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Société Publié le dimanche 12 juin 2016 | Ministères

Colloque de Bordeaux sur l’économie et la Culture en Afrique: "La culture de l’Ivoirien Nouveau s’enrichira nécessairement d’autres apports culturels et vice-versa" (Affoussiata Bamba-Lamine)

© Ministères Par DR
Colloque de Bordeaux sur l`économie et la Culture en Afrique
La ministre Affoussiata Bamba-Lamine a participé au Colloque de Bordeaux sur l`économie et la Culture en Afrique
- Monsieur Pierre Gaétan Njikam, adjoint au Maire de Bordeaux ;

- Monsieur Serge Dégallaix, Directeur Général de la Fondation prospective et innovation ;

- Monsieur Jean-Michel Débrat, Directeur général de la Fondation Africa France ;

- Mesdames et Messieurs participants à ce panel.


Les échanges de cet après-midi portent sur le thème « la Culture dans la vie africaine », thème subdivisé en trois sous-thèmes :
1- Superflue ou nécessaire- Les dépenses et les modes de dépenses ;
2- Tradition et modernité – De nouveaux usages de la Culture ;
3- Identité et partage – une culture partagée ou compartimentée.
Mesdames et Messieurs,
« La Culture dans la vie africaine » est à la fois un thème simple et complexe.
Simple parce qu’il s’agit d’une réalité de la vie quotidienne de chez nous ou d’un passé non lointain.
Complexe, parce que la culture en général et la culture africaine en particulier est variée et multiforme.
Cependant, je m’efforcerai, autant que faire se peut, d’apporter le maximum d’éléments pour nourrir notre réflexion commune, au cours de cette rencontre que je qualifierais d’arbre à palabre à l’occidental.
Monsieur le modérateur ;
Mesdames et Messieurs.
Pour éviter que la perception de mon exposé ne soit biaisée, une mise au point préalable s’impose.
En effet, si par culture africaine, on entend culture africaine ancestrale, il faut d’emblée préciser que celle-ci est de moins en moins présente dans le vécu quotidien des africains d’aujourd’hui.

Cette assertion se fonde sur trois faits au moins :
1- de moins en moins d’africains vivent dans leur terroir ancestral d’origine, comme c’est le cas dans mon pays, en Côte d’Ivoire où 75,5 % de la population vit en région forestière ;
2- les populations africaines sont de plus en plus jeunes. Par exemple, les 77,3 % de la population totale ivoirienne ont moins de 35 ans ;
3- Enfin, les africains vivent de moins en moins au village, notamment, la population ivoirienne dont 50,2% est urbaine.
Après cette première précision, venons à notre sujet, c’est-à-dire « La Culture dans la vie africaine ».
L’Afrique étant un continent composé de cinquante-quatre (54) pays peuplés d’une multitude de peuples, il n’existe pas une Afrique, mais plusieurs Afriques aux traditions très différentes les unes des autres.

Prenons l’exemple du mariage.
Dans mon pays, il y a des zones où, selon la coutume, le futur couple doit faire une fugue, pour éviter d’être retrouvé par les parents de la dulcinée. Après avoir séjourné un, deux ou trois ans loin du village d’origine du mari, le couple revient à la maison. Les parents du « mari » réparent la faute commise pour faire admettre et réintégrer ce couple dans le système normatif établi.

Non loin de là, dans une autre contrée, la femme est fiancée dès la naissance. Sur cette base, le « mari » est considéré comme le « Beau-fils», quel que soit l’âge de la fiancée. Dès lors, il est tenu de verser la dot, soit sous la forme de travaux champêtres, soit en nature ou en numéraire. Quand la fillette est apte au mariage, on procède à la célébration.

Au Bénin, il existe une communauté ethnique Pédah, où seules, les femmes sont initiées en tant que prêtresses, alors qu’ailleurs, ce sont les hommes qui sont concernés prioritairement par l’initiation. Et On peut multiplier les exemples à l’infini.

Comme on peut le constater, l’Afrique est plurielle. Voilà une première réalité.

