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Société Publié le lundi 20 septembre 2021 | Fraternité Matin

Lutte contre la corruption: Épiphane Zoro Bi Ballo : ‘‘ L’une des solutions, c’est la digitalisation ’’

© Fraternité Matin Par DR
Le Secrétaire d’Etat au renforcement des capacités, Epiphane Zoro-Bi Ballo, cadre du RHDP

Le ministre de la Promotion de la bonne gouvernance, du Renforcement des capacités et de la Lutte contre la corruption parle du combat engagé par le gouvernement pour endiguer le fléau de la corruption.


Ces derniers temps, le gouvernement, par l’entremise de votre ministère, a durci la lutte contre la corruption sous toutes ses formes.


Cette décision du gouvernement n’est-elle pas la preuve que la Côte d’Ivoire est devenue un pays trop corrompu ?


Au cours des 10 années de crise que la Côte d’Ivoire a connues, depuis 2000, nous étions dans une situation de non-droit. Le phénomène de la corruption, de la gabegie, de détournement de deniers publics, de l’effondrement des valeurs morales au niveau de notre société de façon générale avait atteint des seuils intolérables. 


Lorsque le Président de la République SEM Alassane Ouattara accède au pouvoir, en 2011, il prend le taureau par les cornes.


Des réformes ont été immédiatement initiées pour renforcer l’intégrité de l’action publique. Dès 2012-2013, la Côte d’Ivoire a honoré ses engagements internationaux en ratifiant la convention des Nations unies de prévention et de

répression de la corruption ainsi que la convention de l’Union africaine (Ua). Le Chef de l’État a signé l’ordonnance 2013-660 du 20 septembre 2013 relative à la prévention et la lutte contre la corruption qui pose le cadre juridique et institutionnel de la lutte contre la corruption. 


Nous avons vu également la mise en place de la Haute autorité de la bonne gouvernance.

Cela a permis à ce pays de faire un bon avant dans le classement des États engagés dans la lutte contre la corruption entre 2011 et 2020. Avec tous les efforts que notre pays a faits, nous avons gagné neuf points sur l’indice de perception de la corruption de l’Ong Transparency international.


Avec ces neuf points, nous sommes aujourd’hui à 36/100 sur l’indice de perception de la corruption de cette entité.


 C’est pour vous dire que des efforts ont été faits et que nous sommes quasiment à l’approche de la moyenne qui est 50/100.


La Côte d’Ivoire doit faire davantage en matière de lutte contre ce fléau. Le pays doit faire davantage parce que l’ambition du Président de la République, exprimée à travers la vision « Côte d’Ivoire solidaire pour 2030 », est une nation développée avec une classe moyenne croissante et les fruits de la croissance équitablement partagés. Mais pour cela, il y a des conditions, des pré-requis : il faut des hommes intègres avec une administration performante et aussi intègre. 


En un mot, il faut endiguer le phénomène de la corruption pour que les institutions ivoiriennes inspirent confiance aux partenaires au développement et à la population. C’est au regard de ces ambitions que le gouvernement a renforcé le dispositif de lutte contre la corruption. 


Ce qui a expliqué la mise en place de ce ministère qui vient compléter les actions que mènent déjà les institutions mises en place en 2013.

Dans la perception générale, la Côte d’Ivoire est perçue comme un pays corrompu.

Au point qu’il faut soudoyer pour pouvoir se faire établir un document administratif.


Relativement à tous ces faits, ne pensez-vous pas que toutes les initiatives qui seront engagées pour endiguer la corruption seront vaines ?


C’est un combat de longue haleine. Il y a des réformes qui sont en cours. La lutte contre la corruption n’est pas l’affaire de mon seul ministère. Aujourd’hui, le gouvernement a pour mission principale aussi de proposer des mesures qui renforcent la gouvernance et des actions de détection des faits de corruption. 


C’est une affaire de tous. Il y a certains ministères dont ceux de la Fonction publique et de la Modernisation de l’administration, de l’Intérieur et de la Sécurité, de la Défense, de la Justice et des Droits de l’homme, chacun a sa partition à jouer. Au titre des mesures de prévention, il faut développer des actions en vue de minimiser les risques de corruption. 


Vous avez évoqué la question de délivrance des services publics (actes de naissance, certificats de nationalité, permis de conduire, de construire, etc.). 


