Le débat sur la nationalité prend des proportions qu’il ne devait pas prendre. Malheureusement, des politiciens prennent le malin plaisir à attiser le feu au moment où la Côte d’Ivoire qui vient de sortir d’une crise meurtrière, a besoin de paix et de stabilité. Samedi dernier, dans sa parution du jour, le quotidien « Notre Voie » a publié une longue contribution du Pr. Hubert Oulaye. L’argumentaire du maitre est, compréhensible sur certains aspects de la question abordée. Sa réponse à la contribution du ministre Ibrahim Cissé Bacongo dans le débat sur la nationalité rencontre à certains points notre assentiment. Car convaincu comme lui que le problème de la nationalité est une question assez fondamentale pour le devenir de la Côte d’Ivoire. Mais là où nous ne sommes pas d’accord avec lui, c’est sa propension à vouloir ramener la crise identitaire que nous avons traversé au cours des dix dernières années écoulées à l’instauration de la carte de séjour et de vouloir coûte que coûte faire du président Alassane Ouattara le responsable des conséquences qui en ont découlé.
« La crise de nationalité diagnostiquée est un « faux problème », le vrai problème est ailleurs. Il réside dans l’instrumentalisation à des fins politiques, des frustrations réelles des étrangers vivant en Côte d’Ivoire, victimes des dérapages policiers à l’occasion des contrôles de la carte de séjour instituée par le Premier ministre Alassane Ouattara en 1990 », écrit le Pr Hubert Oulaye. Il va plus loin dans sa réflexion en insinuant que c’est l’ancien Premier ministre de Félix Houphouët-Boigny qui est à la base des causes qui ont provoqué la crise identitaire que la Côte d’Ivoire a connue durant la dernière décennie. L’éminent professeur agrégéde droit dit à la fois une chose et son contraire. Car les contradictions de la thèse qu’il développe sont contenues même dans les arguments qu’il avance pour la soutenir. D’abord, l’institution de la carte de séjour n’est pas le fait, comme il essaye de le défendre, sans doute, pour des raisons de politique politicienne, du Premier ministre Alassane Ouattara. Mais d’une équipe. Car le grand constitutionnaliste qu’il est n’est pas sans savoir que, dans un régime présidentialiste comme celui de la Côte d’Ivoire, le Premier ministre n’est qu’un délégué du président de la République. Le premier des ministres. Alassane Ouattara n’a pas pris sur lui-même de faire passer une telle décision sans l’accord de l’équipe gouvernementale d’alors dirigé par le président de la République, Félix Houphouët-Boigny. Ensuite, le Premier ministre Alassane Ouattara n’était plus aux affaires lorsque les tracasseries et les abus contre les étrangers qu’il évoque d’ailleurs dans sa contribution, ont commencé à se faire plus récurrents et plus flagrants. Ouattara n’a pas armé l’esprit des policiers et gendarmes qui s’amusaient à « pourchasser les étrangers jusque dans les mosquées » pour leur demander leur carte de séjour. Mais c’est plutôt la notion dévoyée de l’ivoirité qui a servi de prétexte à des agents véreux nourris par le discours sectaire et xénophobe de certains politiciens tout le long de la décennie 90 qui a encouragé cette situation. Qu’a fait le FPI pour mettre fin à cette situation lorsqu’il est arrivé au pouvoir ? Rient du tout. Pire, par opportunisme politique, ses dirigeants se sont engouffrés dans la brèche déjà ouverte pour en faire un véritable boulevard. Pour accéder au pouvoir, le FPI s’est appuyé sur les thèses ivoiritaires. On se souvient, sous la transition militaro-civil de 2000, de la fameuse rencontre du général Robert Guéi avec la classe politique provoquée par le FPI lui-même au lendemain de la position des sages de la Commission consultative constitutionnel et électorale (CCCE) en faveur du « Ou ». Qui ne se souvient pas ce jour-là de la « brillante prestation » de feu Me Emile Boga Doudou pour convaincre le général Robert Guéi, patron de la transition, à imposer le « Et » aux Ivoiriens qui pourtant avaient mandaté des représentants pour leur trouver une Constitution consensuelle. Même après sa prise de pouvoir dans les conditions jugées « calamiteuses » par Laurent Gbagbo lui-même en octobre 2000, le FPI peut-il regarder les Ivoiriens droit dans les yeux pour dire qu’il a posé des actes dans le sens d’atténuer ou de mettre fin à ces frustrations ? Rien n’est moins sûr. Car la suppression de la carte de séjour en novembre 2007 dont parle le