Invitée spéciale de la radio ONUCI FM, la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies pour la Côte d’Ivoire (RSSG), Mme Aïchatou Mindaoudou, fait dans cet entretien le point de la situation sociopolitique de la Côte d’Ivoire depuis sa prise de fonction à Abidjan, le 18 mai dernier.
Q : Le rapport du Secrétaire général sur la Cote d’Ivoire a été présenté au Conseil de Sécurité, le 27 janvier dernier. Quelles observations faites-vous, Madame la Représentante spéciale, sur l’évolution de la situation post-crise en Côte d’Ivoire?
Aïchatou Mindaoudou: Oui, en effet, le rapport du Secrétaire Général a été présenté devant le Conseil de Sécurité, lundi dernier. Ce rapport contient toute une série de constats. Il souligne également tous les développements positifs qui ont été enregistrés en Côte d’Ivoire. Il relève naturellement aussi les domaines dans lesquels des efforts doivent encore être faits ou renouvelés. Je voudrais à ce propos féliciter le Gouvernement et l’ensemble des Ivoiriens pour tous les efforts qu’ils déploient, chacun à son niveau, afin de faire face aux difficultés et de relever les défis communs. La situation s’est globalement beaucoup améliorée et je me réjouis de voir que la Côte d’Ivoire est sur la bonne voie. Il y a beaucoup des développements positifs. Je vais rapidement rappeler quelques-uns.
Par exemple, sur le plan politique, il y a des signaux très forts qui montrent que la situation évolue petit à petit. On a pu observer les échanges de plus en plus fréquents entre l’opposition et les autorités et il y a aussi toute une série de propositions qui viennent des différentes parties qui sont faites et qui sont mis sur la table pour faire avancer la question du dialogue politique. Je note aussi beaucoup de décisions positives prises dans différents domaines par le Gouvernement, sous le Leadership du Président Ouattara. Ces décisions, a n’en point douter, ont entraîné une certaine détente politique depuis quelques mois. Je vais citer quelques unes. En août 2013, la libération de 14 détenus proches de l’ancien Président Gbagbo, ces derniers jours, je crois encore que certains viennent d’être libérés. Donc le rapport relève tout cela et se félicite de cette avancée que l’on constate sur le plan politique en Côte d’Ivoire. Il y a également les différentes réformes qui sont initiées. Parce que comme vous le savez, la plupart des débats tournent autour des réformes qui peuvent permettre à l’ensemble de la classe politique ivoirienne, à l’ensemble des partis politiques ivoiriens, de prendre part au processus qui est en cours. Donc ce sont des revendications qui ont un caractère de demande d’exclusivité des processus. Dans ce point de vue aussi, on peut relever certaines décisions qui ont été prises, notamment l’adoption du statut de l’opposition, l’adoption de la loi sur le financement des partis politiques et il y a aussi tout dernièrement la décision du Gouvernement de procéder à la révision de la liste électorale et à la composition de la Commission Electorale Indépendante. Il y a beaucoup à dire sur le plan politique.
Je note aussi que l’opposition tient des meetings à travers tout le pays et dispose de la liberté d’aller à la rencontre de ses militants. Et je dois dire que j’ai été vraiment très heureuse de constater qu’il y a une décrispation totale de la part de l’opposition.
Avant de venir dans ce studio, j’ai lu le rapport de la visite que Monsieur Affi N’Guessan, Président du FPI, a effectuée au forum ICI – Investir en Côte d’Ivoire et les propos qu’il a tenus montrent que dans tout les cas, les Ivoiriens sont capables de se surpasser, de dépasser les intérêts particuliers, des partis politiques et des individus, lorsqu’il s’agit de mettre en avant l’intérêt global de leur pays. Donc, je voudrais vraiment ici féliciter le président du FPI pour cette attitude très républicaine qu’il vient d’avoir.
Sur le plan sécuritaire, le rapport a relevé les efforts qui ont été faits et qui visent à stabiliser la situation. Ces efforts se sont poursuivis et ce sont des efforts qui ont été faits aussi bien par le Gouvernement que par les partenaires et principalement aussi par l’ONUCI.
La situation sécuritaire aussi s’est globalement beaucoup améliorée. C’est vrai qu’il demeure encore des poches d’insécurité qui se rapportent le plus souvent aux différentes attaques, au banditisme etc. Mais de façon globale, on peut dire que la situation s’est améliorée. Je voudrais ici relever tout ce qui se passe en matière de coopération sous-régionale dans le domaine de la sécurité, particulièrement sur la frontière avec le Libéria. Et là aussi, je pense que tous ensemble, que ce soit la Mission des Nations Unies en Côte d’Ivoire ou la Mission des Nations Unies au Libéria, que ce soient les autorités ivoiriennes et les autorités libériennes et que ce soit la société civile du côté de la Côte d’Ivoire ou du côté du Liberia, tous ces efforts mis ensemble vont dans le sens de la promotion de façon durable de la paix et de la stabilité dans cette zone là. Tout ces processus se sont intensifiés.
Au plan économique, il y a des acquis notables aussi. Il y a une reprise économique encourageante, par exemple, ce Forum dont je parlais tantôt, ne s’est pas tenu depuis 15 ans. S’il se tient en ce moment avec la très forte participation qu’on relève, cela veut dire qu’il y a des acquis notables. Mais sur le plan économique, il y a encore des efforts qui restent à faire pour créer beaucoup plus d’impact de ce processus sur l’emploi et sur les conditions de vie des Ivoiriens.
La Côte d’Ivoire, il ne faut pas l’oublier, sort d’une longue crise, doublée d’une crise postélectorale. Donc les progrès sont lents. Ce que je viens de dire ne doit pas laisser croire que tout est achevé. Les progrès sont lents et le rapport a bien souligné qu’il y a des points sur lesquels il faut résolument avancer, il s’agit du dialogue politique, il s’agit de la réconciliation nationale, il s’agit de la mise en ?uvre d’une justice transitionnelle. On peut parler aussi de la promotion continue et soutenue du respect des droits de l’Homme. Ce sont des processus qui ne peuvent pas être régler dans l’immédiat. Un processus, par définition est quelque chose qui s’étale à plus ou moins long terme dans le temps. Il y a aussi le DDR et la Réforme du secteur de sécurité.