L’expérience qui a marché ailleurs, la Côte d’Ivoire essaie de s’en inspirer pour l’implémenter chez nous afin de réduire le risque de corruption. Partout où il y a des transactions, les contacts humains sont des facteurs favorisant la corruption. 

C’est pour cela que l’une des solutions de prévention est la digitalisation des services. Pour cela, le ministère de la Fonction publique et de la Modernisation de l’administration, en lien avec celui de l’Economie numérique sont en train de développer un ambitieux programme en vue de digitaliser notre administration.


Cela pourrait réduire les facteurs de corruption. Mais comme nous l’avons dit, c’est un combat que toute la population doit pouvoir mener ; un combat de longue haleine parce que c’est toute une culture qu’il faut changer. 

C’est pour cela que dans notre approche, un accent particulier devra être mis sur l’éducation, la formation et la sensibilisation.


Le 14 septembre dernier, au cours d’un point presse, vous avez dévoilé les noms des structures et des secteurs gangrénés par ce fléau. Quelles sont les actions prévues contre les acteurs ou personnalités épinglés au terme des investigations menées par votre ministère ?


Il faut bien faire la part des choses. Au cours de notre point-presse, nous avons annoncé le lancement de ‘’ l’Opération coup de poing‘’. 


Nous en avons profité pour présenter les secteurs préoccupants, qui ont un très fort potentiel de corruption où la perception de corruption est extrêmement élevée. Des études diagnostics ont été menées. Je veux citer celles conduites par l’Institut national des statistiques (Ins) de 2018 qui a fait une cartographie des secteurs à forts potentiels de corruption ; une cartographie des secteurs où les perceptions de la corruption étaient particulièrement préoccupantes ; perception du milieu d’affaires, perception des organisations de la société civile et la perception des acteurs publics. 


Au titre de ces secteurs, il y a ceux de la justice, des marchés publics, de la construction, de l’éducation, de la santé, de la défense et de la sécurité. Ce sont donc ces secteurs qui ont été identifiés dans le cadre de la cartographie et notre opération nous conduira à mener des vérifications dans ces secteurs. Les études de l’Ins sont confortées par tous les rapports que nous recevons des organismes actifs dans le domaine de la bonne gouvernance comme la Fondation Mo Ibrahim et l’organisation Transparency international. 

Ces secteurs ont été désignés comme étant les secteurs où le niveau de perception de la corruption est des plus préoccupants. 

Dans détection des actes de corruption, que nous avons à dessein dénommée ‘’Opération coup de poing’’, ce sont ces secteurs qui seront visités de façon prioritaire.


On parle souvent de corrompus. Qu’en est-il du corrupteur ?


La corruption suppose évidemment au moins deux acteurs : le corrompu et le corrupteur.


Après, il y a certainement des complices. Ces deux acteurs encourent la même peine. C’est pour cela que quand on voit au cours des contrôles, les usagers de la route, des services publics qui offrent de l’argent en compensation d’un service qu’ils sont en droit d’attendre de l’administration, ils tombent sous le coup de la loi pénale au même titre que l’agent public tel que le fonctionnaire, le policier, le gendarme, etc.


Quelle peine ces acteurs encourent-ils ?


Au niveau de la corruption au sens strict, lorsqu’un acteur public reçoit de l’argent, des avantages, un don de quelque nature qu’il soit en contrepartie d’un service qu’il doit accomplir, l’article 28 de l’ordonnance de 2013-660 prévoit un emprisonnement de 5 à 10 ans.


Il y a également d’autres formes de corruption : le trafic d’influence qui va de 1 à 5 ans d’emprisonnement. Il y a toute une série d’actes relevant de la corruption et d’infractions assimilés. On a la corruption à proprement parler, l’abus de fonction, le trafic d’influence, le détournement de deniers publics. Il faut préciser que dans le cadre de détournement de deniers publics, c’est-à-dire l’agent public qui a un fond à gérer qui est affecté au service public ou à la réalisation d’un bien public, détourne celui-ci à des fins personnelles, la loi nous dit qu’il encourt une peine allant de 5 à 10 ans d’emprisonnement.


Il y a également les entraves au bon fonctionnement des services publics, notamment la question des faux témoignages. En effet, le fait de rendre un faux témoignage devant la justice, un agent assermenté est également considéré comme un acte de corruption. Il y a les infractions assimilées à la corruption.

