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Économie Publié le mercredi 2 avril 2014 | L’intelligent d’Abidjan

Contribution / Mamadou H. Karamoko (Consultant spécialiste des économies émergentes) : ‘‘Qu’est-ce que l’émergence économique ?’’

Depuis sa déclaration de candidature à l’élection présidentielle, sa victoire en Novembre 2010 et sa prise effective du pouvoir en Avril 2011, le Président Alassane Ouattara a fait de l’émergence de la Côte d’Ivoire à l’horizon 2020 son objectif ultime. Dans les discours officiels, les actions et séminaires gouvernementaux, les universités, les institutions, les bureaux, les débats, les causeries, les marchés, les gares, etc., partout, l’on ne parle que d’EMERGENCE. Même Dame Irié Lou Collette, la présidente des femmes du vivrier s’en donne à cœur joie. Le mot s’est donc popularisé et s’est installé confortablement dans le quotidien et le langage des Ivoiriens ; et avec notre sens de l’humour inégalé et notre capacité à prendre en dérision certains événements, la convalescence du Président de la République a créé « la démarche émergente, le chapeau émergent, la canne émergente, etc. ». !

Le terme pays émergent a été inventé en 1981 par l’économiste néerlandais de la SFI (Société Financière Internationale, groupe Banque Mondiale), Antoine van Agtmael. Il s’applique à un pays du 1/3 monde (pauvre) qui connait depuis plusieurs années des taux de croissance élevés et qui est en train d’amorcer chez lui un processus de modernisation et de rattrapage des pays développés ; tout en conservant des structures sociales très inégalitaires et pour partie traditionnelle (Chine, Brésil, Turquie, etc.). Ce sont en réalité des pays dont le PIB par habitant est inférieur à celui des pays développés, mais qui connaissent une croissance économique rapide, et dont le niveau de vie ainsi que les structures économiques convergent vers ceux des pays développés. On parle d'ailleurs aussi d’émergence économique.
La liste des pays auxquels s'applique ce terme varie selon les époques et les sources, en témoignent les divers acronymes définis pour les désigner : BRIC est le premier à désigner les quatre principaux pays émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine) qui jouent un rôle de premier plan dans l'économie mondiale. Il deviendra en 2011 BRICS avec l'ajout de l'Afrique du Sud qui participe désormais aux sommets regroupant ces pays. BRICM est également invoqué pour prendre en compte le Mexique ou BRICI, l'Indonésie.
Parmi les critères de définition, les changements structurels sont souvent cités : Rénovation juridique et institutionnelle, passage d'un type de production agraire à un type industriel, ouverture au marché mondial des produits et services et aux flux internationaux de capitaux. Mais des critères objectifs sont proposés pour définir précisément le groupe des pays émergents ; ce sont entre autres :
Revenus intermédiaires : les pays émergents ont un revenu par habitant en parités de pouvoir d'achat (PPA) compris entre 10 et 75 % du revenu moyen de l'Union européenne. Ceci exclut donc les pays les moins avancés (comme la Côte d’Ivoire) et les pays riches (comme la France).

Croissance et rattrapage économique : durant ces dernières années (au moins une décennie) les pays émergents ont connu une croissance supérieure à la moyenne mondiale. Ils connaissent donc une période de rattrapage économique et pèsent de ce fait de plus en plus lourd dans la création de richesses mondiales. Nous pouvons citer la Chine, l’Inde, la Turquie, le Brésil, etc.

