L’un des fleurons des établissements sanitaires publics d’Abidjan, le Centre Hospitalier et Universitaire (CHU) de Yopougon est le seul à disposer des services médicaux uniques. Mais au-delà de cette spécificité enviable, nous y avons exploré les services de proximité comme la maternité et les salles d’hospitalisation où les prestations laissent encore à désirer. Constat.
Lundi 18 juin 2012. Il est 9h. Le long couloir du bâtiment D du CHU de Yopougon, débouchant sur le centre de traitement ambulatoire pédiatrique, est happé par une cohorte de femmes enceintes qui attendent d’être consultées. L’attente est longue, très longue même pour certaines qui n’ont pas de places assises et qui sont obligées de rester debout des heures durant. En attente d’être prises en charge par une sage –femme. Ces moments de doute, d’intimité et d’humanité se jouent devant le service gynéco-obstétrique où nous avons partagé le poids des angoisses et des malaises qui se dessinaient du visage et des regards des femmes enceintes. « Qu’est-ce qu’elles font dedans depuis des heures et ne s’occupent pas de nous», se parle à elle-même, Mme Bokoin, visiblement exténuée par l’attente mais aussi et surtout par le poids du ventre qu’elle porte. Elle est assise à cet endroit -là, depuis 7h30 mn et, a vu se relayer à l’intérieur plusieurs femmes venues après elle. Sans comprendre pourquoi. L’aventure de la vie, de la naissance est rendue pénible ici par l’accueil même avant l’inévitable douleur de l’enfantement.
Au bout du couloir, parmi les femmes enceintes massées, l’une d’entre elles se tord de douleurs. Nous nous approchons d’elle, sans rien pouvoir y faire pour soulager son mal. Au bout d’une trentaine de minutes de souffrance sans assistance, elle sera autorisée à entrer dans la salle par une sage-femme. Celle-ci reviendra quelques minutes plus tard donner aux femmes quelques assurances. «N’ayez pas l’impression qu’on ne s’occupe pas de vous. On est-là pour vous mais comme vous être nombreuses, c’est pourquoi ça va doucement», lance d’une voix audible, la sage-femme. Comme explication au surnombre de patientes dont le service de gynéco-obstétrique doit faire face, elle évoque la fermeture de la PMI (Protection Maternelle Infantile) de Yopougon. «Comme la PMI est fermée, toutes les femmes viennent ici. Celle que je viens de faire rentrer n’a pas une bonne tension. Il n’y a pas de place dedans mais on doit s’occuper d’elle sur le champ», rassure t- elle. Mais les assurances de la bonne dame n’atténuent guère les malaises ressentis par les unes et les autres. Le couloir reste bruyant. Une femme enceinte s’avance et tente d’obliger une jeune fille assise à lui céder sa place. «Vous n’êtes pas enceinte vous. Si vous êtes juste là pour accompagner une sœur, vous devriez me laisser m’asseoir un peu», sollicite t- elle avec insistance. Sa requête est défendue par la sage-femme qui demande à toutes les accompagnatrices de bien vouloir permettre aux femmes qui attendent un enfant de s’asseoir.