Pr. Hubert Oulaye relève plus d’une opération de charme envers les ressortissants de la CEDEAO dans la perspective de l’élection présidentielle que d’un souci réel de mettre un terme aux actes ignobles et dégradants dont ils étaient l’objet. A preuve, dans la pratique, la décision de suppression de la carte de séjour n’a pas mis fin aux tracasseries. A défaut de la carte de séjour, les mêmes policiers et gendarmes toujours encouragés par le discours politique officiel se sont rabattus sur le fameux certificat de résidence pour rappeler aux Burkinabé, Togolais, Béninois, Sénégalais, Maliens et autres qu’ils demeurent toujours des étrangers dans notre beau pays. Nous en avons fait l’amère expérience, lorsqu’un soir de novembre 2009, entrant à la maison, nous avons été à la fois sidéré et écœuré de voir un ressortissant béninois séquestré à 22 heures passées par des agents de police du 20ème Arrondissement de Koumassi. Il nous a fallu user de persuasion pour sortir l’honnête citoyen de cette mauvaise passe. Le problème de la Côte d’Ivoire, contrairement à ce qu’avancer le ministre Hubert Oulaye, est bel et bien identitaire.
Le « problème de nationalité », comme il le prétend, n’est pas un « faux problème ». S’il l’était vraiment, pourquoi feu le ministre Emile Boga Doudou, dans son projet de loi de 2002, exigeait que les Ivoiriens aillent se faire recenser dans leur « village » ? A quoi répondait cette exigence aussi incongrue que grotesque dans un 21è siècle où les Etats aspirent plus au regroupement, à l’intégration qu’au repli tribal? Le projet de loi Boga Doudou montrait incontestablement qu’il y avait un véritable problème identitaire en Côte d’Ivoire. Mas la solution proposée par le FPI n’était pas la bonne. Car elle visait à catégoriser et à diviser. Le ministre Hubert Oulaye reconnait que celle arrêtée à Linas Marcoussis a été faite sur la base d’un minimum de consensus. « Les solutions retenues par Marcoussis, pour ce qui a été considéré comme étant de vrais problèmes, ont trait non pas à l’attribution de la nationalité ivoirienne d’origine aux étrangers résidents, mais à la naturalisation « facilitée » des enfants mineurs nés avant 1972, de parents tous deux étrangers vivant en Côte d’Ivoire avant 1960, qui souhaitent devenir ivoiriens », rappelle le Pr Hubert Oulaye. Mais c’est ce que veut justement faire le gouvernement avec le nouveau projet de loi portant Code sur la nationalité. Le Gouvernement veut permettre à tous ceux qui n’ont pas usé de leur droit d’option jusqu’en janvier 1973 de le faire. Et rien d’autre. Dans la logique de la nouvelle loi sur la famille qui consacre l’égalité des conjoints dans le mariage, le Gouvernement veut rendre automatique, comme c’est déjà le cas pour l’homme, l’acquisition de la nationalité ivoirienne pour le conjoint étranger. L’ancien ministre de la Fonction publique affirme que Laurent Gbagbo a pris cinq Décisions et une loi pour mettre en œuvre toutes les mesures arrêtées à Linas Marcoussis. Il reproche au ministre Cissé Bacongo ne pas en faire cas dans sa contribution. Mais Hubert Oulaye oublie de mentionner que le délai d’une année dans lequel a été inscrit la procédure de naturalisation « allégée » pour les anciens bénéficiaires des options prévues par la loi de 1961, n’a pas été exprès communiqué à temps pour empêcher le maximum d’ayants-droit à avoir accès à la nationalité ivoirienne.
Pis, parmi ceux qui ont réussi malgré tout à passer à travers les mailles du filet xénophobe dressé par le FPI, combien ont été naturalisés ? La proportion est quasi nulle. C’est donc pour corriger cette injustice que le Gouvernement a décidé de ramener sur la table des députés un autre projet de loi. Les accusations de calculs électoralistes à l’encontre du chef de l’Etat et du RDR ne tiennent pas la route. Car à ce niveau, la loi est claire. Pour qu’un nouvel naturalisé devienne électeur, il faut au moins que cinq ans s’écoulent. Et pour qu’il soit éligible, il faut qu’il soit ivoirien depuis au moins dix ans. Un petit calcul montre que les bénéficiaires de cette nouvelle loi ne peuvent même pas être électeur en 2015. A plus forte raison candidat. Donc toutes les allégations qui visent à faire croire que le président Alassane Ouattara et le RDR veulent se constituer un bétail électoral pour 2015 s’écroulent d’elles-mêmes. Le débat est certes ouvert. Mais il doit se faire sans passion et loin de tout calcul politicien.
