Le président de la Coalition ivoirienne de la Cpi (CiCpi) revient sur les implications de la signature du Statut de Rome, le transfèrement contre Laurent Gbagbo, le mandat contre Simone Gbagbo.
La Côte d’Ivoire a été admise le 18 mars comme le 122ème membre de la Cpi. Peut-on dire que c’est une victoire pour vous ?
En tant que structure de défense des droits de l’Homme, nous avons demandé que le pays entre dans le concert des nations faisant partie de la Cpi. Les autorités de l’époque ont eu une oreille attentive à cette campagne et ont manifesté l’intention de ratifier le statut de Rome. Comme le stipule l’article 95 de la Constitution, le président de la République, avant de ratifier un instrument international, demande l’avis du Conseil constitutionnel pour voir la conformité entre cet instrument et la Loi fondamentale. Ce qui a été fait, malheureusement, le Conseil constitutionnel a émis un avis défavorable.
C’était en quelle année ?
C’était en 2003. Cette juridiction a affirmé qu’il y avait des clauses de la Constitution qui n’étaient pas conformes au Statut de Rome. Beaucoup de crimes ont été commis depuis le déclenchement de la crise de septembre 2002 et nous avons dit que si ce n’était pas possible de ratifier en l’état, que l’on ait recours à une disposition de l’article 12.3 du Statut de Rome qui permet à un Etat qui n’a pas ratifié le traité, de reconnaître la compétence de la cour. C’est ce que les autorités ivoiriennes ont fait à travers une déclaration adressée à la Cpi particulièrement au greffe pour reconnaître seulement les compétences juridictionnelles du tribunal de La Haye. Ce qui était synonyme d’une ratification ad hoc. Bien qu’elle n’ait pas ratifié le Statut de Rome, la Côte d’Ivoire a la possibilité de pouvoir vivre comme un Etat-partie. Après cela, il y a eu des tentatives d’arrivée du procureur Louis Moreno-Ocampo, parce que la Côte d’Ivoire a été mise sous enquête préliminaire qui avait commencé. Cette visite n’a pas pu avoir lieu parce que les autorités de l’époque ont estimé qu’on était en phase de réconciliation ; qu’il ne fallait pas mettre de l’huile sur le feu, parce que si la Cpi venait, cela pouvait mettre à mal la réconciliation.
Pour revenir au processus de ratification, il faut dire qu’il y avait deux choses à faire : ou bien l’Assemblée nationale faisait une reforme institutionnelle ou alors, il fallait organiser un referendum. Mais après la crise de septembre 2002, le Parlement n’était plus reconnu par la communauté internationale. Donc la reforme institutionnelle n’était pas possible et également, la Constitution ivoirienne dit que lorsque le pays est divisé, on ne peut pas faire de référendum. D’où le blocage à ce niveau. C’est l’une des raisons qui nous ont poussés à demander que la Côte d’Ivoire reconnaisse les compétences juridictionnelles de la Cpi à travers. Cela a été fait sous l’ancien régime. Le président Ouattara a confirmé cette reconnaissance en décembre 2010 et en mai 2011. Après cette confirmation, il y a eu un processus qui a été enclenché. Notamment, une enquête a été ouverte pour les crimes commis pendant la crise postélectorale, et tout le monde sait le résultat qui en a découlé. Un résultat concernant le mandat d’arrêt contre l’ancien président transféré à La Haye et un autre mandat contre son épouse qui est encore là. Depuis que l’Assemblée nationale est reconnue et que tous les organes sont en place, il fallait que la Côte d’Ivoire passe par la reforme institutionnelle pour reconnaître la compétence de la Cour. Donc, ratifier véritablement le Statut de Rome. Ce qui a été fait depuis décembre. La Côte d’Ivoire a déposé son instrument de ratification le 15 février 2013 au niveau des Nations unies. Après cette étape, elle a déposé les instruments de ratification à La Haye le 18 mars. Il faut attendre le premier jour après le 60ème jour, donc 61 jours pour que le traité entre en vigueur. Les cérémonies qui se déroulent actuellement font partie du protocole habituel. Après avoir déposé l’instrument aux Nations unies, il fallait que la Cpi accueille officiellement la Côte d’Ivoire comme son 122ème Etat-partie. C’est qui a été fait à La Haye le 18 mars.
Au cours de cette cérémonie, le juge principal Sang-Hyun Song a parlé d’exception dans le cas ivoirien. De quoi s’agit-il réellement ?
