Lors de son discours à la Nation pour la nouvelle année, le chef de l’Etat a évoqué plusieurs dossiers judiciaires, notamment une prochaine mise en liberté provisoire de certains pro-Gbagbo. Nous avons rencontré Me Coulibaly Soungalo, le secrétaire national aux Droits de l’Homme du RDR. Dans cette interview, l’avocat du parti des Républicains explique le sens de cette mesure et revient sur les dossiers judiciaires brûlants, encore pendant devant la justice nationale et internationale et qui ne manqueront pas rythmer la vie sociopolitique ivoirienne.
Le Patriote : M. le secrétaire national, le président de la République a annoncé, au cours de son discours de nouvel an, la libération imminente des partisans de l’ex-chef d’Etat, Laurent Gbagbo. Techniquement, comment cela peut-il se faire ?
Me Coulibaly Soungalo : Le président de la République, Alassane Ouattara envisage, dans le cadre de la réconciliation nationale et de la décrispation politique, d’accorder la liberté provisoire à certains détenus proches de l’ancien chef d’Etat. Le chef de l’Etat, qui est beaucoup attaché à la paix, veut démontrer une fois de plus par cet acte qu’il tient à la réconciliation entre les fils et les filles de ce pays. Maintenant, techniquement, il appartient aux juges d’instruction en charge de ces dossiers de voir qui des personnes concernées a des garanties de représentation suffisantes, dans le cadre de l’instruction, pour bénéficier de cette mise en liberté provisoire.
LP : Mme Simone Gbagbo et Blé Goudé Charles sont-ils concernés par cette mesure?
CS : Les deux personnes que vous citez sont tous, il est vrai, des détenus de la crise postélectorale. Mais, je ne pense pas que Mme Gbagbo et Blé Goudé Charles soient concernés par cette décision. Compte tenu des charges retenues contre eux, leur détention me parait toujours nécessaire. Mais tout dépendra des juges qui sont chargés d’instruire leurs dossiers. C’est à eux de voir si dans le cadre de la réconciliation nationale, ces deux détenus peuvent être mis en liberté provisoire pendant que l’instruction continue. Car vous savez bien que leur instruction n’est pas encore terminée. Pour ma part, leur détention me parait nécessaire au regard des graves crimes qui leur sont reprochés.
LP : Ces détenus, comme on le sait, sont réclamés par la Cour pénale internationale. Mais les autorités ivoiriennes semblent ne pas être pressées pour leur transfèrement. Selon vous, la CPI peut-elle voir sa requête acceptée ?
CS : En principe, oui. En ce qui concerne le cas Simone Gbagbo, elle a même demandé aux autorités ivoiriennes de revoir leur position de ne pas la transférer à La Haye. Elle part du principe que, à partir du moment où la Côte d’Ivoire a signé le Traité de Rome, elle devrait pouvoir normalement faire droit à a requête de la CPI en mettant l’intéressée à sa disposition. Mais comme vous le savez, la Côte d’Ivoire est un Etat souverain et ses autorités estiment qu’elle peut être jugée ici au regard des charges retenues contre elle et des conditions de justice qui sont réunies actuellement. C’est pourquoi, nous disons qu’il sera difficile pour les autorités judiciaires de mettre Simone Gbagbo et Blé Goudé en liberté provisoire.
LP : Que répondez-vous à ceux qui disent que les hésitations des autorités ivoiriennes sur ces deux dossiers sont dues au fait qu’elles n’ont pas l’intention d’exécuter d’éventuels mandats que pourraient lancer la CPI contre certaines personnalités proches du pouvoir ?
CS : Nous leur répondons que ce n’est pas du tout vrai. Le président de la République a toujours dit que tous ceux qui ont commis des exactions seront poursuivis et jugés. Faire croire que des proches du pouvoir impliqués d’une façon ou d’une autre dans des crimes ne seront pas inquiétés n’est pas du tout vrai. En tout cas, ce n’est pas cela la philosophie du président Alassane Ouattara. Il n’y a chez Ouattara aucune intention de protéger qui que ce soit. La justice est faite pour tout le monde. Le non transfèrement de Simone Gbagbo est dû au fait que les autorités judiciaires ivoiriennes ont suffisamment d’éléments sur elle pour qu’elle soit jugée sur place. En ce qui concerne Charles Blé Goudé, les autorités ne se sont pas encore prononcées sur la question.
