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Art et Culture Publié le lundi 9 juillet 2012 | Scrib Mag

Le 20 mars 2012, un des plus grands de la littérature ivoirienne et du monde des arts disparaissait brutalement.

« Ni or, ni château, l’âme chargée des souillures de mon corps. Je pars, hélas, l’âme chargée des souillures de mon corps. » Les quatrains du dégoût.
Depuis plus de trente ans, poète et dramaturge à l’immense talent, au cerveau fertile et fécond, Bernard Botey Zadi Zaourou tenait en haleine le monde littéraire par son merveilleux style littéraire, ses œuvres et ses créations théâtrales. Il avait investi la scène ivoirienne en mettant en scène la réalité politique et sociale de son pays. En observateur averti, rien ne lui échappait, et ses « Chroniques des temps qui tanguent » in Fraternité matin, étaient attendues par ses fidèles lecteurs et même par ses détracteurs qui lui reprochaient son style trop hermétique. La maladie mettra fin aux chroniques mais pas à la détermination de l’artiste qui rebondissait dès que les Parques desserraient leur étau. Depuis quelques années, il nous avait habitués à ses fréquents séjours hospitaliers. Cependant, nous avions fini par nous faire à ces frayeurs. Il revenait toujours plus alerte et plus créatif que jamais, la tête fourmillant de projets.
Nous étions nombreux à l’appeler Maître car tous ceux qui ont fréquenté la faculté de Lettres Modernes à l’Université d’Abidjan, en ses temps de gloire, avaient eu le plaisir, et pour nous, ses fidèles parmi les fidèles, le grand bonheur de l’avoir eu comme enseignant.
Nous étions subjugués par sa verve et sa fougue qui nous emportaient chaque fois, sur les ailes de la pensée créative africaine et sur les traces de tous les penseurs et écrivains africains de par le monde, mais aussi et surtout sur celles des combattants pour la cause noire et la lutte pour la réhabilitation de la race noire. « A toi, ma fille, » disait-il, dans une dédicace, « Pour tout notre passé de lutte et de ferveur. » Nous avions bien entendu, en horreur la colonisation et le pillage éhonté des richesses de notre continent.
Nous frottions alors notre silex sur la dure pierre du Néo colonialisme, espérant ainsi produire des étincelles suffisamment puissantes pour brûler les mentalités qui entretenaient l’esclavage des noirs, le mépris du noir, les héritiers de Gobineau et la condescendance de tous oppresseurs de la race noire.
Ce qui lui fait dire dans les quatrains du dégoût, bien des années plus tard, en 2001, publié en 2008, « Pour saluer les clandos »
« Nous gagnerons à la nage, à pies, à dos d’âne,
Toutes les places de la vieille Europe et les vastes steppes des States
Nous envahirons leurs paradis, chaque bourg, hameau, chaque arpent de terre
Car il faudra bien qu’un jour, ils moissonnent les pleurs et les malheurs qu’ils ont semé. »
Nous voguions aussi sur les ailes du temps, à la recherche de notre identité volée et principalement, de toutes les traces de la civilisation de l’antique Egypte nous restituant ainsi notre dignité et notre honneur de nègres.
Ce fut une période bénie que les années 70 ! Nous étions définitivement conquis par le charme irrésistible de la créativité nègre. Aujourd’hui encore, je ne peux évoquer ces merveilleuses années sans être empreinte d’une nostalgie rêveuse.
En ces temps-là, la Côte d’Ivoire vivait au rythme des débats télévisés animés par les intellectuels ivoiriens. Leurs contradictions, leurs joutes et leurs colères homériques nous tenaient en haleine et dans les salons, tout le monde s’essayait à la doxa.
A cette époque, nous étions fiers de notre africanité et autant que faire se peut, nous nous engagions, dans tous les cercles et groupes nous permettant d’entretenir la flamme de la connaissance de notre culture nègre et bien entendu d’allumer le feu de la liberté contre tous ceux, y compris, nos gouvernants, « Les valets de l’impérialisme » qui acceptaient d’opprimer leur peuple pour plaire et complaire au colonisateur.