Au niveau de la Côte d’Ivoire, il faut reconnaître dans un premier temps qu’elle est le seul pays dans le monde qui n’est pas Etat-partie ayant reconnu les compétences juridictionnelles de la Cpi à travers l’article 12.3 du Statut de Rome qui permet à un Etat non signataire de reconnaître les compétences de la Cour. C’est vraiment exceptionnel. Puisque pour être état partie, il faut d’abord ratifier le Statut. Ce qui n’était pas le cas de la Côte d’Ivoire. C’est lorsqu’on ratifie le Statut qu’on reconnait les compétences, la Côte d’Ivoire ne l’a pas fait mais elle est passée par cette clause de l’article 12.3 du statut pour reconnaître les compétences de la Cpi. Ce qui est comme une ratification ad hoc. Mais cela n’empêche pas qu’il fallait que la Côte d’Ivoire ratifie officiellement le Statut de Rome en suivant toutes les procédures. L’exception, c’est également à ce niveau-là. L’autre exception, lorsque l’Etat a ratifié le statut, les modes de saisine sont : soit l’Etat demande à ce qu’on ouvre une enquête, soit le procureur, de son propre chef peut s’autosaisir d’une situation en dehors du cadre du Conseil de sécurité. La Côte d’Ivoire n’était pas dans ces dispositions, mais ayant reconnu les compétences juridictionnelle de la Cour, elle ne pouvait pas la saisir officiellement pour qu’elle intervienne, mais c’est par personne interposée qu’elle l’a saisie. C’est aussi une exception. Donc le procureur s’est autosaisi comme si la Côte d’Ivoire était un Etat-partie.
Maintenant que la Côte d’Ivoire a ratifié le statut, que va-t-il se passer?
Il faut d’abord qu’il y ait l’entrée en vigueur qui intervient après le 61ème jour après le dépôt des instruments de ratification. La seconde étape, il faut ratifier l’Accord sur les privilèges et immunités (Api) qui est un instrument qui accompagne la ratification. Il permettra aux membres de la Cour de pouvoir disposer de tous les privilèges et immunités dans le cadre de leurs fonctions en Côte d’Ivoire. Par exemple en Lybie, il y a eu un incident où des membres de la cour se sont rendus conformément aux enquêtes relatives à la saisine par rapport à une saisine du Conseil de sécurité. Des membres y ont été emprisonnés parce qu’ils n’avaient pas ces privilèges et cette immunités. Ce sont des dispositions qu’on demande à la Côte d’Ivoire de prendre. Nous avons de bonnes nouvelles concernant cet aspect, mais il faut d’abord qu’on les vérifie. Nous avons appris que la Côte d’Ivoire a signé des accords de coopération avec le greffe et le bureau du procureur. Est-ce que c’est vraiment l’Api ? Nous allons vérifier. Si c’est le cas, tant mieux. Dans le temps, le Conseil constitutionnel a dit qu’il n’y avait pas de conformité entre la Constitution ivoirienne et certaines clauses du Statut de Rome. Étant donné qu’il est le supra et l’autre national, il faudra rendre conforme ces dispositions qui sont incompatibles avec la Constitution ivoirienne pour pouvoir faire une harmonisation, une codification. Il faudrait qu’on essaie de soustraire les lois antinomiques avec les dispositions du Statut de Rome. Il faudrait qu’il y ait une loi de mise en œuvre ensuite faire une harmonisation des textes. C’est le plus gros travail. A ce niveau-là, il faudra que l’Assemblée nationale puisse adopter la loi de mise en œuvre.
Donc il reste beaucoup à faire
Certes un grand pas a été franchi, mais le plus complexe reste à venir. Nous avons dit aux autorités que nous sommes prêts à apporter notre expertise pour qu’on puisse prendre nos textes au niveau du code pénal pour voir les dispositions qui sont contraires au statut de Rome afin de faire une harmonisation. Par exemple la prescription du crime au niveau du code pénal ivoirien est de dix ans, alors qu’ils sont imprescriptibles au niveau de la Cpi. Voilà un élément qu’il faudra essayer d’harmoniser pour qu’au niveau du code pénal, les crimes soient imprescriptibles. Dans le code pénal, le volet crime contre l’humanité n’a pas le même contenu du statut de Rome. Au niveau de la constitution de 2000, la peine de mort est abolie, mais il existe au niveau du code pénal. Alors qu’au niveau de la Cpi, il n’y a pas de peine de mort. Bref ! C’est un travail méticuleux, juridique à faire.