LP : Une autre hypothèse n’est-elle pas pour les autorités, par le non-transfèrement de ces personnes, de donner une chance à la réconciliation ?
CS : C’est une hypothèse tout à fait plausible. Peut-être, les autorités ont-elle pensé qu’en transférant tout le monde à la CPI, cela peut avoir des conséquences négatives sur la réconciliation nationale. Vous savez bien que le chef de l’Etat a toujours voulu que tous les fils et filles de ce pays se retrouvent, et a probablement jugé que ce n’est pas la peine de transférer Simone Gbagbo et d’autres personnes à la CPI, après Laurent Gbagbo. Sans doute est-ce dans cet état d’esprit qu’il a demandé le 31 décembre dernier, dans son discours de nouvel an, au Garde des Sceaux, ministre de la Justice, de voir comment la justice peut accorder la liberté provisoire à des pro-Gbagbo. Les juges d’instruction qui sont indépendants, vont examiner certainement la question et les détenus qui présenteront des garanties de représentation obtiendront éventuellement la liberté provisoire.
LP : Le procès de confirmation des charges contre Laurent Gbagbo reprendra dans quelques semaines. Les juges de la CPI avaient demandé au procureur Fatou Bensouda de fournir des preuves supplémentaires. Déjà, les partisans de Laurent Gbagbo estiment qu’il n’y a rien contre lui et qu’il faille le relâcher. Partagez-vous cet avis ?
CS : Pas du tout. Ce n’est pas que le procureur n’a pas fourni des preuves. Mais les juges de la CPI lui ont demandé d’approfondir les faits et les charges retenues contre Laurent Gbagbo dans le cadre des crimes commis pendant la crise postélectorale. Pour ce que je sais, les documents acheminés à la CPI sont des preuves suffisantes.
LP : D’aucuns disent que le dossier a été au départ mal ficelé par le procureur Ocampo. C’est la raison pour laquelle son successeur a du mal à le boucler.
CS : Je ne veux pas m’immiscer dans les dossiers du procureur de la CPI. Car la Cour pénale internationale et le bureau du procureur ont leur procédure que l’on ne maitrise pas toujours. Mais pour ce que je sais, le dossier est assez fiable pour permettre que les charges retenues contre Laurent Gbagbo soient confirmées.
LP : Le cinéaste camerounais, Saïd Mbombo Penda, dans son film-documentaire : « Laurent Gbagbo : despote ou anticolonialiste…le verbe et le sang », a produit d’éléments audio-visuels pour montrer le rôle joué par l’ancien président dans les crimes commis lors de la crise postélectorale. Pensez-vous que ces éléments peuvent être retenus comme pièces à conviction devant les juges de La Haye ?
CS : Mais pourquoi pas ! Vous avez-vous-même vu tout ce qui s’est passé lors de la crise postélectorale. Toute l’organisation autour des « jeunes patriotes », des miliciens ne répondait que de lui. S’il a laissé ces éléments et les jeunes à sa solde commettre des crimes, c’est qu’il était d’accord qu’ils le fassent. Souvenez-vous que c’est le même Laurent Gbagbo qui disait : « Mille morts à droite, mille morts à gauche, moi j’avance ». Lui et ses camarades ont fait des déclarations avant et pendant la crise postélectorale, qui démontrent que ce sont eux qui sont à la base de tout ce qui s’est passé.
LP : Nous vous savons très proches des victimes. Vous avez participé aux auditions des victimes avec les enquêteurs de la Cour pénale internationale lors de leur venue à Abidjan. Aujourd’hui, où en est-on avec le dossier des victimes ?
CS : Le dossier est loin d’être bouclé. Il faut d’abord que le procès ait lieu et que les décisions soient prises par la Cour pénale internationale pour voir comment procéder à leur indemnisation. Sinon, jusqu’à ce jour, nous n’avons aucune visibilité à ce niveau. Pour ce qui est de la Côte d’Ivoire, je ne sais pas qu’elle est la structure qui s’en occupe aujourd’hui. Avant, il y avait un ministère qui était chargé de le faire. Ce ministère a disparu. Aujourd’hui, on se demande comment va réellement s’organiser l’indemnisation des victimes. Peut-être que cela se fera avec le ministère de la Solidarité qui est également chargé des victimes de guerre.