Au nombre de celles-ci, nous pouvons citer la question des cadeaux. Ici, on n’est pas dans une position où c’est l’agent qui l’exige, mais plutôt l’usager qui lui donne un présent en nature ou en espèce, est vu comme de la corruption. 

C’est dire que la question de la corruption et celle de la prévention de la lutte contre ce phénomène suppose que nous puissions revisiter nos habitudes, nos pratiques qu’il faut remettre en cause. Ce qui suppose beaucoup de pédagogie. Notre ministère va s’engager dans cette voie en vue d’expliquer, rencontrer toutes les parties prenantes : secteurs publics, privés, société civile, associations pour qu’on comprenne en quoi consiste la corruption, ses enjeux, le danger que ce fléau représente pour notre société.


Quel est le mode opératoire de votre initiative ‘’Opération coup de poing’’ ?


Dans le cadre de notre attribution, le gouvernement nous a demandé de mettre en place un système de détection des actes de corruption. En effet, l’une des faiblesses de notre dispositif est comment détecter la corruption. Cette pratique suppose deux acteurs : le corrupteur et le corrompu. 


Tant que ces deux voudront garder le silence sur leurs actes, on ne saura jamais ce qui s’est passé. Il faut donc mettre en place un mécanisme de détection. Cela fait partie de l’un des premiers chantiers importants que nous sommes en train de construire. Nous avons baptisé cette action ‘’ Opération coup de poing’’ pour frapper l’imaginaire et créer dans le jargon de la répression, ce qu’on appelle ‘’créer un climat de stress’’ dans l’environnement pour dire aux Ivoiriens que les temps ont changé. 

Je ne peux pas vous expliquer le mode opératoire. Mais à terme, nous allons mettre en place un système de détection qui est une plateforme électronique. Mais également avec un numéro vert, une structuration de sorte que ladite plateforme ait des correspondants dans chacun des services publics et soit diffusée suffisamment afin que quiconque : témoin ou victime de corruption, ait la possibilité de signaler, de nous saisir ou de saisir les autorités compétentes en la matière. Le slogan qui accompagne ‘’l’Opération coup de poing’’, c’est ‘’ l’État vous voit’’. 

Nous développons des dispositifs pour que les actes de corruption ne soient plus des actes qui se déroulent entre deux individus, et faire en sorte qu’un système d’alerte soit mis en place. Pour cela, nous avons besoin de la collaboration de tous les citoyens, fonctionnaires, travailleurs du secteur privé ou organisations de la société civile.


Quelles formes de corruption retrouve-t-on fréquemment en Côte d’Ivoire ?


Il faut citer le racket qui se pratique sur nos routes, dans nos marchés, dans nos administrations. Il y a l’extorsion de fonds, les détournements de fonds et

de deniers publics. 

Ce sont là les principales formes de corruption pour lesquelles l’État doit prendre des mesures.


Quels sont les dangers de la corruption ?


La corruption est un crime. Elle induit une déperdition des fonds publics. D’importantes sommes d’argent évaluables à plusieurs milliards de FCfa qui auraient pu servir à développer, à doter le pays d’infrastructures de base comme les écoles, les centres de santé, à faire des routes ; sont utilisées au profit de quelques individus et au détriment de l’intérêt général. 

On peut se plaindre de la pauvreté, du manque d’écoles, de centres de santé, de routes, d’eau potable, parce que quelque part les fonds destinés à réaliser ces ouvrages au profit des populations sont détournés et enrichissent quelques individus au détriment de la collectivité.


La corruption est également un facteur de rupture de l’égalité entre les populations d’un même pays. Nous avons tous le même droit. Mais parce qu’un tel connaît telle personne au sein de telle administration, il a des avantages parce qu’ils appartiennent au même parti politique, sont du même village, ou parce que tel a de l’argent, donc peut payer le service. Il a donc des avantages qu’une autre partie de la population n’a pas. La corruption est une source d’instabilité sociale.


N’engagez-vous pas un combat perdu d’avance surtout lorsqu’on sait que de nombreuses personnes ont accepté de vivre avec la corruption. C’est souvent elles qui proposent des dessous de table pour voir leur dossier avancer rapidement ?


