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Art et Culture Publié le mercredi 5 décembre 2012 | Le Patriote

Interview / Dorothee Wenner (Réalisatrice allemande) : “Ciné Droit Libre est une initiative extraordinaire”

Réalisatrice de « Peace Mission/ Nollywood Lady », l’Allemande Dorothee Wenner était récemment à Abidjan. A la faveur de la 4ème édition de Ciné Droit Libre Abidjan, festival de films sur les droits de l’homme, elle a animé un master-class sur le film documentaire. Avant de regagner Berlin, où elle travaille pour la Berlinale, le festival international du film de cette ville, Dorothee Wenner a bien voulu jeter un regard sur Ciné Droit Libre. Aussi donne t-elle sa recette pour relancer le cinéma ivoirien.

Le Patriote : Que pensez-vous d’une initiative comme Ciné Droit Libre ?

Dorothee Wenner : Pour moi, elle est très spéciale et très importante. Après la crise, j’ai entendu que le cinéma était presque mort en Côte d’Ivoire, et qu’aujourd’hui c’est encore difficile pour les gens de sortir le soir. C’est pourquoi, je pense que ce festival est une bonne occasion pour raviver non seulement la flamme du cinéma dans ce pays mais surtout pour susciter le débat autour des questions des droits de l’homme. C’est une initiative extraordinaire et très forte qu’il faut vraiment encourager.

L.P : Vous avez animé le master class sur le film documentaire. Qu’avez-vous enseigné aux participants ?

DW : Je ne connaissais pas l’expérience des jeunes cinéastes que j’avais en face de moi. J’ai été agréablement surpris de savoir qu’ils avaient des expériences très fortes et de grandes idées. Le premier jour, j’ai présenté une sélection de films que j’aime très bien. Et nous avons échangé sur c’est quoi un bon documentaire. Quelle est la différence entre un reportage et un film documentaire ? Y a-t-il un film documentaire pour la télé ou le grand écran ? Quelle est la différence entre un film de fiction et un film documentaire ? Nous avons échangé ardemment sur ces questions en visionnant des extraits de films. En définitive, le choix d’un personnage pour un film de fiction ou un documentaire est le même. On a présenté des films où il est impossible de faire la différence. Ensuite, pour le second jour, on a développé ensemble une structure dans laquelle, j’ai donné les instruments avec lesquels les participants peuvent continuer de travailler. Nous avons aussi évoqué le fait qu’il n’y ait pas d’école de cinéma en Côte d’Ivoire.

L.P : Est-ce vraiment un gros handicap pour les jeunes qui veulent se lancer dans le cinéma ?

DW : Oui, c’est un vrai handicap, car c’est une source de souffrance. Faut-il attendre qu’il y ait une école avant de se lancer dans le cinéma ? Jusqu’à quand ? Je ne le pense pas. Il faut travailler. Et heureusement que ces jeunes ont déjà de bonnes expériences. Dans le groupe, il y avait par exemple deux dames qui savaient rouler une caméra. Il faut faire des recherches sur internet. Cela dit, ce groupe peut être une racine pour développer le cinéma. Des gens ont des aptitudes qui peuvent les aider eux-mêmes. Ces jeunes doivent aussi comprendre que quand on veut faire un film, il doit être clair dans la tête. Et pour faire un film, on n’a pas besoin d’avoir une école. Il y a des gens qui ont assez d’expérience pour commencer à travailler.

L.P : Vous êtes la réalisatrice de « Peace Mission/ Nollywood Lady ». Comment avez-vous l’idée de ce film qui nous plonge dans l’univers du cinéma nigérian ?

DW : J’ai commencé à travailler sur ce projet depuis plusieurs années. Je suis membre d’une organisation dénommée AMA (African Movies Academy). Et dans le cadre des activités de cette structure, j’ai eu la chance de voir de nombreux films faits en Afrique et surtout de rencontrer beaucoup de réalisateurs et de producteurs au Nigéria. Et comprendre l’industrie cinématographique de ce pays. L’idée principale du documentaire est que les Africains doivent produire des films par les Africains et pour les Africains. J’ai discuté avec Peace Aniyam mon personnage principal. Elle m’a dit que c’était bien qu’elle soit devant la caméra, mais qu’il fallait que je rencontre également les autres protagonistes de Nollywood. J’ai fait un film pour susciter le débat sur le cinéma nigérian. D’ailleurs, il a été diffusé dans 50 festivals. Beaucoup d’Universités aux Etats-Unis, l’ont présenté à leurs étudiants.

L.P : Justement pensez-vous qu’il faut produire beaucoup de films pour asseoir une industrie du cinéma comme au Nigéria ?

DW : On peut beaucoup apprendre dans une école. Mais en faisant un film, on apprend à faire mieux le prochain film. C’est une réalité. Je trouve que beaucoup de gens ont été très courageux en disant que bien qu’ils n’aient pas le soutien de l’Etat, ils voulaient raconter leur histoire. C’est le message que je trouve très intéressant pour la Côte d’Ivoire.

L.P : En clair voulez-vous que la Côte d’Ivoire s’inspire de l’exemple du Nigéria ?

DW : Oui. Il faut commencer par faire des films même sans grands moyens. Peut-être un court métrage documentaire qui ne coûte rien. Même si la situation est difficile, il faut le faire. C’est en commençant à faire des films qu’on pourra relancer le cinéma ivoirien. Si vous voulez attendre que la situation soit propice, qu’il y ait des moyens, cela n’arrivera peut-être jamais. Vous savez c’est la même situation un peu partout dans le monde. Même à Berlin (en Allemagne), des gens disent parfois qu’ils ne peuvent pas faire des films parce que la situation est difficile. Beaucoup de réalisateurs n’arrivent pas à trouver de grands moyens, n’empêche qu’ils se battent pour travailler sur des projets. Il faut se battre pour faire quelque chose. Quand on veut faire un film, il faut travailler pour trouver des solutions aux difficultés. Ici, j’ai découvert que des gens ont du talent. Vous n’avez pas certes de soutiens pour financer les projets, mais il y a d’autres atouts qu’il faut exploiter.

L.P : Quel est votre prochain projet de film ?

DW : Ce sera l’adaptation d’un livre que j’ai écrit sur Fearless Nadia, la première comédienne vedette en Inde, presque comme Zorro, Robin des Bois. Elle a été très connue pendant la lutte pour l’indépendance de l’Inde. Aujourd’hui, presque personne en Inde ne se souvient connaît de cette dame. Elle était grande, forte et très blonde, avec des yeux bleus. Elle était d’origine australienne, mais avait grandi en Inde dans un milieu pauvre, bien que père fut un soldat de l’armée anglaise. Elle a appris à galoper le cheval, à nager, et était d’un courage énorme. Elle s’est battue pour devenir une très grande star en Inde. C’est une histoire émouvante doublée d’une leçon de courage que je compte porter à l’écran bientôt.
Réalisée par Y. Sangaré
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