Quelles sont les retombées pour la Côte d’ivoire après avoir ratifié le statut de la Cpi ?
La Côte d’Ivoire gagne beaucoup. D’abord, c’est la lutte contre l’impunité qui privilégie les victimes. Ensuite elle instaure l’Etat de droit, car désormais il n’y aura plus d’impunité par conséquent, personne ne sera au dessus de la loi. Que ce soit un chef d’Etat, un citoyen lambda. C’est la Côte d’Ivoire qui gagne. Cela permettra aussi l’instauration d’une paix durable, puisque la justice sera équitable. S’il y a une paix durable, il va avoir un développement durable, étant donné que sans stabilité, il ne peut pas y avoir de progrès. L’impunité, c’est l’encouragement à la récidive. Si on lutte contre l’impunité il n’y aura pas de récidive. Avant la ratification, la coopération était à sens unique avec la Cpi. Dès qu’on a ratifié le statut, nous avons l’avantage juridique qui donne la primauté des affaires à l’Etat-partie. C'est-à-dire que la Côte d’Ivoire affirme sa souveraineté. S’il y a des crimes qui relèvent de la compétence de la Cpi, la Côte d’Ivoire a la primauté pour mener des enquêtes. S’il n’y a pas de volonté d’extraire un criminel des mailles de la justice en essayant de faire un semblant de procès, c’est en ce moment que la Cpi vient en dernier ressort. Chaque année il y a une assemblée des Etats-parties qui a lieu à la Haye ou au siège des Nations unies à New York. Donc la Côte d’Ivoire pourra participer au débat et apporter son point de vue à l’épanouissement de la justice internationale, elle pourra également postuler pour proposer des candidats au poste de juge ou à des postes importants à la Cpi.
Si on s’en tient à vos propos, Simone Gbagbo ne devrait plus être transférée à la Cpi, puisque la Côte d’Ivoire est souveraine pour la juger.
C’est une affaire qui mérite discussion. Si la Cpi a ouvert une enquête avant la Côte d’Ivoire, alors Mme Gbagbo devra y être transférée. Nous ne sommes pas dans le secret des Dieux, mais nous savons qu’une enquête avait été ouverte au niveau de la Côte d’Ivoire où il y a eu un premier et un deuxième mandat émis contre elle. C’était sous scellé depuis février. Depuis que les mandats d’arrêt ont été émis, il faut voir si l’enquête que la Côte d’Ivoire avait lancée, l’inculpait pour les crimes mentionnés sur le mandat d’arrêt de la Cpi. Si c’est le cas, alors la Côte d’Ivoire peut juger Simone Gbagbo. Mais nous n’avons pas toutes ces informations. On n’avait pas d’information sur les charges retenues contre elle, si elles concernaient les crimes de compétence de la Cpi. Voilà le débat. De notre point de vue, la Côte d’Ivoire n’a pas les capacités de juger Mme Simone Gbagbo pour plusieurs raisons. On sort d’une crise, il faut harmoniser les textes, qu’il y ait une loi de mise en œuvre, des dispositions du Code pénal, parce que les charges retenues contre Simone Gbagbo par la Cpi ne sont pas mentionnées au niveau de notre code de procédure pénal. Par quel mécanisme la Côte d’Ivoire va parvenir à le faire, alors que le statut entre en vigueur en mai. C’est après tout ce mécanisme qu’elle peut se dire prête à juger Simone Gbagbo.
La Cpi peut attendre qu’on finisse avec toutes ces reformes pour que le pays juge Simone Gbagbo…
La Cpi est indépendante. Elle n’attend pas, elle travaille. Si par extraordinaire, la Côte d’Ivoire arrive à le faire à temps, d’ici le 61ème jour, il n’y a pas de problème. La Cpi est indépendante, elle n’entre pas dans les jeux politiques.
Pourquoi avez-vous demandé que les enquêtes remontent à septembre 2002 ?
