Après quatre ans en école de commerce ponctués de stages de longue durée dans des galeries et maisons de vente, Cécile Fakhoury a suivi une spécialisation en art contemporain. En septembre, à Abidjan, elle ouvre une galerie d’art contemporain qui porte son nom.
Après des études de commerce, vous avez suivi un troisième cycle en économie de l’art. A quoi renvoie cette discipline ?
Le troisième cycle en économie de l’art propose une approche globale du marché de l’art, de ses tenants et aboutissants. Il traite de tous les acteurs du marché de l’art : artistes, galeries, collectionneurs, institutions, musées et maisons de vente. C’est en ce sens de « marché » qu’on peut évoquer l’économie de l’art. Pour vous donner un aperçu de l’importance de ce marché, sachez qu’en 2011 le produit mondial des ventes aux enchères s’est élevé à 11,5 milliards de dollars. C’est la première fois que le produit des ventes dépasse la barre des 10 milliards de dollars et ce, malgré la crise économique mondiale. Ce chiffre est une façon d’illustrer l’importance de l’économie de l’art aujourd’hui. Même si, en 2012, cette économie est régie principalement par trois acteurs majeurs – la Chine, les Etats-Unis et l’Angleterre – la globalisation et la migration du moteur de la croissance mondiale vers les pays émergents ont participé à la mutation géopolitique de l’art et de son marché. De plus en plus, lors de grands événements, nous voyons sur la scène artistique mondiale la présence de pays de l’Est, d’Asie centrale ,ou encore du continent africain.
Vous ouvrez une galerie d’art en septembre, à Abidjan. Quel sera l’apport de cette galerie dans le marché de l’art en Côte d’Ivoire ?
Le marché de l’art en Côte d’Ivoire se développera. Le pays est en plein essor et la culture, l’art et son marché grandiront dans son sillage. Abidjan doit rapidement se positionner comme l’une des places importantes de l’Afrique de l’Ouest en termes de culture et de marché de l’art. La galerie souhaite participer, par la programmation d’événements et d’actions « hors les murs », à ce positionnement fort. En donnant une bonne visibilité aux artistes, en montrant des expositions cohérentes, en se positionnant sur un créneau international, la galerie souhaite éclairer le mieux qu’elle peut la scène plastique ivoirienne.
Vous représentez déjà cinq ou six artistes. Qu’entend-t-on par « représenter un artiste » ?
Pour l’année 2012-2013, la galerie prévoit cinq grandes expositions, une tous les deux mois environ. Chaque artiste montré lors de ces expositions est représenté par la galerie, c’est-à-dire que l’artiste et la galerie travaillent ensemble de manière exclusive sur le territoire ivoirien. Mon rôle consiste à être le plus proche des artistes que je défends, à les aider à travailler, à produire, à réaliser des expositions pertinentes qui correspondent à la vision qu’ils souhaitent proposer au public. La lecture du travail d’un artiste se fait sur le long terme, il est donc important que chaque proposition soit bien défendue. Les différentes étapes de réflexion, de conception, de réalisation et de production sont donc des phases que la galerie soutiendra.
Objectivement, comment la côte d’un artiste est-elle estimée ?
La côte d’un artiste s’établit naturellement en fonction de son importance dans l’histoire de l’art. La nouveauté, la différence, les nouvelles formes esthétique et conceptuelle élaborées par l’artiste sont appréciées par le public et déterminent la rareté de son œuvre. Comme dans tout autre marché, en fonction de l’offre et de la demande, une côte peut également être estimée. Mais avec le recul des années, il est plus aisé de situer l’impact d’un artiste (et donc sa côte) d’une époque passée que celui d’un artiste vivant dont l’œuvre est en perpétuel mouvement. Dans ce dernier cas, le recul est insuffisant pour pouvoir entièrement la situer. C’est tout le travail du galeriste qui représente des artistes contemporains. Par ses choix et son travail, il doit croire en la valeur historique de ses artistes, croire à la « fraîcheur » de leurs œuvres, et prouver qu’elles peuvent s’inscrire dans la durée et impacter l’histoire de l’art. La présence d’un artiste dans de bonnes collections ou dans certaines expositions de musées, de fondations ou d’institutions peut également faire évoluer une côte. Une autre notion est à prendre en considération : si l’artiste est présent sur le second marché, c’est-à-dire qu’il est proposé lors de ventes aux enchères, sa côte est déterminée en fonction des résultats officiels adjugés lors de ces ventes publiques.
