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Société Publié le mardi 31 août 2021 | AIP

« Le tabac est la première cause de décès cardiovasculaire dit évitable », selon Dr Hermann Yao (Interview)

Le tabac est un des principaux facteurs de risque de maladies cardiovasculaires. Pour en savoir plus sur les risques encourus par les fumeurs et les non-fumeurs, le maître-assistant de cardiologie à l’Université Félix Houphouët-Boigny, Dr Hermann Yao, a accordé jeudi 26 août 2021, une interview à l’AIP. Dans cet entretien, le troisième cardiologue interventionnel en poste au Service d’Hémodynamique et de cardiologie interventionnelle et aux urgences de l’Institut de cardiologie d’Abidjan présente les effets dévastateurs du tabac sur le cœur et fait des propositions pour réduire le fardeau des maladies liées au tabagisme en Côte d’Ivoire.


AIP: Parlez-nous de la mortalité due aux maladies cardiovasculaires en Côte d’Ivoire ?


Dr Hermann Yao: Dans le monde, les maladies cardiovasculaires représentent la première cause de mortalité avec plus de 17 millions de décès par an. En Côte d’Ivoire, nous ne disposons pas de données précises mais le dernier rapport de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) de 2020 montre que dans les pays à revenus intermédiaires (dont la Côte d’Ivoire fait partie), les maladies cardio-vasculaires notamment la crise cardiaque et les accidents vasculaires cérébraux (AVC) représentent aujourd’hui, les deux premières causes de mortalité. Et dans les pays à faibles revenus, elles constituent la troisième cause de mortalité devant les affections telles que le VIH, la tuberculose et le paludisme. Cela montre le lourd fardeau lié aux maladies cardio-vasculaires même dans les pays en voie de développement.


AIP: On dit souvent que les maladies cardiovasculaires sont imputables au tabagisme ? Est-ce vrai ?


Dr HY: Oui, tout à fait! Le tabagisme est un risque cardio-vasculaire majeur. C'est-à-dire qu’il va exposer à risque élevé de développer une maladie cardiovasculaire, risque d’autant plus élevé que le tabagisme est important. Les fumeurs ont un risque de décès par maladie cardio-vasculaire deux ou trois fois plus élevé que les non-fumeurs. Le tabac est également associé à la survenue de troubles de rythme cardiaque et d’insuffisance cardiaque. Bien entendu, il existe d’autres facteurs de risques qui vont déterminer l’apparition de maladies cardiovasculaires comme l’hypertension artérielle, le diabète, l’excès de cholestérol dans le sang, l’obésité et le manque d’activité physique.


AIP: La consommation du tabac augmente-t-elle le risque de maladie du cœur et d’AVC ? Peut-on avoir une idée de ces risques cardiovasculaires ?


Dr HY: Au niveau cardiaque, c’est surtout le risque de faire une crise cardiaque (infarctus du myocarde). Car le tabac, à long terme, va entraîner un vieillissement accéléré des artères du cœur en favorisant des dépôts de mauvais cholestérol, ce qu’on appelle l’athérosclérose. Ces artères vont finir par s’encrasser et se boucher, et conduire à une crise cardiaque. Le tabac va aussi entraîner une diminution de la capacité des artères à se dilater et à se contracter, avec souvent une diminution du flux sanguin à l’intérieur des artères. Et quand cette diminution est totale, on a une fermeture complète de l’artère et on peut aboutir à une crise cardiaque. Au niveau des vaisseaux, le tabac va accélérer l’athérosclérose et peut endommager l’aorte -le plus gros vaisseau sanguin qui sort du cœur-. Le tabac atteint aussi les artères des membres inférieurs qui vont s’encrasser et rendre difficile la marche.


Au niveau du cerveau, c’est surtout le risque d’AVC, lorsque les artères qui irriguent le cerveau vont être endommagées ou obstruées. Le tabac favorise aussi la formation de caillots à l’intérieur des artères. En effet, les fumeurs développent une quantité anormalement élevée de globules rouges et de plaquettes, ce qui va augmenter la viscosité du sang. Voici, entre autres, les principales complications cardiovasculaires du tabac.


AIP: La fumée aspirée par une personne à proximité d’un fumeur est-elle nocive pour la santé ?


Dr HY: C’est ce qu’on appelle le tabagisme passif. La fumée secondaire est aussi nocive car elle contient les mêmes produits toxiques que la fumée primaire. Le tabagisme passif est reconnu comme un problème de santé publique car il entraîne 600.000 décès par an dans le monde. Il augmente le risque de faire une crise cardiaque et d’avoir un cancer chez les personnes qui en sont victimes. Chez la femme enceinte par exemple, le tabagisme passif peut entraîner des complications, comme un faible poids de naissance ou un décès du fœtus.


AIP: Peut-on contracter le Covid-19 par le biais de la nicotine ?