Q: Madame la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies pour la Côte d’Ivoire, depuis votre prise de fonction, vous avez rencontré les différents acteurs de la scène politique ivoirienne, des acteurs gouvernementaux comme des acteurs de l’opposition, quel est votre sentiment par rapport à leur détermination à aller à la paix et la réconciliation nationale ?
AM: Depuis mon arrivée en effet, j’ai rencontré plusieurs acteurs de la scène politique ivoirienne et de la société civile. Entre autres, j’ai rencontré les autorités nationales, les présidents des Institutions de la République, les différents acteurs politiques, les femmes leaders, les représentants de la société civile, les représentant des Rois et Chefs traditionnels, les autorités religieuses, et beaucoup d’autres personnalités, qui sont un peu plus en retrait, mais qui n’en demeurent pas moins influentes et très respectées dans la société ivoirienne. Ce que je peux dire, c’est que l’ensemble de mes interlocuteurs s’accordent sur le fait qu’il est nécessaire d’avancer sur la voie de la réconciliation nationale. Pour le moment, la lecture que je fais, c’est que c’est le moyen consensuel pour y arriver qui doit être trouvé. Ce moyen consensuel ne pourra être trouvé qu’à travers le dialogue. On dit très bien que quand on commence à se parler, on commence à se comprendre. J’ai été encouragée de constater, comme je l’ai dit tout à l’heure, que les protagonistes se parlent maintenant. Ils proposent des solutions et j’espère que la dynamique actuelle va permettre vraiment aux Ivoiriens de se rapprocher davantage.
Q: Le Conseil de sécurité des Nations Unies souligne également la nécessité de la participation active des femmes et des différents groupes de la société civile ivoiriennes dans la réconciliation nationale. Comment envisagez-vous appuyer cet impératif inclusif ?
AM: Vous savez, il y a toujours lorsqu’on me pose des questions sur les femmes, une expression du défunt Président Mao que j’aime beaucoup et que je cite souvent. Le Président Mao disait à l’époque, lorsqu’il s’agissait de construire la Chine et de poser les jalons pour faire de la Chine ce qu’elle est aujourd’hui, que les femmes soutiennent la moitié du ciel. Si les femmes soutiennent la moitié du ciel, ce qui est le cas dans la plupart des pays africains, il est tout à fait normal que rien ne se fasse sans que les femmes ne puissent y prendre part. Rien ne peut se faire même dans une société normale sans les femmes. A fortiori, dans une société qui sort de conflit et qui se trouve engagée dans la reconstitution du tissu social. Elles doivent prendre part au règlement des conflits, aux processus de consolidation, de promotion de la paix et de la sécurité. Et puis dans notre sous-région, il y a beaucoup d’exemples, où les femmes se sont impliquées dans la résolution des conflits. Les femmes de la région du fleuve Mano, les femmes ivoiriennes font partie de ce groupe et elles ont tellement bien été impliquées de façon positive dans leur processus que c’est un exemple. On peut aussi parler des femmes de la Casamance au Sénégal. Et cette nécessité de leur participation a été rappelée par le Conseil de sécurité en 2000 dans la Résolution 1325.
Donc, pour ce qui concerne l’ONUCI, nous faisons des interventions disons à deux niveaux :
● Le premier niveau, c’est au niveau du Gouvernement. Nous faisons un plaidoyer permanent pour soutenir la participation des femmes aux processus décisionnels et leur participation dans la gestion des affaires publiques;
● Avec la société civile, nous soutenons le renforcement des capacités des leaders des organisations féminines.
Il s’agit beaucoup plus des bons offices et les plaidoyers que nous faisons pour que les femmes puissent prendre la part qui est la leur dans tout les processus initiés dans ce pays.
Q: Est-ce que vous avez un appel à lancer pour plus d’implication des femmes et de la société civile, dans le processus de réconciliation nationale?
AM : Oui, je dois dire que les femmes ivoiriennes et la société civile ivoirienne se sont impliquées et appropriées le processus, mais on n’en fait jamais assez jusqu’à ce que l’on voie le bout du tunnel. Donc oui, je voudrais encore une fois, ici, lancer un appel pour que les femmes, toutes tendances confondues, tous secteurs confondus et toutes les organisations de la société civile, pas seulement les organisations de la société civile féminine, puissent vraiment apporter leur contribution aux processus qui sont en cours. Je sais que j’enfonce des portes ouvertes.
Q: Madame le Représentante spéciale, des préoccupations demeurent notamment pour la protection des enfants et des femmes touchées par le conflit ainsi qu’au niveau des violences basées sur le genre. Comment l’ONUCI soutient-elle les efforts du Gouvernement sur ces sujets?
AM : Vous savez, c’est un sujet très important. Tout à l’heure avant de venir dans votre studio, je recevais un des mes collaborateurs qui me faisait un peu le point sur les violences sexuelles. Il y a une région dans ce pays, où chaque jour il y a un viol. Ce qui est inadmissible. C’est vraiment inadmissible. Donc dans ce processus, la Mission s’implique auprès des différents acteurs de la société civile et aussi des acteurs étatiques pour appuyer la prévention et la lutte contre les violences sexuelles et les violences basées sur le genre. Très concrètement, nous travaillons cette question de la violence basée sur le genre et de violences sexuelles au niveau de sept (07) bureaux de terrain à travers la Côte d’Ivoire. Je parle de Bouaké, Bondoukou, Daloa, Duékoué, San Pedro, Man et à Taï.
Nous suivons et nous rapportons les violations des droits des enfants et nous développons aussi des formations pour l’intégration de la lutte contre les violations des droits des enfants et la protection des femmes touchées par le conflit.
Il y a aussi tout ce processus de mobilisation des acteurs que nous faisons à travers la mise en place de plateformes et des groupes de travail pour la protection de l’enfant et des femmes touchées par les conflits. Ces plateformes sont actives dans les sept régions que je viens de citer, où nous avons des bureaux de terrain.