En France les œuvres d’art ont une fiscalité particulière qui permet qu’elles ne soient pas incluses dans la base d’imposition. Qu’en est-il de la Côte d’Ivoire où vous vous installez ?
Les avantages fiscaux ne sont pas aussi important qu’en France. Il y a cependant un article dans le Code général des impôts qui va dans ce sens et qui stipule que « la base d’imposition des ventes d’une œuvre d’art est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d’achat de chaque bien exprimé hors taxe sur la valeur ajoutée ». La TVA est donc uniquement sur la différence entre le prix de vente et le prix d’achat hors taxes, ce qui en réduit forcément le montant.
Quelle appréciation faites-vous du marché de l’art en Côte d’Ivoire ?
Je constate que le rayonnement du marché de l’art contemporain en Afrique grandit un peu plus chaque jour. L’intérêt suscité par les artistes est croissant. Pour l’instant, l’Afrique du Sud est loin devant et des pays comme le Nigeria ou le Sénégal participent activement à une scène culturelle et artistique dynamique. La Côte d’Ivoire ne fait pas encore partie de ces pays « moteurs », même si il y a sur le territoire des actions fortes et pertinentes, elle doit réussir a se positionner de manière plus stable au sein de ce marché africain. Et ce développement passera par une meilleure visibilité des artistes, aussi bien dans le pays qu’à l’étranger, et un positionnement sérieux des acteurs de ce domaine : galeries, institutions, musées et collectionneurs. Les collectionneurs et potentiels acheteurs africains doivent investir dans les artistes africains. C’est visible dans tout les autres pays émergents, un marché se forme à la base, c’est-à-dire dans le pays concerné. Et puis il faudrait rénover les musées, développer les institutions afin d’acquérir une bonne visibilité à l’étranger.
Quel positionnement envisagez-vous pour votre galerie dans le microcosme de l’art contemporain en Côte d’Ivoire ?
Le but premier de la galerie est de donner une bonne visibilité aux artistes sur le continent africain. Je souhaite faire connaître des artistes africains, mais aussi des artistes internationaux. Apporter une vision ouverte de la création, et ainsi inscrire les artistes de la galerie dans une globalité. J’ai la certitude que les frontières ne sont pas infranchissables, et qu’au contraire elles sont faites pour être traversées. De ce fait, je travaille également pour que les artistes de la galerie soient, à terme, visibles dans d’autres pays d’Afrique et du monde, par le biais d’échanges, de rencontres avec d’autres institutions et galeries et, dans un ou deux ans, par le biais de foires internationales.
Pensez-vous qu’il existe un véritable public de l’art en Côte d’Ivoire quand on voit la cadence à laquelle les galeries ferment ou sont obligées d’étendre leurs activités à d’autres types d’arts que l’art contemporain ?
Oui, il y a un public curieux et désireux de voir se développer une scène culturelle dynamique. Ce n’est pas évident, parce que la Côte d’Ivoire sort d’une crise sociale et économique et on peut penser que le « chantier de l’art » n’est pas la priorité dans un pays comme celui-ci. Moi je pense le contraire, je crois que c’est dès aujourd’hui qu’il faut agir, proposer des actions pertinentes, stimulantes et engagées. On a dans cette interview beaucoup parlé de marché ; mais je tiens également à souligner que l’art est aussi un moyen de dialoguer, de proposer une autre lecture des choses, de ce qui se passe dans le monde. Et dans un pays comme la Côte d’Ivoire, apporter une forme de débat par le biais de l’art me semble important.