Dr HY : Non pas exactement. En effet, les fumeurs sont plus vulnérables car ils développent des bronchites chroniques et ils ont une capacité respiratoire moins efficace. Ils présentent en fait, un risque de faire une forme plus grave du Covid-19.


AIP: Quel est le risque associé à la consommation de produits dérivés du tabac, comme le tabac à chiquer par exemple ?


Dr HY: Le risque est identique à celui du tabac inhalé voire souvent plus élevé.


AIP: Quels sont les effets de la nicotine sur le cœur ? Est- ce que le tabac peut endommager le cœur ?


Dr HY: Avant de parler de nicotine, il faut savoir que la toxicité du tabac est déterminée par trois substances principales. Premièrement, le monoxyde de carbone qui va diminuer la capacité de sang à s’oxygéner en se fixant sur les globules rouges. Deuxièmement, les gaz oxydants qui vont endommager la paroi des artères. Et troisièmement, la nicotine qui est la substance la plus connue. Elle va agir en entraînant une augmentation de la vitesse des battements du cœur, ce qui peut conduire à des arythmies cardiaques et l’apparition d’une hypertension artérielle. Il va diminuer la perfusion sanguine du cœur et du cerveau. Et enfin, c’est la nicotine qui va être responsable de l’effet de dépendance qui pousse à toujours vouloir fumer. A côté de ces trois substances, il faut savoir qu’il y a d’autres substances nocives comme le goudron et certains métaux lourds qui vont avoir des effets néfastes sur la santé.


AIP: A combien est estimé le taux de décès cardiovasculaires lié au tabagisme ?


Dr HY: Le tabagisme fait plus de huit millions de décès par an dans le monde dont un quart sont des maladies cardio-vasculaires. Ce qui fait du tabac aujourd’hui, la première cause de décès cardio-vasculaire dit « évitable ».


AIP: Le tabagisme est-il un phénomène de santé publique ?


Dr HY: Oui, le tabagisme est un réel problème de santé publique. On estime à 1,3 milliard de personnes, le nombre de fumeurs dans le monde. L’impact socio-économique du tabac n’est pas négligeable parce que d’une part, il absorbe des dépenses inhérentes au ménage et à l’entretien de la famille et d’autre part, à cause des coûts liés à la prise en charge médicale des maladies causées par le tabac, qui sont le plus souvent chroniques.


AIP: Selon des résultats d’une étude, la prévalence du tabagisme chez les personnes ayant un statut socio-économique précaire est beaucoup plus forte que chez les personnes ayant un statut socio-économique plus élevé ? Quel est votre commentaire ?


Dr HY: Ce sont les statistiques de l’OMS qui l'affirment: environ 80% des fumeurs se retrouvent dans les pays à faibles revenus ou à revenus intermédiaires. Je pense que l’industrie du tabac se tourne de plus en plus vers les pays en voie de développement qui constituent une cible idéale en raison de la méconnaissance par une grande partie de la population des effets du tabac. Les politiques anti-tabac sont également encore insuffisantes dans notre pays et méritent d’être durcies.


AIP: Est-ce que cesser de fumer réduit immédiatement le risque de maladies du cœur et d’AVC ?


Dr HY: Cesser de fumer réduit le risque de développer une maladie cardiovasculaire quelque soit l’âge. Certains effets bénéfiques peuvent même être observés dans les 20 minutes après l’arrêt du tabac, comme par exemple, une normalisation du rythme cardiaque. Un an après l’arrêt du tabac, le risque de faire une crise cardiaque est deux fois moindre que celui du fumeur. Entre cinq et quinze ans, le risque de faire un AVC est équivalent à celui qui n’a jamais fumé. Bien entendu, plus l’arrêt est précoce, plus les bénéfices sont importants car il faut tenir compte de la durée du tabagisme et des conséquences déjà présentes.


AIP: Pour réduire le fardeau des maladies liées au tabagisme, que recommandez-vous aux fumeurs ?


Dr HY: C’est l’arrêt immédiat du tabagisme. Ce n’est jamais évident, à cause de la durée souvent longue du tabagisme et de la forte dépendance causée par la nicotine. Il faut alors consulter un médecin pour se faire accompagner dans son sevrage. Mais, c’est d’abord la volonté d’arrêter et la prise de conscience des méfaits du tabagisme. En tant que cardiologue, plusieurs patients fumeurs que j’ai pris en charge pour leur crise cardiaque ont spontanément arrêté de fumer après leur hospitalisation. Cela souligne aussi l’impact que peut avoir une maladie grave sur l’habitude des fumeurs.


AIP: Que conseillez-vous aux fumeurs qui désirent arrêter ?


Dr HY: Aux fumeurs, nous recommandons de prendre conscience et de se documenter sur les conséquences néfastes du tabac sur la santé, afin de décider d’arrêter de fumer. Il faut se faire aider par un médecin qui va les accompagner dans leur sevrage, en particulier, un addictologue. Il faut aussi éviter autant que possible les lieux où la consommation du tabac est élevée.


(AIP)


tg/cmas

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