La deuxième réalité résulte du fait que d’une manière générale, en Afrique, le corps social comprend les vivants et les morts, qui vivent en parfaite symbiose. Ils observent les mêmes lois, les mêmes règlements, les mêmes traditions.

Ainsi, dans son livre intitulé « La religion comme quête de l’ordre dans la société africaine », le Congolais (Congo Brazza) Paul-Emile Latoki, ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme, et je cite : « le monde des esprits et le monde visible, se trouvent réunis. Les vivants étant en continuelle participation et communion avec les morts et ceux-ci étant réellement présents parmi les vivants.» fin de citation.


La troisième réalité est que la tradition exprime la façon d’un peuple de se comporter, de s’organiser, d’extérioriser ses joies et ses peines. Le chercheur et écrivain malien, Doumbi Fakoli, abonde dans le même sens dans son ouvrage : « L’origine négro-africaine des religions dites révélées » en ces termes : « ...La tradition résumait et continue de résumer l’ensemble des comportements et attitudes par lesquels chaque peuple honore dieu et ses ancêtres méritants, affirme son existence dans la paix et l’harmonie, et préserve son environnement... Plus ancienne que la religion et la civilisation -autre terme récent- la tradition englobe la première et se confond avec la seconde », fin de citation.

Imprégnés de ces trois réalités, nous pouvons, à présent aborder les trois sous-thèmes qui sont soumis à notre réflexion, à savoir :

Le sous-thème 1 : « Superflue ou nécessaire : les dépenses et les modes de
dépenses ».

Le traitement de ce premier sous-thème s’appuiera sur les cérémonies funéraires en Côte d’Ivoire dont l’organisation est dispendieuse.

Chez nous, lorsqu’un parent meurt dans les familles, il incombe aux autres membres vivants de l’enterrer dignement. Les frais exorbitants qui en résultent, peuvent paraître superflus chez certains, pour la simple raison qu’ils sont l’expression d’un dévoiement des us et coutumes.

En effet, pour éviter d’avoir honte au village, il est demandé à tous les membres de la famille et du clan ainsi qu’aux familles alliées.de contribuer aux frais des funérailles, selon le statut social des uns et des autres. Personne ne peut se soustraire à cette exigence, de crainte d’être indexé à jamais ou d’être la risée de tous et de toutes

La somme collectée sert à faire face aux dépenses liées au séjour du corps à la morgue, à l’achat du cercueil, à la location du corbillard, à la nourriture pour les « étrangers », personnes venues d’ailleurs pour soutenir la famille éplorée. A cela s’ajoute l’achat de boissons, un poste de dépenses très coûteux surtout si la période des funérailles est sanctionnée par plusieurs veillées où on assiste à de libations et aux prestations de groupes de danses.

En Afrique, ces pratiques s’inscrivent dans un communautarisme fraternel dans lequel ses membres, par solidarité, se font un devoir de partager les joies et les peines d’un des leurs. Ce n’est pas le cas en Europe où l’individu est solitaire dans la solidarité, à travers les systèmes d’assurances diverses.

Mais les réalités actuelles, notamment l’évolution des mentalités, la nucléarisation des familles africaines et la cherté du coût de la vie, feront que ces pratiques finiront par disparaitre.


Le sous-thème 2 : Tradition et modernité : de nouveaux usages de la Culture

Parlant de modernité, le Professeur et historien Burkinabè Joseph Ki-Zerbo écrit : « la modernité que nous appelons de tous nos vœux, est essentiellement le savoir-vivre ensemble dans le respect et l’exactitude ».

Le constat actuel est que la rencontre entre la tradition et la modernité a provoqué un grand choc qui perturbe le fonctionnement des sociétés africaines et ébranle les certitudes des leurs membres. Cet antagonisme conduit les Africains de la nouvelle génération à reléguer leur tradition au profit de la modernité.

Conscient de ce danger, le Premier Président Ivoirien, feu Félix HOUPHOUËT-BOIGNY, n’avait de cesse de répéter à sa jeunesse d’être une jeunesse dont les pieds sont dans la tradition et la tête dans la modernité. C’est cette modernité omniprésente surtout en milieu urbain qui conduit aujourd’hui au recours à de nouveaux usages de la culture.

