Divo, Les cadres du canton Dieko, dans le département de Lakota, ont décidé de mutualiser les actions des 18 mutuelles de développement des 18 villages du canton, à travers la création, en 2019, d’une Coordination des mutuelles de développement de ce canton. Dans un entretien avec le président de cette coordination, professeur Dahigo Abraham Aimé, celui-ci explique les raisons de cette initiative, les objectifs visés et les projets en cours pour réussir le désenclavement du plus gros canton du département de Lakota, mais le plus en retard en matière d’infrastructures de développement.
Notre interlocuteur est professeur à l’université Alassane Ouattara de Bouaké. Il est titulaire d’un doctorat de didactique, des langues et cultures, obtenu en Grande Bretagne, directeur pédagogique du département d’anglais pendant neuf ans. Il a été secrétaire général adjoint du Syndicat national de la recherche et de l'enseignement supérieur (SYNARES) section Bouaké, pendant 14 ans. Il est président de l’association des ressortissants du département de Lakota à Bouaké.
AIP : Qui a eu l’initiative de la création de cette coordination ?
Prof Dahigo A. : L’initiative de la création d’une coordination des mutuelles de développement du canton Dieko vient des anciens cadres du canton, notamment Dapri Nanigbo, ancien chef du personnel de Filtisac, Kobisson Noël, ancien Directeur technique de la CNPS, et d’autres anciens comme Bédi Holly. Ces anciens nous ont fait appel, nous les présidents de mutuelles de nos villages, pour nous proposer de mutualiser nos forces.
Il faut noter que le canton Dieko a de nombreux cadres, dont le général Babli de la police, le Directeur régional du tourisme de Korhogo, le commissaire de police, Waccouboué, l’ambassadeur Marc Ziguéhi, le gouverneur (préfet) Wassolou, le gouverneur (préfet) Iké.
AIP : Qu’est-ce qui a suscité au niveau des cadres l’idée de mutualiser les mutuelles de développement du canton Dieko dans une coordination ?
Prof Dahigo A. : Nous sommes partis du constat que nous avons les mêmes problèmes qui posaient la nécessité d’une solidarité. La route qui relie les villages du canton décrit un ‘’U’’, et nous avons le même problème de route, quand un pont est gâté à un endroit, nous passons tous à un autre endroit. Le canton Dieko est le canton le plus enclavé. Il est le seul qui n’est pas électrifié. Nous menons donc tous le combat de l’électrification de nos villages. Il n’y a pas un seul de ces villages qui peut dire qu’il a amorcé son développement.
AIP : Pas d’électricité. Et pas d’eau ?
Prof Dahigo A. : Mêmes les pompes villageoises manquent dans de nombreux villages du canton. Et, nous avons les mêmes problèmes de scolarisation des enfants. Aucun de nos jeunes n’a profité des passerelles, créées par l’Etat, pour aller dans des centres de formation professionnelle. Dans les villages il n’y a pas non plus d’associations de femmes pour permettre à nos sœurs d’avoir accès au fonds FAFCI. Voici le constat, le même pour tous nos 18 villages. A cela, il faut ajouter que les cadres ont délaissé leurs villages, et très peu viennent chez eux. Ils n’ont pas construit de maison chez eux.
AIP : Comment fonctionne cette coordination, quand l’on sait que les mutuelles ont souvent leurs projets et des programmes d’activités spécifiques ? N’y a-t-il pas des incompréhensions, des ambitions étouffées qui bloquent cette coordination dans ses actions ?
Prof Dahigo A. : D’abord la plupart des cadres me font confiance, et les populations également, pour m’avoir vu gérer la mutuelle de mon village et pour avoir été le mentor de beaucoup de nos jeunes cadres. Alors que je n’étais pas candidat à cette présidence, plusieurs villages ont demandé que je dirige cette coordination, et les autres cadres ont accepté une candidature unique. C’est ainsi que j’ai été désigné président de la coordination. Et, avec les autres cadres nous échangeons souvent pour nous accorder sur l’essentiel.
AIP : Revenons au mode de fonctionnement de cette coordination. Il y a plusieurs mutuelles. Comment sont prises les décisions ? Comment sont élaborés les programmes d’activités pour converger vers des objectifs communs ?
