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Politique Publié le jeudi 14 mars 2013 | L’intelligent d’Abidjan

Côte d’Ivoire-Liban/Avant la visite du Président Michel Sleiman : Abinader donne les vraies nouvelles sur le séjour du Président libanais

© L’intelligent d’Abidjan
Le Président du Liban, Michel Sleiman
En prélude à la visite d’Etat du Président libanais, SEM Michel Sleiman, en Côte d’Ivoire, du 14 au 16 mars 2013, l’homme d’affaires Roger Abinader s’est ouvert à l’IA. Dans cet entretien, il donne un avant-goût de cette visite jugée d’historique.

Pour la première fois, le Président du Liban, SEM Michel Sleiman, effectue une visite d’Etat en Côte d’Ivoire. Comment expliquez-vous que ce soit seulement maintenant qu’une telle visite se fait dans un pays où il y a, depuis longtemps, une importante communauté libanaise?
Permettez-moi d’abord, de souhaiter avec honneur et respect, le traditionnel AKWABA en Côte d’Ivoire, terre d’hospitalité, à SEM le Président Michel Sleiman ainsi qu’à Madame la Première dame de la République du Liban. Je pense que Dieu, maître du temps et des événements, peut savoir pourquoi une visite de haut rang n’a lieu que maintenant. N’oublions pas que de part et d’autre, chaque pays a vécu des moments de tragédie, de grande insécurité et de menace de partition. Les guerres au Liban entre factions rivales, ou comme effets collatéraux de conflits d’intérêts régionaux, ont, fragilisé durant de longues années l’Exécutif libanais et sa diplomatie. Aussi, depuis plus d’une dizaine d’années, la Côte d’Ivoire a vécu des crises successives douloureuses. Dès lors, le pays n’était pas une destination prisée. Rendons gloire à Dieu de ce que les relations économiques demeurées encore solides, malgré la guerre, soient renforcées par les relations politiques et diplomatiques. Avec pour point d’orgue cette visite présidentielle !

Que représente pour vous cette visite ?
La visite d’Etat que le Président Michel Sleiman effectue en Côte d’Ivoire, du 14 au 16 mars, est pour moi la marque du sceau de la reconnaissance et de la solidarité. Je dis reconnaissance parce que depuis les années 50, la Côte d’Ivoire a toujours constitué une terre d’accueil et d’hospitalité pour les Libanais. Au plus fort des guerres civiles libanaises, le Président Feu Félix Houphouët-Boigny a continué d’ouvrir ses frontières à ceux qui fuyaient ce conflit fratricide, contrairement à certains pays africains. En reconnaissance, les opérateurs économiques libanais ont continué de soutenir la Côte d’Ivoire, en y restant malgré l’environnement peu sécurisant. Force est de reconnaître qu’ils ont joué et continuent de jouer un rôle important; ils ont investi dans presque tous les secteurs. Cette visite sera l’occasion de raffermir et de renforcer par des accords la coopération déjà fructueuse entre le Liban et la Côte d’Ivoire.

Qu’attendez-vous d’une telle visite et quel message attendez-vous que le Président SEM Michel Sleiman livre à ses compatriotes?
Le Liban compte une diaspora dynamique et nombreuse, ici, comme ailleurs, les autorités ne peuvent avoir qu’un message : inviter les Libanais à respecter les lois du pays où ils sont implantés. Au plan politique, ils doivent éviter de vouloir se comporter en acteurs voire en leaders d’opinion. Laisser la politique politicienne aux nationaux et se focaliser sur les activités socio-économiques et professionnelles. Dans le respect scrupuleux des normes de bonne gouvernance, d’équité, de justice sociale. Il faut accompagner le Président de la République, Alassane Ouattara et son Gouvernement, dont l’objectif est de faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent à l’horizon 2020, en tournant résolument le dos à certaines pratiques condamnables.

Quelles sont les préoccupations qui pourraient lui être exposées par votre communauté s’il vous rencontrait lors de son séjour?
Il doit insister sur l’impérieuse nécessité de l’union voire de l’unité des Libanais de Côte d’Ivoire : ils ne doivent pas exporter les clivages confessionnels et claniques. C’est l’occasion aussi de faire savoir l’importante contribution de la communauté libanaise à l’économie ivoirienne.