Q: La protection des civils fait aussi partie du mandat conféré par le Conseil de sécurité des Nations Unies à l’ONUCI. Comment se décline cette prescription majeure, en termes d’actions concrètes sur le terrain ?
AM: Oui, la protection des civils, depuis la première Résolution qui a mis en place l’ONUCI, a toujours été au cœur du mandat de l’ONUCI. Et la dernière Résolution, la 2112 du Conseil de sécurité sur la Côte d’Ivoire, n’a pas fait exception. Vous savez, la protection des civils est une activité multidimensionnelle, si je peux m’exprimer ainsi. Elle comporte un aspect physique : c’est tout ce que vous voyez chaque jour, les militaires et les policiers qui font des patrouilles, qui interviennent lorsque l’intégrité physique des populations est menacée. Mais la protection des civils, c’est aussi l’engagement politique, c’est-à dire tous les plaidoyers que nous faisons auprès des autorités, qu’elles soient des autorités au niveau national ou au niveau local ; tout le plaidoyer qu’on fait parce que la protection des civils, c’est aussi l’aspect politique.
Il y a l’accès aux droits, il y a aussi la recherche de la cohésion sociale, la réponse humanitaire que nous donnons en cas de besoin et aussi le développement. C’est ça, la protection des civils !
Donc, après ce que je viens de vous dire, vous comprenez que toute action que l’ONUCI pose abonde dans le sens de la protection des civils. Par exemple, au niveau de la cohésion sociale, nous avons tout un travail communautaire – nous avons des sections qui ne font que ça – afin de prévenir, d’identifier et de gérer les tensions avant que les conflits n’éclatent. Je peux dire en conclusion que chaque section, chaque composante de l’ONUCI qui travaille, travaille dans le sens de la protection des civils.
Q: Parlons maintenant de l’Ouest de la Côte d’Ivoire, Madame la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies pour la Côte d’Ivoire. Cette partie du pays a été particulièrement marquée par la crise postélectorale, notamment au plan sécuritaire et humanitaire : quelle réponse l’ONUCI apporte-t-elle à ces besoins spécifiques ?
AM: Vous savez, la dernière résolution que j’ai évoquée tantôt, la 2112, a demandé à l’ONUCI d’accorder une attention toute particulière à l’ouest de la Côte d’Ivoire, étant donné les nombreux défis auxquels est confrontée cette région. Donc, à cet égard, l’ONUCI a renforcé sa présence dans l’ouest du pays ; cette présence qui va nous permettre de répondre et de soutenir tous les efforts en faveur des citoyens, que ce soit à Taï, à Toulepleu, à Duékoué, ou encore à Guiglo et à Man.
Les Nations Unies ont fourni de l’assistance humanitaire. Nous avons réhabilité et équipé des infrastructures publiques qui avaient été détruites, telles que les préfectures, les sous-préfectures et des locaux de police et de gendarmerie. La Mission a également augmenté ses activités de renforcement de capacité destinées aux membres du corps préfectoral, aux leaders traditionnels, à la société civile, aux communautés et aux médias, surtout dans les domaines de la prévention, de la gestion et de la résolution des conflits.
Nous sommes en train de mobiliser les fonds nécessaires pour redoubler d’efforts dans cette région. Moi-même, dans les jours à venir, je conduirai personnellement une forte mission composée de la plupart des institutions des Nations Unies présentes en Côte d’Ivoire. Donc, il s’agira pour nous d’aller, de constater de visu la situation, de faire le point des interventions et des besoins et de voir comment nous pouvons encore plus avancer rapidement sur cette région.
Q: Le Conseil de sécurité des Nations Unies recommande aussi la réduction des effectifs militaires de l’ONUCI, d’ici 2015. Comment concilier cette recommandation et les impératifs de protection des civils en Côte d’Ivoire ?
AM : Je vous ai dit tout à l’heure que la situation sécuritaire et la situation politique se sont beaucoup améliorées en Côte d’Ivoire, même si – comme je l’ai aussi indiqué – beaucoup reste encore à faire. C’est fort de cela que le Conseil de sécurité a décidé d’ajuster nos effectifs à la nouvelle situation du pays. Mais ce que je veux dire ici de façon formelle, c’est que la revue de l’effectif ne remet pas du tout en cause la capacité de l’ONUCI à répondre de manière rapide et efficace à quelque défi qui pourrait se poser en matière de protection des civils.
Q: Quel regard portez-vous maintenant sur l’évolution de la situation des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire ?
AM: Le respect des droits de l’Homme est fondamental. Vous savez, pour le progrès et pour l’épanouissement de toute société, qu’elle soit une société normale ou qu’elle soit, comme c’est le cas de la société ivoirienne, une société qui sort de crise.
Donc, de façon générale, la situation des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire a enregistré aussi des développements positifs dans plusieurs domaines, comme par exemple le domaine communautaire, le domaine législatif et institutionnel, le domaine associatif. Mais vous savez, la culture et respect des droits de l’Homme prend du temps aussi, surtout après ces blessures profondes que la société a connues.
C’est donc un travail au quotidien que nous menons, mais c’est aussi une responsabilité commune : chaque citoyen doit pouvoir respecter les droits de son concitoyen. C’est la même chose pour l’administration, pour les administrés. Il y a encore beaucoup de travail à faire. Les autorités publiques font beaucoup d’efforts, elles font des efforts, elles prennent des décisions. Il faut les encourager. Mais comme je l’ai dit, tout processus de retour à la normale est lent. On dit très bien que c’est très facile de détruire. Mais reconstruire, c’est toujours lent et ça prend du temps.
Q : Et sur le terrain, que fait l’ONUCI pour assurer la promotion et la protection des droits de l’Homme ?
AM: Nous avons la division des Droits de l’Homme. Tout à l’heure, je vous ai parlé de tout l’aspect de monitoring et de rapports que nous faisons. Mais nous avons aussi des formations que nous faisons ; formation particulièrement aux autorités publiques et aussi aux organisations de la société civile.