C’est la crise de septembre 2002 qui a poussé les autorités de l’époque à demander que la Cpi ouvre une enquête en Côte d’Ivoire. Cela a été possible grâce au lobbying des Ong de défense des droits de l’homme pour qu’il y ait une justice pour les victimes. Il serait vraiment injuste que la Cpi ne s’intéresse qu’aux victimes de la période de la crise postélectorale et néglige celles de la crise de septembre 2002. C’est une question de logique. Avec l’imprescriptibilité des crimes, il était normal que les premières victimes ne soient pas sacrifiées et que tous les bourreaux répondent de leurs crimes devant la justice internationale. C’est à ce prix que l’impunité peut cesser. Ce serait trop facile qu’on poursuive les auteurs des crimes graves d’une certaine période et que des bourreaux d’une autre époque échappent à la justice. Il faut penser aux victimes. Nous avons adressé une demande à la Cpi et notre requête a été entendue.
Y a-t-il un complot contre Gbagbo à la Cpi comment l’entend-t-on dire ?
Il faut éviter l’amalgame entre les questions judiciaires et les affaires politiques. Celui qui a commis une faute ne doit pas être au dessus de la loi. Il n’y a pas de privilégié au niveau de la Cpi. Que tout le monde comprenne qu’on ne peut commettre des crimes impunément aujourd’hui comme par le passé. Cette juridiction a été créée pour lutter contre l’impunité ; il n’y a donc pas de complot contre Laurent Gbagbo. Tous les chefs d’Etat doivent savoir qu’il y a désormais une justice pour les victimes qu’ils oppriment.
Au Kenya, Uhuru kenyata, qui est poursuivi par la Cpi, vient d’être élu président. N’est-ce pas un désaveu?
Non ! Ce n’est pas un désaveu, puisse qu’il a été cité à comparaitre. Il n’y a ni mandat d’arrêt ni mandat d’emmener. Au niveau de la procédure, il y a le mandat d’arrêt suivi d’un transfèrement et le mandat à comparaitre. Il n’y a de désaveu. La Cpi travaille pour les victimes, pas pour elle-même. Elle travaille pour vous et moi. Elle a été créée pour lutter contre l’impunité. Si à travers la Cpi, la voix des sans voix peut être entendue et avoir réparation pour ces victimes, c’est tant mieux pour ces personnes là. Le président Kenyatta a dit qu’il va respecter ses obligations. S’il ne le fait pas, top ou tard, il répondra de ses actes.
Nomel Essis
Leg : Ali Ouattara revient sur les implications de la signature du Statut de Rome. Ph : Cyrille Bah
La Côte d’Ivoire a été admise le 18 mars comme le 122ème membre de la Cpi. Peut-on dire que c’est une victoire pour vous ?
En tant que structure de défense des droits de l’Homme, nous avons demandé que le pays entre dans le concert des nations faisant partie de la Cpi. Les autorités de l’époque ont eu une oreille attentive à cette campagne et ont manifesté l’intention de ratifier le statut de Rome. Comme le stipule l’article 95 de la Constitution, le président de la République, avant de ratifier un instrument international, demande l’avis du Conseil constitutionnel pour voir la conformité entre cet instrument et la Loi fondamentale. Ce qui a été fait, malheureusement, le Conseil constitutionnel a émis un avis défavorable.
C’était en quelle année ?
C’était en 2003. Cette juridiction a affirmé qu’il y avait des clauses de la Constitution qui n’étaient pas conformes au Statut de Rome. Beaucoup de crimes ont été commis depuis le déclenchement de la crise de septembre 2002 et nous avons dit que si ce n’était pas possible de ratifier en l’état, que l’on ait recours à une disposition de l’article 12.3 du Statut de Rome qui permet à un Etat qui n’a pas ratifié le traité, de reconnaître la compétence de la cour. C’est ce que les autorités ivoiriennes ont fait à travers une déclaration adressée à la Cpi particulièrement au greffe pour reconnaître seulement les compétences juridictionnelles du tribunal de La Haye. Ce qui était synonyme d’une ratification ad hoc. Bien qu’elle n’ait pas ratifié le Statut de Rome, la Côte d’Ivoire a la possibilité de pouvoir vivre comme un Etat-partie. Après cela, il y a eu des tentatives d’arrivée du procureur Louis Moreno-Ocampo, parce que la Côte d’Ivoire a été mise sous enquête préliminaire qui avait commencé. Cette visite n’a pas pu avoir lieu parce que les autorités de l’époque ont estimé qu’on était en phase de réconciliation ; qu’il ne fallait pas mettre de l’huile sur le feu, parce que si la Cpi venait, cela pouvait mettre à mal la réconciliation.
