L’un des objectifs majeurs du millénaire (2000-3000) est de combattre la pauvreté dans le monde. Hier, Laurent Gbagbo l’a inscrit en lettres d’or dans son programme de société. Aujourd’hui, avec l’appui des partenaires au développement de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara en fait son cheval de bataille. « La pauvreté qui nous avait plus ou moins épargnés pendant plusieurs décennies est maintenant présente en Côte d'Ivoire, souvent de façon dramatique. Près de 50 % de la population vit aujourd'hui en-dessous du seuil de pauvreté. S'attaquer à ce fléau sera notre premier devoir », peut-on lire dans son programme de société. Pour y parvenir, il promeut des politiques économiques qui mettent l’accent sur la croissance économique. Pour la simple raison que le discours dominant affirme que si la croissance augmente, le bien-être de la population augmente également.
Là s’arrête la théorie, du moins en ce qui concerne la Côte d’Ivoire. Le 21 décembre dernier, le directeur général de l’Ins, Ibrahim Bâ, faisait un aveu de taille : la pauvreté s’est aggravée dans le milieu urbain, selon une enquête sur le niveau de vie des ménages en Côte d’Ivoire, financée par le Pnud sur la période 2011-2012. Si la pauvreté s’est aggravée en milieu urbain, qu’est-ce qu’il en est des zones rurales !
Dans la même veine, une enquête confidentielle de la Banque mondiale révèle que la pauvreté s’est accrue de plus de moitié en Côte d’Ivoire depuis la chute du Président Gbagbo. Ainsi, en l’espace de deux ans, le revenu par tête a beaucoup chuté malgré la croissance économique. On évoque même une chute de l’ordre de 45%.
Croissance appauvrissante
La croissance économique est ce dogme utilisé comme un mantra par l’économiste-banquier Alassane Ouattara pour montrer que la Côte d’Ivoire va économiquement mieux. Il serait ressorti à 8,6% à novembre 2012, contre -5,6% en 2011, soit un bond quantitatif qui permet de supposer que le pays s’est considérablement enrichi en moins d’un an. Paradoxalement, sauf pour les économistes défraîchis et autres technocrates obnubilés par les taux de croissance économique, il y a bien un décalage entre la croissance économique et le niveau de pauvreté des populations ivoiriennes. Ce paradoxe s’explique par deux raisons principales: l’absence de main-d’œuvre locale dans l’atteinte de la croissance du Pib.
D’une part, on note le niveau de plus en plus élevé du coût de la vie alors que les revenus des populations - pour celles qui en ont - stagnent. A peine installé au pouvoir qu’Alassane Ouattara prend des mesures pour ramener la plupart des salaires à des niveaux frisant l’humiliation. Subséquemment, les populations ne font que survivre.
D’autre part, et c’est déterminant, la croissance économique ivoirienne est tirée par les investissements publics et privés. En 2012, le taux d’investissement s’est établi à 14,2% dont 6,4% pour le secteur public et 7,8% pour le secteur privé.
Malheureusement, la quasi-totalité des marchés ont été attribués (et continuent de l’être) à des privés étrangers, voire des multinationales, qui sont arrivés avec leurs cadres et leurs technicités et qui n’associent pas les Pme-Pmi à leurs activités. Or, ce sont les Pme-Pmi qui sont créatrices d’emplois. « Il est navrant de constater que les grandes entreprises ainsi que les grandes administrations de l’Etat nourrissent une certaine méfiance à l’endroit des Pme locales, leur préférant généralement des entreprises tenues par des Occidentaux. Pourtant, dans tous les pays qui se développent, l’État est le premier levier de lancement et de développement des entreprises locales. Et ce n’est pas toujours que ces grandes entreprises ont l’expérience nécessaire à l’exécution des travaux. Et quand elles veulent coopérer avec les Pme, tout est tellement cadré que nos employés n’en profitent pas. La plupart du temps, ce sont des emplois précaires qui leur sont proposés. Ils récoltent des subsides qui ne leur permettent même pas de tenir deux semaines. Imaginez qu’il y en a qui sont mariés, qui ont des enfants à scolariser, qui doivent face à des frais de santé !», déplore André G.G., dirigeant d’une Pme exerçant dans le bâtiment. Son confrère, Ibrahim K., exerçant, lui, dans l’agro-alimentaire, est plus incisif : « Tout se passe comme si l’économie du pays est partagée. Les Américains gouvernent le cacao, les Français se sont accaparés les infrastructures, et les autres grandes nations se partagent les autres secteurs de l’économie. Qu’est-ce qui reste pour les nationaux ? Rien. Et le patronat qui semble s’en accommoder ! ».