Q : La dernière résolution du Conseil de sécurité sur la Côte d’Ivoire donne des objectifs chiffrés pour le DDR – le désarmement, la démobilisation, la réintégration des ex-combattants –, mais aussi pour la réinsertion et le rapatriement des ex-combattants étrangers. Cette feuille de route s’adresse au premier chef aux autorités ivoiriennes. Comment travaillez-vous pour les accompagner, madame la Représentante spéciale?
AM: Vous savez, ici, il faut rendre à César ce qui appartient à César. C’est vrai que la résolution 2112 comporte un objectif précis, chiffré. Mais la résolution n’a fait que consigner un engagement librement pris par le Gouvernement de Côte d’Ivoire. Ce n’est pas quelque chose que la résolution impose au Gouvernement de Côte d’Ivoire. Le Gouvernement, les prochaines années à venir, devrait complètement finaliser le processus DDR. Donc, la résolution n’a fait que consigner cela. Ceci étant dit, un DDR réussi contribue naturellement à renforcer la sécurité d’un pays. Il contribue aussi à renforcer la stabilité du pays. Tout à l’heure, j’ai décliné toute une série de composantes de la protection des civils. Le DDR fait partie aussi de la protection des civils. Donc, nous travaillons vraiment en étroite collaboration avec l’ADDR (NDLR : l’Autorité du désarmement de la démobilisation et de la réinsertion) et les Ministères concernés, dans tout ce processus que nous accompagnons de façon très rapprochée et très suivie.
Q: Comment l’ONUCI interagit-elle avec les autorités ivoiriennes sur le chantier de la RSS, la réforme du secteur de la sécurité ?
AM : L’accompagnement que nous donnons aux autorités sur le chantier de la Réforme du Secteur de la Sécurité peut être vu en trois catégories :
- Il y a le plan stratégique à travers lequel nous maintenons un contact très régulier avec les différentes autorités en charge de la Reforme du Secteur de la Sécurité, notamment le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Défense, le ministère de la Justice, pour échanger sur l’état d’avancement de ce processus. C’est, si vous voulez, une sorte de conseil et de bons offices que nous faisons pour appuyer les autorités dans l’avancement du processus.
Sur le plan technique, la mission a participé à l’élaboration de la stratégie nationale sur la RSS, cette stratégie a été validée en septembre 2012. Et depuis, nous participons à la mise en place des différentes réformes initiées depuis le mois de janvier 2013. Et il ya les fameux ‘’brown bag lunch’’ que nous organisons, qui sont des forums qui réunissent, la plupart du temps, les partis politiques, la société civile, le Parlement, le Secrétariat du Conseil national de Sécurité. Et ces débats nous permettent d’échanger sur la situation de la Réforme du Secteur de la Sécurité et surtout sur les questions importantes qui doivent être débattues et qui méritent une attention particulière.
Q : Nous allons consacrer la dernière articulation de cet entretien à l’environnement médiatique ivoirien. Madame la Représentante spéciale, quel regard portez-vous sur les médias en Côte d’Ivoire et sur leur rôle dans la société?
AM: Je voudrais à la faveur de cette question que vous me posez, d’abord rendre hommage à tous les journalistes et à toutes les femmes journalistes, à tous les hommes des médias qui, au quotidien, nous permettent d’être informés sur ce qui se passe aussi bien en Côte d’Ivoire qu’à travers le monde. Cependant, je voudrais regretter la tendance de certains journalistes et de certains médias – cette tendance que nous lisons – comme le fait de devenir des vecteurs de haine, des vecteurs de division et des vecteurs de troubles. Donc, je souhaiterais lancer un appel et continuer à encourager les journalistes et les professionnels des médias pour qu’ils ?uvrent de manière responsable et professionnelle dans la conduite de leurs activités pour permettre la consolidation des acquis, notamment dans le domaine de la paix et de la réconciliation nationale. Vous savez, les journalistes doivent savoir, ils doivent toujours avoir présent à l’esprit que leur plume, leur micro, leur site internet, leur caméra, leurs photos, sont des supports qui peuvent, selon l’utilisation qui en est faite, avoir des conséquences profondément positives ou des conséquences profondément négatives. Je n’ai pas besoin de faire un dessin ici. L’histoire est parsemée d’exemples de tous genres à cet égard. Donc, les journalistes, je l’espère, doivent avoir conscience de la responsabilité qui est la leur dans la préservation de la paix sociale dans leur pays. Ils sont détenteurs d’un pouvoir. Je crois qu’on dit couramment que c’est le 4ème pouvoir. C’est le numéro 4, mais c’est un redoutable pouvoir ! Et il est donc à mon sens, nécessaire d’en faire un bon usage au profit des populations, au profit de la communauté, tout en prenant vraiment la mesure de la responsabilité sociale qui en découle.
Au plan local, je voudrais saluer le rôle joué par les radios de proximité qui permettent de porter des messages de paix, des messages de cohésion sociale et des messages de réconciliation nationale au plus profond du pays et dans les foyers. Ces radios sont très importantes et nous avons travaillé avec elles pour la sensibilisation et la mobilisation citoyenne.
Q : La radio de la paix s’est vue conférer la mission de contribuer à l’instauration d’un climat de paix, en prévision de l’élection présidentielle de 2015. Madame la Représentante spéciale, comment la voyez-vous accomplir cette mission ?
AM : ONUCI FM, et je le lis sur tous les autocollants, se définit comme la fréquence de la paix et je réalise que ONUCI FM reflète la beauté de la mosaïque ivoirienne. C’est une radio qui a toujours joué un rôle de rapprochement, de consolidation, un rôle rassembleur et qui a toujours gardé à l’esprit l’impartialité qui guide l’action de l’Organisation des Nations Unies en général et de l’ONUCI en particulier. Donc, je voudrais vraiment exhorter les membres de l’équipe d’ONUCI FM à continuer à s’approprier au quotidien cette référence de la paix et de la décliner dans tous les programmes, de la décliner dans toutes les émissions qu’ils produisent, de la décliner aussi dans leurs démarches vers les acteurs de la société ivoirienne de tous bords.
Notre radio peut aussi servir de plateforme pour l’expression de la diversité des opinions, dans le respect des règles professionnelles, d’éthique et de déontologie. Et c’est parce qu’il y a ce respect des règles professionnelles, parce qu’il y a ce respect des règles d’éthique, parce qu’il y a le respect de la déontologie, que ONUCI FM est la première des radios.