Pour revenir au processus de ratification, il faut dire qu’il y avait deux choses à faire : ou bien l’Assemblée nationale faisait une reforme institutionnelle ou alors, il fallait organiser un referendum. Mais après la crise de septembre 2002, le Parlement n’était plus reconnu par la communauté internationale. Donc la reforme institutionnelle n’était pas possible et également, la Constitution ivoirienne dit que lorsque le pays est divisé, on ne peut pas faire de référendum. D’où le blocage à ce niveau. C’est l’une des raisons qui nous ont poussés à demander que la Côte d’Ivoire reconnaisse les compétences juridictionnelles de la Cpi à travers. Cela a été fait sous l’ancien régime. Le président Ouattara a confirmé cette reconnaissance en décembre 2010 et en mai 2011. Après cette confirmation, il y a eu un processus qui a été enclenché. Notamment, une enquête a été ouverte pour les crimes commis pendant la crise postélectorale, et tout le monde sait le résultat qui en a découlé. Un résultat concernant le mandat d’arrêt contre l’ancien président transféré à La Haye et un autre mandat contre son épouse qui est encore là. Depuis que l’Assemblée nationale est reconnue et que tous les organes sont en place, il fallait que la Côte d’Ivoire passe par la reforme institutionnelle pour reconnaître la compétence de la Cour. Donc, ratifier véritablement le Statut de Rome. Ce qui a été fait depuis décembre. La Côte d’Ivoire a déposé son instrument de ratification le 15 février 2013 au niveau des Nations unies. Après cette étape, elle a déposé les instruments de ratification à La Haye le 18 mars. Il faut attendre le premier jour après le 60ème jour, donc 61 jours pour que le traité entre en vigueur. Les cérémonies qui se déroulent actuellement font partie du protocole habituel. Après avoir déposé l’instrument aux Nations unies, il fallait que la Cpi accueille officiellement la Côte d’Ivoire comme son 122ème Etat-partie. C’est qui a été fait à La Haye le 18 mars.
Au cours de cette cérémonie, le juge principal Sang-Hyun Song a parlé d’exception dans le cas ivoirien. De quoi s’agit-il réellement ?
Au niveau de la Côte d’Ivoire, il faut reconnaître dans un premier temps qu’elle est le seul pays dans le monde qui n’est pas Etat-partie ayant reconnu les compétences juridictionnelles de la Cpi à travers l’article 12.3 du Statut de Rome qui permet à un Etat non signataire de reconnaître les compétences de la Cour. C’est vraiment exceptionnel. Puisque pour être état partie, il faut d’abord ratifier le Statut. Ce qui n’était pas le cas de la Côte d’Ivoire. C’est lorsqu’on ratifie le Statut qu’on reconnait les compétences, la Côte d’Ivoire ne l’a pas fait mais elle est passée par cette clause de l’article 12.3 du statut pour reconnaître les compétences de la Cpi. Ce qui est comme une ratification ad hoc. Mais cela n’empêche pas qu’il fallait que la Côte d’Ivoire ratifie officiellement le Statut de Rome en suivant toutes les procédures. L’exception, c’est également à ce niveau-là. L’autre exception, lorsque l’Etat a ratifié le statut, les modes de saisine sont : soit l’Etat demande à ce qu’on ouvre une enquête, soit le procureur, de son propre chef peut s’autosaisir d’une situation en dehors du cadre du Conseil de sécurité. La Côte d’Ivoire n’était pas dans ces dispositions, mais ayant reconnu les compétences juridictionnelle de la Cour, elle ne pouvait pas la saisir officiellement pour qu’elle intervienne, mais c’est par personne interposée qu’elle l’a saisie. C’est aussi une exception. Donc le procureur s’est autosaisi comme si la Côte d’Ivoire était un Etat-partie.
Maintenant que la Côte d’Ivoire a ratifié le statut, que va-t-il se passer?
