Le Front populaire ivoirien (Fpi), le parti de Laurent Gbagbo, est engagé, depuis le 18 janvier 2013, dans des négociations avec le pouvoir Ouattara. Quatre équipes techniques, constituant le comité de pilotage, ont été mises en place selon les termes de référence et les besoins de l’heure (Sécurité, jeu démocratique, Etat de droit, Réconciliation), pour mener de façon professionnelles ces négociations. Un groupe de travail constellé de «cerveaux» conquérants. Les rencontres avec le chef du Gouvernement, Daniel Kablan Duncan, le ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko et le ministre Mabri Toikeusse, porte-parole du Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix (Rhdp), visaient à adoucir les aspérités d’un terrain miné d’avance par le boucan issu de la victoire d’une guerre que l’on a gagnée par procuration. Le Fpi est donc dans la discussion avec Ouattara, établi au Palais présidentiel le 11 avril 2011. Il s’agit d’un «dialogue direct» que cette formation qui a co-gouverné la Côte d’Ivoire une décennie durant, a demandé depuis, aux nouvelles autorités ivoiriennes. Pendant longtemps, les champions de la diabolisation, terriblement formatés pour «éradiquer» ce parti, ont fait croire que le Fpi ne voulait pas négocier. Ou alors qu’il faisait du chantage, ou n’avait rien ni de réaliste, ni de fondé et de légitime dans ses préoccupations. Il fallait absolument noircir le tableau d’un adversaire qu’on s’est résolu à acculer à la disparition. Ce, évidemment pour les besoins d’une politique ahurissante (porteuse de fracture sociale), de «rattrapage ethnique» et de récompense massive des soutiens et mercenaires étrangers. Le pouvoir et ses thuriféraires voulaient tellement voir le Fpi sous l’éteignoir, qu’ils lui prêtaient l’intention de refuser tout dialogue avec lui, c’est-à-dire de refuser la paix. Mais à ce jeu auquel est rôdé un pouvoir qui a puisé ses assises de dix années de rébellion armée sans concession, le président par intérim du Fpi, Miaka Oureto avait simplement répondu, le 29 décembre 2012, à l’occasion de la réception des prisonniers politiques libérés, au siège provisoire du parti : «Nous n’avons jamais dit qu’on rentre pas dans le jeu politique, on va rentrer dans le jeu politique, mais il faut que ce jeu soit clair». Mais Miaka est allé au-delà de cette clarification pour prendre le devant d’un dialogue qu’on lui brandit officiellement, mais auquel l’on entend, certainement, réserver des tours inamicaux. Comment s’engager à affronter, à la civilisée, un pouvoir qui a durci ses os dans la longue pratique des contradictions, ruses, tromperies, dissimulations et autres traitrises froides, si l’on est pas soi-même préparé à pouvoir faire plier la canaille ? On imagine donc la confiance de Miaka, disant ce jour : «Dans les jours et semaines à venir, nous allons écrire au Président Alassane Ouattara, pour lui dire que le temps est venu qu'il s'asseye avec son opposition afin de discuter en responsable de manière franche pour qu'on définisse les règles du jeu. La sécurité, il faut qu'on en parle, le financement des partis politiques, il faut qu'on en parle, la libération de nos sœurs et frères, il faut qu'on en parle. C'est ensemble que nous devons les définir. Il n'y a pas de faux fuyant. Ce n'est pas une affaire d'amour propre, ni une affaire d'orgueil. C'est une affaire de démocratie». Après ce discours, voici le Fpi sur le terrain. L’amorce de ce «Dialogue direct» montre déjà ses vertus. A voir simplement la presse proche du régime exulter, on comprend le bonheur du chef de l’Etat à pouvoir parler avec le Fpi. «Dialogue Gouvernement-Fpi, ça sent bon ! 4 commissions créés pour accélérer les négociations», barre à sa une de vendredi 25 janvier, Le Patriote. Le journal gouvernemental Frat-Mat du même jour, a affiché à sa une «Dialogue pouvoir-Fpi, Les positions se rapprochent, les deux camps soucieux d’aplanir les malentendus.» Cette jubilation dans le camp de Ouattara traduit son intérêt dans le jeu. Les lignes se sont mises à bouger, les positions, hier passionnées, à se spiritualiser, allant de l’inimaginable report du calendrier électoral, à la révision éventuelle de la Commission électorale indépendante (Cei) et, à l’idée du financement des partis politiques, dossier sur lequel l’adversaire faisait du fétichisme. Voilà le miracle que peut produire la dynamique du «Dialogue direct» que le pouvoir Ouattara a, tout le temps, refusé au nom d’un bannissement organisé contre le parti le plus incontournable pour la paix et le développement de la Côte d’Ivoire. Le «Dialogue direct» est donc enclenché. Et la part de la bonne volonté du régime Rdr, ou son capital de nuisance à l’avènement du processus, n’a plus aucune espèce d’importance, dès lors que les premiers résultats positifs sont palpables. On le voit, les figures représentatives du pouvoir dans ces négociations, sont rayonnantes de contentement. Contentes que le Fpi soit enfin dans le starting-block de ces pourparlers. En voyant le Fpi dans cette dynamique, le pouvoir d’Abidjan se berce de l’assurance d’une étincelle : sa propre longévité au pouvoir. Ce, par le détour de contorsions électorales qui ont déjà fait leurs preuves pendant les scrutins présidentiels passés. Mais pour sûr, le jeu commence, et personne ne peut présager de l’avenir et de la conclusion des événements. Le Fpi devra alors mieux se vitaliser en termes de vision, de propositions et de pertinence afin de garder la meilleure conscience de son option.
Germain Séhoué
Germain Séhoué