(Source : onucicifm)
Q : Le rapport du Secrétaire général sur la Cote d’Ivoire a été présenté au Conseil de Sécurité, le 27 janvier dernier. Quelles observations faites-vous, Madame la Représentante spéciale, sur l’évolution de la situation post-crise en Côte d’Ivoire?
Aïchatou Mindaoudou: Oui, en effet, le rapport du Secrétaire Général a été présenté devant le Conseil de Sécurité, lundi dernier. Ce rapport contient toute une série de constats. Il souligne également tous les développements positifs qui ont été enregistrés en Côte d’Ivoire. Il relève naturellement aussi les domaines dans lesquels des efforts doivent encore être faits ou renouvelés. Je voudrais à ce propos féliciter le Gouvernement et l’ensemble des Ivoiriens pour tous les efforts qu’ils déploient, chacun à son niveau, afin de faire face aux difficultés et de relever les défis communs. La situation s’est globalement beaucoup améliorée et je me réjouis de voir que la Côte d’Ivoire est sur la bonne voie. Il y a beaucoup des développements positifs. Je vais rapidement rappeler quelques-uns.
Par exemple, sur le plan politique, il y a des signaux très forts qui montrent que la situation évolue petit à petit. On a pu observer les échanges de plus en plus fréquents entre l’opposition et les autorités et il y a aussi toute une série de propositions qui viennent des différentes parties qui sont faites et qui sont mis sur la table pour faire avancer la question du dialogue politique. Je note aussi beaucoup de décisions positives prises dans différents domaines par le Gouvernement, sous le Leadership du Président Ouattara. Ces décisions, a n’en point douter, ont entraîné une certaine détente politique depuis quelques mois. Je vais citer quelques unes. En août 2013, la libération de 14 détenus proches de l’ancien Président Gbagbo, ces derniers jours, je crois encore que certains viennent d’être libérés. Donc le rapport relève tout cela et se félicite de cette avancée que l’on constate sur le plan politique en Côte d’Ivoire. Il y a également les différentes réformes qui sont initiées. Parce que comme vous le savez, la plupart des débats tournent autour des réformes qui peuvent permettre à l’ensemble de la classe politique ivoirienne, à l’ensemble des partis politiques ivoiriens, de prendre part au processus qui est en cours. Donc ce sont des revendications qui ont un caractère de demande d’exclusivité des processus. Dans ce point de vue aussi, on peut relever certaines décisions qui ont été prises, notamment l’adoption du statut de l’opposition, l’adoption de la loi sur le financement des partis politiques et il y a aussi tout dernièrement la décision du Gouvernement de procéder à la révision de la liste électorale et à la composition de la Commission Electorale Indépendante. Il y a beaucoup à dire sur le plan politique.
Je note aussi que l’opposition tient des meetings à travers tout le pays et dispose de la liberté d’aller à la rencontre de ses militants. Et je dois dire que j’ai été vraiment très heureuse de constater qu’il y a une décrispation totale de la part de l’opposition.
Avant de venir dans ce studio, j’ai lu le rapport de la visite que Monsieur Affi N’Guessan, Président du FPI, a effectuée au forum ICI – Investir en Côte d’Ivoire et les propos qu’il a tenus montrent que dans tout les cas, les Ivoiriens sont capables de se surpasser, de dépasser les intérêts particuliers, des partis politiques et des individus, lorsqu’il s’agit de mettre en avant l’intérêt global de leur pays. Donc, je voudrais vraiment ici féliciter le président du FPI pour cette attitude très républicaine qu’il vient d’avoir.
Sur le plan sécuritaire, le rapport a relevé les efforts qui ont été faits et qui visent à stabiliser la situation. Ces efforts se sont poursuivis et ce sont des efforts qui ont été faits aussi bien par le Gouvernement que par les partenaires et principalement aussi par l’ONUCI.
La situation sécuritaire aussi s’est globalement beaucoup améliorée. C’est vrai qu’il demeure encore des poches d’insécurité qui se rapportent le plus souvent aux différentes attaques, au banditisme etc. Mais de façon globale, on peut dire que la situation s’est améliorée. Je voudrais ici relever tout ce qui se passe en matière de coopération sous-régionale dans le domaine de la sécurité, particulièrement sur la frontière avec le Libéria. Et là aussi, je pense que tous ensemble, que ce soit la Mission des Nations Unies en Côte d’Ivoire ou la Mission des Nations Unies au Libéria, que ce soient les autorités ivoiriennes et les autorités libériennes et que ce soit la société civile du côté de la Côte d’Ivoire ou du côté du Liberia, tous ces efforts mis ensemble vont dans le sens de la promotion de façon durable de la paix et de la stabilité dans cette zone là. Tout ces processus se sont intensifiés.
Au plan économique, il y a des acquis notables aussi. Il y a une reprise économique encourageante, par exemple, ce Forum dont je parlais tantôt, ne s’est pas tenu depuis 15 ans. S’il se tient en ce moment avec la très forte participation qu’on relève, cela veut dire qu’il y a des acquis notables. Mais sur le plan économique, il y a encore des efforts qui restent à faire pour créer beaucoup plus d’impact de ce processus sur l’emploi et sur les conditions de vie des Ivoiriens.
La Côte d’Ivoire, il ne faut pas l’oublier, sort d’une longue crise, doublée d’une crise postélectorale. Donc les progrès sont lents. Ce que je viens de dire ne doit pas laisser croire que tout est achevé. Les progrès sont lents et le rapport a bien souligné qu’il y a des points sur lesquels il faut résolument avancer, il s’agit du dialogue politique, il s’agit de la réconciliation nationale, il s’agit de la mise en ?uvre d’une justice transitionnelle. On peut parler aussi de la promotion continue et soutenue du respect des droits de l’Homme. Ce sont des processus qui ne peuvent pas être régler dans l’immédiat. Un processus, par définition est quelque chose qui s’étale à plus ou moins long terme dans le temps. Il y a aussi le DDR et la Réforme du secteur de sécurité.
