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Société Publié le vendredi 2 mai 2025 | BBC

Burkina Faso : pourquoi le capitaine Ibrahim Traore est-il si populaire auprès de la jeunesse africaine ?

Burkina Faso : pourquoi le capitaine Ibrahim Traore est-il si populaire auprès de la jeunesse africaine ?
© BBC
Burkina Faso : pourquoi le capitaine Ibrahim Traore est-il si populaire auprès de la jeunesse africaine ?
Le président du Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traore est très populaire auprès des jeunes africains de plus en plus séduits par ses prises de position courageuses et son leadership.

Des milliers de personnes se sont rassemblées ce mercredi 30 avril, sur la place de la Révolution à Ouagadougou pour manifester leur soutien au président de la transition le capitaine Ibrahim Traoré.

Cette manifestation intervient après que le commandant américain de l'AFRICOM, le général Michael Langley, a affirmé début avril devant la commission sénatoriale américaine sur l'armée, que le chef militaire au pouvoir au Burkina Faso utilisait les réserves en or du pays pour assurer sa propre protection plutôt que pour celle de la population.

Les propos tenus par le général Langley devant le Sénat américain ont suscité une vague de réactions au Burkina Faso et dans l'ensemble des pays de l'AES et même au delà de la région.

Le gouvernement burkinabé a fustigé ces déclarations du commandement militaire américain, estimant qu'elles "ne visent qu'à nuire à l'image du pays".

Des centaines de messages et de publications de soutien au capitaine Traore ont inondé les réseaux sociaux ces derniers jours.

Sur la plateforme X (ex Twitter), des artistes, des activistes, des jeunes leaders africains et même des Afro-Américains ont exprimé leur indignation face aux déclarations du Général américain Langley.

Ce soutien massif à l'endroit du leader militaire du Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traore se manifeste au moment ou les tensions avec les puissances occidentales ne cessent de croître.

Lors de son audition devant le Sénat américain, le général Michael Langley a accusé le président de la transition Ibrahim Traoré, l'accusant de détourner les réserves stratégiques d'or de son pays à des fins personnelles au détriment de son peuple.

Toutefois, ces déclarations loin de fragiliser le régime au Burkina Faso , ont plutôt conforté le statut et l'aura du jeune leader militaire, dont la popularité dépasse les frontières nationales.

Depuis plusieurs années, le Burkina Faso est confronté à des violences djihadistes qui ont provoqué des milliers de morts et causé le déplacement de plus de deux millions de personnes.

En prenant le pouvoir en septembre 2022, le capitaine Ibrahim Traoré a promis de faire de la lutte contre le terrorisme sa priorité. Il a lancé des campagnes de recrutement massif de volontaires pour la défense de la patrie (VDP), intensifié les opérations militaires, et renforcé les capacités des forces armées. Cette posture offensive contre les groupes armés lui a valu le soutien d'une grande partie de la population

Toutefois, la popularité de M. Traoré va au-delà de l'acceptation du régime militaire par les civils. Il a entrepris des réformes radicales qui trouvent un écho auprès d'une large frange de la population.

Discours souverainiste et franc-parler

Traoré a rapidement adopté un discours anti-impérialiste, critiquant fortement l'ingérence des puissances occidentales, en particulier la France.

Son choix de se rapprocher de nouveaux partenaires comme la Russie et l'Iran, et de quitter certains cadres de coopération régionale (G5 Sahel, CEDEAO ) a été perçu comme une affirmation de souveraineté.

Ce changement géopolitique résonne fortement auprès d'une jeunesse en quête d'indépendance politique et économique.

Cette popularité du président Ibrahim Traoré auprès de la jeunesse, est due principalement à sa posture anti-impérialiste et à son discours souverainiste, estime le journaliste-écrivain, Seidik Abba, chercheur associé et président du Centre international d'études et de réflexions sur le Sahel (CIRES).