Nous rêvions de liberté ! Oui, de liberté et nous brûlions d’envie d’en découdre avec tous les oppresseurs.
L’Afrique était une, et ses limites géographiques nous paraissaient si étroites que n’avions qu’un but c’était de nous fondre dans la grande Afrique, immatérielle, cette fois, puisqu’elle allait aux caraïbes et fonçait tout droit sur l’Amérique avant d’ondoyer vers le continent européen où nous faisions la jonction avec tous ceux qui chantaient ou écrivaient leur émotion nègre, acceptant ainsi de nous nourrir directement aux sources de notre âme collective.
Nous ne perdions jamais une occasion de nous réclamer de « cette Afrique-là ». Bien au contraire, nous vibrions au rythme des combats de la Négritude qui pourtant nous paraissait bien tièdes tant notre exaltation nous conduisait vers l’extrême. C’est dire que notre langage était celui de la lutte pour la justice et le combat, pour la reconnaissance de nos droits.
Devenus enseignants à notre tour, ou journalistes, avocats ou juristes pour la plupart, nous rêvions à haute voix d’une société humaine égalitaire et progressiste. Nous étions tenus en haleine par tous les combats pour la dignité du peuple noir à travers le monde, et les combattants pour la cause étaient nos héros. Nos cœurs battaient alors à l’unisson de ceux de SOWETO et de Mandela, et nous rejetions en bloc tout ce qui nous éloignait de notre cause : la dignité de l’homme noir
C’est dire que les différents « ennuis » politiques de l’enseignant, de l’écrivain Bernard Zadi Zaourou, nous les vivions en parfaite symbiose. De plus, il avait ma ferveur car son discours féministe me ravissait. Dans les années 80, « La guerre des femmes » renforça mon admiration de cet écrivain éclectique qui menait avec talent et brio tout ce qu’il entreprenait. Dans le milieu artistique et théâtral, nous lui devions des mises en scène et des discours atypiques et audacieux.
Avec l’irruption du multipartisme en Côte d’Ivoire, dans les années 90, à l’instar de beaucoup d’intellectuels ivoiriens, il avait fait le choix de la politique avec moins de bonheur, certes, mais peut-on lui en vouloir ? Il aurait fallu pour cela, faire le procès de toute la société et de tous les intellectuels qui naïvement, ont cru qu’on entrait en politique comme on entrait en religion, avec une âme d’enfant et des rêves plein la tête.
Vint aussi le moment du désamour pour le fameux peuple pour lequel on était prêt au sacrifice suprême. « L’homme est un et (que), de toutes façon, il n’y a rien de bon dans le cœur de l’homme qui n’est lourd que des bassesses infinies par lesquelles il finit de vous dégoûter et pire, par vous dégoûter de la vie elle-même. »
La « réal politique » avec ses laideurs laissent immanquablement un goût très amer sur le palais des personnes distraites et utopistes comme Bernard Zadi. Et tous ceux qui s’y sont fourvoyés conviendront que dans le parcours très chaotique du chemin politique, le défaut de vigilance et l’emballement aboutissent à des souffrances dont on se remet difficilement. L’enfer est pavé de bonnes intentions, nous dit-on, et sans préjuger, Bernard Zadi a dû l’éprouver plus d’une fois.
Les zébrures de son âme, ses peines de petit garçon malheureux et ses immenses déceptions sont consignées d’abord dans les « Chroniques des temps qui tanguent » et dans son recueil de poésie paru en 2008, « Les quatrains du dégoût » où le poète se livre tout entier. Le testament de Bernard est immense ! Ses chants pour la vie alternent avec son dégoût de la vie.
Cependant, il faut se souvenir du sybarite, de l’homme qui croyait par-dessus tout en la vie elle-même, de ses joies et de ses rires communicatifs mais aussi et surtout de la beauté et de la succulence de son parler. Les Lettres et les beaux Arts viennent de perdre un de leurs plus beaux fleurons.
« Et pourtant, cher ami, belle amie, l’on ne peut ni ne doit désespérer de la vie parce qu’à tout prendre – eh oui ! – elle vaut la peine d’être vécue. »
Josette Abondio
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