Ce n’est pas un combat vain que de vouloir endiguer la corruption. Mais ce qu’il faut admettre, c’est que c’est un combat de longue haleine qui appelle l’adhésion de toutes les composantes de notre société.

Les pays qui y sont arrivés ont mis du temps pour atteindre le résultat escompté. Ils ont principalement mis l’accent sur la réduction des risques de corruption à travers la digitalisation des services, mais aussi sur la formation et la sensibilisation depuis l’éducation de base. La lutte contre la corruption induit un changement de comportement, de mentalité afin d’être plus intègre.

Et lorsque nous serons de plus en plus intègres, quelle que soient les conditions dans

lesquelles nous sommes, et lorsqu’on aura des citoyens davantage intègres, comme ce que le Chef de l’État a appelé, en 2015, l’Ivoirien nouveau, qui sait que pour bénéficier d’un service, pour avoir un travail, un emploi, il faut le mériter, l’enrichissement doit être licite ; nous aurons posé un pas décisif dans la lutte contre la corruption.

C’est l’ensemble des valeurs suscitées que nous devons posséder et pour les avoir, je dirai que c’est un combat de longue haleine.


Quelle collaboration existe t- il entre votre ministère, la Haute autorité pour la bonne gouvernance et le pôle pénal économique et financier ?


économique et financier, c’est un organe de poursuite mis en place par l’ordonnance de 2013. La Haute autorité pour la bonne gouvernance a été également mise en place par une ordonnance de 2013 qui indique que c’est une institution comme la gardienne de la mise en oeuvre de cette ordonnance.


Mais à côté de la Haute autorité pour la bonne gouvernance, il y a d’autres acteurs qui rentrent en ligne de compte y compris le ministère qui a reçu ses attributions, après sa création, le 6 avril 2021. Ce sont des rapports de collaboration comme vous l’avez bien indiqué. 

Le champ est vaste.

Le défi est énorme. La Haute autorité pour la bonne gouvernance a des attributions spécifiques, des domaines d’intervention exclusifs sur lesquels le ministère n’intervient pas, notamment en ce qui concerne les questions de déclaration de patrimoine, la question de l’élaboration de la stratégie nationale de lutte contre la corruption.


Sur la base de cette stratégie, nous nous occupons de la politique et l’approche du gouvernement en nous inspirant de tous les diagnostics qu’a pu faire cette institution. Nous avons une compétence en matière d’assistance de l’administration publique dans le cadre du renforcement des principes de bonne gouvernance, de transparence. 

Le gouvernement nous a aussi demandé d’agir sur les questions de la détection. Mais bien entendu, ces actions, nous les menons en étroite collaboration, non seulement avec la Haute autorité pour la bonne gouvernance, mais également avec les différents acteurs qui interviennent dans le cadre de la lutte contre la corruption. 


Il y a le parquet militaire qui est un acteur central, la cellule nationale de traitement des informations financières, l’Inspection générale d’État, l’Inspection générale des finances. L’un des défis qui s’impose à la Côte d’Ivoire, dans le cadre de la lutte contre la corruption, est de mettre en place une plateforme de collaboration. Cela fait partie des initiatives que nous sommes en train de prendre. Ces initiatives sont déjà contenues dans le plan national de gouvernance en cours d’élaboration. Ledit plan demande la mise en place d’un organe de concertation des acteurs de gouvernance et de lutte contre la corruption pour un meilleur partage des données et une meilleure synergie dans les interventions.


Quel est votre message en direction des fonctionnaires et agents de l’État ainsi que les usagers qui continuent à s’adonner à cette pratique en dépit de toutes les mesures prises et actions mises en avant pour combattre ce fléau ?


Nous avons tous pour ambition de léguer à nos enfants, à notre postérité, un pays développé, stable, riche où il fait bon vivre. Un État dans lequel la classe moyenne devient de plus en plus importante. Tout cela a une condition. Il faut que nous développions la culture de l’intégrité, de la transparence. Il faut que nous disions non à la corruption. 

Cela sera profitable à tous. La lutte contre la corruption est une affaire de tous.

Cela suppose une bonne collaboration.

C’est à ce seul prix que nous allons tous y arriver pour faire de la Côte d’Ivoire un pays à revenu intermédiaire et solidaire à l’horizon 2030


INTERVIEW RÉALISÉE PAR

ÉTIENNE ABOUA ET

KANATÉ MAMADOU

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