Le président du Syndicat national du bâtiment et des travaux publics de Côte d’Ivoire (Synebaci), Soro Doté, dénonce ce comportement dans une interview accordée à un confrère : « Oui les Pme-Pmi ivoiriennes sont lésées dans la passation des marchés publics. Et nous ne sommes pas d’accord avec ça. Nous demandons au chef de l’Etat de nous accorder un quota dans les travaux de réhabilitation des édifices publics. Au moment où certains ministères refusent de donner des marchés de réhabilitation aux entreprises locales du BTP, ils donnent ces marchés gré à gré à des multinationales. Nous avons promis au président Alassane Ouattara tout en comptant sur l’octroi des marché locaux pour nous permettre de jouer pleinement notre partition d’emploi jeunes. Malheureusement, c’est à une seule structure que la direction des marchés publics a confié ses gros marchés de réhabilitation des infrastructures nationales alors que les Pme-Pmi ont toutes les compétences requises ».
Le plus dramatique, c’est qu’en plus d’enlever le pain de la bouche des Ivoiriens, le régime Ouattara renvoie massivement ceux qui fondent un espoir sur le maigre salaire qu’ils gagnent, sous prétexte qu’à l’obtention du point d’achèvement, les choses allaient entrer dans l’ordre. « J’ai toujours dit que le Ppte n’est pas le point d’achèvement de nos difficultés, mais c’est une plateforme que nous devons utiliser pour que ce pays rebondisse et que nous passions à un niveau de croissance qui soit inclusif. Quand je parle de croissance inclusive, il s’agit de croissance qui d’abord doit toucher les plus pauvres, faire en sorte que dans le milieu rural, le paysan ait un revenu normal, correct, qu’il puisse scolariser son enfant, qu’il puisse se soigner, qu’il puisse avoir accès à de l’eau potable, qu’il puisse avoir accès à l’électricité, c’est cela la croissance inclusive qui doit toucher les populations les plus faibles. Et je ne vous cache pas qu’au niveau des dépenses dans le budget, nous y inscrivons près de 850 milliards FCFA et nous faisons en sorte que cela soit bien réalisé… », dixit l’ex-argentier de l’Etat, Charles Koffi Diby.
Alassane Ouattara le perçoit-il ainsi ? La réalité est que tout va plutôt mal. Les agriculteurs, tous secteurs confondus, ne sont pas dans une situation meilleure. Les récentes initiatives gouvernementales en faveur des producteurs de café-cacao, en particulier, n’ont donné aucun résultat probant. Tout est plutôt fait dans le sens de donner toutes les terres agraires aux multinationales à travers le Programme national d’investissement agricole (Pnia). Récemment, un accord de principe a été signé entre l’Etat et la compagnie suisse Louis Dreyfus à l’effet de produire du riz dans le Nord et l’Est de la Côte d’Ivoire. Ce sont des exemples qui aggravent la situation de la petite paysannerie, qui représente pourtant la quasi-totalité de la population agricole. Effarant !
La réalité est que les populations n’arrivent plus à suivre le rythme de l’augmentation croissante du coût de la vie.
La réalité est que la paupérisation de la population est dramatique… malgré les 8,6% de croissance. Et on est fier de proclamer que l’argent ne circule pas mais qu’il travaille. Pour qui travaille-t-il alors ?
J-S Lia
Là s’arrête la théorie, du moins en ce qui concerne la Côte d’Ivoire. Le 21 décembre dernier, le directeur général de l’Ins, Ibrahim Bâ, faisait un aveu de taille : la pauvreté s’est aggravée dans le milieu urbain, selon une enquête sur le niveau de vie des ménages en Côte d’Ivoire, financée par le Pnud sur la période 2011-2012. Si la pauvreté s’est aggravée en milieu urbain, qu’est-ce qu’il en est des zones rurales !
Dans la même veine, une enquête confidentielle de la Banque mondiale révèle que la pauvreté s’est accrue de plus de moitié en Côte d’Ivoire depuis la chute du Président Gbagbo. Ainsi, en l’espace de deux ans, le revenu par tête a beaucoup chuté malgré la croissance économique. On évoque même une chute de l’ordre de 45%.
Croissance appauvrissante
La croissance économique est ce dogme utilisé comme un mantra par l’économiste-banquier Alassane Ouattara pour montrer que la Côte d’Ivoire va économiquement mieux. Il serait ressorti à 8,6% à novembre 2012, contre -5,6% en 2011, soit un bond quantitatif qui permet de supposer que le pays s’est considérablement enrichi en moins d’un an. Paradoxalement, sauf pour les économistes défraîchis et autres technocrates obnubilés par les taux de croissance économique, il y a bien un décalage entre la croissance économique et le niveau de pauvreté des populations ivoiriennes. Ce paradoxe s’explique par deux raisons principales: l’absence de main-d’œuvre locale dans l’atteinte de la croissance du Pib.
D’une part, on note le niveau de plus en plus élevé du coût de la vie alors que les revenus des populations - pour celles qui en ont - stagnent. A peine installé au pouvoir qu’Alassane Ouattara prend des mesures pour ramener la plupart des salaires à des niveaux frisant l’humiliation. Subséquemment, les populations ne font que survivre.
D’autre part, et c’est déterminant, la croissance économique ivoirienne est tirée par les investissements publics et privés. En 2012, le taux d’investissement s’est établi à 14,2% dont 6,4% pour le secteur public et 7,8% pour le secteur privé.