Il faut d’abord qu’il y ait l’entrée en vigueur qui intervient après le 61ème jour après le dépôt des instruments de ratification. La seconde étape, il faut ratifier l’Accord sur les privilèges et immunités (Api) qui est un instrument qui accompagne la ratification. Il permettra aux membres de la Cour de pouvoir disposer de tous les privilèges et immunités dans le cadre de leurs fonctions en Côte d’Ivoire. Par exemple en Lybie, il y a eu un incident où des membres de la cour se sont rendus conformément aux enquêtes relatives à la saisine par rapport à une saisine du Conseil de sécurité. Des membres y ont été emprisonnés parce qu’ils n’avaient pas ces privilèges et cette immunités. Ce sont des dispositions qu’on demande à la Côte d’Ivoire de prendre. Nous avons de bonnes nouvelles concernant cet aspect, mais il faut d’abord qu’on les vérifie. Nous avons appris que la Côte d’Ivoire a signé des accords de coopération avec le greffe et le bureau du procureur. Est-ce que c’est vraiment l’Api ? Nous allons vérifier. Si c’est le cas, tant mieux. Dans le temps, le Conseil constitutionnel a dit qu’il n’y avait pas de conformité entre la Constitution ivoirienne et certaines clauses du Statut de Rome. Étant donné qu’il est le supra et l’autre national, il faudra rendre conforme ces dispositions qui sont incompatibles avec la Constitution ivoirienne pour pouvoir faire une harmonisation, une codification. Il faudrait qu’on essaie de soustraire les lois antinomiques avec les dispositions du Statut de Rome. Il faudrait qu’il y ait une loi de mise en œuvre ensuite faire une harmonisation des textes. C’est le plus gros travail. A ce niveau-là, il faudra que l’Assemblée nationale puisse adopter la loi de mise en œuvre.
Donc il reste beaucoup à faire
Certes un grand pas a été franchi, mais le plus complexe reste à venir. Nous avons dit aux autorités que nous sommes prêts à apporter notre expertise pour qu’on puisse prendre nos textes au niveau du code pénal pour voir les dispositions qui sont contraires au statut de Rome afin de faire une harmonisation. Par exemple la prescription du crime au niveau du code pénal ivoirien est de dix ans, alors qu’ils sont imprescriptibles au niveau de la Cpi. Voilà un élément qu’il faudra essayer d’harmoniser pour qu’au niveau du code pénal, les crimes soient imprescriptibles. Dans le code pénal, le volet crime contre l’humanité n’a pas le même contenu du statut de Rome. Au niveau de la constitution de 2000, la peine de mort est abolie, mais il existe au niveau du code pénal. Alors qu’au niveau de la Cpi, il n’y a pas de peine de mort. Bref ! C’est un travail méticuleux, juridique à faire.
Quelles sont les retombées pour la Côte d’ivoire après avoir ratifié le statut de la Cpi ?
La Côte d’Ivoire gagne beaucoup. D’abord, c’est la lutte contre l’impunité qui privilégie les victimes. Ensuite elle instaure l’Etat de droit, car désormais il n’y aura plus d’impunité par conséquent, personne ne sera au dessus de la loi. Que ce soit un chef d’Etat, un citoyen lambda. C’est la Côte d’Ivoire qui gagne. Cela permettra aussi l’instauration d’une paix durable, puisque la justice sera équitable. S’il y a une paix durable, il va avoir un développement durable, étant donné que sans stabilité, il ne peut pas y avoir de progrès. L’impunité, c’est l’encouragement à la récidive. Si on lutte contre l’impunité il n’y aura pas de récidive. Avant la ratification, la coopération était à sens unique avec la Cpi. Dès qu’on a ratifié le statut, nous avons l’avantage juridique qui donne la primauté des affaires à l’Etat-partie. C'est-à-dire que la Côte d’Ivoire affirme sa souveraineté. S’il y a des crimes qui relèvent de la compétence de la Cpi, la Côte d’Ivoire a la primauté pour mener des enquêtes. S’il n’y a pas de volonté d’extraire un criminel des mailles de la justice en essayant de faire un semblant de procès, c’est en ce moment que la Cpi vient en dernier ressort. Chaque année il y a une assemblée des Etats-parties qui a lieu à la Haye ou au siège des Nations unies à New York. Donc la Côte d’Ivoire pourra participer au débat et apporter son point de vue à l’épanouissement de la justice internationale, elle pourra également postuler pour proposer des candidats au poste de juge ou à des postes importants à la Cpi.
Si on s’en tient à vos propos, Simone Gbagbo ne devrait plus être transférée à la Cpi, puisque la Côte d’Ivoire est souveraine pour la juger.