Propos recueillis par Edwige H.
Après des études de commerce, vous avez suivi un troisième cycle en économie de l’art. A quoi renvoie cette discipline ?
Le troisième cycle en économie de l’art propose une approche globale du marché de l’art, de ses tenants et aboutissants. Il traite de tous les acteurs du marché de l’art : artistes, galeries, collectionneurs, institutions, musées et maisons de vente. C’est en ce sens de « marché » qu’on peut évoquer l’économie de l’art. Pour vous donner un aperçu de l’importance de ce marché, sachez qu’en 2011 le produit mondial des ventes aux enchères s’est élevé à 11,5 milliards de dollars. C’est la première fois que le produit des ventes dépasse la barre des 10 milliards de dollars et ce, malgré la crise économique mondiale. Ce chiffre est une façon d’illustrer l’importance de l’économie de l’art aujourd’hui. Même si, en 2012, cette économie est régie principalement par trois acteurs majeurs – la Chine, les Etats-Unis et l’Angleterre – la globalisation et la migration du moteur de la croissance mondiale vers les pays émergents ont participé à la mutation géopolitique de l’art et de son marché. De plus en plus, lors de grands événements, nous voyons sur la scène artistique mondiale la présence de pays de l’Est, d’Asie centrale ,ou encore du continent africain.
Vous ouvrez une galerie d’art en septembre, à Abidjan. Quel sera l’apport de cette galerie dans le marché de l’art en Côte d’Ivoire ?
Le marché de l’art en Côte d’Ivoire se développera. Le pays est en plein essor et la culture, l’art et son marché grandiront dans son sillage. Abidjan doit rapidement se positionner comme l’une des places importantes de l’Afrique de l’Ouest en termes de culture et de marché de l’art. La galerie souhaite participer, par la programmation d’événements et d’actions « hors les murs », à ce positionnement fort. En donnant une bonne visibilité aux artistes, en montrant des expositions cohérentes, en se positionnant sur un créneau international, la galerie souhaite éclairer le mieux qu’elle peut la scène plastique ivoirienne.
Vous représentez déjà cinq ou six artistes. Qu’entend-t-on par « représenter un artiste » ?
Pour l’année 2012-2013, la galerie prévoit cinq grandes expositions, une tous les deux mois environ. Chaque artiste montré lors de ces expositions est représenté par la galerie, c’est-à-dire que l’artiste et la galerie travaillent ensemble de manière exclusive sur le territoire ivoirien. Mon rôle consiste à être le plus proche des artistes que je défends, à les aider à travailler, à produire, à réaliser des expositions pertinentes qui correspondent à la vision qu’ils souhaitent proposer au public. La lecture du travail d’un artiste se fait sur le long terme, il est donc important que chaque proposition soit bien défendue. Les différentes étapes de réflexion, de conception, de réalisation et de production sont donc des phases que la galerie soutiendra.
Objectivement, comment la côte d’un artiste est-elle estimée ?
La côte d’un artiste s’établit naturellement en fonction de son importance dans l’histoire de l’art. La nouveauté, la différence, les nouvelles formes esthétique et conceptuelle élaborées par l’artiste sont appréciées par le public et déterminent la rareté de son œuvre. Comme dans tout autre marché, en fonction de l’offre et de la demande, une côte peut également être estimée. Mais avec le recul des années, il est plus aisé de situer l’impact d’un artiste (et donc sa côte) d’une époque passée que celui d’un artiste vivant dont l’œuvre est en perpétuel mouvement. Dans ce dernier cas, le recul est insuffisant pour pouvoir entièrement la situer. C’est tout le travail du galeriste qui représente des artistes contemporains. Par ses choix et son travail, il doit croire en la valeur historique de ses artistes, croire à la « fraîcheur » de leurs œuvres, et prouver qu’elles peuvent s’inscrire dans la durée et impacter l’histoire de l’art. La présence d’un artiste dans de bonnes collections ou dans certaines expositions de musées, de fondations ou d’institutions peut également faire évoluer une côte. Une autre notion est à prendre en considération : si l’artiste est présent sur le second marché, c’est-à-dire qu’il est proposé lors de ventes aux enchères, sa côte est déterminée en fonction des résultats officiels adjugés lors de ces ventes publiques.