Q: Madame la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies pour la Côte d’Ivoire, depuis votre prise de fonction, vous avez rencontré les différents acteurs de la scène politique ivoirienne, des acteurs gouvernementaux comme des acteurs de l’opposition, quel est votre sentiment par rapport à leur détermination à aller à la paix et la réconciliation nationale ?
AM: Depuis mon arrivée en effet, j’ai rencontré plusieurs acteurs de la scène politique ivoirienne et de la société civile. Entre autres, j’ai rencontré les autorités nationales, les présidents des Institutions de la République, les différents acteurs politiques, les femmes leaders, les représentants de la société civile, les représentant des Rois et Chefs traditionnels, les autorités religieuses, et beaucoup d’autres personnalités, qui sont un peu plus en retrait, mais qui n’en demeurent pas moins influentes et très respectées dans la société ivoirienne. Ce que je peux dire, c’est que l’ensemble de mes interlocuteurs s’accordent sur le fait qu’il est nécessaire d’avancer sur la voie de la réconciliation nationale. Pour le moment, la lecture que je fais, c’est que c’est le moyen consensuel pour y arriver qui doit être trouvé. Ce moyen consensuel ne pourra être trouvé qu’à travers le dialogue. On dit très bien que quand on commence à se parler, on commence à se comprendre. J’ai été encouragée de constater, comme je l’ai dit tout à l’heure, que les protagonistes se parlent maintenant. Ils proposent des solutions et j’espère que la dynamique actuelle va permettre vraiment aux Ivoiriens de se rapprocher davantage.
Q: Le Conseil de sécurité des Nations Unies souligne également la nécessité de la participation active des femmes et des différents groupes de la société civile ivoiriennes dans la réconciliation nationale. Comment envisagez-vous appuyer cet impératif inclusif ?
AM: Vous savez, il y a toujours lorsqu’on me pose des questions sur les femmes, une expression du défunt Président Mao que j’aime beaucoup et que je cite souvent. Le Président Mao disait à l’époque, lorsqu’il s’agissait de construire la Chine et de poser les jalons pour faire de la Chine ce qu’elle est aujourd’hui, que les femmes soutiennent la moitié du ciel. Si les femmes soutiennent la moitié du ciel, ce qui est le cas dans la plupart des pays africains, il est tout à fait normal que rien ne se fasse sans que les femmes ne puissent y prendre part. Rien ne peut se faire même dans une société normale sans les femmes. A fortiori, dans une société qui sort de conflit et qui se trouve engagée dans la reconstitution du tissu social. Elles doivent prendre part au règlement des conflits, aux processus de consolidation, de promotion de la paix et de la sécurité. Et puis dans notre sous-région, il y a beaucoup d’exemples, où les femmes se sont impliquées dans la résolution des conflits. Les femmes de la région du fleuve Mano, les femmes ivoiriennes font partie de ce groupe et elles ont tellement bien été impliquées de façon positive dans leur processus que c’est un exemple. On peut aussi parler des femmes de la Casamance au Sénégal. Et cette nécessité de leur participation a été rappelée par le Conseil de sécurité en 2000 dans la Résolution 1325.
Donc, pour ce qui concerne l’ONUCI, nous faisons des interventions disons à deux niveaux :
● Le premier niveau, c’est au niveau du Gouvernement. Nous faisons un plaidoyer permanent pour soutenir la participation des femmes aux processus décisionnels et leur participation dans la gestion des affaires publiques;
● Avec la société civile, nous soutenons le renforcement des capacités des leaders des organisations féminines.
Il s’agit beaucoup plus des bons offices et les plaidoyers que nous faisons pour que les femmes puissent prendre la part qui est la leur dans tout les processus initiés dans ce pays.
Q: Est-ce que vous avez un appel à lancer pour plus d’implication des femmes et de la société civile, dans le processus de réconciliation nationale?
AM : Oui, je dois dire que les femmes ivoiriennes et la société civile ivoirienne se sont impliquées et appropriées le processus, mais on n’en fait jamais assez jusqu’à ce que l’on voie le bout du tunnel. Donc oui, je voudrais encore une fois, ici, lancer un appel pour que les femmes, toutes tendances confondues, tous secteurs confondus et toutes les organisations de la société civile, pas seulement les organisations de la société civile féminine, puissent vraiment apporter leur contribution aux processus qui sont en cours. Je sais que j’enfonce des portes ouvertes.
Q: Madame le Représentante spéciale, des préoccupations demeurent notamment pour la protection des enfants et des femmes touchées par le conflit ainsi qu’au niveau des violences basées sur le genre. Comment l’ONUCI soutient-elle les efforts du Gouvernement sur ces sujets?
AM : Vous savez, c’est un sujet très important. Tout à l’heure avant de venir dans votre studio, je recevais un des mes collaborateurs qui me faisait un peu le point sur les violences sexuelles. Il y a une région dans ce pays, où chaque jour il y a un viol. Ce qui est inadmissible. C’est vraiment inadmissible. Donc dans ce processus, la Mission s’implique auprès des différents acteurs de la société civile et aussi des acteurs étatiques pour appuyer la prévention et la lutte contre les violences sexuelles et les violences basées sur le genre. Très concrètement, nous travaillons cette question de la violence basée sur le genre et de violences sexuelles au niveau de sept (07) bureaux de terrain à travers la Côte d’Ivoire. Je parle de Bouaké, Bondoukou, Daloa, Duékoué, San Pedro, Man et à Taï.
Nous suivons et nous rapportons les violations des droits des enfants et nous développons aussi des formations pour l’intégration de la lutte contre les violations des droits des enfants et la protection des femmes touchées par le conflit.
Il y a aussi tout ce processus de mobilisation des acteurs que nous faisons à travers la mise en place de plateformes et des groupes de travail pour la protection de l’enfant et des femmes touchées par les conflits. Ces plateformes sont actives dans les sept régions que je viens de citer, où nous avons des bureaux de terrain.
Q: La protection des civils fait aussi partie du mandat conféré par le Conseil de sécurité des Nations Unies à l’ONUCI. Comment se décline cette prescription majeure, en termes d’actions concrètes sur le terrain ?