Hier, essentiellement dans le commerce (détail & demi-gros), les membres de la diaspora libanaise investissent désormais le secteur de l’industrie et des services, s’inscrivant dans le sillon tracé bien longtemps auparavant par votre famille et vous. Quelle compréhension avez-vous de cette évolution ?
Il est vrai que les Libanais qui sont descendants des Phéniciens, sont génétiquement nés commerçants. Forts de leur âpreté dans le négoce, ils ont de tout temps prospéré dans ce domaine. Les Libanais ont marqué l’histoire de la Côte d’Ivoire, notamment les familles : Haddad, Borro, Abinader, Zaher, Fakhoury, Sifaoui, Chouckeir, Omaïs, Ezzedine, Fhakry, Khalil, Hyjasi, Jaber, Bourgi, Badredine, Gandour, Joher, Salame, Farhat, Khoury, Charafedine, Rayess, Achkar, Zorkot, Khalot, Hamdane, etc. C’est l’occasion de leur rendre hommage et en particulier, Monsieur Nagib Zaher qui s’est investi pour le rapprochement entre toutes les communautés. Ainsi que les associations Al Gadir et El Zaahra dirigées par son Eminence l’Imam Kobeissi. Ma famille, contrairement aux autres libanais précurseurs de l’implantation de notre peuple en Côte d’Ivoire au cours des années 1920 et 1930, a commencé véritablement en 1954, est et demeure industrielle. Hier, c’était mon père Feu Antoine Abinader, aujourd’hui c’est moi et j’espère que mes enfants et petits-enfants prendront la relève dans le secteur de l’agro-industrie afin de perpétuer notre nom. Depuis l’indépendance, la communauté libanaise a conservé ce rôle moteur, en délaissant progressivement le commerce de détail pour redéployer ses activités dans les secteurs tertiaire et industriel. Les Libanais de Côte d’Ivoire, comme ailleurs en Afrique, ont inscrit leurs activités dans l’ensemble de champs économiques. Ils investissent désormais dans le secteur industriel, tout d’abord suite à l’appel en 1970 du premier Président de la République de Côte d’Ivoire, Feu Félix Houphouët-Boigny, leur demandant de délaisser leur secteur de prédilection, à savoir le commerce, au profit des Ivoiriens afin d’explorer le secteur industriel, gage d’un développement durable. Ce faisant, le premier Président confiait aux Libanais qu’il avait entièrement adoptés, l’avenir économique du pays. Ensuite, les Libanais, malgré le lourd tribu payé lors des événements qu’a connu notre pays durant les années 1999, 2002 et surtout 2004, alors que beaucoup d’étrangers partaient chercher refuge ailleurs, sont restés, et ont continué à exécuter sereinement leurs plans d’investissement dans le tissu industriel, consolidant leur confiance en la Côte d’Ivoire en y conservant toutes leurs industries. Ils assurent aussi la relève des intérêts européens. Un rôle de substitution qui compense le mouvement de désinvestissement opéré par ces derniers en rachetant progressivement certaines entreprises. Cette évolution a été d’une grande utilité pour notre pays pendant ces difficiles périodes de crises au cours desquelles on a assisté à une frénésie de délocalisation des installations industrielles. Comme l’avait déjà si bien souligné Venance Konan dans le journal Fraternité Matin du 27 février 1998, les Libanais, « en investissant les champs d’activités les plus en pointe,…constituent des locomotives pour les sociétés dans lesquelles ils sont implantés». Il faut reconnaître que cette évolution industrielle a permis à bien des égards d’amortir les effets pervers de ces différentes crises. La nouvelle génération des Libanais s’investit de plus en plus dans le domaine tertiaire, c’est-à-dire les services, eu égard à leur formation intellectuelle. On les retrouve dans les professions libérales, telles que les conseils juridiques, cabinet d’expertise comptable, médicaux, informatiques etc. Cela augure de leur parfaite intégration dans tous les différents pans de la vie économique et c’est à la fois une très bonne chose et un challenge à relever. C’est le lieu de saluer la création de la Chambre de Commerce et d’Industrie Libanaise de Côte d’Ivoire conduite par le Dr. Joseph Khoury.

Cette mutation des activités purement commerciales à celles dites industrielles intervient dans un contexte où les vieilles maisons de l’industrie telles qu’Abinader ne sont plus vraiment en activité. Comment expliquez-vous cela?
En 1986, j’ai été victime à Paris, d’un grave accident, ce qui m’a contraint à être éloigné de toutes mes activités durant plusieurs année. Me croyant condamné et profitant de mon absence, certaines personnes indélicates, malheureusement, m’ont spolié de mes sociétés, à savoir Abinader SA et Nandjelait SA (Yoplait). J’ai dû à mon retour, me battre juridiquement en vue de leur récupération. Je précise que j’ai commencé avec mon père dès l’âge de 15 ans, j’ai racheté l’usine des bonbons Djamo et des chewing-gum Mimos à 28 ans, après avoir occupé successivement les postes de machiniste, technicien, directeur technique et directeur général à 25 ans. Par la suite, j’ai créé et monté en 1979, l’usine des chewing-gums Hoolywood et MALABAR sous franchise General Foods FRANCE ainsi que l’usine de produits laitiers Yoplait et Candia sous franchise Sodima aujourd’hui Sodial France en 1984. Je garde espoir de remettre à nouveau mes usines en route au-delà des aspects financiers, sont avant tout, ma passion. Je ne vais donc pas renoncer à créér d’autres activités industrielles et à monter de nouvelles usines qui sont, comme je l’ai souligné plus haut, une vocation familiale voire un sacerdoce. Dieu, aidant les justes et les bons, saura me rétablir dans mes droits ! Devant le Seigneur, chacun répondra de ses actes et sera jugé sans faveur, ni privilège quelconque.