Des hospitalisés abandonnés à leur sort
Martine, se lève et longe le couloir qui donne sur les services de réanimation, des urgences, de la radiologie, et du bloc opératoire. Elle s’arrête au niveau de la pharmacie. Les yeux rougis et le visage absent de tout sourire. Nous l’abordons avec « un bonjour Madame, vous avez l’air fatigué ! », et Martine, mise ainsi en confiance, n’hésite pas à nous expliquer les angoisses qui étaient les siennes ce matin-là. «J’ai accompagné ma sœur ici depuis quatre jours. Elle était en travail mais elle n’accouche toujours pas. Je ne sais pas si c’est normal mais comme on la garde ici. Je suis obligée d’être à côté au cas où on a besoin de moi», raconte t- elle. En quatre jours, elle avait payé pour 20 000 FCFA de médicaments dans une pharmacie en dehors de l’hôpital. « Les médicaments que les sages-femmes ont prescrits n’étaient pas disponibles dans la pharmacie du CHU», précise t- elle. Au CHU de Yopougon, la gratuité ciblée des médicaments en faveur des femmes enceintes est une réalité balafrée, comme dans bien d’autres établissements sanitaires où la disponibilité d’une certaine classe de médicaments pose problème. Avec Martine, nous parcourons l’ensemble des services du bloc réservé au couple mère-enfant. Elle avait besoin de se dégourdir les jambes et nous, nous avions besoin d’observer. Nous passons en revue la pédiatrie médicale, le service de néonatologie et de chirurgie pédiatrique. Là aussi, ils étaient nombreux aux environs de 10 h, ce lundi, les femmes qui attendaient avec leurs enfants, des nouveaux nés pour la plupart, d’être reçues par des médecins « nonchalants ». « Le service est très lent. On vient très tôt pour pouvoir retourner vite à la maison s’occuper des tâches ménagères mais c’est parfois de longues heures d’attente», se plaint une dame, l’air nerveux. Mais, cette situation semble de bien loin meilleure, à celle des femmes en instance d’accouchement ou d’être césarisées, car c’est à même le sol qu’elles passent souvent l’attente, faute de place. «Nous n’avons pas assez de box, ni de matelas pour accueillir un grand nombre de femmes. Elles sont donc obligées d’attendre dans ces conditions », avoue une sage-femme qui a requis l’anonymat. « Ce sont des scènes qui peuvent choquer les visiteurs mais on n’a pas d’autres choix », poursuit-elle. Selon cette dernière, la veille, entre 18 h et 21 h, c’était une quarantaine de femmes qui avaient déjà accouché dans ce service dont quinze ont été césarisées. Toutes y ont vécu les mêmes misères, à la limite de l’humiliation. La devanture du Service Gynéco-obstétrique sert la nuit de dortoir aux accompagnatrices des femmes enceintes. On se croirait dans un camp de réfugiés la nuit. Pourtant, juste au 2ème étage, au-dessus de ce service, le bureau du Pr N’Dri Yoman, actuelle ministre de la Santé et de La lutte contre le Sida, reste fermé et préservé. On peut donc dire qu’elle n’a jamais réellement quitté cet hôpital pour que ses réalités lui échappent.
L’autre talon d’Achille du Centre hospitalier universitaire de Yopougon, c’est la surveillance médicale des malades hospitalisés. Des parents des malades se plaignent constamment de ce que les patients, parfois secoués de spasmes en pleine nuit ne soient pas promptement assistés. Ces cas surviennent généralement les nuits, mettant à nu une mauvaise garde des malades surtout au service de médecine. Une semaine avant, nous étions aux 1er et au 2ème étage où nous nous sommes familiarisés le temps des horaires de visite avec quelques malades. Là, des parents de malades nous ont confié que certains médecins monnaient leurs services les nuits. « Tant que vous ne leur donnez pas quelque chose, ils ne s’occupent pas de votre malade. C’est quand le malade est mourant qu’ils interviennent », dénonce Kobenan Achile, qui garde un mauvais souvenir de cet hôpital public. Sous nos yeux cette nuit-là, deux malades passés de vie à trépas, ont été enlevés à l’aide de lits mortuaires à roulettes à grand bruit. « Les morts, c’est tous les jours qu’on enlève ici en service de médecine », nous dit-on. Le service des urgences n’en est pas moins reluisant. Car, on y trouve souvent des malades abandonnés à même le sol.
Toutefois, s’il est vrai que cet établissement public à caractère industriel et commercial crée par le décret n°89-341 du 5 Avril 1989 est un pôle de référence en matière des services spécifiques uniques (neurologie, néphrologie, médecine physique et de réadaptions, Unité de prise en charge médicale des enfants infectés du VIH SIDA), il n’en demeure pas moins que le CHU de Yopougon fait aussi le lit d’un mauvais accueil des malades, voire de petits rackets.
