Huit ans après son inauguration, le mémorial de l’holocauste attire quatre à cinq mille visiteurs par an au centre de Berlin en Allemagne. Mais les jeunes et les personnes âgées ont des regards différents sur le monument de l’histoire.
Les enfants courent sur les dalles du Mémorial de l’holocauste à Berlin. Ils se plaisent aussi à sauter d’une dalle à l’autre, sous le regard amusé des parents. A observer leur sourire, il apparaît clairement qu’ils prennent du bon temps. Nous sommes bien sur la rue Ebertstraße, entre la porte de Brandebourg et la bouillante Potsdamer Platz. Dans les environs, se trouve la Bundestag, le Parlement allemand et également les bureaux de la Chancelière Andréa Merkel. En allemand « Denkmal für die ermordeten Juden Europas », le Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe est également appelé Mémorial de l’holocauste en souvenir aux victimes juives de la période nazie. Il se présente comme un champ de près de trois mille mausolées de béton disposés en maillage. Les caveaux font 2,42 mètres de long, 0,95 mètre de large, et de 0 à 4,7 mètres de haut. Ils sont censés produire une atmosphère de malaise et de confusion, représentant un système qui a perdu le contact avec la raison humaine. La place attire de nombreux touristes européens. Les Allemands ne boudent pas ce patrimoine non plus. Horst Ohligschläger, 55 ans, est l’un des nombreux visiteurs ce mardi 29 octobre.
Pleurs et plaisirs
Il est déjà midi. Mais le froid frappe (fort) malgré les rayons du soleil. Ce gestionnaire de médias accompagne sa fillette de douze ans pour la découverte. Ici, il est rare de rencontrer quelqu’un qui parle français. Heureusement que comme la plupart des Allemands que nous rencontrons, Horst Ohligschläger s’exprime facilement en anglais. Il estime que le Mémorial de l’holocauste est l’un des sites les plus importants de Berlin réunifié. Pour cela, il doit être traité avec beaucoup de respect. «Nous vivons dans le Sud de l’Allemagne, et je suis venu ici avec ma dernière fille pour lui montrer cet endroit. Cependant, nous ne sommes pas allés dans le musée, car il n’est pas vraiment adapté pour les enfants. » Eh oui ! Un musée se trouve en dessous des piliers du domaine. Il présente une exposition photographique et livresque sur la terreur nazie et détient les noms de toutes les victimes connues. Les visiteurs peuvent également trouver des lettres originales laissées par les martyrs avant leur déportation vers les camps de concentration. Sur une lettre d’un Juif français adressée à son épouse et à ses enfants, on peut lire : « (…) Nous partons demain, destination inconnue, je vous serre contre mon cœur en pleurant. » Un moment difficile à supporter. Des visiteurs retiennent péniblement leur larme. Pendant ce temps, dehors, des adolescents échangent des baisers et se photographient sur les stèles. Marcia Bargel, une Française âgée de quinze ans, est venue des Etats-Unis pour barifoler avec son petit ami, Jeroen Smets, un étudiant de seize ans originaire de Francfort. Pour eux, il est agréable de visiter le Mémorial, qui occupe 19.000 mètres carrés à une courte distance des ruines du bunker d’Adolf Hitler. Il s’agit du treizième et dernier quartier général où le Führer s’est suicidé. «Pour les jeunes, je pense qu’il s’agit plus d’un lieu de plaisir, car ils ne savent rien sur sa signification réelle», dixit Martina Kössler, 40 ans et mère de deux jeunes enfants qui s’amusent à courir dans les allées. Elle aime l’architecture du Mémorial. Peter Eisenman, l’architecte, espérait créer un sentiment d’inconsistance et d’instabilité. La plupart des visiteurs l’approuvent. Mais pour la lycéenne de dix-huit ans, Katrin Kolomiec, il n’a pas réussi à créer l’effet escompté. «Cette œuvre d’art ne montre pas vraiment ce qui est arrivé aux Juifs parce que sa signification n’est pas claire ; sauf si vous demandez à quelqu’un. Je pense qu’il devrait y avoir un panneau d’affichage pour expliquer ce dont il s’agit », soutient l’originaire de Stuttgart. En tant qu’Allemande, elle ajoute que c’est un passé honteux : « c‘est tellement horrible ce qui s’est passé. Cela ne doit plus se reproduire dans l’histoire. » Martina Kössler, la mère des deux enfants, est allée dans le musée souterrain il y a quatre ans. Elle en garde un mauvais souvenir: «Je me suis sentie tellement mal. Je suis trop jeune pour me sentir directement coupable de ce qui est arrivé.Mais je sais que mon grand-père a participé à la seconde Guerre mondiale en tant que soldat, mais il ne voulait jamais en parler. Dans notre famille, on ne sait vraiment pas à quel point quelqu’un a été impliqué dans l’extermination des Juifs », est-elle désorientée. En fait, dans de nombreuses familles allemandes, l’holocauste est un sujet tabou. Martina n’en a entendu parler qu’à l’école et récemment, à travers les objets exposés.