AM: Oui, la protection des civils, depuis la première Résolution qui a mis en place l’ONUCI, a toujours été au cœur du mandat de l’ONUCI. Et la dernière Résolution, la 2112 du Conseil de sécurité sur la Côte d’Ivoire, n’a pas fait exception. Vous savez, la protection des civils est une activité multidimensionnelle, si je peux m’exprimer ainsi. Elle comporte un aspect physique : c’est tout ce que vous voyez chaque jour, les militaires et les policiers qui font des patrouilles, qui interviennent lorsque l’intégrité physique des populations est menacée. Mais la protection des civils, c’est aussi l’engagement politique, c’est-à dire tous les plaidoyers que nous faisons auprès des autorités, qu’elles soient des autorités au niveau national ou au niveau local ; tout le plaidoyer qu’on fait parce que la protection des civils, c’est aussi l’aspect politique.
Il y a l’accès aux droits, il y a aussi la recherche de la cohésion sociale, la réponse humanitaire que nous donnons en cas de besoin et aussi le développement. C’est ça, la protection des civils !
Donc, après ce que je viens de vous dire, vous comprenez que toute action que l’ONUCI pose abonde dans le sens de la protection des civils. Par exemple, au niveau de la cohésion sociale, nous avons tout un travail communautaire – nous avons des sections qui ne font que ça – afin de prévenir, d’identifier et de gérer les tensions avant que les conflits n’éclatent. Je peux dire en conclusion que chaque section, chaque composante de l’ONUCI qui travaille, travaille dans le sens de la protection des civils.
Q: Parlons maintenant de l’Ouest de la Côte d’Ivoire, Madame la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies pour la Côte d’Ivoire. Cette partie du pays a été particulièrement marquée par la crise postélectorale, notamment au plan sécuritaire et humanitaire : quelle réponse l’ONUCI apporte-t-elle à ces besoins spécifiques ?
AM: Vous savez, la dernière résolution que j’ai évoquée tantôt, la 2112, a demandé à l’ONUCI d’accorder une attention toute particulière à l’ouest de la Côte d’Ivoire, étant donné les nombreux défis auxquels est confrontée cette région. Donc, à cet égard, l’ONUCI a renforcé sa présence dans l’ouest du pays ; cette présence qui va nous permettre de répondre et de soutenir tous les efforts en faveur des citoyens, que ce soit à Taï, à Toulepleu, à Duékoué, ou encore à Guiglo et à Man.
Les Nations Unies ont fourni de l’assistance humanitaire. Nous avons réhabilité et équipé des infrastructures publiques qui avaient été détruites, telles que les préfectures, les sous-préfectures et des locaux de police et de gendarmerie. La Mission a également augmenté ses activités de renforcement de capacité destinées aux membres du corps préfectoral, aux leaders traditionnels, à la société civile, aux communautés et aux médias, surtout dans les domaines de la prévention, de la gestion et de la résolution des conflits.
Nous sommes en train de mobiliser les fonds nécessaires pour redoubler d’efforts dans cette région. Moi-même, dans les jours à venir, je conduirai personnellement une forte mission composée de la plupart des institutions des Nations Unies présentes en Côte d’Ivoire. Donc, il s’agira pour nous d’aller, de constater de visu la situation, de faire le point des interventions et des besoins et de voir comment nous pouvons encore plus avancer rapidement sur cette région.
Q: Le Conseil de sécurité des Nations Unies recommande aussi la réduction des effectifs militaires de l’ONUCI, d’ici 2015. Comment concilier cette recommandation et les impératifs de protection des civils en Côte d’Ivoire ?
AM : Je vous ai dit tout à l’heure que la situation sécuritaire et la situation politique se sont beaucoup améliorées en Côte d’Ivoire, même si – comme je l’ai aussi indiqué – beaucoup reste encore à faire. C’est fort de cela que le Conseil de sécurité a décidé d’ajuster nos effectifs à la nouvelle situation du pays. Mais ce que je veux dire ici de façon formelle, c’est que la revue de l’effectif ne remet pas du tout en cause la capacité de l’ONUCI à répondre de manière rapide et efficace à quelque défi qui pourrait se poser en matière de protection des civils.
Q: Quel regard portez-vous maintenant sur l’évolution de la situation des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire ?
AM: Le respect des droits de l’Homme est fondamental. Vous savez, pour le progrès et pour l’épanouissement de toute société, qu’elle soit une société normale ou qu’elle soit, comme c’est le cas de la société ivoirienne, une société qui sort de crise.
Donc, de façon générale, la situation des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire a enregistré aussi des développements positifs dans plusieurs domaines, comme par exemple le domaine communautaire, le domaine législatif et institutionnel, le domaine associatif. Mais vous savez, la culture et respect des droits de l’Homme prend du temps aussi, surtout après ces blessures profondes que la société a connues.
C’est donc un travail au quotidien que nous menons, mais c’est aussi une responsabilité commune : chaque citoyen doit pouvoir respecter les droits de son concitoyen. C’est la même chose pour l’administration, pour les administrés. Il y a encore beaucoup de travail à faire. Les autorités publiques font beaucoup d’efforts, elles font des efforts, elles prennent des décisions. Il faut les encourager. Mais comme je l’ai dit, tout processus de retour à la normale est lent. On dit très bien que c’est très facile de détruire. Mais reconstruire, c’est toujours lent et ça prend du temps.
Q : Et sur le terrain, que fait l’ONUCI pour assurer la promotion et la protection des droits de l’Homme ?
AM: Nous avons la division des Droits de l’Homme. Tout à l’heure, je vous ai parlé de tout l’aspect de monitoring et de rapports que nous faisons. Mais nous avons aussi des formations que nous faisons ; formation particulièrement aux autorités publiques et aussi aux organisations de la société civile.
Q : La dernière résolution du Conseil de sécurité sur la Côte d’Ivoire donne des objectifs chiffrés pour le DDR – le désarmement, la démobilisation, la réintégration des ex-combattants –, mais aussi pour la réinsertion et le rapatriement des ex-combattants étrangers. Cette feuille de route s’adresse au premier chef aux autorités ivoiriennes. Comment travaillez-vous pour les accompagner, madame la Représentante spéciale?