« Il y a d'abord sa posture anti-impérialiste. Le fait qu'il se positionne comme quelqu'un qui refuse toute ingérence étrangère dans les affaires de son pays reçoit un écho favorable auprès de la jeunesse africaine qui est fatiguée de l'ancien système où les pays africains reçoivent des ordres ou eux-mêmes sollicitent des ordres auprès des anciennes puissances coloniales ou de l'ordre international. Cette posture nationaliste anti-impérialiste fait qu'il est très populaire auprès de la jeunesse », note M. Abba.

Dans ses différentes allocutions et prises de paroles publiques, il a souvent réitéré sa volonté de « redonner au peuple burkinabè sa souveraineté et sa fierté ».

« Nous serons impitoyables et sans état d'âme face à ceux qui veulent entraver le développement de notre patrie », a-t-il prévenu à l'occasion de la traditionnelle montée des couleurs le 1er Avril 2025.

Un franc-parler et une fermeté qui séduisent une bonne partie de la jeunesse qui se retrouve dans ce discours anti occidental, note Seidik Abba.

« Il y a aussi la façon de parler, le franc-parler du président Ibrahim Traoré qui s'éloigne même de certaines précautions diplomatiques lorsqu'il dénonce la France, lorsqu'il dénonce les médias, qu'il accuse d'être proche de l'Occident. On voit que son discours n'est pas enveloppé dans des précautions diplomatiques. Ce franc-parler c'est dû à sa jeunesse », observe le journaliste-écrivain nigérien.

Le nouveau Sankara ?

Le capitaine Traoré est devenu un symbole de résistance contre l'influence occidentale en particulier l'influence française, ce qui trouve un écho positif auprès de la population à majorité jeune.

Son positionnement révolutionnaire et son engagement envers l'unité africaine plaisent à de nombreux Burkinabè, en particulier la jeunesse.

« Il y a un troisième élément pour moi, le fait que par sa jeunesse, par son franc-parler, par sa posture impérialiste, Ibrahim Traoré rappelle un autre président Burkinabè qui est le capitaine Thomas Sankara dont on ne peut pas douter de la popularité près de 40 ans après son décès », estime Seidik Abba, président du Centre international d'études et de réflexions sur le Sahel (CIRES).

Le régime militaire au pouvoir au Burkina multiplie les actes symboliques voire populistes pour renforcer son image. La décision de renoncer au salaire présidentiel et de choisir le modeste revenu qu'il recevait en tant que leader de l'armée l'a rendu populaire auprès du public.

Pour Daniel Eizenga, Chercheur au Centre d'études stratégiques pour l'Afrique basé à Washington D.C, aux Etats Unis, même si elle tient sur certains points, cette comparaison repose plus sur la nostalgie.

"Il est vrai que les deux capitaines ont pris le pouvoir à l'âge de 34 ans. Mais les comparaisons s'arrêtent à leur grade et à leur âge. Sankara est arrivé au pouvoir dans les années 1980, dans un contexte de fin de la guerre froide et de divisions idéologiques au sein de l'armée. Les officiers favorables à Sankara ont mené un coup d'État en 1983. Considéré comme un révolutionnaire marxiste, Sankara a tenté de mettre en œuvre des réformes politiques : participation politique accrue, autonomisation des femmes, lutte contre la déforestation et réduction des inégalités. Traoré, lui, gouverne dans une situation beaucoup plus précaire. Son coup d'État, comme celui de Damiba, a révélé une armée fragmentée : la plupart des officiers militaires n'ont participé ni à son coup d'État ni à celui mené par Damiba. De l'aveu du régime en place, la junte a fait face à de multiples tentatives de déstabilisation. Cela met en évidence les moyens arbitraires par lesquels le pouvoir a changé de mains et l'instabilité inhérente au régime de la junte."

Réformes économiques symboliques

Les relations entre les États-Unis et le Burkina Faso se sont plutôt refroidies notamment en raison de la nouvelle politique minière du président de la transition.

Depuis sa prise de pouvoir en 2022, le capitaine Ibrahim Traoré a entrepris une série de réformes visant à renforcer le contrôle de l'État sur les ressources minières, en particulier l'or, principale exportation du pays.