Prof Dahigo A. : La coordination fonctionne avec des mutuelles autonomes. Donc l’existence de la coordination ne fait pas disparaître les mutuelles des villages. Mais, chaque fois qu’il y a des problèmes qui transcendent les compétences de la petite mutuelle d’un village, la coordination prend cela en main. Par exemple pour le cas du pont de Guekoko, nous avons été saisis et nous avons contacté les autorités compétentes, en l’espèce le ministre Amédé Kouakou (ministre de l’équipement et de l’entretien routier). La semaine qui a suivi, il a envoyé les techniciens pour la réfection de ce pont. A Lakoboua, où à la rentrée il n’y avait pas de tables-bancs, dans l’école du village, nous avons été saisis et nous avons informé le ministère, et très vite les tables-bancs ont été livrées.
AIP : Vous intervenez donc en fonction du domaine et de la gravité de la situation.
Prof Dahigo A. : C’est exactement cela. Soit c’est une situation commune à tout le canton et c’est la coordination qui prend cela en main, soit il s’agit d’un problème particulier à un village, mais d’une gravité telle qu’il dépasse les moyens d’intervention de la mutuelle du village concerné. Pour régler le problème, nous interpellons les autorités compétentes, le conseil régional ou le ministère concerné. Des fois, nous lançons des cotisations pour réunir les fonds pour certains cas dont nous sommes saisis.
AIP : Avec près de deux ans d’existence, pouvez-vous nous citer quelques grandes actions menées par votre coordination dans le canton Dieko ?
Prof Dahigo A. : Plusieurs grandes actions ont été menées depuis la création de la coordination, mais j’évoquerai ici trois grandes actions. Il y a eu en 2020 un vent violent dans le village de Dagodou. En Cinq minutes toutes les toitures des maisons ont été enlevées. La coordination avait à peine quatre mois d’existence. Mais nous avons pu mobiliser plus de 700 000 FCFA pour venir en aide aux populations du village. Et c’était la première fois que nos parents voyaient les cadres se mobiliser ainsi pour leur venir en aide. Ils ont vivement salué cela et ont demandé que cet élan de solidarité des cadres demeure vivace dans le canton. La deuxième grande action est intervenue avec la pandémie de la COVID en 2020. Nous nous sommes mobilisés pour fournir dans les différents villages des cache-nez, du savon, les gels hydroalcooliques, les dispositifs de lavage des mains, de gros sacs de sels. La troisième grande action que je retiens, c’est celle de septembre 2021, où nous avons primé les élèves les plus méritants du canton et leurs maîtres d’école. J’ai déjà évoqué le cas du pont de Guekoko. Des démarches pour la réfection et de réhabilitation de la voirie sont en cours et nous attendons les résultats.
AIP : Quels sont vos projets dans un futur proche ?
Prof Dahigo A. : Dans l’immédiat, notre priorité pour 2022 ce sont des actions de réconciliation, notamment la réconciliation entre les populations de Djokolilié, en palabre autour du nom du village. Certains ne veulent pas du nom Djokolilié, les autres ne veulent non plus du nom Djôkô. La seconde action de réconciliation est celle entre le village de Dékédou et le village de Guekoko. La troisième action c’est de commencer la formation de la jeunesse, et faire en sorte qu’avec les mutuelles, chaque année, nous ayons des jeunes qui intègrent les passerelles. Ensuite susciter des projets avec la création de coopératives, comme celle qui a démarré à Dagodou avec l’élevage d’escargots. Il y aura avec l’ANADER, la formation pour la culture hors sol. Notre objectif est d’enlever les jeunes gens dans la galère.
AIP : Le constat pour tout visiteur dans ce canton, vous l’avez souligné, c’est l’état de dégradation avancée des pistes, alors qu’il est souligné que la route précède le développement. Quelles sont vos actions pour désenclaver le canton Dieko ?
Prof Dahigo A. : Il faut le savoir, l’Etat de Côte d’Ivoire fait des choses. Mais, si tu ne fais rien, on ne fait rien pour toi. Quand nos parents avaient leurs coopératives de cacao, on avait fait la route. Ils ont disloqué toutes les coopératives de cacao, donc on ne peut plus traiter les routes. C’est le fond du problème. Il faut remettre les coopératives au travail et qu’elles soient membres du Conseil café cacao comme avant, et les routes seront reprises.