Leçons pour la Côte d’Ivoire
À son avis, les gens ne devraient jamais oublier ce passé terrible, mais ils devraient également se pencher sur l’avenir. Dans les couloirs des dalles, les visiteurs d’un certain âge viennent aussi se recueillir. Ils se sentent peut-être intimement liés à ce monument. «Quand nous sommes ici, nous nous souvenons de l’histoire de l’Allemagne», explique Dieter Steinwender, un informaticien de 58 ans, originaire de Hambourg. Son épouse et lui désapprouvent le fait que certaines personnes viennent au Mémorial de l’holocauste juste pour le fun. «Nous pensons que ce n’est pas juste que les gens viennent ici rire et jouer. Nous en avons honte. Ils ne comprennent pas la signification de ce lieu. Le gouvernement devrait faire quelque chose pour arrêter cela et protéger cette mémoire douloureuse », est convaincu l’époux. Contacté mardi soir par téléphone, Michael Sontheimer, journaliste et historien allemand qui parle ouvertement du rôle de sa famille au cours de la période nazie, rappelle qu’un long débat d’une dizaine d’années a précédé la construction du monument. Certains n’en voulaient pas car pour eux, il faut se débarrasser du passé honteux. Pour d’autres, il le fallait pour la mémoire collective. «Chez nous, nous avons reconnu nos torts. Ce n’est pas pour blâmer quelqu’un. Mais il est important de se rappeler. Lorsque vous ne connaissez pas le passé, vous ne pouvez pas réussir dans l’avenir», s’est-il adressé aux Ivoiriens. Par ailleurs, Dr Juliane Wetzel, historienne au Centre de recherche sur l’antisémitisme à Berlin, rencontrée le 30 octobre à son bureau, estime qu’il y a une corrélation entre l’holocauste et les conflits ethniques en Afrique. Même si les conflits ethniques opposent généralement différents groupes ethniques et que de l’autre côté, il y a des Juifs français, britanniques ou allemands. « Il y a des similitudes parce que les Juifs étaient également vus comme des étrangers et blâmés pour cela. D’un point de vue sociologique, il y a une forte corrélation entre l’antisémitisme et le racisme ou la xénophobie », fait remarquer la spécialiste. Pour elle, les pays qui sortent de graves crises comme la Côte d’Ivoire devraient se construire des monuments pour la postérité. Toutefois, elle recommande que ces monuments n’aient pas de coloration politique. «Le monument doit être expressif et toutes les victimes doivent être prises en compte. Mais il ne faut pas confondre les victimes aux persécuteurs. »
Nesmon De Laure, envoyée spéciale à Berlin
Les enfants courent sur les dalles du Mémorial de l’holocauste à Berlin. Ils se plaisent aussi à sauter d’une dalle à l’autre, sous le regard amusé des parents. A observer leur sourire, il apparaît clairement qu’ils prennent du bon temps. Nous sommes bien sur la rue Ebertstraße, entre la porte de Brandebourg et la bouillante Potsdamer Platz. Dans les environs, se trouve la Bundestag, le Parlement allemand et également les bureaux de la Chancelière Andréa Merkel. En allemand « Denkmal für die ermordeten Juden Europas », le Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe est également appelé Mémorial de l’holocauste en souvenir aux victimes juives de la période nazie. Il se présente comme un champ de près de trois mille mausolées de béton disposés en maillage. Les caveaux font 2,42 mètres de long, 0,95 mètre de large, et de 0 à 4,7 mètres de haut. Ils sont censés produire une atmosphère de malaise et de confusion, représentant un système qui a perdu le contact avec la raison humaine. La place attire de nombreux touristes européens. Les Allemands ne boudent pas ce patrimoine non plus. Horst Ohligschläger, 55 ans, est l’un des nombreux visiteurs ce mardi 29 octobre.