En France les œuvres d’art ont une fiscalité particulière qui permet qu’elles ne soient pas incluses dans la base d’imposition. Qu’en est-il de la Côte d’Ivoire où vous vous installez ?
Les avantages fiscaux ne sont pas aussi important qu’en France. Il y a cependant un article dans le Code général des impôts qui va dans ce sens et qui stipule que « la base d’imposition des ventes d’une œuvre d’art est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d’achat de chaque bien exprimé hors taxe sur la valeur ajoutée ». La TVA est donc uniquement sur la différence entre le prix de vente et le prix d’achat hors taxes, ce qui en réduit forcément le montant.
Quelle appréciation faites-vous du marché de l’art en Côte d’Ivoire ?
Je constate que le rayonnement du marché de l’art contemporain en Afrique grandit un peu plus chaque jour. L’intérêt suscité par les artistes est croissant. Pour l’instant, l’Afrique du Sud est loin devant et des pays comme le Nigeria ou le Sénégal participent activement à une scène culturelle et artistique dynamique. La Côte d’Ivoire ne fait pas encore partie de ces pays « moteurs », même si il y a sur le territoire des actions fortes et pertinentes, elle doit réussir a se positionner de manière plus stable au sein de ce marché africain. Et ce développement passera par une meilleure visibilité des artistes, aussi bien dans le pays qu’à l’étranger, et un positionnement sérieux des acteurs de ce domaine : galeries, institutions, musées et collectionneurs. Les collectionneurs et potentiels acheteurs africains doivent investir dans les artistes africains. C’est visible dans tout les autres pays émergents, un marché se forme à la base, c’est-à-dire dans le pays concerné. Et puis il faudrait rénover les musées, développer les institutions afin d’acquérir une bonne visibilité à l’étranger.
Quel positionnement envisagez-vous pour votre galerie dans le microcosme de l’art contemporain en Côte d’Ivoire ?
Le but premier de la galerie est de donner une bonne visibilité aux artistes sur le continent africain. Je souhaite faire connaître des artistes africains, mais aussi des artistes internationaux. Apporter une vision ouverte de la création, et ainsi inscrire les artistes de la galerie dans une globalité. J’ai la certitude que les frontières ne sont pas infranchissables, et qu’au contraire elles sont faites pour être traversées. De ce fait, je travaille également pour que les artistes de la galerie soient, à terme, visibles dans d’autres pays d’Afrique et du monde, par le biais d’échanges, de rencontres avec d’autres institutions et galeries et, dans un ou deux ans, par le biais de foires internationales.
Pensez-vous qu’il existe un véritable public de l’art en Côte d’Ivoire quand on voit la cadence à laquelle les galeries ferment ou sont obligées d’étendre leurs activités à d’autres types d’arts que l’art contemporain ?
Oui, il y a un public curieux et désireux de voir se développer une scène culturelle dynamique. Ce n’est pas évident, parce que la Côte d’Ivoire sort d’une crise sociale et économique et on peut penser que le « chantier de l’art » n’est pas la priorité dans un pays comme celui-ci. Moi je pense le contraire, je crois que c’est dès aujourd’hui qu’il faut agir, proposer des actions pertinentes, stimulantes et engagées. On a dans cette interview beaucoup parlé de marché ; mais je tiens également à souligner que l’art est aussi un moyen de dialoguer, de proposer une autre lecture des choses, de ce qui se passe dans le monde. Et dans un pays comme la Côte d’Ivoire, apporter une forme de débat par le biais de l’art me semble important.
Propos recueillis par Edwige H.