Réalisé par Alexandre Lebel Ilboudo
Lundi 18 juin 2012. Il est 9h. Le long couloir du bâtiment D du CHU de Yopougon, débouchant sur le centre de traitement ambulatoire pédiatrique, est happé par une cohorte de femmes enceintes qui attendent d’être consultées. L’attente est longue, très longue même pour certaines qui n’ont pas de places assises et qui sont obligées de rester debout des heures durant. En attente d’être prises en charge par une sage –femme. Ces moments de doute, d’intimité et d’humanité se jouent devant le service gynéco-obstétrique où nous avons partagé le poids des angoisses et des malaises qui se dessinaient du visage et des regards des femmes enceintes. « Qu’est-ce qu’elles font dedans depuis des heures et ne s’occupent pas de nous», se parle à elle-même, Mme Bokoin, visiblement exténuée par l’attente mais aussi et surtout par le poids du ventre qu’elle porte. Elle est assise à cet endroit -là, depuis 7h30 mn et, a vu se relayer à l’intérieur plusieurs femmes venues après elle. Sans comprendre pourquoi. L’aventure de la vie, de la naissance est rendue pénible ici par l’accueil même avant l’inévitable douleur de l’enfantement.
Au bout du couloir, parmi les femmes enceintes massées, l’une d’entre elles se tord de douleurs. Nous nous approchons d’elle, sans rien pouvoir y faire pour soulager son mal. Au bout d’une trentaine de minutes de souffrance sans assistance, elle sera autorisée à entrer dans la salle par une sage-femme. Celle-ci reviendra quelques minutes plus tard donner aux femmes quelques assurances. «N’ayez pas l’impression qu’on ne s’occupe pas de vous. On est-là pour vous mais comme vous être nombreuses, c’est pourquoi ça va doucement», lance d’une voix audible, la sage-femme. Comme explication au surnombre de patientes dont le service de gynéco-obstétrique doit faire face, elle évoque la fermeture de la PMI (Protection Maternelle Infantile) de Yopougon. «Comme la PMI est fermée, toutes les femmes viennent ici. Celle que je viens de faire rentrer n’a pas une bonne tension. Il n’y a pas de place dedans mais on doit s’occuper d’elle sur le champ», rassure t- elle. Mais les assurances de la bonne dame n’atténuent guère les malaises ressentis par les unes et les autres. Le couloir reste bruyant. Une femme enceinte s’avance et tente d’obliger une jeune fille assise à lui céder sa place. «Vous n’êtes pas enceinte vous. Si vous êtes juste là pour accompagner une sœur, vous devriez me laisser m’asseoir un peu», sollicite t- elle avec insistance. Sa requête est défendue par la sage-femme qui demande à toutes les accompagnatrices de bien vouloir permettre aux femmes qui attendent un enfant de s’asseoir.