LP : Beaucoup de victimes se plaignent du fait qu’elles sont abandonnées par les autorités. Quel est aujourd’hui, l’état des lieux au niveau des victimes ?
CS : Vous savez que ceux qui ont commis les crimes lors de la crise postélectorale n’ont pas encore été jugés. Lorsqu’ils seront jugés, la partie civile que constituent les victimes aura réparation et c’est à ce moment-là que les victimes pourront être indemnisées. Les juges prendront des décisions en faveur des victimes en fixant des montants pour les indemniser. L’Etat, en l’état actuel des choses, ne peut pas préjuger de ce que gagnera chaque victime. Ce sont les juges en rendant des décisions qui fixeront les montants que chaque victime devra percevoir comme indemnité. Avant cela, il serait illusoire de croire que la réparation des victimes peut se faire.
LP : Vous qui êtes l’avocat du RDR. En attendant que les juges ne décident, qu’a prévu votre parti quand on sait la majorité des victimes de cette crise sont proches du RDR ?
CS : Le devoir du RDR est de soutenir ses militants et sympathisants victimes de cette crise. Déjà, elles ont le soutien moral qui est une bonne chose. Mais en plus, de nombreuses victimes bénéficient de plusieurs prises en charge par le biais du secrétariat national à la Solidarité. Il y a également des actions individuelles qui sont posées par les cadres du parti. Mais le RDR, il faut l’avouer, ne peut pas tout faire. C’est pourquoi nous demandons que la justice fasse rapidement son travail pour que les victimes soient indemnisées comme il se doit.
LP : En dehors du procès des civils, il y a les procès militaires. Il y a les dossiers Abéhi, Yapo Séka Anselme et les autres. Vous qui êtes l’avocat du colonel-major Adama Dosso, assassiné lors de la crise postélectorale, que peut-on attendre en cette année 2014 sur ces cas?
CS : Ces dossiers sont en cours d’instruction. Dès qu’ils seront bouclés, ils seront transmis aux juges. Je pense qu’en cette année 2014, plusieurs de ces dossiers connaitront un début de jugement. Il y aura des échanges, les victimes pourront venir témoigner. Dès lors que la culpabilité de leurs victimaires sera reconnue, elles pourront obtenir réparation. En ce qui concerne l’affaire « Colonel Dosso », c’est déjà fait. Les coupables ont été jugés et condamnés. Il y a eu des pourvois. Mais, ils ont été faits hors délai. Si le droit est dit, l’affaire sera donc considérée comme définitivement jugée. En ce qui concerne Abéhi Jean-Noël et Séka Yapo Anselme, les juges sont bien avancés. Et les procès pourront avoir lieu cette année.
LP : Dans l’affaire Séka Yapo Anselme, le commissaire du gouvernement évoque la peine maximale, dans l’affaire « Guéi Robert ». Est-ce possible ?
CS : Pour ce qui leur est reproché, c’est possible. N’oubliez pas que le général Robert Guéi était un ancien chef d’Etat.
LP : Le FPI s’oppose au recensement général de l’habitat et des populations initié par le Gouvernement qu’il qualifie d’illégal et illégitime. Pour lui, les conditions ne sont pas réunies pour effectuer une telle opération qui, dans le contexte actuel, peut être utilisée à des fins politiciennes. Pour vous, le parti de Laurent Gbagbo veut-il empêcher cette opération ? Que pensez-vous de l’attitude de l’ex-parti au pouvoir?
CS : Comment un parti politique peut-il bloquer un recensement général de la population ? Je ne sais pas comment le FPI va s’y prendre. Mais comme c’est un parti politique qu’il excelle tellement dans la manipulation, tout peut être possible. Je ne le vois pas en train d’empêcher une telle opération. Le FPI dira peut-être à ses militants de ne pas se faire recenser. Mais cela n’empêchera pas les agents recenseurs de passer de maison en maison pour enregistrer les populations. Le recensement se fera alors sans eux et ils ne seront pas comptés parmi la population. Ce qui est sûr, le recensement se fera.