En octobre 2024, il a annoncé le retrait de certains permis d'exploitation accordés à des entreprises étrangères, déclarant : « Nous savons comment exploiter notre or, et je ne comprends pas pourquoi nous laisserions les multinationales le faire à notre place » .

Cette décision s'inscrit dans une volonté plus large de renationalisation du secteur minier, avec l'objectif de faire bénéficier davantage la population des ressources naturelles du pays.

Le gouvernement a également repris la gestion de deux mines d'or, Boungou et Wahgnion, pour un montant d'environ 90 millions de dollars, mettant fin à un différend entre les sociétés minières Endeavour Mining et Lilium Mining .

Rupture avec l'Occident et repositionnement géopolitique

Le capitaine Ibrahim Traoré a souvent exprimé des préoccupations concernant des tentatives d'ingérence étrangère dans les affaires du Burkina Faso.

Il a notamment accusé certaines puissances impérialistes de vouloir exploiter les richesses du pays en utilisant le terrorisme comme outil de déstabilisation, affirmant : « Nous sommes victimes de nos richesses, ces richesses que les impérialistes veulent coûte que coûte reprendre pour nous maintenir dans l'esclavage ».

« Les Etats de l'AES sont engagés dans un processus de recouvrement de leur souveraineté totale », clamait il lors du sommet des pays de l'AES en juillet 2024.

Dans ce contexte, le Burkina Faso a renforcé ses liens avec des partenaires non occidentaux, notamment la Russie, tout en prenant ses distances avec certains alliés traditionnels.

Cette réorientation géopolitique reflète une volonté de diversifier les partenariats et de renforcer la souveraineté nationale.

Nouvelles dynamiques de pouvoir entre l'Afrique et l'Occident

Dans ses commentaires faits devant le Sénat américain, le général Michael Langley a également critiqué certains pays africains pour la corruption croissante, l'instabilité politique et la multiplication des coups d'État militaires.

« L'Afrique de l'Ouest est confrontée à un ensemble complexe de défis. La région a récemment connu une vague de coups d'État militaires, avec des pays comme le Burkina Faso, la Guinée, le Mali et le Niger confrontés à des bouleversements, des militaires ayant renversé des gouvernements élus. Ces perturbations résultent d'une corruption endémique, d'un développement économique lent, de la faiblesse des institutions démocratiques et d'une patience stratégique limitée », a-t-il dit.

Le chef militaire américain a également critiqué l'influence de la Chine sur l'Afrique. « La manipulation et l'ingérence de l'information étrangère sont monnaie courante alors que la Chine exploite ses relations en Afrique à des fins économiques et pour sécuriser des minéraux et des ressources critiques », peut-on lire dans son rapport de présentation devant la Commission armées du Sénat.

En réponse, le gouvernement burkinabé a condamné les propos du général Langley, les qualifiant de « regrettables ».

L'ampleur de la réaction suscitée par les propos de Langley révèle les fractures géopolitiques croissantes et les nouvelles dynamiques de pouvoir entre l'Afrique et l'Occident.

En effet, les critiques de Langley sur l'exploitation des ressources en Afrique par des puissances étrangères, dont la Chine et la Russie, ont aussi été perçues comme une manière de détourner l'attention des actions des États-Unis et de leurs alliés, notamment en matière de pillage des ressources africaines.

Âgé de moins de 40 ans, le capitaine Ibrahim Traoré est vu par ses partisans comme un dirigeant jeune, énergique et insoumis. Il multiplie les apparitions publiques, les discours mobilisateurs en langue locale, et cultive l'image d'un leader accessible, simple, incorruptible, en rupture avec les élites traditionnelles accusées de trahison ou de compromission.

Dans toute l'Afrique de l'Ouest, de nombreux jeunes le considèrent comme un modèle de résistance face à l'ordre international jugé néocolonial.

Il est devenu une figure emblématique d'un nouvel élan panafricaniste, au même titre que ses homologues du Mali (Assimi Goïta) et du Niger (Abdourahamane Tiani), avec qui il forme l'Alliance des États du Sahel (AES).


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