Jean-Claude Coulibaly
« La crise de nationalité diagnostiquée est un « faux problème », le vrai problème est ailleurs. Il réside dans l’instrumentalisation à des fins politiques, des frustrations réelles des étrangers vivant en Côte d’Ivoire, victimes des dérapages policiers à l’occasion des contrôles de la carte de séjour instituée par le Premier ministre Alassane Ouattara en 1990 », écrit le Pr Hubert Oulaye. Il va plus loin dans sa réflexion en insinuant que c’est l’ancien Premier ministre de Félix Houphouët-Boigny qui est à la base des causes qui ont provoqué la crise identitaire que la Côte d’Ivoire a connue durant la dernière décennie. L’éminent professeur agrégéde droit dit à la fois une chose et son contraire. Car les contradictions de la thèse qu’il développe sont contenues même dans les arguments qu’il avance pour la soutenir. D’abord, l’institution de la carte de séjour n’est pas le fait, comme il essaye de le défendre, sans doute, pour des raisons de politique politicienne, du Premier ministre Alassane Ouattara. Mais d’une équipe. Car le grand constitutionnaliste qu’il est n’est pas sans savoir que, dans un régime présidentialiste comme celui de la Côte d’Ivoire, le Premier ministre n’est qu’un délégué du président de la République. Le premier des ministres. Alassane Ouattara n’a pas pris sur lui-même de faire passer une telle décision sans l’accord de l’équipe gouvernementale d’alors dirigé par le président de la République, Félix Houphouët-Boigny. Ensuite, le Premier ministre Alassane Ouattara n’était plus aux affaires lorsque les tracasseries et les abus contre les étrangers qu’il évoque d’ailleurs dans sa contribution, ont commencé à se faire plus récurrents et plus flagrants. Ouattara n’a pas armé l’esprit des policiers et gendarmes qui s’amusaient à « pourchasser les étrangers jusque dans les mosquées » pour leur demander leur carte de séjour. Mais c’est plutôt la notion dévoyée de l’ivoirité qui a servi de prétexte à des agents véreux nourris par le discours sectaire et xénophobe de certains politiciens tout le long de la décennie 90 qui a encouragé cette situation. Qu’a fait le FPI pour mettre fin à cette situation lorsqu’il est arrivé au pouvoir ? Rient du tout. Pire, par opportunisme politique, ses dirigeants se sont engouffrés dans la brèche déjà ouverte pour en faire un véritable boulevard. Pour accéder au pouvoir, le FPI s’est appuyé sur les thèses ivoiritaires. On se souvient, sous la transition militaro-civil de 2000, de la fameuse rencontre du général Robert Guéi avec la classe politique provoquée par le FPI lui-même au lendemain de la position des sages de la Commission consultative constitutionnel et électorale (CCCE) en faveur du « Ou ». Qui ne se souvient pas ce jour-là de la « brillante prestation » de feu Me Emile Boga Doudou pour convaincre le général Robert Guéi, patron de la transition, à imposer le « Et » aux Ivoiriens qui pourtant avaient mandaté des représentants pour leur trouver une Constitution consensuelle. Même après sa prise de pouvoir dans les conditions jugées « calamiteuses » par Laurent Gbagbo lui-même en octobre 2000, le FPI peut-il regarder les Ivoiriens droit dans les yeux pour dire qu’il a posé des actes dans le sens d’atténuer ou de mettre fin à ces frustrations ? Rien n’est moins sûr. Car la suppression de la carte de séjour en novembre 2007 dont parle le Pr. Hubert Oulaye relève plus d’une opération de charme envers les ressortissants de la CEDEAO dans la perspective de l’élection présidentielle que d’un souci réel de mettre un terme aux actes ignobles et dégradants dont ils étaient l’objet. A preuve, dans la pratique, la décision de suppression de la carte de séjour n’a pas mis fin aux tracasseries. A défaut de la carte de séjour, les mêmes policiers et gendarmes toujours encouragés par le discours politique officiel se sont rabattus sur le fameux certificat de résidence pour rappeler aux Burkinabé, Togolais, Béninois, Sénégalais, Maliens et autres qu’ils demeurent toujours des étrangers dans notre beau pays. Nous en avons fait l’amère expérience, lorsqu’un soir de novembre 2009, entrant à la maison, nous avons été à la fois sidéré et écœuré de voir un ressortissant béninois séquestré à 22 heures passées par des agents de police du 20ème Arrondissement de Koumassi. Il nous a fallu user de persuasion pour sortir l’honnête citoyen de cette mauvaise passe. Le problème de la Côte d’Ivoire, contrairement à ce qu’avancer le ministre Hubert Oulaye, est bel et bien identitaire.