LP : Récemment, un rapport d’enquêteurs indépendants de l’ONU a accusé les autorités ivoiriennes d’avoir commandité à l’étranger des tentatives d’assassinat contre des pro-Gbagbo, au Ghana et au Liberia. Quel est votre avis sur le sujet ?
CS : Je ne crois pas qu’une organisation aussi sérieuse comme l’ONU peut porter de telles accusations graves. Mais vous savez, le FPi est très fort dans la manipulation. Avez-vous lu la totalité de rapport ? Quels sont les enquêteurs qui l’ont fait ? Je crois que le président de la République s’est largement prononcé sur cette affaire, qu’il a d’ailleurs vigoureusement condamnée. Pensez-vous que l’Etat de Côte d’Ivoire peut payer des assassins avec l’argent du contribuable pour aller attenter à la vie de ses concitoyens à l’étranger ? Ce n’est pas en tout sous Alassane Ouattara. Tout le monde sait que cette manière de faire ne ressemble pas au président Ouattara. En quoi est-ce les dirigeants du FPI, qui sont à l’étranger, constitue un véritable danger pour le pouvoir d’Abidjan, au point de payer des billets d’avion et frais d’hôtel à des tueurs à gage pour aller les faire assassiner ? Nous pensons que ces accusations ne sont pas sérieuses. C’est pourquoi l’ONU et les autorités des pays concernés n’ont pas manqué elles aussi de condamner ces allégations malheureuses. Nous, au RDR, nous nous inscrivons en faux face à ce rapport de ses soi-disant enquêteurs, que d’ailleurs on ne reconnait pas au niveau des Nations unies.
LP : 2014 est une année judiciaire. Vous au RDR, que sont les dossiers que vous souhaiterez voir jugés en priorité ?
CS : Nous au RDR, nous souhaitons sortir en cette 2014 du cycle judiciaire qui a commencé depuis 2011. Nous souhaitons voir jugés et condamnés tous ceux qui ont commis des crimes lors de la crise postélectorale. Afin que justice soit rendue aux victimes. Nous voulons que le préjudice qu’elles ont subi, soit réparé. Que tous les détenus soient jugés afin que ceux qui seront reconnus coupables soient condamnés et que ceux qui n’ont rien fait, soient libérés. Il faut qu’on en finisse, afin que le président de la République, qui travaille pour tous les Ivoiriens, puisse se concentrer sur le développement de la Côte d’Ivoire.
Réalisée par Jean-Claude Coulibaly
Le Patriote : M. le secrétaire national, le président de la République a annoncé, au cours de son discours de nouvel an, la libération imminente des partisans de l’ex-chef d’Etat, Laurent Gbagbo. Techniquement, comment cela peut-il se faire ?
Me Coulibaly Soungalo : Le président de la République, Alassane Ouattara envisage, dans le cadre de la réconciliation nationale et de la décrispation politique, d’accorder la liberté provisoire à certains détenus proches de l’ancien chef d’Etat. Le chef de l’Etat, qui est beaucoup attaché à la paix, veut démontrer une fois de plus par cet acte qu’il tient à la réconciliation entre les fils et les filles de ce pays. Maintenant, techniquement, il appartient aux juges d’instruction en charge de ces dossiers de voir qui des personnes concernées a des garanties de représentation suffisantes, dans le cadre de l’instruction, pour bénéficier de cette mise en liberté provisoire.
LP : Mme Simone Gbagbo et Blé Goudé Charles sont-ils concernés par cette mesure?
CS : Les deux personnes que vous citez sont tous, il est vrai, des détenus de la crise postélectorale. Mais, je ne pense pas que Mme Gbagbo et Blé Goudé Charles soient concernés par cette décision. Compte tenu des charges retenues contre eux, leur détention me parait toujours nécessaire. Mais tout dépendra des juges qui sont chargés d’instruire leurs dossiers. C’est à eux de voir si dans le cadre de la réconciliation nationale, ces deux détenus peuvent être mis en liberté provisoire pendant que l’instruction continue. Car vous savez bien que leur instruction n’est pas encore terminée. Pour ma part, leur détention me parait nécessaire au regard des graves crimes qui leur sont reprochés.
LP : Ces détenus, comme on le sait, sont réclamés par la Cour pénale internationale. Mais les autorités ivoiriennes semblent ne pas être pressées pour leur transfèrement. Selon vous, la CPI peut-elle voir sa requête acceptée ?