Cette évolution s’accompagne d’un accroissement du poids des Libanais dans l’économie ivoirienne. Mais la contribution à l’économie réelle semblerait toute relative eu égard à certaines pratiques de gestion peu orthodoxes. Avez-vous la même lecture économique ?
Dans toute communauté, il y a des bons et des moins bons. Certes, il faut reconnaître que certains Libanais jettent l’anathème sur leur communauté par des actes peu orthodoxes comme vous le disiez, encourageant ainsi la corruption dans les secteurs clés tels que la justice, les impôts et la douane qui constituent les poumons de l’économie. Ce que je reprouve et dénonce avec véhémence. Fort heureusement d’ailleurs, ils ne sont pas les plus nombreux. Il ne faudrait donc pas généraliser le cas de ces Libanais que j’appelle «les nouveaux riches» qui doivent être également concernés par la moralisation de la vie publique et privée actuellement en cours en Côte d’Ivoire. Je ne crois pas que les Libanais aient une contribution relative ou faible à l’économie ivoirienne. Au contraire, l’activité des Libanais qui s’est fortement diversifiée et ceux qu’on retrouve dans les différents secteurs économiques, soutiennent fortement les finances de la Côte d’Ivoire. Feu Félix Houphouët-Boigny avait averti au cours de sa conférence de presse en date du 14 février 1985, que «L’arbre ivoirien donne de l’ombre et des fruits savoureux à tous ceux qui s’assoient à son pied. Il faut que tous ensemble, nous soignions le pied de cet arbre, que nous fassions tout pour que cet arbre demeure sain pour le plus grand bien de nous tous. Les Libanais le comprendront dans l’intérêt bien entendu, des Libanais et des Ivoiriens».

Un peu plus intégrés, de plus en plus des membres de la communauté ont tendance à se prononcer sur la situation sociopolitique de leur pays d’adoption. Quelle est votre point de vue sur cette autre évolution?
Le Président Laurent Gbagbo, avait matérialisé l’intégration de la communauté libanaise en Côte d’Ivoire qui constitue la 63ème ethnie, en nommant deux de ces membres, messieurs Roland Dagher et Fouad Omaïs à l’auguste institution du Conseil Economique et Social. Cependant, cette intégration ne nous autorise pas à nous approprier des débats politiques qui concernent en premier chef les Ivoiriens. Les Libanais doivent, comme ils l’ont toujours su le faire, conserver leur devoir de réserve vis-à-vis de leurs hôtes et éviter de les indisposer en s’immisçant dans les débats politiques. Il faut laisser le temps au temps… Je pense qu’il y a d’autres terrains sur lesquels nous les Ivoiro-Libanais pouvons apporter notre contribution à la construction de notre très cher pays, la Côte d’Ivoire. Il s’agit du domaine économique, culturel, associatif et sportif.

Vous avez des amitiés diverses, quel est votre secret ?
Ai-je un secret ? Tout ce que le Seigneur fait est merveilleux. Les amitiés que j’ai de tous les côtés sont des signes de Dieu, des moyens qu’il utilise pour nous éprouver. Il n’est pas donné à tout le monde de cultiver des amitiés qui transcendent les chapelles politiques et les clivages idéologiques. Puisque, justement, ce sont les questions politiciennes et les ambitions politiques qui divisent, je me suis gardé de mêler les questions politiques avec les relations fraternelles et amicales. Vous verrez que toutes les amitiés que j’ai, tant du pouvoir, que de l’opposition, sont des relations anciennes et fortes. Ce ne sont pas des relations circonstancielles, nouvelles. S’il devait y avoir un secret pour expliquer cela, en dehors des voies du Seigneur, je dirai que c’est le fruit d’un souci de dialogue, de partage, de pardon et de sincérité. On ne peut pas avoir des amis aux préoccupations divergentes, si on ne cultive pas la foi, la justice, la bonté, le partage, le pardon et surtout l’amour de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens. Cet aspect est essentiel puisque après tout, ce sont des relations entre frères, avec des Ivoiriens que je cultive depuis 1954. J’avais 4 ans…

C.P
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