Le « problème de nationalité », comme il le prétend, n’est pas un « faux problème ». S’il l’était vraiment, pourquoi feu le ministre Emile Boga Doudou, dans son projet de loi de 2002, exigeait que les Ivoiriens aillent se faire recenser dans leur « village » ? A quoi répondait cette exigence aussi incongrue que grotesque dans un 21è siècle où les Etats aspirent plus au regroupement, à l’intégration qu’au repli tribal? Le projet de loi Boga Doudou montrait incontestablement qu’il y avait un véritable problème identitaire en Côte d’Ivoire. Mas la solution proposée par le FPI n’était pas la bonne. Car elle visait à catégoriser et à diviser. Le ministre Hubert Oulaye reconnait que celle arrêtée à Linas Marcoussis a été faite sur la base d’un minimum de consensus. « Les solutions retenues par Marcoussis, pour ce qui a été considéré comme étant de vrais problèmes, ont trait non pas à l’attribution de la nationalité ivoirienne d’origine aux étrangers résidents, mais à la naturalisation « facilitée » des enfants mineurs nés avant 1972, de parents tous deux étrangers vivant en Côte d’Ivoire avant 1960, qui souhaitent devenir ivoiriens », rappelle le Pr Hubert Oulaye. Mais c’est ce que veut justement faire le gouvernement avec le nouveau projet de loi portant Code sur la nationalité. Le Gouvernement veut permettre à tous ceux qui n’ont pas usé de leur droit d’option jusqu’en janvier 1973 de le faire. Et rien d’autre. Dans la logique de la nouvelle loi sur la famille qui consacre l’égalité des conjoints dans le mariage, le Gouvernement veut rendre automatique, comme c’est déjà le cas pour l’homme, l’acquisition de la nationalité ivoirienne pour le conjoint étranger. L’ancien ministre de la Fonction publique affirme que Laurent Gbagbo a pris cinq Décisions et une loi pour mettre en œuvre toutes les mesures arrêtées à Linas Marcoussis. Il reproche au ministre Cissé Bacongo ne pas en faire cas dans sa contribution. Mais Hubert Oulaye oublie de mentionner que le délai d’une année dans lequel a été inscrit la procédure de naturalisation « allégée » pour les anciens bénéficiaires des options prévues par la loi de 1961, n’a pas été exprès communiqué à temps pour empêcher le maximum d’ayants-droit à avoir accès à la nationalité ivoirienne.
Pis, parmi ceux qui ont réussi malgré tout à passer à travers les mailles du filet xénophobe dressé par le FPI, combien ont été naturalisés ? La proportion est quasi nulle. C’est donc pour corriger cette injustice que le Gouvernement a décidé de ramener sur la table des députés un autre projet de loi. Les accusations de calculs électoralistes à l’encontre du chef de l’Etat et du RDR ne tiennent pas la route. Car à ce niveau, la loi est claire. Pour qu’un nouvel naturalisé devienne électeur, il faut au moins que cinq ans s’écoulent. Et pour qu’il soit éligible, il faut qu’il soit ivoirien depuis au moins dix ans. Un petit calcul montre que les bénéficiaires de cette nouvelle loi ne peuvent même pas être électeur en 2015. A plus forte raison candidat. Donc toutes les allégations qui visent à faire croire que le président Alassane Ouattara et le RDR veulent se constituer un bétail électoral pour 2015 s’écroulent d’elles-mêmes. Le débat est certes ouvert. Mais il doit se faire sans passion et loin de tout calcul politicien.
Jean-Claude Coulibaly