correspondent pas vraiment à la réalité. Toutes les structures sont intervenues dans le cadre de la libéralisation de la filière café-cacao. Ce procès est la résultante de tout ce qu’on n’a pas compris dans la libéralisation. Je me suis investi dans cette filière, c’est pour cela que je suis venu avec tous ces documents que voici", a déclaré Amouzou. Qui sera réellement interrogé le lundi prochain.
SYLVAIN TAKOUE