Malheureusement, la quasi-totalité des marchés ont été attribués (et continuent de l’être) à des privés étrangers, voire des multinationales, qui sont arrivés avec leurs cadres et leurs technicités et qui n’associent pas les Pme-Pmi à leurs activités. Or, ce sont les Pme-Pmi qui sont créatrices d’emplois. « Il est navrant de constater que les grandes entreprises ainsi que les grandes administrations de l’Etat nourrissent une certaine méfiance à l’endroit des Pme locales, leur préférant généralement des entreprises tenues par des Occidentaux. Pourtant, dans tous les pays qui se développent, l’État est le premier levier de lancement et de développement des entreprises locales. Et ce n’est pas toujours que ces grandes entreprises ont l’expérience nécessaire à l’exécution des travaux. Et quand elles veulent coopérer avec les Pme, tout est tellement cadré que nos employés n’en profitent pas. La plupart du temps, ce sont des emplois précaires qui leur sont proposés. Ils récoltent des subsides qui ne leur permettent même pas de tenir deux semaines. Imaginez qu’il y en a qui sont mariés, qui ont des enfants à scolariser, qui doivent face à des frais de santé !», déplore André G.G., dirigeant d’une Pme exerçant dans le bâtiment. Son confrère, Ibrahim K., exerçant, lui, dans l’agro-alimentaire, est plus incisif : « Tout se passe comme si l’économie du pays est partagée. Les Américains gouvernent le cacao, les Français se sont accaparés les infrastructures, et les autres grandes nations se partagent les autres secteurs de l’économie. Qu’est-ce qui reste pour les nationaux ? Rien. Et le patronat qui semble s’en accommoder ! ».
Le président du Syndicat national du bâtiment et des travaux publics de Côte d’Ivoire (Synebaci), Soro Doté, dénonce ce comportement dans une interview accordée à un confrère : « Oui les Pme-Pmi ivoiriennes sont lésées dans la passation des marchés publics. Et nous ne sommes pas d’accord avec ça. Nous demandons au chef de l’Etat de nous accorder un quota dans les travaux de réhabilitation des édifices publics. Au moment où certains ministères refusent de donner des marchés de réhabilitation aux entreprises locales du BTP, ils donnent ces marchés gré à gré à des multinationales. Nous avons promis au président Alassane Ouattara tout en comptant sur l’octroi des marché locaux pour nous permettre de jouer pleinement notre partition d’emploi jeunes. Malheureusement, c’est à une seule structure que la direction des marchés publics a confié ses gros marchés de réhabilitation des infrastructures nationales alors que les Pme-Pmi ont toutes les compétences requises ».
Le plus dramatique, c’est qu’en plus d’enlever le pain de la bouche des Ivoiriens, le régime Ouattara renvoie massivement ceux qui fondent un espoir sur le maigre salaire qu’ils gagnent, sous prétexte qu’à l’obtention du point d’achèvement, les choses allaient entrer dans l’ordre. « J’ai toujours dit que le Ppte n’est pas le point d’achèvement de nos difficultés, mais c’est une plateforme que nous devons utiliser pour que ce pays rebondisse et que nous passions à un niveau de croissance qui soit inclusif. Quand je parle de croissance inclusive, il s’agit de croissance qui d’abord doit toucher les plus pauvres, faire en sorte que dans le milieu rural, le paysan ait un revenu normal, correct, qu’il puisse scolariser son enfant, qu’il puisse se soigner, qu’il puisse avoir accès à de l’eau potable, qu’il puisse avoir accès à l’électricité, c’est cela la croissance inclusive qui doit toucher les populations les plus faibles. Et je ne vous cache pas qu’au niveau des dépenses dans le budget, nous y inscrivons près de 850 milliards FCFA et nous faisons en sorte que cela soit bien réalisé… », dixit l’ex-argentier de l’Etat, Charles Koffi Diby.
Alassane Ouattara le perçoit-il ainsi ? La réalité est que tout va plutôt mal. Les agriculteurs, tous secteurs confondus, ne sont pas dans une situation meilleure. Les récentes initiatives gouvernementales en faveur des producteurs de café-cacao, en particulier, n’ont donné aucun résultat probant. Tout est plutôt fait dans le sens de donner toutes les terres agraires aux multinationales à travers le Programme national d’investissement agricole (Pnia). Récemment, un accord de principe a été signé entre l’Etat et la compagnie suisse Louis Dreyfus à l’effet de produire du riz dans le Nord et l’Est de la Côte d’Ivoire. Ce sont des exemples qui aggravent la situation de la petite paysannerie, qui représente pourtant la quasi-totalité de la population agricole. Effarant !
La réalité est que les populations n’arrivent plus à suivre le rythme de l’augmentation croissante du coût de la vie.
La réalité est que la paupérisation de la population est dramatique… malgré les 8,6% de croissance. Et on est fier de proclamer que l’argent ne circule pas mais qu’il travaille. Pour qui travaille-t-il alors ?
J-S Lia