CS : En principe, oui. En ce qui concerne le cas Simone Gbagbo, elle a même demandé aux autorités ivoiriennes de revoir leur position de ne pas la transférer à La Haye. Elle part du principe que, à partir du moment où la Côte d’Ivoire a signé le Traité de Rome, elle devrait pouvoir normalement faire droit à a requête de la CPI en mettant l’intéressée à sa disposition. Mais comme vous le savez, la Côte d’Ivoire est un Etat souverain et ses autorités estiment qu’elle peut être jugée ici au regard des charges retenues contre elle et des conditions de justice qui sont réunies actuellement. C’est pourquoi, nous disons qu’il sera difficile pour les autorités judiciaires de mettre Simone Gbagbo et Blé Goudé en liberté provisoire.
LP : Que répondez-vous à ceux qui disent que les hésitations des autorités ivoiriennes sur ces deux dossiers sont dues au fait qu’elles n’ont pas l’intention d’exécuter d’éventuels mandats que pourraient lancer la CPI contre certaines personnalités proches du pouvoir ?
CS : Nous leur répondons que ce n’est pas du tout vrai. Le président de la République a toujours dit que tous ceux qui ont commis des exactions seront poursuivis et jugés. Faire croire que des proches du pouvoir impliqués d’une façon ou d’une autre dans des crimes ne seront pas inquiétés n’est pas du tout vrai. En tout cas, ce n’est pas cela la philosophie du président Alassane Ouattara. Il n’y a chez Ouattara aucune intention de protéger qui que ce soit. La justice est faite pour tout le monde. Le non transfèrement de Simone Gbagbo est dû au fait que les autorités judiciaires ivoiriennes ont suffisamment d’éléments sur elle pour qu’elle soit jugée sur place. En ce qui concerne Charles Blé Goudé, les autorités ne se sont pas encore prononcées sur la question.
LP : Une autre hypothèse n’est-elle pas pour les autorités, par le non-transfèrement de ces personnes, de donner une chance à la réconciliation ?
CS : C’est une hypothèse tout à fait plausible. Peut-être, les autorités ont-elle pensé qu’en transférant tout le monde à la CPI, cela peut avoir des conséquences négatives sur la réconciliation nationale. Vous savez bien que le chef de l’Etat a toujours voulu que tous les fils et filles de ce pays se retrouvent, et a probablement jugé que ce n’est pas la peine de transférer Simone Gbagbo et d’autres personnes à la CPI, après Laurent Gbagbo. Sans doute est-ce dans cet état d’esprit qu’il a demandé le 31 décembre dernier, dans son discours de nouvel an, au Garde des Sceaux, ministre de la Justice, de voir comment la justice peut accorder la liberté provisoire à des pro-Gbagbo. Les juges d’instruction qui sont indépendants, vont examiner certainement la question et les détenus qui présenteront des garanties de représentation obtiendront éventuellement la liberté provisoire.
LP : Le procès de confirmation des charges contre Laurent Gbagbo reprendra dans quelques semaines. Les juges de la CPI avaient demandé au procureur Fatou Bensouda de fournir des preuves supplémentaires. Déjà, les partisans de Laurent Gbagbo estiment qu’il n’y a rien contre lui et qu’il faille le relâcher. Partagez-vous cet avis ?
CS : Pas du tout. Ce n’est pas que le procureur n’a pas fourni des preuves. Mais les juges de la CPI lui ont demandé d’approfondir les faits et les charges retenues contre Laurent Gbagbo dans le cadre des crimes commis pendant la crise postélectorale. Pour ce que je sais, les documents acheminés à la CPI sont des preuves suffisantes.
LP : D’aucuns disent que le dossier a été au départ mal ficelé par le procureur Ocampo. C’est la raison pour laquelle son successeur a du mal à le boucler.
CS : Je ne veux pas m’immiscer dans les dossiers du procureur de la CPI. Car la Cour pénale internationale et le bureau du procureur ont leur procédure que l’on ne maitrise pas toujours. Mais pour ce que je sais, le dossier est assez fiable pour permettre que les charges retenues contre Laurent Gbagbo soient confirmées.