En effet, les éléments constitutifs des cultures africaines étaient jadis utilisés à bon escient, pour consolider les liens des membres appartenant à une même communauté et à en valoriser l’identité.

Toutefois, face aux exigences du monde moderne, on assiste à un dévoiement des cultures africaines qui se traduit par exemple par la commercialisation à outrance qu’on en fait. Ainsi, les masques sacrés, autrefois craints et respectés, sont aujourd’hui utilisés comme des curiosités touristiques, pour appâter les touristes étrangers.

Il en est de même des bois et eaux sacrés auxquels, seuls les initiés avaient accès, mais qui de nos jours, peuvent être visités par les touristes, après la levée d’interdits, moyennant le paiement de droits en nature ou en numéraire. Toutes ces déviations ont pour mobile de faire de l’industrie touristique africaine, une grande pourvoyeuse d’emplois et de devises.

Au total, la cohabitation de la tradition et de la modernité en Afrique n’est pas encore harmonieuse et équilibrée. Cette situation est liée au rejet de plus en plus grandissant de la tradition, par les jeunes Africains qui la considèrent comme un frein à leur réussite et épanouissement et un cadre d’embrigadement.

Le sous-thème 3 : Identité et partage : une Culture partagée ou
compartimentée

La problématique ici se résume à celle-ci : comment l’Afrique peut-elle préserver son identité culturelle tout en partageant celle du monde, devenu aujourd’hui un village planétaire ?
Cette interrogation semble trouver un début de réponse dans la vision du Président de la République de Côte d’Ivoire, Son Excellence Monsieur Alassane OUATTARA, de ce que doit être l’Ivoirien dans les années à venir.

En effet, le Chef de l’Etat de Côte d’Ivoire, qui nourrit une grande ambition pour son pays, veut voir émerger un concitoyen neuf appelé « l’Ivoirien Nouveau ». Pour lui, l’avènement de cet « Ivoirien Nouveau » est devenu un impératif, si la Côte d’Ivoire veut vraiment aller à l’émergence.

Le Président OUATTARA définit cet « Ivoirien Nouveau » comme « un citoyen qui a mangé et bu à la source de la sagesse africaine. Un citoyen épris de liberté, de justice et respectueux des droits de l’homme comme un français. Un citoyen humble mais ambitieux, courtois et travailleur comme un japonais. Un citoyen respectueux des lois de son pays comme un Allemand. Un citoyen dont le cœur vibre d’amour pour sa patrie et son continent, comme un Américain.

Comme on le devine aisément, la culture de l’Ivoirien Nouveau s’enrichira nécessairement d’autres apports culturels et vice-versa ; cela donnera naissance à une culture différente de celle d’aujourd’hui.

Au demeurant, les cultures africaines ne se sont jamais enfermées sur elles-mêmes depuis les conquêtes territoriales internes. Déjà, à cette époque, les vainqueurs toléraient l’existence de la culture des vaincus. Mieux, ces vainqueurs enrichissaient non seulement leur culture en empruntant chez les « conquis », mais reconnaissaient également aux autres cultures le droit à la différence.

Selon le Professeur et Historien Burkinabè Joseph Ki-Zerbo, « Ce phénomène, se définit comme un universalisme de coexistence par opposition à un universalisme de conquête ». L’Africain pense que la domination politique et économique ne doit pas nécessairement s’accompagner d’une destruction des valeurs culturelles de l’autre.

L’écrivain camerounais, Jules Atangana, qui veut que le continent noir participe à la construction d’un monde nouveau plus juste et plus humain, prône un retour aux sources des valeurs. A cet effet, il soutient que : « Sur une planète chaque jour interdépendante, où les peuples ont de plus en plus besoin les uns les autres, l’Afrique a le devoir de faire un retour sur ses valeurs les plus humanistes, qui lui permettent d’apporter au monde sa contribution positive à la recherche d’une paix qui réponde aux aspirations légitimes de tous les hommes à la liberté, au progrès et à la fraternité. »

Je vous remercie.
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