A la faveur de la cérémonie de remise du Prix Félix Houphouët-Boigny pour la recherche de la Paix prévue à Yamoussoukro le 8 février 2023, le Professeur Justin N’Goran, dans un entretien exclusif accordé à Abidjan.net, jette un regard sur les enjeux et la portée de l’évènement pour la Côte d’Ivoire. Decryptage.
Pour vous, Professeur Justin N’Goran Koffi, quelle symbolique se dégage-t-elle de la tenue de la cérémonie de remise du Prix Félix Houphouët-Boigny, 2023, ici, à Yamoussoukro?
Avant tout propos, permettez-moi de rappeler que Le Prix Félix Houphouët-Boigny pour la Recherche de la Paix se propose d’honorer les personnes vivantes, institutions ou organismes publics ou privés, en activité, ayant contribué, de manière significative, à la promotion, à la recherche, à la sauvegarde ou au maintien de la paix, dans le respect de la Charte des Nations Unies et de l’Acte constitutif de l’UNESCO, selon les termes des textes qui le formalisent et l’installent.
Un détour par l’histoire enseigne que le Prix Félix Houphouët-Boigny pour la Recherche de la Paix a été créé en 1989 par la résolution 25 C/COM.V/DR.1 (25 C/Rés., 23) parrainée par 120 pays et adoptée par la 25e session de la Conférence générale de l’UNESCO, qui s’est tenue à Paris du 17 octobre au 16 novembre 1989. Ce prix se situe dans la droite ligne de la philosophie des pères fondateurs de l’UNESCO, qui, dans le préambule de l’Acte constitutif de l’Organisation, déclarent, solennellement, que : «Les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix.» Et, cela colle avec le porteur du prix, Félix Houphouët-Boigny, d’illustre mémoire.
Autrement dit, ledit prix témoigne, à suffisance, de l’attachement de l’UNESCO à la paix et au dialogue des civilisations et des cultures comme l’a été Félix Houphouët-Boigny. C’est, en conséquence, un instrument de portée universelle pour encourager et honorer ceux et celles qui contribuent à bâtir un monde plus fraternel et plus solidaire, notamment par :
- des actions notoires : mobilisation des consciences (notamment de la jeunesse, en faveur de la paix; des peuples et des nations, pour leur compréhension mutuelle, etc.) ;
- des initiatives édifiantes, dans le cadre de la sauvegarde ou du rétablissement de la paix, de la résolution des conflits, du respect des droits de l’homme, des programmes de recherche pour la promotion de la paix, de la tolérance ; dans le cadre de la lutte contre le racisme et toute forme de discrimination, etc.;
- des contributions à la réalisation des objectifs fondamentaux du système de l’ONU (culture de la paix dans l’esprit des lois hommes, etc.).
Il faut dire que, depuis sa création, le prix a donné une grande visibilité de l’action de l’UNESCO dans le domaine de la recherche et de la promotion de la paix.
Pour Félix Houphouët-Boigny, « Dans la recherche de la paix, de la vraie paix, de la paix juste et durable, on ne doit pas hésiter, un seul instant, à recourir, avec obstination, au dialogue », devançant, par-là, la symbolique qui se dégage du prix dédié.
La symbolique se veut, donc, ici, toute naturelle. Elle charrie, significativement, le lien incassable entre celui dont le prix porte le nom et Yamoussoukro, l’espace social, culturel et spirituel qui l’a vu naître, qui l’a vu grandir, qui l’a vu vivre, qui l’a vu mourir et qui l’a reçu dans son ventre.
On pourrait, sans être accusé de précipitation, porter au pinacle, que la tenue de la cérémonie de remise du Prix Félix Houphouët-Boigny pour la Recherche de la Paix, ici, à Yamoussoukro, en la 30ème année du décès de l’illustre désigné, est symbole d’un retour aux origines et, plus encore, symbole de la fin d’un cycle initiatique et le départ d’un autre cycle.
Le symbolisme qui entoure la cérémonie joue, en ce sens, de symétrie avec le symbolisme qui entoure Félix Houphouët-Boigny, lui-même. Et ce qui symbolise Félix Houphouët-Boigny, c’est l’Houphouëtisme.