LP : Le cinéaste camerounais, Saïd Mbombo Penda, dans son film-documentaire : « Laurent Gbagbo : despote ou anticolonialiste…le verbe et le sang », a produit d’éléments audio-visuels pour montrer le rôle joué par l’ancien président dans les crimes commis lors de la crise postélectorale. Pensez-vous que ces éléments peuvent être retenus comme pièces à conviction devant les juges de La Haye ?
CS : Mais pourquoi pas ! Vous avez-vous-même vu tout ce qui s’est passé lors de la crise postélectorale. Toute l’organisation autour des « jeunes patriotes », des miliciens ne répondait que de lui. S’il a laissé ces éléments et les jeunes à sa solde commettre des crimes, c’est qu’il était d’accord qu’ils le fassent. Souvenez-vous que c’est le même Laurent Gbagbo qui disait : « Mille morts à droite, mille morts à gauche, moi j’avance ». Lui et ses camarades ont fait des déclarations avant et pendant la crise postélectorale, qui démontrent que ce sont eux qui sont à la base de tout ce qui s’est passé.
LP : Nous vous savons très proches des victimes. Vous avez participé aux auditions des victimes avec les enquêteurs de la Cour pénale internationale lors de leur venue à Abidjan. Aujourd’hui, où en est-on avec le dossier des victimes ?
CS : Le dossier est loin d’être bouclé. Il faut d’abord que le procès ait lieu et que les décisions soient prises par la Cour pénale internationale pour voir comment procéder à leur indemnisation. Sinon, jusqu’à ce jour, nous n’avons aucune visibilité à ce niveau. Pour ce qui est de la Côte d’Ivoire, je ne sais pas qu’elle est la structure qui s’en occupe aujourd’hui. Avant, il y avait un ministère qui était chargé de le faire. Ce ministère a disparu. Aujourd’hui, on se demande comment va réellement s’organiser l’indemnisation des victimes. Peut-être que cela se fera avec le ministère de la Solidarité qui est également chargé des victimes de guerre.
LP : Beaucoup de victimes se plaignent du fait qu’elles sont abandonnées par les autorités. Quel est aujourd’hui, l’état des lieux au niveau des victimes ?
CS : Vous savez que ceux qui ont commis les crimes lors de la crise postélectorale n’ont pas encore été jugés. Lorsqu’ils seront jugés, la partie civile que constituent les victimes aura réparation et c’est à ce moment-là que les victimes pourront être indemnisées. Les juges prendront des décisions en faveur des victimes en fixant des montants pour les indemniser. L’Etat, en l’état actuel des choses, ne peut pas préjuger de ce que gagnera chaque victime. Ce sont les juges en rendant des décisions qui fixeront les montants que chaque victime devra percevoir comme indemnité. Avant cela, il serait illusoire de croire que la réparation des victimes peut se faire.
LP : Vous qui êtes l’avocat du RDR. En attendant que les juges ne décident, qu’a prévu votre parti quand on sait la majorité des victimes de cette crise sont proches du RDR ?
CS : Le devoir du RDR est de soutenir ses militants et sympathisants victimes de cette crise. Déjà, elles ont le soutien moral qui est une bonne chose. Mais en plus, de nombreuses victimes bénéficient de plusieurs prises en charge par le biais du secrétariat national à la Solidarité. Il y a également des actions individuelles qui sont posées par les cadres du parti. Mais le RDR, il faut l’avouer, ne peut pas tout faire. C’est pourquoi nous demandons que la justice fasse rapidement son travail pour que les victimes soient indemnisées comme il se doit.
LP : En dehors du procès des civils, il y a les procès militaires. Il y a les dossiers Abéhi, Yapo Séka Anselme et les autres. Vous qui êtes l’avocat du colonel-major Adama Dosso, assassiné lors de la crise postélectorale, que peut-on attendre en cette année 2014 sur ces cas?