Des hospitalisés abandonnés à leur sort
Martine, se lève et longe le couloir qui donne sur les services de réanimation, des urgences, de la radiologie, et du bloc opératoire. Elle s’arrête au niveau de la pharmacie. Les yeux rougis et le visage absent de tout sourire. Nous l’abordons avec « un bonjour Madame, vous avez l’air fatigué ! », et Martine, mise ainsi en confiance, n’hésite pas à nous expliquer les angoisses qui étaient les siennes ce matin-là. «J’ai accompagné ma sœur ici depuis quatre jours. Elle était en travail mais elle n’accouche toujours pas. Je ne sais pas si c’est normal mais comme on la garde ici. Je suis obligée d’être à côté au cas où on a besoin de moi», raconte t- elle. En quatre jours, elle avait payé pour 20 000 FCFA de médicaments dans une pharmacie en dehors de l’hôpital. « Les médicaments que les sages-femmes ont prescrits n’étaient pas disponibles dans la pharmacie du CHU», précise t- elle. Au CHU de Yopougon, la gratuité ciblée des médicaments en faveur des femmes enceintes est une réalité balafrée, comme dans bien d’autres établissements sanitaires où la disponibilité d’une certaine classe de médicaments pose problème. Avec Martine, nous parcourons l’ensemble des services du bloc réservé au couple mère-enfant. Elle avait besoin de se dégourdir les jambes et nous, nous avions besoin d’observer. Nous passons en revue la pédiatrie médicale, le service de néonatologie et de chirurgie pédiatrique. Là aussi, ils étaient nombreux aux environs de 10 h, ce lundi, les femmes qui attendaient avec leurs enfants, des nouveaux nés pour la plupart, d’être reçues par des médecins « nonchalants ». « Le service est très lent. On vient très tôt pour pouvoir retourner vite à la maison s’occuper des tâches ménagères mais c’est parfois de longues heures d’attente», se plaint une dame, l’air nerveux. Mais, cette situation semble de bien loin meilleure, à celle des femmes en instance d’accouchement ou d’être césarisées, car c’est à même le sol qu’elles passent souvent l’attente, faute de place. «Nous n’avons pas assez de box, ni de matelas pour accueillir un grand nombre de femmes. Elles sont donc obligées d’attendre dans ces conditions », avoue une sage-femme qui a requis l’anonymat. « Ce sont des scènes qui peuvent choquer les visiteurs mais on n’a pas d’autres choix », poursuit-elle. Selon cette dernière, la veille, entre 18 h et 21 h, c’était une quarantaine de femmes qui avaient déjà accouché dans ce service dont quinze ont été césarisées. Toutes y ont vécu les mêmes misères, à la limite de l’humiliation. La devanture du Service Gynéco-obstétrique sert la nuit de dortoir aux accompagnatrices des femmes enceintes. On se croirait dans un camp de réfugiés la nuit. Pourtant, juste au 2ème étage, au-dessus de ce service, le bureau du Pr N’Dri Yoman, actuelle ministre de la Santé et de La lutte contre le Sida, reste fermé et préservé. On peut donc dire qu’elle n’a jamais réellement quitté cet hôpital pour que ses réalités lui échappent.
L’autre talon d’Achille du Centre hospitalier universitaire de Yopougon, c’est la surveillance médicale des malades hospitalisés. Des parents des malades se plaignent constamment de ce que les patients, parfois secoués de spasmes en pleine nuit ne soient pas promptement assistés. Ces cas surviennent généralement les nuits, mettant à nu une mauvaise garde des malades surtout au service de médecine. Une semaine avant, nous étions aux 1er et au 2ème étage où nous nous sommes familiarisés le temps des horaires de visite avec quelques malades. Là, des parents de malades nous ont confié que certains médecins monnaient leurs services les nuits. « Tant que vous ne leur donnez pas quelque chose, ils ne s’occupent pas de votre malade. C’est quand le malade est mourant qu’ils interviennent », dénonce Kobenan Achile, qui garde un mauvais souvenir de cet hôpital public. Sous nos yeux cette nuit-là, deux malades passés de vie à trépas, ont été enlevés à l’aide de lits mortuaires à roulettes à grand bruit. « Les morts, c’est tous les jours qu’on enlève ici en service de médecine », nous dit-on. Le service des urgences n’en est pas moins reluisant. Car, on y trouve souvent des malades abandonnés à même le sol.
Toutefois, s’il est vrai que cet établissement public à caractère industriel et commercial crée par le décret n°89-341 du 5 Avril 1989 est un pôle de référence en matière des services spécifiques uniques (neurologie, néphrologie, médecine physique et de réadaptions, Unité de prise en charge médicale des enfants infectés du VIH SIDA), il n’en demeure pas moins que le CHU de Yopougon fait aussi le lit d’un mauvais accueil des malades, voire de petits rackets.
Réalisé par Alexandre Lebel Ilboudo