AIP : Qu’est-ce-qui a provoqué cela, que les coopératives disparaissent ?
Prof Dahigo A. : Les palabres liés au détournement dans la gestion des fonds. C’est pour tout cela que nous insistons sur l’alphabétisation de nos parents. Ainsi, ayant des notions de comptabilité, ils n’auront pas besoin de personnes venues d’Abidjan, qui ne s’y connaissent pas en cacao, n’ont pas de plantation, et qui viennent détourner les gains des planteurs.
AIP : Mais, êtes-vous convaincu que la seule réhabilitation des coopératives de cacao va régler le problème de l’enclavement du canton ?
Prof Dahigo A. : Oui, nous pensons que c’est l’élément essentiel. Mais il y aura d’autres choses, à savoir étendre la création des coopératives au secteur du vivier. Des coopératives peuvent générer assez de fonds pour financer, grâce à leurs ristournes, la réfection de certains tronçons comme celui de Nagbodogbo à Guekoko, qui nécessite 1,9 millions de francs CFA. Et ça, une seule coopérative d’escargots peut financer. Il y a pour le moment une coopérative du genre. Nous allons en créer plusieurs et cela va aider à entretenir les routes.
AIP : Maintenant, veillez professeur nous faire découvrir le canton Dieko. Quelle est sa particularité en rapport avec les autres cantons de Lakota ?
Prof Dahigo A. : D’abord c’est le plus grand canton du département de Lakota. On avait 37 villages et avec les regroupements, on en est à 18 maintenant. Pour gagner les élections à Lakota, si vous avez perdu dans le canton Dieko, c’est que vous avez déjà perdu les élections. C’est ça la grande particularité. Et l’autre grande particularité, c’est le seul canton qui n’est pas développé, qui n’a pas d’électrification, qui n’a presque rien.
AIP : Est-ce qu’il y a une explication à cela ?
Prof Dahigo A. : Ce serait m’aventurer dans le noir. Je suis chercheur, et en sciences, on ne parle pas sans preuve. La seule chose que je sais, c’est que nous cadres nous avons abandonné notre canton. Parce que si nous avions construit des maisons, réaliser des projets, on se serait mobiliser déjà pour avoir ces choses qui manquent au développement du canton. Donc, c’est peut-être l’une des raisons objectives qu’on peut avancer.
AIP : Au plan culturel, qu’est-ce qui fait l’unité du canton Dieko ?
Prof Dahigo A. : Il n’y a pas de disparité dans la langue. Nous nous comprenons parfaitement. C’est le seul dida qui est compris par tous les dida quel que soit l’endroit où ils sont. Le dida de Djôkô est le seul dida qui est compris par tous les dida.
AIP : Sont-ce ces dida qui ont généré l’ensemble des dida de Côte d’Ivoire ?
Prof Dahigo A. : Il faut que cela soit prouvé. Seul peut nous éclairer une recherche pluridisciplinaire, un séminaire avec l’intervention croisée de différentes sciences comme l’anthropologie, la sociologie, la linguistique, l’anthropo-linguistique. Pour moi, l’histoire seule ne peut pas nous situer sur l’origine des dida et leur unicité. A Oumé on trouve également des dida là-bas, il y en a à Fesco qu’on appelle les Ega, et qui parle le dida de Djôkô. Tous cela nécessite des recherches assez poussées.
AIP : S’il y a un appel que vous voudriez lancer pour le développement de votre région et du canton Dieko, ce serait le quel ?
Prof Dahigo A. : Nous voudrions surtout être compris par les uns et les autres, qu’on évite les débats de clocher, les problèmes de personne. Il faut que quand ont est du canton Dieko qu’on comprenne tous qu’on a un seul problème, la pauvreté, la pauvreté de nos parents. C’est anormal, notre canton est derrière, alors que c’est le canton qui regorge le plus de cadres. Cela ne s’explique pas, il faut se réveiller pour que le canton Dieko connaisse la même joie du développement que les autres.
(AIP)
Une interview de Jean-Marie Marie KOFFI, chef du bureau régional du Lôh-Djiboua