CS : Ces dossiers sont en cours d’instruction. Dès qu’ils seront bouclés, ils seront transmis aux juges. Je pense qu’en cette année 2014, plusieurs de ces dossiers connaitront un début de jugement. Il y aura des échanges, les victimes pourront venir témoigner. Dès lors que la culpabilité de leurs victimaires sera reconnue, elles pourront obtenir réparation. En ce qui concerne l’affaire « Colonel Dosso », c’est déjà fait. Les coupables ont été jugés et condamnés. Il y a eu des pourvois. Mais, ils ont été faits hors délai. Si le droit est dit, l’affaire sera donc considérée comme définitivement jugée. En ce qui concerne Abéhi Jean-Noël et Séka Yapo Anselme, les juges sont bien avancés. Et les procès pourront avoir lieu cette année.
LP : Dans l’affaire Séka Yapo Anselme, le commissaire du gouvernement évoque la peine maximale, dans l’affaire « Guéi Robert ». Est-ce possible ?
CS : Pour ce qui leur est reproché, c’est possible. N’oubliez pas que le général Robert Guéi était un ancien chef d’Etat.
LP : Le FPI s’oppose au recensement général de l’habitat et des populations initié par le Gouvernement qu’il qualifie d’illégal et illégitime. Pour lui, les conditions ne sont pas réunies pour effectuer une telle opération qui, dans le contexte actuel, peut être utilisée à des fins politiciennes. Pour vous, le parti de Laurent Gbagbo veut-il empêcher cette opération ? Que pensez-vous de l’attitude de l’ex-parti au pouvoir?
CS : Comment un parti politique peut-il bloquer un recensement général de la population ? Je ne sais pas comment le FPI va s’y prendre. Mais comme c’est un parti politique qu’il excelle tellement dans la manipulation, tout peut être possible. Je ne le vois pas en train d’empêcher une telle opération. Le FPI dira peut-être à ses militants de ne pas se faire recenser. Mais cela n’empêchera pas les agents recenseurs de passer de maison en maison pour enregistrer les populations. Le recensement se fera alors sans eux et ils ne seront pas comptés parmi la population. Ce qui est sûr, le recensement se fera.
LP : Récemment, un rapport d’enquêteurs indépendants de l’ONU a accusé les autorités ivoiriennes d’avoir commandité à l’étranger des tentatives d’assassinat contre des pro-Gbagbo, au Ghana et au Liberia. Quel est votre avis sur le sujet ?
CS : Je ne crois pas qu’une organisation aussi sérieuse comme l’ONU peut porter de telles accusations graves. Mais vous savez, le FPi est très fort dans la manipulation. Avez-vous lu la totalité de rapport ? Quels sont les enquêteurs qui l’ont fait ? Je crois que le président de la République s’est largement prononcé sur cette affaire, qu’il a d’ailleurs vigoureusement condamnée. Pensez-vous que l’Etat de Côte d’Ivoire peut payer des assassins avec l’argent du contribuable pour aller attenter à la vie de ses concitoyens à l’étranger ? Ce n’est pas en tout sous Alassane Ouattara. Tout le monde sait que cette manière de faire ne ressemble pas au président Ouattara. En quoi est-ce les dirigeants du FPI, qui sont à l’étranger, constitue un véritable danger pour le pouvoir d’Abidjan, au point de payer des billets d’avion et frais d’hôtel à des tueurs à gage pour aller les faire assassiner ? Nous pensons que ces accusations ne sont pas sérieuses. C’est pourquoi l’ONU et les autorités des pays concernés n’ont pas manqué elles aussi de condamner ces allégations malheureuses. Nous, au RDR, nous nous inscrivons en faux face à ce rapport de ses soi-disant enquêteurs, que d’ailleurs on ne reconnait pas au niveau des Nations unies.
LP : 2014 est une année judiciaire. Vous au RDR, que sont les dossiers que vous souhaiterez voir jugés en priorité ?
CS : Nous au RDR, nous souhaitons sortir en cette 2014 du cycle judiciaire qui a commencé depuis 2011. Nous souhaitons voir jugés et condamnés tous ceux qui ont commis des crimes lors de la crise postélectorale. Afin que justice soit rendue aux victimes. Nous voulons que le préjudice qu’elles ont subi, soit réparé. Que tous les détenus soient jugés afin que ceux qui seront reconnus coupables soient condamnés et que ceux qui n’ont rien fait, soient libérés. Il faut qu’on en finisse, afin que le président de la République, qui travaille pour tous les Ivoiriens, puisse se concentrer sur le développement de la Côte d’Ivoire.
Réalisée par Jean-Claude Coulibaly