Pleurs et plaisirs
Il est déjà midi. Mais le froid frappe (fort) malgré les rayons du soleil. Ce gestionnaire de médias accompagne sa fillette de douze ans pour la découverte. Ici, il est rare de rencontrer quelqu’un qui parle français. Heureusement que comme la plupart des Allemands que nous rencontrons, Horst Ohligschläger s’exprime facilement en anglais. Il estime que le Mémorial de l’holocauste est l’un des sites les plus importants de Berlin réunifié. Pour cela, il doit être traité avec beaucoup de respect. «Nous vivons dans le Sud de l’Allemagne, et je suis venu ici avec ma dernière fille pour lui montrer cet endroit. Cependant, nous ne sommes pas allés dans le musée, car il n’est pas vraiment adapté pour les enfants. » Eh oui ! Un musée se trouve en dessous des piliers du domaine. Il présente une exposition photographique et livresque sur la terreur nazie et détient les noms de toutes les victimes connues. Les visiteurs peuvent également trouver des lettres originales laissées par les martyrs avant leur déportation vers les camps de concentration. Sur une lettre d’un Juif français adressée à son épouse et à ses enfants, on peut lire : « (…) Nous partons demain, destination inconnue, je vous serre contre mon cœur en pleurant. » Un moment difficile à supporter. Des visiteurs retiennent péniblement leur larme. Pendant ce temps, dehors, des adolescents échangent des baisers et se photographient sur les stèles. Marcia Bargel, une Française âgée de quinze ans, est venue des Etats-Unis pour barifoler avec son petit ami, Jeroen Smets, un étudiant de seize ans originaire de Francfort. Pour eux, il est agréable de visiter le Mémorial, qui occupe 19.000 mètres carrés à une courte distance des ruines du bunker d’Adolf Hitler. Il s’agit du treizième et dernier quartier général où le Führer s’est suicidé. «Pour les jeunes, je pense qu’il s’agit plus d’un lieu de plaisir, car ils ne savent rien sur sa signification réelle», dixit Martina Kössler, 40 ans et mère de deux jeunes enfants qui s’amusent à courir dans les allées. Elle aime l’architecture du Mémorial. Peter Eisenman, l’architecte, espérait créer un sentiment d’inconsistance et d’instabilité. La plupart des visiteurs l’approuvent. Mais pour la lycéenne de dix-huit ans, Katrin Kolomiec, il n’a pas réussi à créer l’effet escompté. «Cette œuvre d’art ne montre pas vraiment ce qui est arrivé aux Juifs parce que sa signification n’est pas claire ; sauf si vous demandez à quelqu’un. Je pense qu’il devrait y avoir un panneau d’affichage pour expliquer ce dont il s’agit », soutient l’originaire de Stuttgart. En tant qu’Allemande, elle ajoute que c’est un passé honteux : « c‘est tellement horrible ce qui s’est passé. Cela ne doit plus se reproduire dans l’histoire. » Martina Kössler, la mère des deux enfants, est allée dans le musée souterrain il y a quatre ans. Elle en garde un mauvais souvenir: «Je me suis sentie tellement mal. Je suis trop jeune pour me sentir directement coupable de ce qui est arrivé.Mais je sais que mon grand-père a participé à la seconde Guerre mondiale en tant que soldat, mais il ne voulait jamais en parler. Dans notre famille, on ne sait vraiment pas à quel point quelqu’un a été impliqué dans l’extermination des Juifs », est-elle désorientée. En fait, dans de nombreuses familles allemandes, l’holocauste est un sujet tabou. Martina n’en a entendu parler qu’à l’école et récemment, à travers les objets exposés.
Leçons pour la Côte d’Ivoire
À son avis, les gens ne devraient jamais oublier ce passé terrible, mais ils devraient également se pencher sur l’avenir. Dans les couloirs des dalles, les visiteurs d’un certain âge viennent aussi se recueillir. Ils se sentent peut-être intimement liés à ce monument. «Quand nous sommes ici, nous nous souvenons de l’histoire de l’Allemagne», explique Dieter Steinwender, un informaticien de 58 ans, originaire de Hambourg. Son épouse et lui désapprouvent le fait que certaines personnes viennent au Mémorial de l’holocauste juste pour le fun. «Nous pensons que ce n’est pas juste que les gens viennent ici rire et jouer. Nous en avons honte. Ils ne comprennent pas la signification de ce lieu. Le gouvernement devrait faire quelque chose pour arrêter cela et protéger cette mémoire douloureuse », est convaincu l’époux. Contacté mardi soir par téléphone, Michael Sontheimer, journaliste et historien allemand qui parle ouvertement du rôle de sa famille au cours de la période nazie, rappelle qu’un long débat d’une dizaine d’années a précédé la construction du monument. Certains n’en voulaient pas car pour eux, il faut se débarrasser du passé honteux. Pour d’autres, il le fallait pour la mémoire collective. «Chez nous, nous avons reconnu nos torts. Ce n’est pas pour blâmer quelqu’un. Mais il est important de se rappeler. Lorsque vous ne connaissez pas le passé, vous ne pouvez pas réussir dans l’avenir», s’est-il adressé aux Ivoiriens. Par ailleurs, Dr Juliane Wetzel, historienne au Centre de recherche sur l’antisémitisme à Berlin, rencontrée le 30 octobre à son bureau, estime qu’il y a une corrélation entre l’holocauste et les conflits ethniques en Afrique. Même si les conflits ethniques opposent généralement différents groupes ethniques et que de l’autre côté, il y a des Juifs français, britanniques ou allemands. « Il y a des similitudes parce que les Juifs étaient également vus comme des étrangers et blâmés pour cela. D’un point de vue sociologique, il y a une forte corrélation entre l’antisémitisme et le racisme ou la xénophobie », fait remarquer la spécialiste. Pour elle, les pays qui sortent de graves crises comme la Côte d’Ivoire devraient se construire des monuments pour la postérité. Toutefois, elle recommande que ces monuments n’aient pas de coloration politique. «Le monument doit être expressif et toutes les victimes doivent être prises en compte. Mais il ne faut pas confondre les victimes aux persécuteurs. »
Nesmon De Laure, envoyée spéciale à Berlin