AM: Vous savez, ici, il faut rendre à César ce qui appartient à César. C’est vrai que la résolution 2112 comporte un objectif précis, chiffré. Mais la résolution n’a fait que consigner un engagement librement pris par le Gouvernement de Côte d’Ivoire. Ce n’est pas quelque chose que la résolution impose au Gouvernement de Côte d’Ivoire. Le Gouvernement, les prochaines années à venir, devrait complètement finaliser le processus DDR. Donc, la résolution n’a fait que consigner cela. Ceci étant dit, un DDR réussi contribue naturellement à renforcer la sécurité d’un pays. Il contribue aussi à renforcer la stabilité du pays. Tout à l’heure, j’ai décliné toute une série de composantes de la protection des civils. Le DDR fait partie aussi de la protection des civils. Donc, nous travaillons vraiment en étroite collaboration avec l’ADDR (NDLR : l’Autorité du désarmement de la démobilisation et de la réinsertion) et les Ministères concernés, dans tout ce processus que nous accompagnons de façon très rapprochée et très suivie.
Q: Comment l’ONUCI interagit-elle avec les autorités ivoiriennes sur le chantier de la RSS, la réforme du secteur de la sécurité ?
AM : L’accompagnement que nous donnons aux autorités sur le chantier de la Réforme du Secteur de la Sécurité peut être vu en trois catégories :
- Il y a le plan stratégique à travers lequel nous maintenons un contact très régulier avec les différentes autorités en charge de la Reforme du Secteur de la Sécurité, notamment le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Défense, le ministère de la Justice, pour échanger sur l’état d’avancement de ce processus. C’est, si vous voulez, une sorte de conseil et de bons offices que nous faisons pour appuyer les autorités dans l’avancement du processus.
Sur le plan technique, la mission a participé à l’élaboration de la stratégie nationale sur la RSS, cette stratégie a été validée en septembre 2012. Et depuis, nous participons à la mise en place des différentes réformes initiées depuis le mois de janvier 2013. Et il ya les fameux ‘’brown bag lunch’’ que nous organisons, qui sont des forums qui réunissent, la plupart du temps, les partis politiques, la société civile, le Parlement, le Secrétariat du Conseil national de Sécurité. Et ces débats nous permettent d’échanger sur la situation de la Réforme du Secteur de la Sécurité et surtout sur les questions importantes qui doivent être débattues et qui méritent une attention particulière.
Q : Nous allons consacrer la dernière articulation de cet entretien à l’environnement médiatique ivoirien. Madame la Représentante spéciale, quel regard portez-vous sur les médias en Côte d’Ivoire et sur leur rôle dans la société?
AM: Je voudrais à la faveur de cette question que vous me posez, d’abord rendre hommage à tous les journalistes et à toutes les femmes journalistes, à tous les hommes des médias qui, au quotidien, nous permettent d’être informés sur ce qui se passe aussi bien en Côte d’Ivoire qu’à travers le monde. Cependant, je voudrais regretter la tendance de certains journalistes et de certains médias – cette tendance que nous lisons – comme le fait de devenir des vecteurs de haine, des vecteurs de division et des vecteurs de troubles. Donc, je souhaiterais lancer un appel et continuer à encourager les journalistes et les professionnels des médias pour qu’ils ?uvrent de manière responsable et professionnelle dans la conduite de leurs activités pour permettre la consolidation des acquis, notamment dans le domaine de la paix et de la réconciliation nationale. Vous savez, les journalistes doivent savoir, ils doivent toujours avoir présent à l’esprit que leur plume, leur micro, leur site internet, leur caméra, leurs photos, sont des supports qui peuvent, selon l’utilisation qui en est faite, avoir des conséquences profondément positives ou des conséquences profondément négatives. Je n’ai pas besoin de faire un dessin ici. L’histoire est parsemée d’exemples de tous genres à cet égard. Donc, les journalistes, je l’espère, doivent avoir conscience de la responsabilité qui est la leur dans la préservation de la paix sociale dans leur pays. Ils sont détenteurs d’un pouvoir. Je crois qu’on dit couramment que c’est le 4ème pouvoir. C’est le numéro 4, mais c’est un redoutable pouvoir ! Et il est donc à mon sens, nécessaire d’en faire un bon usage au profit des populations, au profit de la communauté, tout en prenant vraiment la mesure de la responsabilité sociale qui en découle.
Au plan local, je voudrais saluer le rôle joué par les radios de proximité qui permettent de porter des messages de paix, des messages de cohésion sociale et des messages de réconciliation nationale au plus profond du pays et dans les foyers. Ces radios sont très importantes et nous avons travaillé avec elles pour la sensibilisation et la mobilisation citoyenne.
Q : La radio de la paix s’est vue conférer la mission de contribuer à l’instauration d’un climat de paix, en prévision de l’élection présidentielle de 2015. Madame la Représentante spéciale, comment la voyez-vous accomplir cette mission ?
AM : ONUCI FM, et je le lis sur tous les autocollants, se définit comme la fréquence de la paix et je réalise que ONUCI FM reflète la beauté de la mosaïque ivoirienne. C’est une radio qui a toujours joué un rôle de rapprochement, de consolidation, un rôle rassembleur et qui a toujours gardé à l’esprit l’impartialité qui guide l’action de l’Organisation des Nations Unies en général et de l’ONUCI en particulier. Donc, je voudrais vraiment exhorter les membres de l’équipe d’ONUCI FM à continuer à s’approprier au quotidien cette référence de la paix et de la décliner dans tous les programmes, de la décliner dans toutes les émissions qu’ils produisent, de la décliner aussi dans leurs démarches vers les acteurs de la société ivoirienne de tous bords.
Notre radio peut aussi servir de plateforme pour l’expression de la diversité des opinions, dans le respect des règles professionnelles, d’éthique et de déontologie. Et c’est parce qu’il y a ce respect des règles professionnelles, parce qu’il y a ce respect des règles d’éthique, parce qu’il y a le respect de la déontologie, que ONUCI FM est la première des radios.
(Source : onucicifm)