Transformations institutionnelles et ouverture économique : durant ces dernières années, ces économies ont connu une série de transformations institutionnelles profondes qui les ont davantage intégrées aux échanges mondiaux. L'émergence économique est donc en grande partie issue de la mondialisation.
Au début des années 2010, une soixantaine de pays répondent à ces critères. Ensemble, ils représentent près de 50 % de la richesse créée dans le monde et les deux tiers de sa population. Parmi eux, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) sont les figures de proue, mais l'Indonésie, le Mexique et la Turquie constituent d'autres économies émergentes de premier ordre.
L'appartenance à ce groupe n'est pas figée : les « quatre dragons asiatiques (Hong Kong, Corée du sud, Singapour et Taiwan) », anciens pays émergents, font partie désormais du groupe des pays développés (bien que quelquefois encore classés comme « marchés émergents » pour certaines considérations financières). À partir des années 2000 et surtout depuis le début de la crise économique mondiale en 2008, un possible découplage entre les pays développés et les pays émergents (notamment les BRICS) est évoqué : les taux de croissance de ces derniers et leur balance des paiements laissent croire qu'ils peuvent vivre indépendamment des pays développés.
Situation de la Côte d’Ivoire
Dans les années 60 et 70, sous l’impulsion de la politique volontariste du Président Félix Houphouët-Boigny, notre pays a connu une prospérité vertigineuse avec des taux de croissance de 8 à 11% (bon an mal an) ; ce qui l’a propulsé au rang de pays à économie intermédiaire et a fait dire à certains économistes que nous vivions un miracle. Si le terme avait été créé cinq ans plutôt, notre pays aurait été cité en exemple de pays émergent. Les fruits de notre croissance ont permis au pays de se doter d’infrastructures routières, portuaires, universitaires, etc. ; faisant d’elle la première économie de l’Afrique noire francophone. Mais il est bon de rappeler que notre économie était basée (et l’est encore malheureusement) sur la production et l’exportation de matières premières agricoles ; ce qui fait d’elle une économie extravertie.
Le risque de notre système de développement est que nous ne sommes pas maîtres de notre destin car les prix de nos matières premières agricoles sont fixés à l’extérieur. Et avec les chocs pétroliers des années 70 qui ont eu une incidence négative sur l’économie des pays riches, nous avons connu de véritables problèmes (Détérioration des termes de l’échange) et la malédiction des matières premières ; n’ayant pas essayé, comme les pays scandinaves et certains pays d’Asie orientale (Malaisie), riches en ressources naturelles, de transformer les matières premières pour créer plus de valeur ajoutée et plus de richesses. Au début des années 80, on parlait de conjoncture , comme pour parler de crise économique, avec son corollaire de licenciement massif, de fermeture des sociétés d’Etat, de blocage des salaires, etc. et en 1987, la Côte d’Ivoire suspendait le service de sa dette ; Le miracle était de devenu un mirage.
Au début des années 90, notre pays rentrait en récession et était sous ajustement structurel, avec à la manette, un certain Alassane Ouattara. Avec maestria et douleur, ce technocrate de haut vol a réussi à rétablir les grands équilibres économiques, à réduire les déficits et à sauvegarder les fondamentaux de notre économie ; contribuant ainsi à sauvegarder la paix sociale et la cohésion nationale qui étaient fortement ébranlées par les mouvements d’humeur et des grèves intempestives dans tous les secteurs socio professionnelles.

Avec les différentes crises qu’a connues le pays, notre économie a pris un grand coup de massue ! Avec des taux de croissance négatifs, le pays leader de la sous-région était devenu la risée de tout un continent, tellement engluée dans des querelles intestines interminables. L’argent ayant peur du bruit, les Investissements Directs Etrangers (IDE) ont pris d’autres destinations plus sûres (Ghana, Sénégal, Maroc, etc.) et nos infrastructures, faute d’entretien, se sont fortement dégradées, avec eux, les hommes aussi, faute de modèles et de repères.
Avec l’arrivée d’Alassane Ouattara à la tête du pays, ancien Premier ministre, ancien Directeur général adjoint du FMI, ( ayant eu sous sa responsabilité la supervision économique de nombreux pays émergents), notre pays renoue avec la croissance. Les investisseurs reviennent, des forums sont organisés, de grands chantiers sont ouverts, de grandes réformes administratives et judiciaires sont réalisées ou sont en cours de l’être, la sécurité des biens et des personnes s’améliore tant bien que mal, le désir de réconciliation est institutionnalisé avec la création de la CDVR, et un effort de modernisation du pays et des institutions est fait tous les jours. Mais les retombées de toutes ces actions ne sont véritablement pas visibles dans le quotidien des Ivoiriens.

La cherté de la vie est une réalité, les mauvais reflexes perdurent, le taux de pauvreté atteint des records inquiétants, le chômage des jeunes est devenu endémique, les lenteurs administratives et la corruption de l’appareil judiciaire sont criardes, la mauvaise gouvernance est décriée et dénoncée par de nombreux ivoiriens et certaines organisations internationales, etc. La Banque mondiale s’intéresse de plus en plus aux conditions de passation des marchés publics, et les organisations de défense de droit de l’homme dénoncent une justice aux ordres….!
Le chemin vers l’émergence est périlleux mais nous l’atteindrons certainement un jour.

Mamadou H. Karamoko (karamoko.mamadou@gmail.com)
Master en Commerce International (Paris XIII)
Consultant spécialiste des économies émergentes.
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