L’Houphouëtisme est une façon d’être au monde calquée sur la pensée, les actes et la vie de Félix Houphouët-Boigny, totalement immergés dans la paix, le dialogue et la liberté.
Et si tant il est vrai que le concept de symbolisme est un mode social de signification, il est, dans toute l’idéologie qui gouverne le prix, un mode humaniste d’existence. Ces deux dimensions sont la mesure de la grande importance que je ressens, à cette parlante occasion.
En tant que cadre de Yamoussoukro, qu’est-ce que cette cérémonie représente pour les populations de Yamoussoukro ?
La cérémonie de remise du Prix Félix Houphouët-Boigny pour la Recherche de la paix sur le sol de Yamoussoukro est un incubateur de fierté mais encore d’obligations, de devoirs. Fierté dans le fait que l’icône qui figure le prix est un enfant de Yamoussoukro ; obligation, devoir dans le fait que chaque ressortissant de Yamoussoukro se doit de continuer l’œuvre de Félix Houphouët-Boigny, sans détour ; et déjà, mettre tout en œuvre pour que la cérémonie de remise du prix, ici, à Yamoussoukro, soit un succès. De là à visionner l’implication personnelle, collective et sociale de la population dans cette cérémonie. Il s’agit aussi, pour ladite population, de confirmer les comportements qui ont inspiré ledit prix ; prix qui donne sens à son vécu. En effet, « Le sens qu’on s’efforce de restituer est sens vécu plus complètement et fondamentalement que sens représenté ou conscient. Pour certaines sociétés, appréhender et traduire ce sens vécu dans le langage de nos représentations conscientes peut sembler d’une difficulté insurmontable. Mais nous progressons dans ce sens. » (Dumont, 1987 : VI)
Ce sens est motivé par les spécificités de Félix Houphouët-Boigny qui se traduisent ou se saisissent dans l’expression, la compréhension, l’expérience et la transmission de significations (pris comme valeurs) aux populations de Yamoussoukro, aux populations de Côte d’Ivoire, et à toute l’Humanité. C’est un modèle de représentation entendue comme idée ou ensemble d’idées intelligibles et transmissibles associé à un signe ou à un ensemble de signes et mobilisés par une figure de proue, Félix Houphouët-Boigny.
Cette cérémonie représente, assurément, une reconnaissance de la qualité de la population qui a « produit », un homme de qualité : c’est un jeu de correspondance analogique.
En voici les traits les plus importants :
- un ancrage socio-cosmiques, renvoyant à l’élection à un social hors pair, avec la complicité des ancêtres, des esprits voire des non-humains ; une inclinaison à avantager autrui et à promouvoir l’hospitalité et l’amour du prochain ; une quête permanente de la paix ; une sollicitation tous azimuts du dialogue ; un vœu permanent de solidarité ; etc.
Il y a, dès lors, dans ce que représente le Prix Félix Houphouët-Boigny pour la Recherche de la paix, et la cérémonie de la remise, en 2023, ici à Yamoussoukro, une association spécifique de significations convergentes, circonscrites, cohérentes, articulées à des formes et à des dynamiques d’action, mise en lumière par l’Homme Félix Houphouët-Boigny et par son Œuvre.
En conclusion, au-delà des développements précédents concernant le « symbolisme » et la « représentation » de la tenue de la remise du Prix Félix Houphouët-Boigny pour la Recherche de la Paix, à Yamoussoukro, cette cérémonie est comme un rituel qui consacre la reconnaissance de la présence au monde de la population, du peuple de Yamoussoukro. Ce n’est point ethnographie, ce n’est point non plus anthropologie ou toutes autres considérations : c’est un fait pris au sens d’Emile Durkheim : il s’impose aux individus et sont extérieurs à eux.
Pour les populations de Yamoussoukro, comme pour tous les ivoiriens, donc, le Prix Félix Houphouët-Boigny, est, définitivement, un creuset fécond de fierté et tient d’une valeur sans mesure. Mais c’est, encore et surtout, un défi de tous les jours : continuer de sauvegarder la paix, de la promouvoir et de l’enraciner dans l’esprit des uns et des autres selon le modèle qu’a laissé ce grand homme comme on n’en trouve plus, le Président Félix Houphouët-Boigny.
Propos recueillis par An