Le grand déballage a commencé avec le procès des dirigeants de la filière café-cacao. Lundi, premier jour d’audition des prévenus, étaient à la barre, Placide Zoungrana (Pca), Didier Gbogou (Directeur exécutif) et Coffi Agbalessi (Daaf), tous de l’Arcc (Autorité de régulation et de contrôle du café). Sans porter de gants, Didier Gbogou a révélé que le président Gbagbo avait autorisé à la vente à l’exportation, 800 000 tonnes de café hors norme. Du café interdit à la commercialisation par l’Organisation internationale du café car de moindre qualité. L’ordre venu de la présidence de la république avait permis au régime Gbagbo d’engranger 600 millions de Fcfa en 2003. « Nous avons régulièrement rendu compte aux autorités jusqu’à la plus haute, c’est-à-dire, le président de la République », avait indiqué Didier Gbogou. Le DG de l’Arcc était payé à 7 millions de Fcfa, bénéficiait d’un bonus de 21 millions Fcfa chaque fin d’année. Le Pca lui, touchait 4,3 millions de Fcfa. Il était prévu 1,4 million de Fcfa/mois après des réunions du Conseil d’administration. Le lendemain, l’assistance a eu droit à des révélations de Tapé Do et Firmin Kouakou, respectivement Pca de la Bcc et Directeur général du Frc (Fonds de régulation et de contrôle). Tapé Do a souligné que de nombreux décaissements l’ont été au profit du gouvernement Gbagbo. En prime, une ligne ‘‘appui institutionnel’’ au Gouvernement de Gbagbo. Quant à Firmin Kouakou (DG du Frc), il a révélé qu’en 2002, le Frc a décaissé 10 milliards de FCFA pour l’effort de paix. Ce qui a contribué à l’achat de Kalachnikovs, Mi-24, paie de soldats, etc. 10 autres milliards ont été décaissés pour soutenir la Cecp, structure dirigée à l’époque par un proche de Gbagbo. Le financement de l’usine Fulton n’a pas encore été évoqué. La rubrique ‘‘appui institutionnel’’ qui existait au niveau du budget des structures servait à soutenir l’action gouvernementale sur ordre de la présidence. Le mercredi dernier, ce sont Théophile Kouassi (Directeur exécutif) et Henri Amouzou (Président du Conseil de gestion) du Fdpcc qui ont enfoncé le clou. Révélant que de grosses sommes ont pris la route de la présidence. Les ex-ministres Bohoun Bouabré et Dano Djédjé ont même fait transférer 4 milliards de FCFA, du compte séquestre de la Bceao à la Bni. A cela il faut ajouter le décaissement par le Fdpcc, de 2 milliards de FCFA pour les producteurs de l’ouest, une contribution de 30 millions de Fcfa pour les obsèques du père de Affi N’Guessan. Aujourd’hui, le constat est clair après ces trois jours d’audience. La filière n’a jamais appartenu aux producteurs de café-cacao comme l’ancien régime tendait à le faire croire. « Moi, une fois que j’ai mon Dus (Droit unique de sortie), ce n’est plus mon problème », disait l’ancien président ivoirien. Ces auditions viennent battre en brèche ces allégations puisqu’une ligne budgétaire existait au sein des structures de la filière pour le régime Gbagbo. Menaces, avertissements, tout y passait. Et l’on n’hésitait pas à actionner les Escadrons de la mort comme l’a souligné Théophile Kouassi ou à se faire séquestrer. En réalité, Gbagbo avait toujours une mainmise sur cette filière café-cacao. Le Fdpcc, était devenue une coquille vide à partir de 2004. Cette libéralisation de façade profitait plus au régime Gbagbo qu’aux producteurs qui tiraient le diable par la queue. Le peu d’argent qu’ils percevaient prenaient directement la route de la présidence. Ce qui est grave car les mécanismes comme les taxes et les redevances existaient déjà pour soutenir l’Etat. Pourquoi alors créer une ligne ‘‘appui institutionnel’’ quand des voies officielles existaient pour soulager les caisses de l’Etat de Côte d’Ivoire ! Le régime Gbagbo, sans risque de se tromper a profité de la liberté que procure la libéralisation pour s’enrichir sur le dos déjà voûté des producteurs. Contribuant ainsi, par le biais de ces différentes sollicitations, à la paupérisation des paysans qui font vivre ce pays. C’est donc une coterie qui jouissait de la sueur de ces producteurs qui ne savaient pas où allaient véritablement leur argent. En tout cas, l’ex-président ivoirien ne pouvait pas ne pas dire qu’il ne savait pas ce qui se passait. Il ne pouvait pas ne pas dire qu’il n’était pas au courant de ce qui se passait car il avait créé des organes rattachés à lui (présidence). Le Comité de pilotage dirigé par Aubert Zohoré, qui était son Directeur de cabinet adjoint à la présidence, ensuite le comité de la reforme qui était sous la responsabilité de Geraldine Odehouri, sa conseillère juridique. La filière café-cacao, au vu des témoignages des prévenus était donc devenue la vache à lait du régime Gbagbo. Des personnes qui n’étaient même pas des producteurs se sont abreuvées à la mamelle nourricière (café-cacao) de la Côte d’Ivoire sans lui apporter en retour, reconnaissance. Qui ne se souvient pas de cette fameuse phrase prononcée par Gbagbo avant 2000. « Donnez-moi la filière pour que je vous la donne », disait-il en en campagne. Les producteurs l’ont fait mais en retour ils ont été payés en monnaie de singe puisque la filière ne leur est jamais revenue ou du moins, leur est revenue mais sans sève. Et si la Banque mondiale a demandé de reformer la reforme, la libéralisation, c’est parce qu’elle sait ce qu’ont vécu les producteurs sous l’ère Gbagbo. On évoque plusieurs dizaines de milliards de francs cfa engloutis par les refondateurs. La Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial de cacao avec respectivement près de 40% de l’offre mondiale qui correspond en moyenne à 1,2 millions de tonnes. Il contribue a au moins 10% au Produit intérieur brut.
Jean Eric ADINGRA
Jean Eric ADINGRA