C’est une affaire qui mérite discussion. Si la Cpi a ouvert une enquête avant la Côte d’Ivoire, alors Mme Gbagbo devra y être transférée. Nous ne sommes pas dans le secret des Dieux, mais nous savons qu’une enquête avait été ouverte au niveau de la Côte d’Ivoire où il y a eu un premier et un deuxième mandat émis contre elle. C’était sous scellé depuis février. Depuis que les mandats d’arrêt ont été émis, il faut voir si l’enquête que la Côte d’Ivoire avait lancée, l’inculpait pour les crimes mentionnés sur le mandat d’arrêt de la Cpi. Si c’est le cas, alors la Côte d’Ivoire peut juger Simone Gbagbo. Mais nous n’avons pas toutes ces informations. On n’avait pas d’information sur les charges retenues contre elle, si elles concernaient les crimes de compétence de la Cpi. Voilà le débat. De notre point de vue, la Côte d’Ivoire n’a pas les capacités de juger Mme Simone Gbagbo pour plusieurs raisons. On sort d’une crise, il faut harmoniser les textes, qu’il y ait une loi de mise en œuvre, des dispositions du Code pénal, parce que les charges retenues contre Simone Gbagbo par la Cpi ne sont pas mentionnées au niveau de notre code de procédure pénal. Par quel mécanisme la Côte d’Ivoire va parvenir à le faire, alors que le statut entre en vigueur en mai. C’est après tout ce mécanisme qu’elle peut se dire prête à juger Simone Gbagbo.
La Cpi peut attendre qu’on finisse avec toutes ces reformes pour que le pays juge Simone Gbagbo…
La Cpi est indépendante. Elle n’attend pas, elle travaille. Si par extraordinaire, la Côte d’Ivoire arrive à le faire à temps, d’ici le 61ème jour, il n’y a pas de problème. La Cpi est indépendante, elle n’entre pas dans les jeux politiques.
Pourquoi avez-vous demandé que les enquêtes remontent à septembre 2002 ?
C’est la crise de septembre 2002 qui a poussé les autorités de l’époque à demander que la Cpi ouvre une enquête en Côte d’Ivoire. Cela a été possible grâce au lobbying des Ong de défense des droits de l’homme pour qu’il y ait une justice pour les victimes. Il serait vraiment injuste que la Cpi ne s’intéresse qu’aux victimes de la période de la crise postélectorale et néglige celles de la crise de septembre 2002. C’est une question de logique. Avec l’imprescriptibilité des crimes, il était normal que les premières victimes ne soient pas sacrifiées et que tous les bourreaux répondent de leurs crimes devant la justice internationale. C’est à ce prix que l’impunité peut cesser. Ce serait trop facile qu’on poursuive les auteurs des crimes graves d’une certaine période et que des bourreaux d’une autre époque échappent à la justice. Il faut penser aux victimes. Nous avons adressé une demande à la Cpi et notre requête a été entendue.
Y a-t-il un complot contre Gbagbo à la Cpi comment l’entend-t-on dire ?
Il faut éviter l’amalgame entre les questions judiciaires et les affaires politiques. Celui qui a commis une faute ne doit pas être au dessus de la loi. Il n’y a pas de privilégié au niveau de la Cpi. Que tout le monde comprenne qu’on ne peut commettre des crimes impunément aujourd’hui comme par le passé. Cette juridiction a été créée pour lutter contre l’impunité ; il n’y a donc pas de complot contre Laurent Gbagbo. Tous les chefs d’Etat doivent savoir qu’il y a désormais une justice pour les victimes qu’ils oppriment.
Au Kenya, Uhuru kenyata, qui est poursuivi par la Cpi, vient d’être élu président. N’est-ce pas un désaveu?
Non ! Ce n’est pas un désaveu, puisse qu’il a été cité à comparaitre. Il n’y a ni mandat d’arrêt ni mandat d’emmener. Au niveau de la procédure, il y a le mandat d’arrêt suivi d’un transfèrement et le mandat à comparaitre. Il n’y a de désaveu. La Cpi travaille pour les victimes, pas pour elle-même. Elle travaille pour vous et moi. Elle a été créée pour lutter contre l’impunité. Si à travers la Cpi, la voix des sans voix peut être entendue et avoir réparation pour ces victimes, c’est tant mieux pour ces personnes là. Le président Kenyatta a dit qu’il va respecter ses obligations. S’il ne le fait pas, top ou tard, il répondra de ses actes.
Nomel Essis
Leg : Ali Ouattara revient sur les implications de la signature du Statut de Rome. Ph : Cyrille Bah